Traité cathare anonyme – 9 – 10 – 11 – 12 – 13

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Traité cathare anonyme

Retrouvé dans le Liber contra Manicheos de Durand de Huesca, vaudois converti au catholicisme, ce traité — dont il ne reste que des extraits — est d’autant plus intéressant que ce moine catholique déploie de grands efforts pour tenter de le réfuter. Entièrement construit à partir de références scripturaires, ce traité comporte très peu de commentaires de l’auteur, ce qui le rend d’autant plus utile pour valider sa démonstration. L’auteur de ce traité serait Barthélémy de Carcassonne qui aurait pu être un représentant en Languedoc d’un haut dignitaire cathare de Bosnie. Ce document semble être un outil préparé en vue de controverse ou d’enseignement et utilisant les sources scripturaires afin de conforter la doctrine cathare dyarchienne.

Le présent document est une traduction de René Nelli publié dans le recueil « Écritures cathares » publié par les éditions du Rocher dans une édition actualisée et augmentée par Anne Brenon en 1995. Pour respecter le droit des auteurs je ne vous livrerai ni la préface, ni les notices que vous trouverez dans le livre. J’espère qu’en ne publiant que la traduction je ne causerai aucun tort à personne et je permettrai à tous d’accéder à cet ouvrage essentiel à la compréhension de la doctrine cathare.

Chapitre IX

« Nous disons également que les jours de ce monde présent sont mauvais, d’après la pensée de Paul : « Ayez soin, mes frères, de vous conduire avec circonspection, non comme des personnes imprudentes, mais comme des hommes sages, et rachetez le temps, parce que les jours sont mauvais » (Éph., 5, 15-16). Et il dit encore : « … afin que vous puissiez résister au jour mauvais » (Éph., 6, 13). Et on lit dans l’Évangile : « À chaque jour suffit son mal » (Matth., 6, 34). Le Psalmiste parle lui aussi de ces jours : « Mes jours sont comme une ombre qui s’évanouit » (Ps. 101, 12), et Job : « Mes jours sont passés plus vite que le fil de la toile n’est coupé par le tisserand ; et ils se sont écoulés sans me laisser aucune espérance » (Job, 7, 6). Celui qui est placé dans les misères des jours d’ici-bas dit en soupirant : « Qui m’accordera d’être encore comme j’ai été dans ces mois qui m’ont été donnés au commencement, dans ces jours où Dieu lui-même me conservait ? » (Job, 29, 2). Pierre dit à ce sujet : « Qui veut aimer la vie et voir des jours heureux ? » (I Petr., 3, 10). Et ailleurs : « Aux yeux du Seigneur un jour est comme mille ans et mille ans comme un jour » (II Petr., 3, 8). »

Mon commentaire :
Ce que nous vivons en ce monde est sans valeur car les jours de ce monde disparaîtront comme le monde lui-même. Il ne faut donc pas attacher d’importance et de valeur à ce monde mais, au contraire, être très prudent car il nous menace sans cesse. Aussi bien devons-nous avancer en ce monde, pas à pas, sachant que les jours s’écouleront vite à nos yeux mondains et que rien de ce que nous aurons fait ne pourra être corrigé. Notre seul objectif devra être d’atteindre le salut où nous retrouverons les jours heureux et l’éternité.

Chapitre X

«  Mais, que les œuvres du monde soient mauvaises, le Christ lui-même l’affirme, lorsqu’il dit : « Le monde me hait, parce que je rends témoignage contre lui que ses œuvres sont mauvaises » (Jean, 7, 7). Et une seconde fois : « Le sujet de cette condamnation est que la lumière est venue dans le monde, et que les hommes ont mieux aimé les ténèbres que la lumière ; parce que leurs œuvres étaient mauvaises. Car quiconque fait le mal, hait la lumière et ne s’approche point de la lumière (Jean, 3, 19-20) (c’est-à-dire du Christ, qui est la « lumière » véritable) de peur que ses œuvres ne soient condamnées » (Jean, 3, 20). Et encore : « Quiconque commet le péché est esclave du péché » (Jean, 8, 34), c’est-à-dire du diable, qui est appelé le péché, comme il est dit dans l’Épître de Jean : « Celui qui commet le péché est du diable, parce que le Diable pèche dès le commencement (I Jean, 3, 8). Mais c’est pour détruire les œuvres du diable que le Fils de Dieu a paru dans ce (monde) » (I Jean, 3, 8). C’est de ces œuvres qu’il est écrit au Livre de la Sagesse : « Tout ouvrage corruptible sera enfin détruit et celui qui l’a fait s’en ira avec lui » (Eccl., 14,20). L’Apôtre dit : « … Cet esprit qui agit maintenant sur les fils incrédules et rebelles » (Éph., 2, 2), et il dit encore ailleurs : « Car ce sont des ouvriers trompeurs » (II Cor., 11, 13). Et l’Ecclésiaste : « J’ai vu tous les ouvrages qui se font sous le soleil, et j’ai vu que tout n’est que vanité et affliction d’esprit » (Eccl., 1, 14) ; et encore : « Tout est soumis à la vanité et tout tend en un même lieu : tout a été fait de poussière, et tout retourne en poussière » (Eccl., 3, 19-20). Mais des œuvres bonnes et éternelles, nous lisons ceci dans le Livre de la Sagesse : « Les ouvrages du Seigneur sont tous très bons » (Eccli., 39, 21) ; et encore ceci : « Vous aimez, Seigneur, tout ce qui est, et vous ne haïssez rien de tout ce que vous avez fait, car vous n’avez rien établi ni fait dans la haine » (Sap., 11, 25). Et encore : « Tout ce qu’il a fait est bon en son temps » (Eccl., 3,11). Et, à nouveau : « Tout ouvrage excellent sera enfin reconnu pour ce qu’il est, et celui qui l’a fait y trouvera sa propre gloire » (Eccli., 14, 21). Et l’Apôtre : « Car c’est Dieu qui opère en vous » (Phil., 2, 13). »

Mon commentaire :
Ce chapitre nous apporte l’information essentielle qui échappe à beaucoup, soit par manque de connaissance, soit par attachement au monde. Ce monde est mauvais, il est l’œuvre du Mal et quoi que nous fassions pour ce monde, il demeurera mauvais jusqu’à son achèvement. S’attacher à ce monde c’est refuser Christ. Il faut faire l’effort de vouloir suivre Christ car sans cet effort nous demeurons les esclaves de Satan. Mais pour en avoir conscience il faut être humble et regarder nos comportements pour ce qu’ils sont : des péchés. Maintenant, comme nous sommes issus de Dieu, si nous nous tournons vers Christ qui nous fut envoyé par Dieu, nous pourrons retrouver la voie et cheminer dans le Bien.

Chapitre XI

“ Et parce que « création » est pris parfois au sens d’« opération », nous dirons quelques mots de la création bonne et de la création mauvaise. L’Apôtre parle en ces termes de la mauvaise : « Christ, étant venu dans le monde comme pontife des biens futurs, est entré par un tabernacle plus grand et plus excellent, qui n’a point été fait de main d’homme, c’est-à-dire qui n’appartient pas à cette création » (Hébr., 9, 11-12). Mais s’il n’appartient pas à cette création — à la création présente — c’est donc que cette création présente est mauvaise, et qu’elle ne possède pas le tabernacle par lequel le Christ est entré, car il faut croire que le tabernacle par lequel il est entré est bon, comme faisant partie de la bonne création. Car l’Apôtre en porte témoignage : « C’est Dieu qui l’a formé (ce tabernacle) et non l’homme. »
De même dans le Livre de la Sagesse, il est dit au sujet de la création mauvaise : « Leurs femmes parmi eux sont insensées et leurs enfants sont pleins de malice. Leur postérité est maudite » (Sap., 3, 12). Le Christ lui-même témoigne, au sujet de la création présente, que « le ciel et la terre passeront » (Matth., 24, 35), c’est-à-dire disparaîtront complètement avec toutes les choses qu’ils comportent, comme l’a dit le bienheureux Pierre, apôtre : « C’est par une ignorance volontaire qu’ils ne considèrent pas que par la parole de Dieu les cieux furent faits d’abord, aussi bien que la terre qui [parut hors] de l’eau, et qui subsistait par l’eau, et que, cependant, ce fut par ces choses mêmes que le monde d’alors périt, étant submergé par le déluge des eaux. Or, les cieux et la terre d’à présent sont gardés avec soin par la même parole et sont réservés pour être brûlés par le feu, au jour du jugement et de la ruine des impies… », etc., jusqu’à : « … où l’ardeur du feu dissoudra les éléments » (II Petr. 3, 5-7, 12). De cette terre même l’apôtre a dit : « Mais quand elle ne produit que des épines et des chardons, elle est regardée comme une terre de rebut ; elle est menacée de la malédiction, et à la fin on y met le feu » (Hébr., 6, 8). Et du soleil qui est dans ce ciel présent, il est écrit dans le Livre de la Sagesse : « Qu’y a-t-il de plus lumineux que le soleil, et néanmoins il défaudra… » (Eccli., 17, 30). »

Mon commentaire :
L’auteur insiste sur le fait que ce monde, où nous vivons, est voué à la destruction en raison de sa nature maligne. Même Pierre l’admet malgré une argumentation confuse qui mélange création divine et création mondaine s’entrechoquant au temps du déluge.

Chapitre XII

« Mais comme trop de personnes ignorent ce que la Sainte Écriture désigne par toutes choses, nous disons, nous, avec vérité, que généralement tout ne signifie que les choses bonnes et spirituelles, mais quelquefois aussi : seulement les mauvaises et les péchés. Nous croyons que c’est des choses bonnes et spirituelles que s’entend ce que dit l’Apôtre : « Parce qu’il a plu au Père de faire que toute plénitude résidât en lui (le Christ) et de réconcilier toutes choses par lui, ayant pacifié par le sang, qu’il a répandu sur la croix, tant ce qui est en la terre, que ce qui est au ciel, en lui » (Col., 1, 19). Mais il ne faut pas croire que toutes les choses qui sont sur ces terres-ci soient réconciliées par le Christ, dans le Christ, car toutes paraissent presque toujours plongées dans la plus grande discorde. Semblablement, le Seigneur n’a voulu désigner par « toutes choses » que les bonnes et les spirituelles, lorsqu’il à dit : « Et pour moi, quand j’aurai été élevé de la terre, j’attirerai tout à moi » (Jean, 12, 32).
Car le Christ, élevé au-dessus de la terre, n’a pas attiré à lui toutes les choses qui sont dans ce monde : il y en a un très grand nombre qui sont immondes, et qu’il faut absolument fuir et éviter. Le Seigneur a dit ailleurs : « Mon père m’a mis toutes choses entre les mains » (Matth., 11, 27) ; et Jean, dans l’Évangile : « Toutes choses ont été faites par Lui et sans Lui a été fait le nihil (le “rien”) » (Jean, 1, 3). Ce qui montre qu’il a dit cela des choses bonnes et spirituelles, c’est qu’il ajoute aussitôt après : « Ce qui a été fait en Lui était la Vie » (Jean, 1, 3-4).
De même, Toutes choses signifie tous les maux et tous les péchés, selon ce que dit l’Apôtre : « J’ai regardé toutes choses comme une pure perte (les choses considérées auparavant comme avantageuses) et comme des ordures, afin de gagner Jésus-Christ » (PhiL, 3, 8). Et selon aussi ce que dit Salomon : « Vanité des vanités et tout est vanité » (Eccl., 1, 2), et de nouveau : « J’ai examiné tous les ouvrages qui se font sous le soleil et j’ai vu que tout n’est que vanité et affliction d’esprit » (Eccl., 1, 14). Et encore : « Car tout est vanité et tout tend en un même lieu » (Eccl., 3, 19-20). Il est donc ainsi prouve que, dans les Écritures divines, omnia (toutes choses) désigne tantôt les choses éternelles, tantôt les temporelles, et, par conséquent, le terme omnia est pris dans une double acception, conformément à ce que dit le Livre de la Sagesse : « Toutes choses sont doubles : l’une est opposée à l’autre » (Eccli., 42, 25). »

Mon commentaire :
L’auteur fait ici une œuvre d’exégèse d’autant plus intéressante qu’elle s’appliquera à d’autres termes ensuite. Il démontre par le biais des écritures que le même terme est employé dans deux acceptions contraires de façon courante ce qui permet d’analyser les textes de manière acceptable par les Cathares sans que les Catholiques puissent trouver à y redire. En l’occurrence il s’agit ici du mot « toute » qui désigne tantôt les choses émanant de Dieu, tantôt celles émanant du Mal. La première citation (Col. 1, 19) nous indique que Christ, par sa mort apparente, a réuni ce qui est de ce monde (les esprits tombés) et ce qui est en lui (les esprits demeurés fermes). La citation suivante (Jean) annonce notre future eschatologie et bien entendu, la citation du prologue de l’évangile de Jean (1, 3) permet d’expliquer que le Logos a tout fait, c’est-à-dire uniquement les choses spirituelles, et que le néant (nihil) est bien l’ensemble de ce qui vient du Mal.
Il réunit même parfois les citations vétérotestamentaires et les néotestamentaires comme Paul (Phil.) et Salomon (Eccl.) en montrant que là, le tout ne désigne que ce qui relève du Mal.

Chapitre XIII

Mais que ce qui est dans le monde, c’est-à-dire : du monde, puisse être appelé néant (nihil), l’Apôtre l’explique bien, lorsqu’il dit : « Nous savons que les idoles ne sont rien dans le monde (sont un « néant » dans le monde) » (I Cor., 8, 4)[1]. « Et quand j’aurais, dit-il encore, le don de prophétie, que je pénétrerais tous les mystères ; quand j’aurais encore toute la foi possible, jusqu’à transporter les montagnes, si je n’ai point la charité, je ne suis rien (je suis le « rien ») » (I Cor., 13,2)[2]. D’où il est évident que si l’Apôtre sans la charité est néant, tout ce qui est sans charité est néant[3]. C’est pourquoi Isaïe dit aussi : « Tous les peuples sont devant lui comme s’ils n’étaient point, et il les regarde comme un vide et un néant » (Is., 40, 17). Et le Psalmiste : « Vous regarderez toutes les nations comme un néant » (Ps. 58, 9). Et ailleurs : « Le méchant paraît à ses yeux comme un néant » (Ps. 14, 4). Dans Ézéchiel, il est dit au Prince de Tyr : « Vous avez été anéanti et vous ne serez plus pour jamais » (Ézéch., 28, 19). Isaïe déclare encore : « Voici : vous êtes du néant ; votre œuvre procède de ce qui n’est pas, et celui qui vous choisit est abominable » (Is., 41, 24). Et Jean, dans l’Évangile : « Sans lui a été fait le nihil (le “rien”) » (Jean, 1, 3).
Si donc tous les mauvais esprits (mali spiritus), les hommes méchants et toutes les choses qui tombent en ce monde sous le sens de la vue sont néant, parce qu’ils sont sans charité, c’est qu’ils ont été faits sans Dieu. Dieu ne les a point faits, parce que le nihil (ce qui n’est que néant) « a été fait sans Lui » (Jean, 1,3) ; et l’Apôtre en porte témoignage : « Si je n’ai point la Charité, je ne suis rien (je suis le « rien ») » (I Cor., 13, 2).

Mon commentaire :
Ici, c’est la démonstration magistrale que le néant n’est pas rien, mais est au contraire le tout du Mal. On retrouve des accents et des éléments logiques qui figurent également dans Jean de Lugio. L’auteur nous montre, par les écritures que les Catholiques ne peuvent nier, que le néant (nihil) n’est pas un rien physique mais est un rien ontologique. Il est une absence d’Être mais le tout de la matière, alors que par contraste, le Bien qui est un rien de matière, est un tout d’Être. Rappelons que Paul emploie le terme Charité pour Amour comme j’emploie Bienveillance pour Amour. Ce qui ressort c’est que ce monde est néant en regard de la moindre parcelle d’émanation spirituelle et que la Bienveillance est la marque du tout.


[1] Saint Augustin appelle idole le pécheur qui, s’étant séparé du Verbe, n’est pas devenu, certes, un néant absolu — il a un corps matériel — mais un néant par rapport à l’Esprit et à l’Éternité (à son éternité virtuelle) : « II a des yeux et il ne voit pas, des oreilles, et il n’entend pas, etc. », il est semblable à une statue. Le Cathare pense à peu près de même sur ce point.

[2] Pour le Cathare, comme pour saint Paul, les créatures ne sont fondées dans l’être véritable que si elles participent à la Charité. Pour saint Augustin, elles n’ont l’être que dans la mesure où elles sont avec le Verbe, par lequel tout a été créé, mais sans lequel a été créé le néant, le nihil (qu’elles sont, lorsqu’elles se séparent du Verbe). Dire que le nihil a été créé sans Lui, c’est dire qu’il a été rendu possible sans Lui ; ou que Dieu n’est pour rien dans son « apparition ».

[3] Le principe du mal, pour le Cathare, est lui-même nihil. Au sens où saint Augustin entend ce terme : Nihil est quod ad nihilum ducit : « Est néant ce qui conduit au néant. » Le principe malin est — métaphysiquement — négation (de l’être et de la Vérité) et — physiquement — dans le temps, corruption, car la corruption qui conduit au néant, semble avoir le néant pour principe. (« La corruption vient du néant », dit saint Augustin). À maintes reprises, saint Augustin a parlé de sa néantisation par le mal, comme l’aurait pu faire le Cathare : « Mes péchés, dit-il, m‘ont conduit dans le néant » (ad nihilum duxerunt me)… ad nihil redactus sumnihil factus sumnihil fiebam, etc.
Tout être fini est, en lui-même, négation et corruption. C’est pourquoi la Kabbale définit, avec profondeur. Dieu comme la négation (authentique et suprêmement ontique) de toutes les négations (déficientes et malignes).

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