Rituel occitan de Dublin – Glose du Pater – 1 – 2

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Rituel occitan de Dublin – Glose du Pater

Ce texte, traduit et annoté par Anne Brenon, fut mis en avant au début des années soixante par Théo Venckeleer, philologue belge, qui l’avait trouvé dans un manuscrit conservé à la bibliothèque du Trinity Collège de Dublin sous la cote A 6 10 et reclassé maintenant sous l’appellation « manuscrit 269 ».

Le présent document est donc un ajout à l’ouvrage de René Nelli, « Écritures cathares » publié par les éditions du Rocher dans une édition actualisée et augmentée par Anne Brenon en 1995. Pour respecter le droit des auteurs je ne vous livrerai ni la préface, ni les notices que vous trouverez dans le livre. J’espère qu’en ne publiant que la traduction je ne causerai aucun tort à personne et je permettrai à tous d’accéder à cet ouvrage essentiel à la compréhension de la doctrine cathare.

J’ai également utilisé la publication de Déodat Roché : Un Recueil cathare. Le manuscrit A. 6. 10. de la « collection vaudoise » de Dublin, publié dans le n°46 de la série II (XXIe année) de l’été 1970 des Cahiers d’études cathares.

La glose du Pater[1]

« … Comme il le montre par le prophète Jérémie, en disant (Jér 31, 8-9) : « Voici, je les amènerai de la terre d’Aquilon et je les rassemblerai des confins de la terre ; ils viendront en pleurs, et en prières je les ramènerai ». Et encore (Jér 29, 10, 12-14) : « Quand les soixante-dix ans commenceront à être accomplis », dit-il, « je vous visiterai et je réaliserai pour vous ma bonne parole de vous ramener en ce lieu. Et vous m’appellerez, et vous viendrez, et vous prierez, et je vous entendrai ; vous chercherez et vous me trouverez ; et je ramènerai vos captifs, et je vous rassemblerai parmi toutes les nations et tous les lieux où je vous avais exilés[2] », dit le Seigneur. Et c’est pour cette raison que Notre Seigneur Jésus-Christ a été envoyé du Seigneur pour chercher le peuple qui avait été exilé et le sauver, comme il le dit lui-même dans l’évangile (Le 19, 10) : « Le Fils de l’homme est venu pour chercher et sauver ce qui était perdu ».

Mon commentaire :
L’auteur cherche à justifier la nécessité de la prière par des références vétéro-testamentaires qui conditionnent le salut à la prière.

« Et pour cette raison, Notre Seigneur Jésus-Christ, quand il fut venu du siège de la grandeur pour chercher et sauver ce peuple en l’emmenant en dehors de la terre de l’ennemi, comme il a été dit ci-dessus, s’adressant à ce même peuple, lui dit dans l’évangile (Jn 16, 20) : « En vérité, en vérité, je vous le dis, vous pleurerez et vous vous lamenterez, mais le monde se réjouira ; et vous serez tristes ». Et encore (Lc 18, 1) : « Il faut prier constamment et ne pas se décourager ». Et encore (Mt 26, 21) : « Veillez et priez, pour ne pas tomber en tentation ». Et c’est pour cela qu’il nous enseigne à prier ainsi : »

Mon commentaire :
Il se base aussi sur des paroles du Nouveau Testament mais omet de signaler le contexte dans lequel Jésus propose une prière aux disciples. En fait, c’est à leur demande qu’il y consent bien que l’on sente qu’il n’y était pas forcément disposé car il sait que la prière est inutile puisque Dieu sait tout (Matth. 6, 7-8).

Pater noster qui es in celis

« Le saint Père, au regard de qui notre prière est adressée comme un encens, selon les paroles du Psalmiste David (Ps 140, 2) : « Ô Seigneur, que ma prière s’élève vers Toi comme un encens ».

Il est le Père des lumières, c’est-à-dire des charités, comme saint Jacques le dit dans son épître (Jac 1, 17) : « Tout don excellent et tout don parfait descend d’en haut, du Père des lumières ». Mais ce qui est parfait est ce dont l’apôtre[3] dit aux Corinthiens (I Cor 13, 10) : « Mais quand viendra ce qui est parfait, disparaîtra ce qui est partiel ». Et il est le Père des miséricordes, c’est-à-dire des visitations, comme le dit l’apôtre aux Corinthiens (2 Cor 1, 3) : « Le Dieu béni, le Père de Notre Seigneur Jésus-Christ, Père des miséricordes ». Et de ces miséricordes parle le Psalmiste quand il dit (Ps 105, pm) : « Ils louent le Seigneur pour ses miséricordes ». Et il est aussi le Père des esprits, comme le dit saint Paul aux Hébreux (Héb 12, 9) : « Et combien davantage obéirons-nous au Père des esprits pour avoir la vie ! »

Voici essentiellement pourquoi le Seigneur a été envoyé, c’est pour donner les pénitences, car elles étaient justes[4], et ce même Esprit, qui est l’oint du Seigneur même, pour garder les commandements de l’évangile et dire cette oraison. Et nous devons savoir encore que ce Seigneur, qui est Père des lumières et des miséricordes, c’est-à-dire des charités, des visitations et des esprits, est aussi le Père de toutes les autres substances, c’est-à-dire des vies, des âmes, des cœurs et des corps ; car ainsi en témoigne saint Paul lorsqu’il dit (Éph 3, 15 ; 4, 6) : « Toute paternité tire son nom de lui, qui est Dieu unique et Père de toutes choses ».

Et il habite aux cieux, comme le dit le Psalmiste (Ps 122, 1) : « Vers toi je lève mes yeux, toi qui habites aux cieux ». Mais les cieux dans lesquels habite Notre Père, ce sont les charités, et lui-même est charité, ainsi que le dit saint Jean (Jn 4, 8 et 16) : « Dieu est amour ». Et en outre, ce même Père qui habite dans les cieux, est le ciel d’où Notre Seigneur Jésus-Christ est issu et vers lequel il se tournait quand il habitait la terre, comme le dit le Psalmiste (Ps 18, 7) : « Du ciel supérieur, sa provenance ». Et lui, le Seigneur, dit dans l’évangile (Jn 16, 28) : « Je sortis de Dieu et je vins ». Et encore (Jn 16, 28) : « Je sortis du Père et vins au monde ».

Mais Notre Seigneur habitait [aussi] dans ce même ciel, comme il le dit dans l’évangile (Jn 3, 13) : « Nul n’est monté au ciel, hormis celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme », qui est au ciel. Ainsi, le Père, de qui le Fils de Dieu est sorti, est celui qui habite aux cieux, et c’est pour cette raison qu’il dit encore (Jn,14, 10) : « Vous ne croyez pas que le Père est en moi, et moi dans le Père ? » Et il faut savoir que, de la même manière que le saint Père est dans les cieux, le Fils est aussi en nous tous, comme l’apôtre le dit aux Éphésiens (Éph 4, 6) : « Un Dieu, Père de toutes choses, qui est au-dessus de toutes choses et pour toutes choses en nous tous ».

Ainsi le Fils n’est pas seulement dans le Père, mais en chacun de nous et en toutes choses qui sont en lui et de lui, comme le dit saint Paul aux Romains (Rom 11, 36) : « Car de lui, et par lui, et en lui, sont toutes choses ; à lui la gloire dans les siècles des siècles ». Et dans les Actes des apôtres, il dit (Act 17, 28) : « C’est en lui que nous avons la vie, le mouvement et l’être ». Et le Seigneur dit dans l’évangile (Jn 17, 20-21) : « Je ne te prie pas seulement pour ceux-là, mais pour ceux qui croiront en moi par leur parole, afin que tous soient un ; comme toi, Père, tu es en moi et moi en toi, qu’ils soient un en nous ».

Et il faut savoir aussi que tous les cieux dans lesquels Notre Père habite, c’est-à-dire les charités, sont au septième ciel, comme l’ange l’enseigna au prophète Isaïe en lui disant, dans sa vision (Asc. Is 8, 7-8) : « Ici, il n’y a ni les trônes, ni les anges de gauche, mais par la vertu du septième ciel ils trouvent leur place : là où est le puissant Fils de Dieu et tous les cieux ». Mais les cieux, c’est-à-dire les charités, répandent leur grâce à partir de là droit sur les nuées, c’est-à-dire sur les visitations, et c’est pourquoi les visitations, mouillées de la rosée des charités, peuvent répandre leur pluie, c’est-à-dire leur bénédiction, sur la terre, c’est-à-dire sur les esprits. Ainsi, ces esprits, mouillés de la bénédiction des visitations, font germer le sauveur dans leurs substances, comme le dit le prophète Isaïe (Is 45, 8) : « Ô ciel, arrose en dessous de toi, et que les nuages pleuvent le juste ; que la terre soit ouverte et que germe le sauveur ».

C’est pourquoi l’esprit de notre premier formé[5], parlant de l’eau qu’il avait reçue sur la tête, c’est-à-dire de sa Visitation, dit dans le Cantique des cantiques (Cant 5, 2) : « Ouvre-moi, ma sœur, mon amie, ma colombe, ma toute pure, car ma tête est pleine de rosée », c’est-à-dire couverte de la miséricorde ; car sa Visitation, qui est son chef, avait reçu et trouvé grâce et miséricorde de sa charité. Mais les boucles de ses cheveux étaient pleines des gouttes des nuées, ce qui signifie : les esprits desservant son chef, c’est-à-dire sa Visitation, étaient pleins des laideurs, des charités étrangères qui sont appelées nuits comme nos charités sont appelées lumières, ainsi que le dit saint Jacques (Jac 1, 17) : « Tout don excellent et tout don parfait provient d’en haut, du Père des lumières », c’est-à-dire des charités qui sont les lumières des visitations, car elles les illuminent.

Mais ces visitations sont ces nuées qui, après avoir reçu la rosée céleste, pleuvant le juste, le présentèrent au regard de l’ancien des jours, comme le dit le prophète Daniel (Dan 7, 13) : « Pour cela je regardais, dans la vision de la nuit, et voici : dans les nuées du ciel, c’était comme le Fils de l’homme qui venait, jusqu’à l’ancien des jours ; et il fut conduit devant son regard ». Et saint Jean, parlant de ces nuées, dit (Apoc 1, 7) : « Voici, il vient avec les nuées du ciel », c’est-à-dire avec les visitations du Père. Et le psalmiste, parlant de Notre Seigneur et de ces nuées (Ps 67, 35) : « Dans les nues, sa puissance » etc. »

Mon commentaire :
Le moins que l’on puisse dire est que l’auteur s’éloigne largement du sujet qui était d’expliquer pourquoi il fallait dire : Notre père qui est aux cieux. La citation des Psaumes pourrait se comprendre, en effet si la prière s’élève vers Dieu c’est qu’il est au-dessus de celui qui prie. Ensuite, les références aux titres de prééminence divines (charités, lumières, miséricordes, esprits) semblent peu adaptées au sujet. Par contre les références à l’arrivée de Jésus nous donnent encore à voir une lecture très anthropomorphique, à la limite parfois de l’approche gnostique. En effet le ciel supérieur fait penser aux cieux empilés sur sept ou huit niveaux que les gnostiques ne manquaient pas de citer. Aujourd’hui, cette lecture semble fortement dépassée. Il est clair que Dieu n’est pas dans le ciel, ni ailleurs. Il est en nous quand nous sommes dans la voie de justice et de vérité.

Sanctificetur nomen tuum

 Ce peuple qui offre cette oraison au Seigneur outrage le nom de son Dieu parmi les nations chez qui il entre, comme le dit le Seigneur par la voix du prophète Ézéchiel (Éz 36,22) : « Ce n’est pas pour vous que j’agirai, maison d’Israël, mais pour mon saint nom, que vous blasphémez parmi les nations chez qui vous entrez ». Et ce saint nom fut blasphémé par ce peuple parmi les nations, comme l’apôtre le dit aux Romains (Rom 2, 24) : « Car le nom de Dieu est profané par vous entre les nations, comme il avait été écrit ».

C’est pour cette raison que ce peuple demande premièrement à son Dieu qu’il sanctifie son nom, blasphémé par eux, pour qu’ils soient sanctifiés. Mais le Seigneur entend leur prière avant qu’ils ne crient vers lui, ainsi qu’il le dit par la voix du prophète Isaïe (Is 65, 24) : « Avant qu’ils ne crient, je les exaucerai ; ils parleront encore que je les aurai déjà entendus ». De la sanctification de son nom et même de son peuple, le Seigneur dit par la voix du prophète Ézéchiel (Éz 36, 23-24) : « Je sanctifierai mon grand nom, qui a été profané parmi les nations, que vous avez profané parmi elles, pour que les nations sachent que je suis le Seigneur ; quand je serai sanctifié en vous devant elles, je vous prendrai d’entre les nations etc. »

Mais ce nom, qui fut blasphémé par ce peuple, est Visitation du Père, qui pèche en volonté et non en souillure. Et la congrégation des visitations est appelée Fils de Dieu ; c’est pourquoi Moïse dit le premier (Deut 32, 5) : « Ils ont péché devant lui et ne sont pas ses fils dans la souillure ». Mais ces visitations devaient être sanctifiées en premier parce qu’elles péchèrent seulement en volonté. Ainsi le Fils de Dieu, qui était Visitation, voulut-il autre chose que son Père, comme il le dit dans l’évangile (Mt 26, 39) : « Mon Père, si c’est chose possible, éloigne de moi ce breuvage ; mais fais selon ta volonté, non selon la mienne ». Et encore (Lc 22, 42) : « Père, si tu le veux bien, éloigne de moi ce breuvage ; mais que ce ne soit pas ma volonté qui soit faite, mais la tienne ».

Mon analyse :

Le peuple de Dieu profane le nom de Dieu devant les nations. Cela peut surprendre mais, en fait, c’est assez clair. Quand on se réclame d’une foi et que l’on ne donne pas l’exemple prôné par cette foi, on profane la foi dont on se revendique. C’est pourquoi cette phrase : « Que ton nom soit sanctifié » peut induire en erreur. En fait, c’est l’inverse. Ce que recherche le croyant c’est d’être sanctifié par l’évocation de Dieu. Or, celui qui fait le lien entre le spirituel et le temporel c’est le paraclet que nous a laissé Christ pour nous accompagner et que nous sollicitons lors de l’Amélioration. Donc, on pourrait dire que le Saint Esprit nous sanctifie ou nous purifie. On remarque que l’apparente hésitation prêtée à Jésus avant son arrestation est interprétée comme une faiblesse nécessitant sanctification. En fait, c’est un relent judéo-chrétien qui fait de Jésus un sacrifice pour notre salut.

« Ainsi, le Fils de Dieu se sanctifie-t-il lui-même, pour ensuite sanctifier le peuple de Dieu, comme il le dit dans l’évangile (Jn 17, 19) : « Je me sanctifie moi-même pour eux, pour qu’ils soient eux aussi sanctifiés dans la vérité ». Et il faut savoir que Notre Seigneur Jésus-Christ non seulement se sanctifie lui-même pour la sanctification du peuple, mais encore subit la passion pour lui, comme saint Paul le dit aux Hébreux (Héb 13, 12) : « C’est pour cela que Jésus lui aussi subit sa passion à l’extérieur de la porte, pour sanctifier le peuple ».

Mais il faut également savoir que le nom du Père, c’est-à-dire la Visitation qui est sanctification du Père, est appelé Jacob ; mais l’esprit qui lui est subordonné est appelé Israël. Ainsi le Seigneur, voulant sanctifier son nom lequel est la Visitation qui est le chef des autres visitations qui péchèrent par volonté — et elle-même est appelée Jacob —, lui envoya premièrement sa parole ; mais pas pour qu’elle fasse pénitence, car les dons et les appels de Dieu sont sans pénitence ; et aussi pour que ce péché ne lui soit pas imputé par le Seigneur, ainsi que l’apôtre le dit aux Romains (Rom 4, 6) : « Bienheureux l’homme à qui le Seigneur ne compte pas de péché ». Et il dit encore (Rom 11, 29) : « Ils sont sans pénitence, etc. »

Mais le Seigneur, pour cette raison, envoya en premier sa parole à Jacob pour qu’elle tombe en Israël, c’est-à-dire qu’elle tombe de la Visitation en l’esprit, Israël, qui est le chef des autres esprits qui péchèrent. Ainsi dit le prophète Isaïe (Is 9, 7) : « Le Seigneur envoya sa parole en Jacob, et elle est tombée en Israël ». C’est pourquoi Jacob, c’est-à-dire la Visitation, ayant reçu la grâce et la miséricorde de Dieu, se réjouit. Et de son allégresse se réjouit Israël, c’est-à-dire l’esprit, comme le dit le psalmiste (Ps 13, 7) : « Qui donnera de Sion le sauveur à Israël ? Quand le Seigneur ramènera les captifs de son peuple, alors se réjouira Jacob et se réjouira Israël ».

Mais celui-ci est le saint Jacob, qui sanctifie ses fils dans la prédication du Dieu d’Israël, comme le Seigneur le dit par la voix du prophète Isaïe (Is 29, 22-23) : « Désormais, Jacob ne sera plus honteux mais, quand il verra ses fils, les œuvres de mes mains, chez lui, sanctifiant mon nom, ils sanctifieront le saint Jacob et prêcheront le Dieu d’Israël ».

Il faut savoir aussi que ces visitations qui sont appelées du nom de Jacob sont ces montagnes qui doivent recevoir la semence du Seigneur pour donner des fruits au peuple d’Israël — c’est-à-dire aux esprits —, comme le Seigneur le dit par la voix du prophète Ézéchiel (Éz 36, 8-10) : « Et vous, ô puys d’Israël, que germent vos branches, afin que vous portiez fruits pour mon peuple d’Israël ; et vous serez labourés et recevrez la semence ; et je multiplierai en vous les hommes et toute la maison d’Israël ». Et le psalmiste, parlant de ces montagnes[6] et priant pour la paix d’Israël, dit (Ps 71, 3) : « Les montagnes recevront la paix pour le peuple ». C’est pour cela que le prophète lève son regard vers ces montagnes, car l’aide lui viendra d’elles, comme il le dit (Ps 120, 1) : « Je lève les yeux vers les montagnes, d’où le secours viendra à moi ».

Et la cité de Dieu est fondée sur ces montagnes, comme le dit le même prophète (Ps 86, 1) : « Ses fondations sont dans les montagnes ». Et on doit savoir aussi que Notre Seigneur, voulant tirer à lui son peuple — comme la vérité le dit dans l’évangile (Jn 6, 44) : « Personne ne peut venir à moi si mon Père ne le tire » — ordonna en Jacob, c’est-à-dire en la Visitation, de tirer à lui Israël, c’est-à-dire l’esprit. Car Jacob est la cordelette par laquelle Israël est liée et tirée, comme Moïse est le premier à le dire (Deut 32, 9) : « Jacob, petite corde de son héritage ». De cet héritage parle le Seigneur par la voix du prophète Isaïe (Is 19, 25) : « C’est Israël mon héritage ». Et c’est pour cela qu’il dit par la voix du prophète Osée (Os 11, 4) : « Avec les liens d’Adam je les tirerai, avec les cordelettes de la charité ».

Car la charité est appelée Adam, et « elle est lien de perfection » comme le dit saint Paul (Col 3,14) ; et elle a ses liens en dessous d’elle, c’est-à-dire les cordelettes des charités, par lesquelles l’Esprit lie et tire à soi. Ainsi, la Visitation est cordelette de la charité, par laquelle elle tire à elle l’esprit ; et elle est aussi cordelette de l’esprit, par laquelle l’esprit lui-même est lié et tiré vers le haut, comme il est dit devant. Mais de ces cordelettes, c’est-à-dire des visitations, qui étaient échues en héritage au Dieu d’Israël, le Seigneur lui-même dit par la voix du prophète David (Ps 15, 6) : « Les cordes m’échurent dans la toute clarté, car mon héritage est pour moi bien clair[7] ».

Mais il faut encore savoir que les visitations étrangères sont elles aussi appelées cordelettes et liens, ainsi que le Psalmiste, qui est l’esprit du premier formé, le dit (Ps 139, 6) : « Et ils ont tendu des cordes pour moi comme un piège ». Et il dit encore (Ps 118, 61) : « Les cordes des pécheurs m’enveloppèrent ». Et le même prophète, rendant grâce à Dieu de lui avoir rompu lesdites cordes (Ps 115, 16-17) : « Ô Seigneur, tu as rompu mes liens, je t’offrirai sacrifice d’action de grâce ». Et le Seigneur, parlant de ces liens, dit par la voix du prophète Isaïe (Is 5, 18) : « Malheur à vous, qui tirez l’iniquité avec les liens de la vanité et le péché comme un lien de charité ».

Et il faut encore savoir que l’esprit est cordelette de la vie, qui la tire et la lie. Il la tire, comme le dit saint Paul en parlant de lui-même dans les Actes des apôtres à propos de la vie (Act 20, 22) : « Et maintenant, voici qu’entraîné par l’esprit, je me rends à Jérusalem ». Mais la vie est cordelette de l’âme laquelle, aidée de la Visitation, la tire à soi et se l’unit. Et pour cette raison David, louant son Dieu de l’union et de sa vie, dit (Ps 65, 9) : « Il rend mon âme à la vie ». »

Mon commentaire :
Là encore on voit l’auteur partir dans des digressions à la limite de l’intelligible. Il fait des amalgames et des analogies qui feraient sourire aujourd’hui afin d’intriquer les interventions divines et le peuple élu. Mais au total cela n’apporte rien à la glose de la phrase du Pater.


[1] Ms 269 de Dublin. 2. P 24a-75a.

[2] Mot à mot : chassés (descaçats).

[3] Selon l’usage médiéval courant, le mot l’apôtre, sans précision, désigne toujours saint Paul, l’apôtre par excellence, et l’auteur de la plupart des épîtres.

[4] Ce passage est peu clair. Théo Venckeleer a lu visitas pour justas — ce qui a conduit Déodat Roché à traduire « car elles étaient visitées », ce qui est de toute façon impossible. Il y a en fait assimilation entre le Christ (l’oint du Seigneur) et le Saint Esprit, selon une interprétation cathare attestée ailleurs. Le rôle de l’envoyé, Christ/Esprit, est de donner les lois de l’évangile et d’enseigner l’oraison dominicale.

[5] Cette curieuse expression, l’esprit de notre premier formé, désigne invariablement, dans ce texte, le personnage de David. Le même David est du reste appelé aussi, par ailleurs, « notre père David », ce qui participe de la même interprétation du personnage par l’auteur cathare. Pour une interprétation complémentaire, voir ci-après notes 1 et 2, p. 306.

[6] C’est le mot « puy », pois dans l’occitan de l’auteur, qui est employé tout long de ces lignes ; je ne traduis montagne que par commodité.

[7] L’auteur emploie le mot clar/clara, qu’on ne peut traduire que par clair/claire, mais le texte biblique y apporte une nuance de beauté.

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