An 1239, le procès des 183 cathares brûlés vifs au Mont-Aimé

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An 1239, le procès des 183 cathares brûlés vifs au Mont-Aimé

L’article qui suit provient d’un site aujourd’hui dévolu à la Fédération Française de Tennis. J’avais, à l’époque proposé à son auteur (anonyme) de m’autoriser à le publier ici. Sans réponse de sa part, j’avais copié le document pour l’imprimer.Aujourd’hui, il a disparu du site en question et le maître-toile ne me répond pas quand je l’interroge à ce sujet.
Aussi, je prends la liberté de le publier, non sans rappeler que je n’en suis pas l’auteur et que, si ce dernier se fait connaître pour signer son travail ou pour exiger son retrait, je respecterai son choix.

13 mai 1239. Un nuage de fumée s’élève au-dessus du Mont-Aimé, une colline perdue dans la plaine champenoise, non loin de Vertus. Le ciel s’obscurcit. Le vent frais qui souffle en ce mois de mai fait apparaître, entre les fumées, des flammes gigantesques. En même temps, dans la plaine, au pied de la colline, retentissent d’atroces cris de souffrance. Comme si une foule entière criait d’une seule voix sa terreur et sa détresse. Une rafale de vent dévoile enfin le spectacle : attachés à des pieux plantés dans le sol, des dizaines et des dizaines de condamnés sont en train de brûler vifs, en un énorme bûcher collectif. En bas, dans la plaine, et sur les flancs de la colline, une foule gigantesque gronde. Et au-dessus du feu, sur un terre-plein, se trouve un extraordinaire parterre de princes, de comtes, d’évêques et d’ecclésiastiques qui assistent, muets, raides et impassibles, à ce « spectacle » historique. En ce vendredi 13 mai 1239, on brûle,  » en un très grand holocauste agréable à Dieu « , 183 hérétiques,  » bougres, manichéens et cathares « . Ces éminentes personnalités se bouchent le nez lorsque, soudain, le vent rabat sur elles des relents de chairs grillées. Elles s’éloignent, écœurées, mais estimant que Justice a été faite. Quelle justice ? Celle qui, selon l’église catholique, omniprésente et omnipotente en ce XIIIe siècle, consiste à réprimer sans pitié, de manière inquisitoriale, toute hérésie.
Parmi ces notables qui se retirent lentement, le plus célèbre est Thibaud IV de Champagne. Le poète. A-t-il eu le courage de versifier ses amours pendant que dans son château se déroulait le terrible procès, et qu’au pied de la colline des hommes de main construisaient l’enclos de pieux pour la combustion ? Et après le spectacle, a-t-il chanté quelques ballades pour se changer les idées et chasser de son esprit les cris de douleur des suppliciés ? Ce bon poète avait sans doute oublié que, quelques années auparavant, il avait prêché énergiquement la tolérance et flétri dans ses chants  » les papelards qui laissent sermon pour guerroyer et tuer les gens « … Thibaud avait d’ailleurs d’autres soucis pour la prochaine croisade. il préparait ses bagages.

Le Mont-Aimé n’avait pas, en cette première moitié du XIIIe siècle, l’aspect qu’il a aujourd’hui : une grande colline isolée que l’on découvre de loin, du bout de l’immense plaine venant de Châlons-sur-Marne. Son sommet est couvert d’une futaie que sont venues grignoter les vignes, alignées sur des coteaux qui descendent en pente douce vers Bergères les Vertus.

En 1239, les arbres devaient se trouver ça et là dans la plaine, et sur le Mont-Aimé à 240 mètres d’altitude, se dressait un puissant château fort que Blanche, mère du poète et comte Thibaud IV de Champagne, avait fait édifier en 1210, l’année où l’on décidait à Reims de construire une nouvelle cathédrale pour remplacer celle qui venait de brûler. Ce beau château tout neuf qui, d’après les descriptions qu’on en a faites, ressemblait comme un frère à celui de Coucy, était de dimensions imposantes. Des fouilles méthodiques ont permis de repérer l’enceinte qui entourait une superficie de deux hectares. A l’éperon Nord se dressait une tour haute de 52 mètres comprenant six étages dont chacun – d’après un dessin de Claude Chastillon fait en 1590 – débordait sur le précédent, grâce à de puissants corbeaux de pierre et des encorbellements circulaires.

C’est sur la place du château – là où se trouve maintenant un espace très fréquenté par les promeneurs et les pique-niqueurs du dimanche – que furent jugés, au cours d’un procès bien monté, les hérétiques.
Nous étions sous le règne de Louis IX le Saint, et sous le pontificat de Grégoire IX. L’Eglise avait entrepris une lutte sans merci contre les hérésies de toutes sortes, qui avaient tendance à se répandre, en particulier contre la plus dangereuse à son point de vue : l’hérésie manichéenne, ou cathare, qui menaçait  » la foi et l’unité chrétienne « .

Il ne s’agissait pas d’une petite secte, mais en réalité d’une religion distincte du christianisme, et qui aurait pu devenir l’une des grandes religions du monde. Les doctrines et pratiques des cathares étaient en partie un retour aux croyances des premiers chrétiens et à la pauvreté évangélique, et en partie un produit d’idées manichéennes, fondé sur la dualité de deux principes opposés, le Bien et le Mal. Le Bien étant créateur du monde spirituel, le Mal créateur du monde matériel. Rejetant la divinité du Christ et les rites de l’Eglise catholique, qu’ils considéraient comme des superstitions condamnables, les cathares (du grec katharos, pur) administraient eux-mêmes un baptême de l’esprit ( » consolamentum « ) qui astreignaient ceux qui le recevaient, les  » parfaits « , à une vie chaste et austère. Les simples croyants étaient tenus à des observances moins rigoureuses et ne recevaient le « consolamentum  » qu’à l’heure de leur mort.

Dangereux, les cathares ?
On reconnaissait les parfaits, qui étaient les prêtres et les évêques, à leurs vêtements noirs, une sorte de manteau de laine, serré à la taille et muni d’un capuchon, ce qui les distinguait des simples fidèles (une tenue qu’ils abandonnèrent lorsqu’ils commencèrent à être pourchassés par les inquisiteurs. Ils s’habillèrent alors comme tout le monde. Mais ils portaient sous leurs vêtements un cordon symbolique). Au moment de leur ordination, ils s’engageaient acquitter parents, amis, enfants pour se consacrer à Dieu et à l’Evangile. Ils s’abstenaient de manger de la viande et des œufs, et en général toute nourriture d’origine animale. Ils étaient d’absolus végétariens, mais consommaient cependant du poisson, et ne semblent pas avoir fait une interdiction de boire du vin.

Ils s’abstenaient également de tout rapport sexuel. Les croyants, eux, étaient des adeptes qui promettaient de prononcer les mêmes vœux que les parfaits par la suite. Il leur était permis, en attendant, de se marier et de manger de la viande. Mais on exigeait d’eux qu’ils renoncent à l’Eglise catholique, qu’ils progressent vers la vie « parfaite ». Ils devaient saluer tout parfait d’une triple et respectueuse génuflexion.

L’essentiel de leur morale, les cathares le tiraient du Sermon de la Montagne. Ils étaient invités à aimer leurs ennemis, à prendre soin des malades et des pauvres, à éviter le serment (à jurer), et à toujours observer la paix. Pour eux, la force n’était jamais morale, même contre les infidèles. La peine capitale était un crime… capital. En cela, ils s’opposaient à l’Eglise catholique qui, à cette époque, brûlait allègrement les hérétiques de tous genres. Le cathare croyait, avec une tranquille confiance, qu’à la fin Dieu triompherait du Mal, sans employer aucune forme de mal.

Leurs rites étaient extrêmement simples. Ils comprenaient des prières, sans doute des chants, des jeûnes prolongés et, surtout, des sermons au cours desquels la doctrine était expliquée, et peut-être discutée. Ils n’avaient pas d’église ni de lieu de culte. Ils priaient et prêchaient un peu partout : dans les bois, dans les châteaux ou dans les maisons des croyants. Le seul local connu affecté aux sermons fut celui qui se trouvait au château de Montségur. Mais ce fut une exception.
Une autre particularité des cathares : tous les sacrements de l’Eglise étaient rejetés, y compris le mariage. Ils n’acceptaient, pour les croyants, qu’une sorte de mariage « civil ». Pour les catholiques, qui ne considéraient comme mariés que les gens qui l’avaient été devant un prêtre, les cathares vivaient donc en concubinage. Un péché très grave au Moyen Age !

Si les cathares s’en étaient tenus à ces pratiques qui sentaient déjà le soufre, ils auraient pu bénéficier d’une certaine tolérance. Mais ils s’engagèrent dans une critique active et virulente de l’Eglise catholique, ce qui causa leur perte. Ils niaient notamment que cette Eglise fût celle du Christ. Saint Pierre, pour eux, n’était jamais venu à Rome et n’avait jamais fondé la papauté. Les papes étaient les successeurs des empereurs, non des apôtres.  » Le Christ n’avait pas d’endroit où reposer sa tête, affirmaient-ils, mais le pape vit dans un palais! « . Le Christ était sans biens et sans argent, mais les prélats chrétiens vivent dans l’opulence.  » Il est évident, disaient les cathares, que ces messeigneurs les évêques ou archevêques, que ces prêtres mondains, que ces gros moines ne sont que les anciens pharisiens revenus sur terre!  » Pour eux, l’Eglise romaine était certainement la  » prostituée de Babylone « , le clergé une  » synagogue de Satan « , et le pape l’Antéchrist. Ils dénonçaient enfin les prédicateurs des croisades comme des assassins.
C’en était trop. Ces critiques, inacceptables pour l’Eglise officielle, furent fatales pour les cathares. La répression commença, féroce.

Un procès énorme
Le Catharisme faisant de plus en plus d’adeptes, l’Eglise décida de sévir, et c’est en Champagne que l’Inquisition réussit son opération la plus spectaculaire. De ce dramatique autodafé de 1239 – auquel les historiens en général et ceux du catharisme en particulier n’ont consacré que quelques lignes – on a retrouvé plusieurs récits. Le plus précis semble être celui d’ Aubri de Trois-Fontaines, un moine de l’abbaye cistercienne de Trois-Fontaines, dans le diocèse de Châlons sur-Marne, auteur d’une chronique universelle rédigée entre 1227 et 1241.
Aubri a certainement participé au tribunal qui siégea sur le Mont-Aimé Aussi sa chronique est-elle forcément partiale.

 » Cette année-là, écrit-il, la semaine qui précédait la Pentecôte, le vendredi eut lieu un très grand holocauste. Pour apaiser le Seigneur, on brûla des « Bulgares ». En effet, 183 « bougres » furent brûlés.  » En raison de l’origine bulgare de l’hérésie, les hérétiques français étaient souvent appelés « bulgares » ou « bougres »
Plus loin, le chroniqueur ajoute, sans pitié :  » Quant à ce que croient et affirment ces hérétiques qui tirent leur origine de Manès, quant aux pratiques auxquelles ils se livrent en secret, il n’est pas nécessaire de le publier au grand jour tant elles sont nauséabondes et horribles, et au milieu des autres elles ont une telle mauvaise odeur que les gens sages les découvrent même à leur puanteur « .

Le récit d’Aubri des Trois-Fontaines est intéressant surtout parce qu’il donne la liste des « autorités présentes » : le roi de Navarre (il s’agit de Thibaut IV de Champagne, qui portait ce titre hérité de sa mère en 1234) et les barons de Champagne. Seize évêques, et non des moindres, s’étaient déplacés. Ceux de Reims Soissons, Tournai, Cambrai, Arras, Thérouanne (diocèse transféré plus tard à Saint-Omer), Noyon, Laon, Senlis, Beauvais, Châlons-sur-Marne, Orléans, Troyes, Meaux, Verdun et Langres. A cela il faut ajouter une foule « d’autres prélats des églises, mais aussi d’abbés, de prieurs et de doyens ».  » Toutefois, précise Aubri, tous n’assistèrent pas au supplice. Mais au cours de la semaine, alors que se poursuivaient les interrogatoires, les uns arrivaient, les autres repartaient « .

Il n’y eut qu’un absent de marque : l’archevêque de Sens. Etait-ce un empêchement matériel ou une désapprobation tacite de sa part ? On peut se le demander quand on sait que plusieurs fois au cours des années précédentes il avait prêché la tolérance et l’indulgence auprès de Grégoire IX. Peut-être que, subodorant ce qui allait se passer, avait-il refusé la caution de sa présence et délégué un personnage de second ordre pour le représenter.

Ce fut un procès énorme. En effet, s’il y eut 183 condamnés à mort, on peut supposer que le nombre des accusés fut bien plus important. Dans de tels procès organisés par l’Inquisition, ceux qui se rétractaient n’étaient en général condamnés qu’à des peines de prison, à des pèlerinages, des confiscations de biens ou des amendes. Le nombre des réfractaires, c’est-à-dire ceux qui courageusement préféraient le bûcher à l’abnégation devant les inquisiteurs catholiques, oscillait entre un quart et un tiers. La masse des accusés réunis au Mont-Aimé en 1239 devait donc être de l’ordre de 500 à 600 personnes.

Le lieu avait été judicieusement choisi pour juger tous ces hérétiques. Le château permettait de recevoir et de loger les évêques et les prélats, le comte de Champagne et sa suite. La surveillance des prisonniers dans cette forteresse était facile, grâce à une forte garnison. Et une partie des vastes sous-sols du château pouvait servir de prison.
Le tribunal siégea pendant au moins une semaine, peut-être plus. Du travail à la chaîne. Les interrogatoires étaient menés tambour battant, par une armée de prêtres catholiques devant lesquels les hérétiques comparaissaient, pieds nus et mains liés. Ceux qui, par peur de la mort, reniaient leur foi, étaient mis de côté La première sélection. Et ceux qui persistaient, malgré les menaces, voire les tortures, étaient entassés dans le coin des condamnés à mort.

Parmi eux se trouvait un archevêque cathare, qui s’appelait de Moranis. Il était  » le chef et le maître  » des  » misérables bougres  » qu’il exhortait, leur criant  » à haute voix « , selon Aubri de Trois-Fontaines :  » Vous tous, vous serez sauvés, absous par mes mains. Moi seul suis damné, moi qui n’ai pas de supérieur au dessus de moi pour m’absoudre « . On n’en sait malheureusement pas plus sur cet archevêque cathare que ce qu’en a dit le moine cistercien dans sa chronique.

Aubri de Trois-Fontaines écrit aussi que lors de l’exécution des hérétiques,  » il y eut une telle affluence de peuple, de tous sexes, âges et conditions, que le nombre en fut estimé à 700 000 « . Est-ce le chiffre exact? Il paraît relever de la plus haute fantaisie, si l’on sait qu’à cette époque le royaume de France n’avait qu’une dizaine de millions de sujets. Il se peut qu’un copiste distrait ou quelque peu exalté ait ajouté un zéro… Mais l’affluence fut certainement extraordinaire. Il ne faut pas oublier qu’au Moyen Age le supplice sur la place publique était un spectacle à sensations fortes qu’il ne fallait pas manquer. Le grand spectacle organisé sur le Mont-Aimé dut bénéficier dans tout le Nord de la France d’une exceptionnelle publicité si l’on considère le concours de nombreux évêques. Et il fut mis en scène par un personnage unique, une sorte d’agent double intelligent, rusé et sadique. On l’appelait Robert le bougre, et il fut le chef d’orchestre du monstrueux drame du vendredi 13 mai 1239.

Le marteau des hérétiques
On ne peut s’empêcher de comparer l’holocauste de 1239 sur le Mont-Aimé en Champagne au drame de Montségur qui, cinq ans plus tard, mit fin à la croisade des Albigeois : le 12 mars 1244, 210 hérétiques cathares furent brûlés vifs au pied de la montagne qui venait d’être conquise par le sénéchal de Carcassonne et l’archevêque de Narbonne.
Mais la situation était différente. Si le but était le même – la lutte contre une hérésie – il faut distinguer la nature des deux drames. Montségur, qui marque pratiquement la fin du catharisme, représenta la répression « chaude », s’inscrivant dans un climat exacerbé, à l’issue d’une guerre qui fut très dure. L’autodafé du Mont-Aimé, par contre, fut organisé consciemment, méticuleusement, en temps de paix. Il fut le fait d’une répression plus vicieuse et plus cruelle.
Comme les juifs que l’on « ramassa » pendant la Seconde Guerre mondiale pour aller les gazer et les brûler à Auschwitz, les cathares furent en 1239 les victimes d’une grande rafle pour être regroupés et brûlés sur un lieu choisi parce qu’il avait été le centre et le symbole de l’hérésie.

L’homme qui organisa la rafle et le procès aurait fait, à une autre époque, un parfait tortionnaire de la Gestapo. Il s’agit du frère dominicain Robert, dont les origines sont obscures. Il s’appelait Robert Lepetit. On ignore le lieu de sa naissance. On sait seulement qu’il a fait de bonnes études et était un excellent prédicateur. Jusqu’au jour, vers 1215, où il apostasia, jetant carrément sa soutane aux orties pour suivre jusqu’à Milan une femme dont il s’était entiché. Comme cette femme était une adepte du manichéisme, il vécut alors au milieu des hérétiques, et devint paraît-il un parfait. Il serait resté dans cette situation pendant plus de dix ans.

Que s’est il passé à l’issue de ce long séjour au sein de l’hérésie ? Peut-être se fit-il prendre et, pour emprunter le vocabulaire de l’espionnage contemporain, se laissa « retourner » par d’habiles inquisiteurs. Il est possible qu’il soit revenu tout simplement à la foi catholique. Toujours est-il qu’il devint le plus terrible des inquisiteurs qui sévirent alors dans le Nord de la France. Aubri de Trois-Fontaines est clair sur ce point. Il parle déjà du frère Robert dans sa chronique de 1234, lui donnant le titre de  » Maître qui aurait auparavant été hérétique, revenu à la foi catholique, et recherchait avec soin les hérétiques à travers la France et par l’autorité du pape les entraînait à la conversion en les absolvant, ou au jugement en les brûlant « . Il semble donc que le frère Robert s’est fait la main dans d’autres régions avant d’appliquer ses méthodes en Champagne.

De son passé d’hérétique, qui lui valut son surnom de « le Bougre », il avait acquis un flair très apprécié des inquisiteurs : il savait reconnaître au moindre indice ses anciens frères, qui vivaient déjà dans la clandestinité. Il lui suffisait alors d’un geste pour les désigner à la vindicte de l’Eglise, à l’arrestation, à la torture, à la mort par le feu. Il se lança dans sa nouvelle mission avec une ardeur qui confina souvent à la frénésie, avec une incroyable cruauté.

D’autres chroniqueurs ont parlé de ce curieux personnage, notamment saint Médard de Soissons, qui écrivait à propos des événements survenus en 1236 :  » Une très grande multitude d’hérétiques, que certains appelaient Bulgares, d’autres Patarins, à travers diverses cités et châteaux de France, de Flandre, de Bourgogne et d’autres provinces, par les soins d’un certain Robert, frère prêcheur, furent emprisonnés, interrogés et convaincus d’hérésie. Enfin ils furent condamnés par les archevêques, les évêques et d’autres prélats de différents niveaux dans la hiérarchie ecclésiastique et ils furent livrés comme hérétiques aux puissances séculaires. Certains d’entre eux furent enfermés en prison pour y faire pénitence. Mais d’autres qui refusèrent de renoncer aux hérésies furent brûlés et leurs biens ont été confisqués par la puissance civile. Ceci ne se passa pas seulement cette année-là, mais trois années consécutives… « . Ce qui nous amène en 1239.

Le frère Robert agissait alors avec l’aval du pape qui, le 26 août 1235, après s’être adressé au provincial des dominicains en France, l’avait nommé inquisiteur général :  » Il sera envoyé partout où il faudra découvrir et confondre l’hérésie « . Deux jours plus tard, des ordres plus précis sont arrivés : le pape recommandait au frère Robert de s’occuper spécialement des provinces de Sens et de Reims.

Il semble donc que, pendant plus de trois années, le frère Robert a parcouru les diocèses. Il a enquêté, interrogé, soupçonné, repéré les nids d’hérétiques… Il a finalement engrangé une masse de renseignements et identifié un assez volumineux troupeau de « bougres » qui constitueront une précieuse réserve pour son beau feu d’artifice de 1239 au Mont-Aimé. La géographie de ses activités préliminaires correspond très exactement à la liste des évêques qui collaborèrent au « Grand Tribunal » siégeant en Champagne. C’est bien lui qui fut le maître d’oeuvre de l’opération, qui centralisa, qui prononça les sentences et les fit ratifier par les évêques.

D’autres chroniqueurs se sont penchés sur son cas, comme un bénédictin nommé Mathieu Paris, qui donne une autre image du frère Robert, qu’il appelle « le marteau des hérétiques », et dont il dit :  » Robert, avant d’avoir pris l’habit religieux, avait été « bougre ». C’est pourquoi il connaissait tous les adhérents de ces hérétiques et il devint leur accusateur, leur marteau, et comme leur ennemi mythique. Enfin, abusant du pouvoir qui lui avait été confié, et dépassant les bornes de la modération et de la justice, Robert fut enorgueilli de sa puissance et de l’effroi qu’il inspirait. Il confondit les bons avec les mauvais dans la même rigueur et punit les simples et les innocents. Aussi l’autorité papale lui donna l’ordre précis de ne plus fulminer ni agir si cruellement en s’acquittant de son office. Dans la suite, ses fautes que j’aime mieux passer sous silence que de les raconter ici, ayant été reconnues d’une manière évidente, Robert fut condamné à la réclusion perpétuelle « .

Effectivement, le frère Robert a fini par écœurer beaucoup de chrétiens et même plusieurs évêques par sa cruauté et son sadisme. D’innombrables plaintes sont parvenues au pape, qui finit par éliminer ce trop fidèle serviteur. Qu’est il devenu ? On ne le sait pas exactement. Dispensé de la peine perpétuelle par le pape, il aurait été chassé de l’ordre des dominicains, puis se serait fait expulser d’autres ordres où il se rendit indésirable. Il aurait fini des jours à Laon, selon les uns, à Clairvaux selon d’autres sources.

Le catharisme d’Occident est-il né en Flandres ?

Une question n’a cessé d’intriguer les historiens : pourquoi le Mont-Aimé a-t-il été choisi pour l’holocauste cathare ? Pourquoi cette colline perdue plutôt que Reims, Troyes, ou d’autres lieux en Champagne ? Sans doute parce que, pendant des siècles, cette petite montagne fut un repaire d’hérétiques, un abcès de fixation de la révolte cathare, une sorte de lieu saint d’où les hérétiques diffusaient leur doctrine à travers tout le nord de la Gaule, et se livraient à une propagande d’autant plus dangereuse pour l’Eglise qu’elle était occulte et insaisissable.

L’implantation d’une secte manichéenne au Mont-Aimé pourrait remonter à la fin du IVe siècle, si l’on en croit Aubri de Trois-Fontaines. Le chroniqueur des événements du Mont-Aimé affirme que Fortunat, le prêtre manichéen chassé d’Afrique en 391 après s’être disputé avec Augustin (saint Augustin, qui avait été lui-même manichéen dans sa jeunesse avant de défendre ardemment la foi catholique contre les hérétiques) serait venu s’établir en Champagne. Là il aurait rencontré un certain Widomar, un chef de brigands qui occupait le Mont-Aimé avec ses compagnons, et les aurait tous convertis à sa secte.

S’agit-il d’un fait historique ou d’une légende ? On ne sait.  » Depuis ce temps, ajoute Aubri de Trois-Fontaines, dans les fermes voisines, cette mauvaise graine n’a cessé de se propager « . En l’an mil, un nommé Leutard provoqua une petite révolution dans la région de Vertus, proche du Mont-Aimé, en mobilisant les foules avec des discours sulfureux inspirés des grands principes du manichéisme et de la doctrine cathare : refus du mariage, des images, refus au moins partiel de l’Ancien Testament. Il affirmait que dans les récits des prophètes,  » les uns sont bons à prendre, et les autres ne méritent aucune créance « . Autrement dit qu’il y a « à boire et à manger » dans ce que racontent l’Église et les Écritures. A cela s’ajoutait une contestation sociale qui fut la particularité du catharisme français : le refus de l’impôt.
Un moine bourguignon, pensionnaire de Cluny, Raoul le-Glabre, admet, dans le récit qu’il fit de l’affaire Leutard, que ce dernier  » réussit à persuader les terribles cervelles campagnardes qu’il n’agissait que sur la foi d’une étonnante révélation divine  » et que  » sa trompeuse renommée d’homme de science et de piété lui gagna en peu de temps une considérable portion de peuple « .

En d’autres termes, le mouvement déclenché par Leutard était populaire. Si populaire qu’il entraîna l’intervention de l’évêque Jeboin de Châlons-sur-Marne et des autorités civiles. En attaquant tous les pouvoirs, le religieux et le civil, Leutard s’était mis tout le monde à dos, et on s’employa vite à le neutraliser. Il fut amené devant l’évêque de Châlons-sur-Marne, et condamné comme ‘fou hérétique « .

Qu’advint-il de lui ? Il fut jeté en prison. Une prison dont il reste à Vertus un pan de mur, près de l’église. Voulut-il s’en évader ? Préféra-t-il la mort ? La version officielle de sa fin, transmise par Raoul le Glabre, dit que  » notre homme, se voyant vaincu et frustré dans ses ambitions démagogiques, se donna lui-même la mort en se noyant dans un puits « .

Ce puits est connu de tous les habitants de Vertus, et constitue même une curiosité touristique. La Berle, rivière du lieu, prend sa source sous l’église Saint-Martin elle-même. Au pied de l’abside, il y a une vaste mare qu’on appelle « le puits de Saint-Martin ». C’est là que Leutard se noya. Il est probable qu’on l’y a un peu aidé… Mais allez donc le prouver dix siècles plus tard!
Quant au brave peuple qui s’était laissé influencé par cet hérétique, la chronique dit qu’on le fit  » revenir de cette folie  » et qu’on  » le rendit tout entier à la religion catholique « . Quel moyen de pression employa-t-on pour ramener ces  » faibles cervelles campagnardes  » dans le droit chemin ? On ne le précise pas.

Après « l’affaire Leutard », les cathares retournèrent à l’existence secrète et souterraine qui avait été la leur avant. Mais l’Eglise ne les oubliait pas. En 1048, Roger 11, évêque de Châlons-sur-Marne, s’inquiétait de l’importance de l’hérésie cathare en Champagne. Dans une lettre adressée à son collège Anselme de Liège, il signala que dans une partie de son diocèse,  » des habitants des campagnes adhèrent à la doctrine perverse des manichéens « .

La lettre décrit les activités de ces campagnards, qui tenaient des réunions clandestines, se livraient  » à des pratiques obscènes et honteuses entourées d’une certaine solennité « . Pour faire accréditer leur erreur,  » ils prétendent que l’esprit Saint n’a pas été envoyé à d’autres qu’à Manès, comme si Manès était lui-même le Saint-Esprit… Ces hommes contraignent tous ceux qu’ils peuvent à venir grossir leurs rangs. Ils ont en horreur le mariage. Non seulement ils renoncent à manger de la viande, mais ils considèrent comme une profanation de tuer un animal. Ils osent mettre leur erreur sous la caution du commandement du Seigneur qui, dans l’Ancien Testament, interdisait de tuer « .

L’évêque de Châlons constate ensuite amèrement que les hérétiques,  » malgré leur ignorance, deviennent soudain plus éloquents que les catholiques les plus savants et qu’ils apparaissent ainsi supérieurs en sagesse par leur bavardage « . Il semble donc qu’il y avait prédication, et que les cathares pratiquaient un prosélytisme particulièrement efficace.
En conclusion, l’évêque châlonnais demandait quelle conduite il fallait tenir. S’il fallait sévir avec le glaive de l’autorité séculière, ou non.  » Car si ces hommes ne sont pas exterminés, ce petit levain pourrait corrompre toute la pâte « . D’après ce qu’on sait, l’évêque de Liège répondît au confrère de Châlons sur un plan très doctrinal, par des citations des Ecritures et des pères de l’Eglise Il ne proposa pas de solution « sur le terrain », et ne fut pas d’un grand secours à Roger Il de Châlons.

Un concile tenu à Reims l’année suivante, en 1049, excommunia les hérétiques. Mais il n’était pas encore question de bûcher… Les « erreurs », affirmèrent les participants au concile, sont parties d’une région de Champagne appelée Mont-Guîmar Or le Mont-Guimar n’est que ce Moiffier, ce Montimer, ce MontWimer ou Wimar qui revient dans les chroniques de l’époque et est devenu le Mont-Aimé.

Une lettre que l’Eglise de Liège adressa au pape, près d’un siècle plus tard, en 1144, confirme clairement la localisation de la source, du berceau de l’hérésie La lettre fait état de la présence à Liège d’hérétiques qui ont été  » découverts, arrêtés et ont avoué.. Selon les renseignements recueillis près de ceux que nous avons Ws, arre toutes les cités du royaume de Gaule et du nord sont en grande partie contaminées par le poison de cette erreur « . D’où venait cette épidémie tant redoutée par l’Eglise ? La lettre est claire à ce sujet :  » Depuis le Mont-Guimar, qui est le nom d’un certain village de France, il est bien connu qu’une hérésie a déferlé à travers les différentes parties des nations « . Le Mont-Guimar ? il s’agit bien du Mont-Aimé.

La véritable répression vînt plus tard. Ce n’est que vers 1160, pense-t-on, à la suite de l’action de saint Bernard, fondateur et premier abbé de Clairvaux, que le village cathare du Mont-Aimé fut détruit et ses habitants dispersés. On ne possède pas de détails sur cette première tentative de liquidation. Tout porte à croire cependant que la religion cathare fut encore vivace, clandestinement, pendant de longues années encore en Champagne. En 1233, le pape Grégoire IX constatais que  » les ministres de Satan avaient répandu la mauvaise semence  » dans plusieurs provinces de notre pays, notamment dans celle de Reims. Et il avertissais les évêques et archevêques de l’ensemble du royaume de France : les hérétiques  » qui avaient longtemps agi en secret, comme les renards qui s’efforçaient de détruire les vignes du Seigneur « , se montraient à nouveau en public  » comme des cavaliers prêts au combat « . A cette date, des tribunaux d’exception chargés de rechercher et de juger les hérétiques existaient déjà. Il s’agit de l’Inquisition, don les juges étaient sans exception des dominicains. Ces tribunaux allaient redoubler d’activité avec la mission confiée au frère Robert. On signale pour la première fois la présence du terrible dominicain en Champagne en 1235. A Châlons sur Marne, en présence de Philippe de Grève, chancelier de l’évêque de Paris, qui se trouvait peut-être là à titre d’expert, plusieurs hérétiques furent brûlés. Parmi eux, raconte Aubri de Trois Fontaines, se trouvait un barbier nommé Arnolin,  » qui était tout imprégné du démon et faisait une très active propagande « … Ce n’était qu’un avant-goût de ce qui allait se passer quelques années plus tard sur le Mont-Aimé.

Les curieuses légendes du Mont-Aimé
Après le drame de 1239, ce lieu fascinant a engendré au cours des siècles de nombreuses légendes. Des générations se sont longtemps transmis des histoires où il était question de sorciers et de sorcières aux forces mystérieuses, entraînant les vivants dans de drôles de sabbats. Selon la croyance populaire, il ne fallait surtout pas s’aventurer sur le Mont-Aimé la nuit, au risque de ne jamais revenir… On citait le cas de gens qui avaient disparu, engloutis dans les nombreux souterrains qui, de toute la région, convergeaient vers l’ancien château.

Parmi les légendes du Mont-Aimé, la plus tenace a été celle d’un trésor caché dans les flancs de la colline. Elle parle d’un carrosse d’or, ou d’un chariot d’or, sans préciser s’il s’agit du contenant ou du contenu. Ce chariot se trouve t il dans la mystérieuse cité souterraine qui fait l’objet d’une autre légende, fort tenace elle aussi, à laquelle beaucoup croient encore. A propos du Mont, de vieux manuscrits parlent en effet de  » caves et de chemins sous terre « . Un chanoine de la cathédrale de Châlons, ancien curé de Ferbrianges, l’abbé Boitel, donna même dans un livre intitulé Les beautés de l’histoire de la Champagne une description précise de cette ville souterraine, qu’il affirmait tenir d’un témoin :  » Une salle immense, taillée dans le roc et dont les profondeurs sont effrayantes… C’est là que se réfugiaient la population et la garnison quand la place était prise d’assaut « . Mais ce récit enjolivé a toujours laissé sceptiques les historiens et les chercheurs. Personne n’a encore trouvé l’entrée de cette fameuse cité souterraine !

A cette légende est rattachée une autre fort curieuse, relative aux rendez-vous d’amour que le comte Thibault IV de Champagne aurait eus, dans un appartement secret creusé dans les entrailles du Mont-Aimé, avec Blanche de Castille, la reine de France, mère de Saint Louis. C’est la légende des « mules ferrées à rebours ». Prudente et roublarde, Blanche aurait fait ferrer sa mule à l’envers pour faire croire, lors de ses rendez-vous avec son amant, qu’elle arrivait quand elle s’en allait, et vice versa. Pure légende. On est à peu près certain que la rigide dame Blanche de Castille ne mit jamais les pieds dans le somptueux château de Thibault IV, au Mont-Aimé.

La légende la plus étrange est sans doute celle du « congrès des chiens », que rapportent trois chroniqueurs du XIlle siècle : Philippe Mousket, Etienne de Bourbon et Aubri de Trois-Fontaines. Vers 1230 une multitude de chiens venus de cent lieues à la ronde, c’est-à-dire des quatre coins de la Champagne, se seraient rassemblés sur le Mont-Aimé. Là il se son battus à mort, se sont entre-déchirés et ont tous succombé. Etienne de Bourbon fait un rapprochement avec l’autodafé de 1239 auquel il dit avoir assisté :  » Et peu après furent pris là de nombreux manichéens, environ 180. Leur examen fut fait par les prélats de France, et là même ils furent jugés, condamnés et brûlés « . Quant à Aubri de Trois-Fontaines, il fait le même parallèle en présentant cette guerre de chiens comme un présage des événements futurs :  » Ces bougres plus mauvais que des chiens furent exterminés en un seul jour, pour le triomphe de l’Eglise « .

Il ne faut pas prendre cette légende au pied de la lettre. Mais il y a dans le récit d’Aubri une indication intéressante. Le Mont-Aimé fut un « lieu de chiens » et un « lieu de convergence ». Or nous savons que le terme de chiens était à cette époque appliqué ordinairement à ceux que l’on considérait comme hérétiques, les cathares en particulier.
Une autre légende affirmait que le traître Ganelon, celui de la Chanson de Roland, se serait établi dans un château construit sur le Mont-Aimé. Mais Aubri de Trois-Fontaines lui-même estima que ce n’était que pure invention.
Albert Mathieu, un Champenois qui a fait de longues et patientes recherches sur le catharisme et l’histoire du Mont-Aimé, a découvert il y a une vingtaine d’années, un document bizarre intitulé « La jument au diable ». Une drôle d’histoire, où il est encore question du Mont-Aimé… Le Diable était parti de Normandie sur une jument qui, mal ferrée, « clochait » et lui donnait beaucoup de soucis. Il se demandait s’il arriverait avant minuit à Moïmer (le Mont-Aimé).

Le texte précise que sur Moïmer se trouvait un château appartenant au comte de Champagne. Et qu’Imer, qui donna son nom au mont, était un « bougre » que saint Augustin chassa,  » par soir et matin pour sa très grande papelardise ». Que ce même Imer mit grand entendement à enseigner sa loi en ce lieu et mena son peuple à sa perte. « A cause de lui et de ses artifices furent brûlés plus de bougres… Pour voir cela, le peuple vint de maints pays et plaines pour avoir le très grand pardon dont frère Robert leur fit don. Sachez qu’on en donna 30 ans à chacun pour la bonne action d’être venu voir la très grande justice des bougres brûlés dedans la lice. Celle-ci était faite de pieux nouveaux. Cette grande condamnation eut lieu en l’an de l’Incarnation 1239 « . Détail nouveau : le Grand Inquisiteur aurait promis généreusement des indulgences à tous ceux qui assistèrent au spectacle qu’il avait monté.

Après ce passage qui est un condensé de l’histoire du Mont-Aimé jusqu’à l’exécution des cathares, on apprend pourquoi le Diable voyage sur sa jument. Il va chercher la « prêtresse de Vertus », qui est sur le point de mourir, pour la porter en enfer… Mais la jument est de plus en plus déferrée. Le Diable s’arrête chez un maréchal ferrant, qui lui demande :  » Je voudrais bien savoir votre nom à vous qui chevauchez une jument pareille  » –  » Monsieur, répond le Diable, j’ai nom querelle. Je suis souvent en douleur mal et peine sur cette jument que je mène car elle porte peines et tourments pour ce qu’elle a fait de mal en sa jeunesse « . Et le récit continue, sur le même ton :  » Honnie soit la prêtresse qui se dénude et en découvre pour porter le prêtre à pêcher. On ne peut plus clairement se souiller « . Car la prêtresse que va chercher le Diable sur sa jument pour la porter en enfer n’est autre que la concubine du curé.
Ces légendes si variées ne doivent, bien entendu, pas être considérées comme des documents historiques. Elles forment cependant une sorte d’auréole autour du Mont-Aimé.

Cette colline est-elle un lieu de perversion, de mystères et de secrets, fréquenté par le Diable ou tous ses affidés, un lieu maléfique et maudit ? Est-elle au contraire une terre privilégiée, anoblie par le sang des martyrs de 1239, un lieu de  » gloire et de lumière  » pour ceux qui se considèrent maintenant encore comme les héritiers des cathares ?
 » Un lieu qui est l’objet de tant de légendes, pense Albert Mathieu, est forcement un lieu où il s’est passé quelque chose. Il n’y a pas de fumée sans feu… Nous rêverons encore longtemps sans doute devant les énigmes du Mont-Aimé. « 

Le tsar de Russie sur le Mont-Aime
L’une de ces énigmes est celle que pose un événement survenu près de six siècles après le drame : en 1815, à la fin de l’épopée napoléonienne, après la retraite de Russie et la défaite de Waterloo, Alexandre ler, le tsar de toutes les Russies, qui avait élu domicile dans le Palais de l’Elysée, décida, à la suite d’une inspiration qu’il disait venir « d’en haut », de rassembler ses valeureuses troupes pour célébrer la victoire en une fête grandiose. L’étonnement fut grand quand il indiqua que cette fête solennelle devait se dérouler en Champagne, et très précisément au Mont-Aimé. Lorsque la nouvelle arriva à Châlons-sur-Marne, ce fut la panique.
Le préfet, le baron de Jessaint, et les autorités locales de l’arrondissement tentèrent de démontrer qu’il ne leur était pas possible de recevoir toute l’armée russe, avec son tsar, dans leur région dévastée par la guerre. On proposa au tsar des sites proches de Paris, mieux adaptés pour l’organisation d’une telle cérémonie, notamment le mont Valérien. Mais tout fut inutile. Alexandre ler fit répondre que sa décision était irrévocable. La cérémonie devait avoir lieu au Mont Aimé, à environ 140 kilomètres de Paris, et nulle part ailleurs!

La revue eut lieu le 10 septembre 1815, dans la plaine qui s’étend au pied du Mont-Aimé. Un spectacle fantastique, auquel participaient 350 000 hommes et 85 000 chevaux, et dont les habitants de la région de Vertus parlèrent pendant au moins trois générations. Au sommet du mont, Alexandre 1er avait à sa gauche l’empereur d’Autriche et le roi de Prusse. A sa droite, il y avait le duc de Wellington, le prince royal de Bavière et, derrière, un groupe compact de princes et de généraux. Le tsar, qui avait tenu pendant cinq jours une table de 300 couverts, célébra sa fête le lendemain de la revue. Dans le camp de l’armée russe, l’atmosphère était aussi euphorique. On y chanta beaucoup, on y dansa et on y fit une consommation de vin tellement énorme qu’elle devint le thème d’une chanson populaire qui eut à l’époque son petit succès

Buveurs de la Moscovie Quand partirez-vous ? Avez-vous encore envie D’avaler tout notre vin ? C’est je crois l’unique affaire Qui vous retient parmi nous Mais soit dit sans vous déplaire Nous le boirons bien sans vous.

Les souverains de Prusse et d’Autriche quittèrent Vertus le 11 septembre. Mais Alexandre premier, poursuivit pendant deux jours encore sa méditation sur le Mont-Aimé avant de regagner la capitale française. Et les troupes russes, peu à peu, regagnèrent leur base : Paris, Metz, Strasbourg, Lille et Rouen notamment.

Les historiens de la chute de Napoléon et de la présence étrangère en France qui a suivi cette chute ne se sont jamais posé la question : pourquoi Alexandre ler, a-t-il voulu et le lieu et la manifestation sur le Mont-Aimé ? Comment le tsar de Russie, résident ordinaire de Saint Pétersbourg, pouvait connaître, à plus de 2 500 kilomètres, l’humble colline champenoise au pied de laquelle, malgré les multiples objections qui lui furent faites, il tint absolument à faire défiler ses troupes ? Le château qui s’y dressait au Moyen Age n’existait même plus, à part quelques vestiges guère plus importants que ceux que l’on peut y voir aujourd’hui.

Le Mont-Aimé n’était même pas sur sa route quand il est entré en France.
Une explication à l’étrange décision d’Alexandre premier peut être trouvée dans la personnalité de ce tsar, personnage mystique, qui était passionné par toutes les formes de sociétés secrètes, tant dans ses états que dans les autres nations. Il se prenait volontiers pour l’élu de Dieu. Il avait des révélations, des illuminations. Et il appliquait la doctrine dualiste – qui fut celle des cathares – à son cas personnel, conformément à une curieuse géographie manichéenne qui voulait que l’empire du Mal soit au sud. Lui-même était l’ange de lumière venu du Nord, donc de la partie du Bien, et il combattait l’ange noir venu du Sud (Napoléon)…

Albert Mathieu, après ses recherches, est persuadé que le tsar de Russie connaissait le passé du Mont-Aimé. Il savait qu’il représentait une valeur cathare. Il était au courant de choses que nous ignorons, et qui ont déterminé son « pèlerinage ». Quels sont ces secrets ? Ils se trouvent peut-être enfouis, et oubliés, dans les archives de Saint Pétersbourg, la cité des tsars.

Le drame, lorsque l’on veut étudier l’histoire du catharisme, est l’absence quasi totale de documents d’origine cathare. Ils ont été détruits systématiquement par les inquisiteurs, qui voulaient anéantir même le souvenir et les témoignages de l’hérésie qu’ils combattaient. On ne possède que les récits laissés par leurs ennemis et leurs juges. Dommage!
Des fouilles ont été entreprises sur le Mont-Aimé, non par un organisme officiel mais, avec des moyens limités, par une équipe de bénévoles animée par Albert Mathieu. On a retrouvé des vestiges du château construit en 1210, ce qui représente peu de choses.

On peut voir, envahi par les broussailles, le trou du donjon et la base sud de celui-ci, faite en très belles pierres assemblées par des gens qui, rappelons-le, vivaient à l’époque des bâtisseurs de cathédrales; quelques vestiges de la muraille, notamment dans le secteur de la porte d’entrée; enfin une galerie souterraine de 25 mètres environ qui se divise en deux branches : celle de droite, agrémentée de courtes alvéoles, débouchait dans la cour du château, l’autre s’enfonçait dans la terre, et on ignore où elle menait. Jusqu’à présent, ces investigations n’ont rien apporté de nouveau sur la présence d’une cité cathare aux environs de l’an 1000. La raison principale de cet échec réside peut-être dans le fait que les recherches se sont jusqu’à présent concentrées sur la partie nord du Mont-Aimé, là où se trouvait le fameux château. « L’antique ville », et sans doute auparavant la cité cathare, se seraient situées à côté, dans la partie sud de la colline, qui n’a jamais été vraiment étudiée et fouillée, faute de moyens.

En conclusion de ses recherches, Albert Mathieu affirmait, dès 1975 : comme absolument certain que le Mont-Aimé fut un centre cathare pendant près de 250 ans, peut-être plus. Comme une grande évidence que le Mont-Aimé fut le lieu saint cathare du Nord de la France bien avant 1239, et encore plus après cette date. Et comme une très grande probabilité que le Mont-Aimé fut le berceau du catharisme d’Occident, comme Montségur en fut le tombeau.

Le mystère des cathares et du Mont-Aimé continue à passionner de nombreux chercheurs. Une association, l’association Galaad, a été fondée récemment pour poursuivre l’action entreprise par Albert Mathieu. Animée par Francis Leroy, chargé de la promotion du patrimoine de la ville d’Epernay, elle a pour objet l’étude et la recherche sur les cathares et les Templiers en Champagne. Une pétition a été lancée pour demander le classement en site historique du Mont-Aimé, qui n’est actuellement qu’un site protégé au titre de l’environnement. Une telle procédure de classement avait déjà été entreprise dans les années 70 par la préfecture de la Marne, mais le ministère de la Culture n’avait pas cru bon de donner suite, sous le prétexte qu’il n’existait pas de vestiges, ni de témoignages historiques conséquents sur le Mont-Aimé !…

Anonyme – 10/07/2011 (date publication sur ce site)

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