La stricte suffisance matérielle

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La stricte suffisance matérielle

Il est courant dans de nombreuses religions de prôner une simplicité matérielle qui se manifeste le plus souvent par une forme de pauvreté choisie.

Même si cette apparente concordance appelle de nombreux commentaires, elle n’en reste pas moins typique d’une forme de mise en pratique des principes de simplicité qui sont véhiculés par ces religions.
Si le catharisme ne fait pas exception à ce principe, nous allons voir que les ressemblances sont souvent de surface et que l’idée que nous nous faisons de la stricte suffisance matérielle peut s’avérer assez éloignée de celle qu’en avaient les bons chrétiens cathares.

Comment définir la stricte suffisance matérielle ?

En fait il est aisé de comprendre que la notion de suffisance matérielle est un concept à géométrie variable, non seulement entre individus différents mais aussi pour un même individu à différents moments de sa vie.
Certes on pourrait imaginer une approche radicale qui comprendrait ce terme comme définissant ce qui est strictement nécessaire à la vie humaine, mais le terme suffisance va plus loin que le simple nécessaire biologique.
En fait ce terme est l’élément qui induit la variabilité du concept.
Pour vous et pour moi la suffisance est ce qui est jugé apte à combler les exigences sensuelles dans un domaine donné. Tel individu jugera son repas suffisant s’il a le sentiment d’avoir mangé une quantité de nourriture qui le satisfait, mais il ne tiendra pas compte des réelles nécessités de son organisme.

C’est pourquoi ce terme de suffisance est pondéré par le terme qui le précède : stricte. Comme ce terme est connoté négativement ! En effet, stricte est généralement associé au concept d’une référence minimale en dessous de laquelle l’objectif visé est impossible à atteindre. C’est donc la rigueur dans sa noirceur maximale qui apparaît alors.
Mais un effet de yoyo se met alors en place entre les deux terme. Stricte certes mais néanmoins suffisante ; suffisance peut-être, mais stricte cependant. On est proche de l’oxymoron en fait. Les deux termes s’opposent comme les pôles identiques de deux aimants mais cela est peut-être dû à une mauvaise interprétation.

Essayons de lire ce groupe nominal en choisissant pour chacun des termes une définition moins commune.
Stricte est également employé pour désigner ce qui est la rectitude d’une approche. Ce qui est strict est donc aussi ce qui est droit, ce qui ne varie pas, ce qui ne se prête pas à la divagation, à l’incertitude.
Suffisance est aussi utilisé pour définir ce qui est nécessaire à l’obtention d’un équilibre sain.
Au total, on le voit, les termes viennent donc se compléter beaucoup plus harmonieusement que précédemment.
La stricte suffisance est donc ce qui définit une quantité justement calculée pour satisfaire à un état sain et nécessaire.

N’oublions pas le terme matérielle qui précise le champ d’application de la stricte suffisance. En effet, nous ne le dirons jamais assez, l’ascèse matérielle — car c’est de cela qu’il s’agit — suit nécessairement l’ascèse morale.
Nous avons donc enfin définit la stricte suffisance matérielle comme ce qui est nécessaire, sur le plan matériel, pour assurer à l’individu concerné un équilibre sanitaire et social qui lui permette de ne pas être forcé de consacrer l’essentiel de ses efforts à lutter contre un déséquilibre potentiellement mortifère.

Comment évaluer la stricte suffisance matérielle ?

Même après avoir écarté les acceptions excessive de ce terme, il s’avère que chacun aura une conception différente de son voisin de ce qu’est pour lui la stricte suffisance matérielle.
Aux questions concernant les nécessités en matière d’alimentation, de logement, d’habillement, de moyens de locomotion, de sécurité financière, d’organisation du temps de vie, etc. chacun aura ses propres réponses qui, bien souvent, différeront de celles du voisin. Tel aura besoin de plus en tout ou en partie, tel favorisera tel point sur tel autre mais aucun ne se sentira en mesure d’accepter le contrat que Jésus propose au jeune homme : « Vends tous tes biens, donnes-en le profit aux pauvres, et suis-moi. »

Combien d’entre-nous qui avons coché cette case sur le sondage de janvier 2012 seraient prêts dès maintenant à valider ce contrat ?
En fait, dans notre vie de sympathisant, puis de croyant cathare, cette appréciation est évolutive. Au fil du temps et de l’éveil, la vanité des nécessités matérielles apparaît de façon de plus en plus prégnante.
Ce dont nous n’aurions pu nous séparer hier nous devient superflu aujourd’hui.
Alors comment évaluer ce qui relève de la stricte suffisance et ce qui est soit facteur de misère, soit au contraire d’opulence ?
Ce choix n’est pas anodin car, nous l’avons dit, la misère conduit l’individu à un repli qui n’est pas favorable au détachement puisqu’il est entièrement tourné vers la recherche d’un nécessaire qui fait gravement défaut et redonne à la part mondaine toute sa prééminence sur la part spirituelle. A contrario l’opulence n’est pas à minimiser. En effet, elle ne peut s’acquérir qu’au détriment des autres — même si nous n’en avons pas conscience — et elle conduit à donner à notre part mondaine le pouvoir de décider de ce qui est nécessaire ou pas.

Comme toujours, la stricte suffisance est un point d’équilibre qui va évoluer en fonction de la situation matérielle moyenne du groupe où l’on se trouve et en fonction de l’évolution de notre détachement spirituel.
Il n’est donc pas possible de dresser une liste type qu’il suffirait de suivre. C’est à chacun que reviendra le soin de déterminer ce qu’il pense être ses besoins élémentaires et ensuite, d’en parler avec d’autres pour voir s’il n’a pas été excessif ou insuffisant dans son évaluation afin d’adapter les choses.

Comment adapter la stricte suffisance ?

Mais ce qui compte le plus est de comprendre que cette zone d’équilibre peut être modifiée volontairement par un travail personnel qui aboutira à réduire ses besoins sans violence au moyen du détachement.
La particularité du catharisme est qu’il prône un détachement, non seulement volontaire mais aussi et surtout non violent et naturel. Foin des règles religieuses qui exigent un renoncement forcé comme marque de dévouement à Dieu, foin des pratiques coercitives qui vont parfois jusqu’à des extrêmes incroyables comme le port d’un cilice ou la pratique de la flagellation.
Ces pratiques provoquent des refoulement qui favorisent le développement des névroses et peuvent aboutir à des troubles et des comportements encore plus graves comme l’histoire nous en décrit à toutes les époques.

Certes il est plus rapide d’imposer une règle coercitive à des esprits que l’on va endoctriner et culpabiliser jusqu’à les détruire. Cela ne peut que créer des monstres dont la violence éclatera en créant des extrémistes haineux ou des malades pervers ou suicidaires.
Le christianisme cathare est une spiritualité de la patience et de la modération.
Chacun avancera à son rythme. Il faut dire qu’à son avantage figure un point crucial. Pour le cathare, le temps d’une vie humaine n’est pas un facteur limitant. D’autres religions ont ce critère comme point de mire, ce qui les oblige à accélérer les processus pour tenir dans ce carcan hautement contraignant.

Pour le croyant cathare c’est d’abord en affinant sa connaissance qu’il pourra accéder à une compréhension différente des choses, ce qui l’amènera naturellement à reconnaître ce qui n’est pas souhaitable de ce qui l’est. « Tout m’est permis, mais tout n’est pas utile ; tout m’est permis, mais moi, je ne permettrai à rien d’avoir autorité sur moi. » disait Paul. En effet, ce qui importe c’est de définir ce qui est utile puis de choisir de s’en tenir à cela sans laisser les attraits du superflu et de la futilité avoir barre sur nous.
En fait, la vraie maîtrise est celle qui relève uniquement de l’esprit, celle qui est indépendante des exigences mondaines. C’est par ce biais, que petit-à-petit le croyant va entraîner son corps à accepter sa volonté en se pliant à la stricte suffisance, définie pour assurer la stabilité des besoins vitaux, et non à chercher à imposer des besoins dictés par une sensualité mondaine qui tend en permanence à étouffer la voix de l’esprit.

Ce travail, lié à une saine connaissance des réalités mondaines et spirituelles, conforté par une pratique spirituelle visant à relativiser les certitudes inculquées par la nature mondaine qui nous contraint et une culture millénaire qui la sert, permettra de ramener le point d’équilibre à la réelle position qui devrait être la sienne.
Une fois ce point atteint, le croyant pourra choisir de s’y maintenir plus ou moins strictement selon que son choix de vie  demeurera ancré dans le monde ou qu’il essaiera de mener une vie évangélique plus avancée afin d’améliorer encore son ascèse morale et matérielle.

Conclusion

Comme j’ai tenté de vous l’expliquer, une fois encore le christianisme cathare n’a rien de spectaculaire. Il est simple, naturel et finalement bien peu glorieux. Ses membres ne sont pas des individus supérieurs qui vont s’astreindre à mâter leurs pulsions irrépressibles grâce à une volonté de fer et par le truchement de mortifications impressionnantes.

Non, le croyant cathare va simplement apprendre à analyser le fond de ses comportements pour mieux admettre l’excès et la futilité et, une fois convaincu, c’est avec soulagement qu’il les laissera de côté jusqu’à atteindre un état d’équilibre et de satisfaction que l’on nomme ataraxie. Nul exploit chez lui, nulle gloire car ce qu’il réalise c’est à son esprit qu’il le doit, c’est-à-dire par la grâce divine dont il n’est que le modeste vecteur. Nulle astuce et nul mystère non plus ; il n’est pas un mystique accompli mais un tâcheron qui avance pas-à-pas guidé par l’approfondissement de son désir d’amour universel.

Éric Delmas – 17/01/2012

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