Le mensonge réaliste !
Le jour des fous
Avant l’Édit du Roussillon (09 août 1564), la date du jour de l’an était variable en France. L’habitude, issue des rois capétiens, de fixer le début de l’année à Pâques s’est prolongée pendant plusieurs siècles, et parfois jusqu’à la fin du Moyen Âge dans certaines provinces.
C’était la remise en valeur des traditions babylonienne et égyptienne qui faisaient commencer l’année avec le retour de la promesse de bonnes récoltes (crue du Nil notamment).
Le changement calendaire mit du temps à être accepté et les personnes qui continuèrent à fêter l’an nouveau fin mars, faute d’avoir mémorisé la nouvelle date, furent l’objet de moqueries et de blagues.
Le calendrier catholique, quant à lui suivait les saisons, et surtout essayait de se superposer au calendrier païen pour masquer que les pratiques païennes étaient difficiles à extirper de la mémoire collective. Ainsi, la naissance de Jésus fut superposée à celle de Mithra, elle-même calquée sur le solstice d’hiver qui marque la fin de la décroissance des jours et le début de la régénération du monde. Celle de Pâques était fixée au premier dimanche suivant le jour du printemps, annonçant la fin du sommeil de la terre (désolation). La réforme grégorienne du calendrier mit en évidence la problématique du décalage lié au calendrier julien et obligea à des retouches calendaires. Ainsi, Pâques n’en fut pas trop affecté, mais Noël fut décalé de quelques jours. Grégoire n’osant pas rétablir Noël au 21 décembre — difficile en effet de changer une date de naissance —, ce fut le 25 décembre désormais qui demeura.
Par contre, dès que le début de l’année fut généralisé au 1er janvier, Pâques se retrouva être un peu dévalorisé par rapport à Noël puisque ne coïncidant pas avec le changement calendaire, contrairement au 25 janvier calé définitivement à une semaine exactement du Nouvel An.
Le 1er avril, qui était donc situé à la fin du carême de Pâques, devint un jour de réjouissances, ce qui explique peut-être le recours à la blague du poisson, seul aliment autorisé pendant quarante jours, que l’on mettait dans le dos pour rire, maintenant que la viande était de nouveau autorisée.
Pâques, référence judéo-chrétienne
La tradition orale du christianisme, dont le message d’amour était difficile à faire passer dans le monde violent de la Palestine occupée par les romains, fit le choix de manifester la puissance de Dieu par un événement extraordinaire. La tradition judaïque était constellée d’événements miraculeux prouvant la préférence de Iahvé pour le peuple élu. Il parut alors nécessaire de faire de même pour ceux qui s’appelleraient bientôt chrétiens. Or, quel événement pouvait être plus extraordinaire que de vaincre la mort ? Même les juifs n’avaient pas eu cette idée et leur patriarche le plus vieux, Mathusalem, qui vécut 969 ans, paraît-il, finit quand même par mourir. L’éternité ne pouvait être qu’une prérogative divine.
Or, tradition judéo-chrétienne voulait se positionner comme continuatrice de la tradition juive, afin de bénéficier de l’avantage de son antériorité à une époque où ce concept servait de validation d’une théorie. Mais, le christianisme souhaitait que l’envoyé de Dieu puisse valoriser un principe important, celui de la rupture avec le judaïsme. Pour cela il fallait que l’envoyé meure de la faute de ceux qui étaient dans le péché, donc abandonnés de Dieu. Or, étant obligé de mourir, il ne pouvait pas vivre éternellement de façon visible, sauf à ressusciter, ce qui était la preuve de sa divinité. On le voit Pâques couvre donc deux événements destinés à deux publics. La passion, sacrifice volontaire pour purifier les chrétiens de leurs fautes, et la résurrection, victoire sur la mort, à destination des juifs et des romains, pour affirmer le statut divin de Jésus.
Cette tradition était le fondement de cette conception religieuse qui voulait affranchir l’humanité de l’anathème de Iahvé qui faisait, depuis Adam, de l’homme un pécheur pathologique, tout en créant le concept extrêmement pratique du sacrifice salvateur, non pas du seul sacrifié, mais aussi de tous ses coreligionnaires. Ce dernier point sera d’ailleurs ensuite resservi à l’occasion des nombreuses campagnes de persécutions contre les chrétiens, où les sacrifiés — parfois volontaires — seront considérés comme ayant lavé les péchés des autres. Système hautement confortable puisqu’il exonérait des efforts nécessaires pour demeurer sans péché. Quand les persécutions cessèrent, un autre système vint se substituer au manque de sacrifiés : celui des anachorètes égyptiens, premiers moines à vivre dans l’austérité la plus totale — c’est-à-dire se sacrifiant à la vie mondaine — pour sauver les autres chrétiens qui n’avaient aucune envie d’en faire autant. Le monachisme les remplaça, organisant ce qui n’était au départ qu’initiatives individuelles.
Mais, si le message interne au judéo-christianisme était clair, celui destiné à l’extérieur l’était moins. Effectivement qui était ce Jésus, paraît-il, mis à mort et ressuscité ?
Comme le savent fort bien les auteurs de romans, une fiction pour être attirante doit avoir des relents de vérité, c’est-à-dire qu’elle doit paraître vraisemblable. Il y eut dans l’histoire des romanciers qui inventaient tout leur roman : personnages, lieux, époques, situations, etc. Ils sont tous tombés dans l’oubli, car le public avait du mal à s’investir dans leurs histoires. Par contre, un romancier qui situe les faits dans des lieux précis et connus, avec un environnement historiquement référencé, rend ses personnages crédibles. Le capitaine Némo de Jules Verne est un bon exemple de ce principe. De même et dans un autre genre, Michel Vaillant, de Jean Graton, est un personnage crédible.
Il fallait donc rendre crédible ce Jésus, venu de nulle part, mort sans laisser de trace et prétendument si important. C’est pour cela que fut construite, a posteriori, une histoire à ce Jésus. Mais la tradition orale est vagabonde et permet de corriger ponctuellement des petites failles du récit. Ce qui posa problème fut le moment où il fut décidé de mettre cela par écrit. Déjà on constata que chaque groupe, dans son coin, commença à rédiger son histoire, l’Évangile et quelques textes annexes selon les goûts et les besoins locaux. Ensuite, quand on voulut regrouper cela en un ensemble cohérent, les failles devinrent des gouffres qu’il fallut combler à la va-vite, et au final on obtint un document plutôt bancal, mais qui finit par être accepté de tous, enfin de ceux que l’on n’avait pas rejetés comme hérétiques et gnostiques.
Les documents furent cependant habilement dissimulés aux yeux des plus curieux en interdisant leur traduction et en réservant leur interprétation à des clercs spécialement formés ; les curés et parfois les évêques étant particulièrement illettrés en la matière.
Donc, l’« histoire » de Jésus put suivre son petit bonhomme de chemin sans opposition réelle et il fallut attendre notamment les cathares pour voir une réelle opposition à ce discours désormais établi comme vérité absolue. N’oublions pas l’extraordinaire réponse des chanoines d’Orléans qui, en 1025, répondaient au crédo catholique qui leur était imposé : « Nous ne pouvons pas savoir si c’est vrai, nous n’y étions pas. » !
Compréhension cathare
Pour les cathares médiévaux, il était difficile de remettre totalement en question l’historicité de Jésus, comme il fut impossible pour Paul d’invalider Iahvé alors qu’il avait invalidé sa loi. Par contre, ils ne se privèrent pas de mettre en évidence les incohérences de l’hypothèse de son incarnation. D’où les propositions cosmogoniques de l’adombrement en Marie, de l’apparition ex nihilo à Tibériade le 15 de Tibère, etc.
Ce qui leur importait était de réduire la « bulle » faite autour de Jésus et de son sacrifice pour faire ressortir le message d’amour et de salut offert à tous.
Aujourd’hui les choses ont évolué… en bien comme en mal.
Je lisais hier encore le programme télévisé pour y découvrir une émission qui se propose de nous raconter l’histoire vraie de Jésus sur les lieux de sa vie ! Les mythes ont la peau dure. Jésus a forcément existé puisque les lieux, les pratiques, les habitudes décrites sont vérifiés par l’histoire. De la même façon Malko Linge est un espion de la CIA réel, puisque Gérard de Villiers a pris la peine de lui donner un environnement d’une précision méticuleuse qui faisait dire à l’époque que ses livres étaient plus efficaces et précis qu’un guide touristique.
Il faut cesser de croire qu’entretenir le mythe du Jésus historique est indispensable à la crédibilité du christianisme. Que le Jésus décrit dans les évangiles n’ait pas existé est une quasi-certitude, car les événements relatés n’auraient pu passer inaperçu des témoins de l’époque et pourtant, les études sur les textes contemporains montrent qu’il ne s’agit au mieux que d’une rumeur.
Qu’un être humain ait pu être assimilé à ce Jésus est possible, tout comme il est possible qu’un homme nommé Jésus ait pu servir de support à cette histoire, puisque les archives du Sanhedrin (tribunal juif) rapportent l’exécution pour blasphème d’un Jésus, vers cette époque. Il fut lapidé. On peut accepter également que la légende se soit cristallisée autour de plusieurs personnages, fondus en un seul, comme Astérix est en quelque sorte l’archétype du gaulois mythique.
Paul nous offre une autre hypothèse, tout aussi crédible : celle d’une inspiration ! On peut étendre cette idée au début du judaïsme avec la transmission de la loi de Iahvé aux hommes et au début de l’islam avec la « dictée » d’Allah à Muhammad. Bien entendu, ce qui fait la différence c’est l’origine de l’inspiration.
C’est la grande gloire des cathares d’avoir eu le courage de ne pas céder à la facilité d’une fable mise en exergue, mais d’avoir choisi la voie de la simplicité en se concentrant sur le message, plus que sur le messager.
C’est pourquoi les cathares n’accordaient que peu d’importance à Jésus et à Pâques, ce qui ne les empêchait pas de respecter ce carême important, car signe du point le plus profond de la désolation de la nature, assimilable à la désolation spirituelle de l’homme devenu conscient de son enfermement et des difficultés à en sortir.
Par contre, ils étaient logiquement entièrement tournés vers la Pentecôte qui est le temps du renouveau de l’homme, la résurrection de l’Adam en Christ, c’est-à-dire de l’homme englué dans sa prison charnelle à l’homme spirituel enfin presque libre.
En quelque sorte, Pâques est la commémoration du plus gros poisson d’avril qu’une partie de l’humanité a fait subir à tous et dont il convient de prendre conscience si nous voulons en sortir.
Éric Delmas – 01/04/2018