Sacrement de la Consolation
Ce texte est tiré du Nouveau Testament de Lyon publié chez Slatkine reprints à Genève à partir du document original de M. L. Clédat, Professeur à la Faculté des Lettres de Lyon.
Le seul original connu est actuellement la propriété de l’Académie des sciences, belles-lettres et arts de Lyon qui l’a indexé dans le catalogue des manuscrits de la bibliothèque du Palais Saint-Pierre sous la côte n°36.
D’après les travaux de Anne Brenon, David Sbiral et leur équipe, cet ouvrage pourrait être daté de la fin du XIIIe siècle et aurait été rédigé en Italie du nord. Ce faisant, il se pourrait qu’il ait été la propriété de Peire Autié ou d’un de ses prédicateurs.
Présentation
Ce sacrement signait l’entrée réelle d’un novice dans la communauté des Chrétiens cathares. Il devenait Bon-Chrétien et partageait la règle des maisons cathares jusqu’à sa mort, à moins qu’il ne renonce ou qu’il pèche gravement ce qui lui faisait perdre le bénéfice de ce sacrement.
Rituel
« Et s’il doit être consolé sur le champ, qu’il fasse son melioramentum, et qu’il prenne le livre de la main de l’ancien. Et l’ancien doit l’admonester et le prêcher avec témoignages convenables, et avec telles paroles qui conviennent à un consolamentum. »
Mon commentaire :
La mise en œuvre est simplifiée par rapport à la remise de la sainte Oraison. Mais il est probable que si le rituel et le sacrement sont distants, il faille reprendre au début du premier pour le second.
« Et qu’il dise ainsi :
« Pierre, vous voulez recevoir le baptême spirituel, par lequel est donné le Saint esprit dans l’église de Dieu, avec la sainte oraison avec l’imposition des mains des « bons hommes. » De ce baptême notre seigneur Jésus-Christ dit, dans l’évangile de Saint Mathieu (XXVIII, 19, 20), à ses disciples : « Allez et instruisez toutes les nations, et baptisez-les au nom du père et du fils et du Saint esprit. Et enseignez-leur à garder toutes les choses que je vous ai commandées. Et voici que je suis avec vous pour toujours jusqu’à la consommation du siècle. » Et dans l’évangile de Saint Marc (XVI 15), il dit : « Allez par tout le monde, prêchez l’évangile à toute créature. Et qui croira et sera baptisé sera sauvé, mais qui ne croira pas sera condamné. » Et dans l’évangile de Saint Jean (III, 5) il dit à Nicodème : « En vérité, en vérité je te dis qu’aucun homme n’entrera dans le royaume de Dieu s’il n’a été régénéré par l’eau et le Saint esprit. » Et Jean-Baptiste a parlé de ce baptême quand il a dit (Ev. de saint Jean, 1, 26-27 et Ev de saint Mathieu, III, 11) : « Il est vrai que je baptise d’eau ; mais celui qui doit venir après moi est plus fort que moi : je ne suis pas digne de lier la courroie de ses souliers. Il vous baptisera du Saint esprit et de feu. » Et Jésus-Christ dit dans les Actes des apôtres (1, 5) : « Car Jean a baptisé d’eau, mais vous serez baptisé du Saint esprit. » Ce Saint baptême par l’imposition des mains a été institué par Jésus-Christ, selon ce que rapporte Saint Luc, et il dit que ses amis le feraient, comme le rapporte Saint Marc (XVI, 18) : « Ils imposeront les mains sur les malades, et les malades seront guéris. » Et Ananias (Actes, IX, 17 et 18) fit ce baptême à Saint Paul quand il fut converti. Et ensuite Paul et Barnabé le firent en beaucoup de lieux. Et Saint Pierre et Saint Jean le firent sur les Samaritains. Car Saint Luc le dit ainsi dans les Actes des apôtres (VIII, 14-17) : « Les apôtres qui étaient à Jérusalem ayant appris que ceux de Samarie avaient reçu la parole de Dieu, envoyèrent à eux Pierre et Jean. Lesquels y étant venus prièrent pour eux pour qu’ils reçussent le Saint esprit, car il n’était encore descendu en aucun d’eux. Alors ils posaient les mains sur eux, et ils recevaient le Saint esprit. » Ce Saint baptême par lequel le Saint esprit est donné l’église de Dieu l’a gardé depuis les apôtres jusqu’à maintenant, et il est venu de « bons hommes » en « bons hommes » jusqu’ici et elle le fera jusqu’à la fin du monde. »
Mon commentaire :
La première partie montre que le baptême est d’abord un moyen de cohésion de l’assemblée. Ensuite, il est présenté en outre comme un passage nécessaire pour le salut. Le baptême valable est celui de l’esprit par imposition des mains, mais il est admis qu’il soit couplé à un baptême d’eau qui est insuffisant à lui seul. Enfin, il permet l’infusion du Saint esprit paraclet, c’est-à-dire la capacité d’être en connexion avec l’intercesseur auprès de Dieu. C’est ce rôle de relais que les croyants voyaient chez les Bons-Chrétiens, notamment quand ils faisaient leur Amélioration en se prosternant devant eux.
« Et vous devez entendre que pouvoir est donné à l’église de Dieu de lier et de délier, et de pardonner les péchés et de les retenir, comme Christ le dit dans l’évangile de Saint Jean (XX, 21-23) : « Comme le père m’a envoyé, je vous envoie aussi. Lorsqu’il eut dit ces choses, il souffla et leur dit : Recevez le Saint esprit ; ceux à qui vous pardonnerez les péchés, ils leur sont pardonnés, et ceux à qui vous les retiendrez, ils sont retenus. » Et dans l’évangile de Saint Mathieu, il dit à Simon Pierre (XVI, 18, 19) : « Je te dis que tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon église, et les portes de l’enfer n’auront point de force, contre elle. Et je te donnerai les clefs du royaume des cieux. Et quelque chose que tu lies sur terre, elle sera liée dans les cieux, et quelque chose que tu délies sur terre, elle sera déliée dans les cieux. » Et dans un autre endroit (Mathieu, XVIII, 18-30) il dit à ses disciples : « En vérité je vous dis que quelque chose que vous liiez sur terre, elle sera liée dans les cieux, et quelque chose que vous déliiez sur terre, elle sera déliée dans les cieux. Et derechef en vérité je vous dis : si deux de vous se réunissent sur terre, toute chose, quoi qu’ils demandent, leur sera accordée par mon père qui est au ciel. Car où sont deux ou trois personnes réunies en mon nom, j’y suis au milieu d’elles. »
Mon commentaire :
Autre compétence accordée au baptisé, le pouvoir de décider ce qui est péché et ce qui ne l’est pas. Cependant, dans les cas graves, comme le péché contre l’esprit dont Jésus aurait dit qu’il ne serait pas pardonné, les Bons-Chrétiens ne pouvaient l’absoudre mais ne considéraient pas forcément le pécheur comme perdu. Ils en laissaient le soin à Dieu.
« Et dans un autre endroit (Mathieu, X, 8), il dit : « Guérissez les malades, ressuscitez les morts, purifiez les lépreux, chassez les démons. » Et en l’évangile de Saint Jean (XIV, 13), il dit : « Qui croit en moi fera les œuvres que je fais. » Et en l’évangile de Saint Marc (XVI, 17,18), il dit : « Mais ceux qui croiront, ces signes les suivront : en mon nom ils chasseront les démons, et ils parleront de nouvelles langues, et ils enlèveront les serpents, et s’ils boivent quelque chose de mortel, cela ne leur fera pas de mal. Ils poseront les mains sur les malades et ils seront guéris. » Et en l’évangile de Saint Luc (X, 19), il dit : « Voici que Je vous ai donné le pouvoir de marcher sur les serpents et les scorpions, et sur toutes les forces de l’ennemi, et rien ne vous nuira. »
Mon commentaire :
Pour renforcer l’aspect extraordinaire de ce baptême il lui est même attribué un pouvoir magique de protection et de guérison. Au plan symbolique cela est admissible. Au plan mondain la mort des Bons-Chrétiens permet d’en douter.
« Et si vous voulez recevoir ce pouvoir et cette puissance, il vous faut tenir tous les commandements de Christ et du nouveau testament selon votre pouvoir. Et sachez qu’il a commandé que l’homme ne commette ni adultère, ni homicide, ni mensonge, qu’il ne jure aucun serment, qu’il ne prenne ni ne dérobe, ni ne fasse aux autres ce qu’il ne veut pas qui soit fait à soi-même, et que l’homme pardonne à qui lui fait du mal, et qu’il aime ses ennemis, et qu’il prie pour ses calomniateurs et pour ses accusateurs et les bénisse, et si on le frappe sur une joue, qu’il tende l’autre, et si on lui enlève la « gonelle[1] », qu’il laisse le manteau, et qu’il ne juge ni ne condamne, et beaucoup d’autres commandements qui sont commandés par le seigneur à son église. Et il faut également que vous haïssiez ce monde et ses œuvres, et les choses qui sont de lui. Car Saint Jean dit dans l’épitre (première, II, 15-17) : « O mes très chers, ne veuillez pas aimer le monde, ni ces choses qui sont dans le monde. Si quelqu’un aime le monde, la charité du père n’est pas en lui. Car tout ce qui est dans le monde est convoitise de chair, et convoitise des yeux, et orgueil de la vie, laquelle n’est pas du père, mais est du monde ; et le monde passera, ainsi que sa convoitise, mais qui fait la volonté de Dieu demeure éternellement. » Et Christ dit aux nations (Saint Jean, VII, 7) : « Le monde ne peut vous haïr, mais il me hait, parce que je porte témoignage de lui, que ses œuvres sont mauvaises. »
Et dans le livre de Salomon (Ecclésiaste, I 14) il est écrit : « J’ai vu toutes ces choses qui se font sous le soleil, et voilà que toutes sont vanités et tourments d’esprit. » Et Jude frère de Jacques dit pour notre enseignement dans l’épître (vers. 23) : « Haïssez ce vêtement souillé qui est charnel. » Et par ces témoignages et par beaucoup d’autres, il vous faut tenir les commandements de Dieu, et haïr ce monde. Et si vous le faites bien jusqu’à la fin, nous avons l’espérance que votre âme aura la vie éternelle. »
Mon commentaire :
Enfin, le rappel du respect de la règle ne laisse aucun doute sur la vie qui attend le nouveau Bon-Chrétien.
« Et qu’il dise : « J’ai cette volonté, priez Dieu pour moi qu’il m’en donne sa force. » Et puis que l’un des « bons hommes » fasse son melioramentum, avec le croyant, à l’ancien et qu’il dise : « Parcite nobis. Bons chrétiens, nous vous prions par l’amour de Dieu que vous accordiez de ce bien que Dieu vous a donné à notre ami ici présent. » Et puis que le croyant fasse son melioramentum, et qu’il dise : « Parcite nobis. Pour tous les péchés que j’ai pu faire ou dire ou penser ou opérer, je demande pardon à Dieu, et à l’église et à vous tous. » Et que les chrétiens disent : « Par Dieu et par nous et par l’église qu’ils vous soient pardonnés, et nous prions Dieu qu’il vous les pardonne. » Et puis ils doivent le consoler. Et que l’ancien prenne le livre et le lui mette sur la tête, et les autres « bons hommes » chacun la main droite, et qu’ils disent les « parcias[2] » et trois adoremus[3], et puis : Pater sancte, suscipe servum tuum in tua justifia, et mitte gratiam tuant et spiritum sanctum tuum super eum. Et qu’ils prient Dieu avec l’oraison, et celui qui guide le service divin doit dire à voix basse la « sixaine » ; et quand la « sixaine » sera dite, il doit dire trois Adoremus, et l’oraison une fois à haute voix, et puis l’évangile[4]. Et quand l’évangile est dit, ils doivent dire trois Adoremus et la « gratia[5] » et les « parcias ». Et puis ils doivent faire la paix[6] (s’embrasser) entre eux et avec le livre. Et s’il y a des croyants, qu’ils fassent la paix aussi, et que les croyantes, s’il y en a, fassent la paix avec le livre et entre elles. Et puis qu’ils prient Dieu avec « double[7] » et avec veniæ, et ils [lui] auront [ainsi] livré [l’oraison]. »
Mon commentaire :
Pour finir, le sacrement est détaillé mais l’on note que les treize Pater sont réduits à six. Je pense que cet allègement tenait au fait que la cérémonie étant publique et comportant de nombreuses autres parties, la pratique rituelle des Heures avait été modifiée pour éviter de trop longues cérémonies.
[1] Gonelle : chemise du dessus, portée sur la camisia (chemise du dessous), mi-longue et ajustée avec des manches plus ou moins longues.
[2] Éléments des rituels des Heures
[3] Apparemment sans faire la veniæ qui l’accompagne lors des Heures.
[4] Certainement le prologue de l’Évangile selon Jean.
[5] Éléments des rituels des Heures
[6] Rituel de la paix qui ponctue régulièrement les rituels et sacrement.
[7] Double rituel des Heures enchaîné comme lors des matines, Laudes, Vêpres et Complies.