Le marcheur du désert
Il marchait dans le Sahara à la recherche de l’oasis où il pourrait étancher sa soif et sauver sa vie. Ce n’est qu’après de longues heures d’effort et alors qu’il atteignait les rives de sa résistance que la vue de traces de pas dans le sable lui causa la plus vive douleur.
Ces traces rendaient l’image de ses propres chaussures dont une comportait un défaut de semelle parfaitement reconnaissable. Ainsi, au lieu d’avancer vers son salut, c’est vers sa perte qu’il s’élançait sans même le soupçonner.Il se souvint alors, mais trop tard que, dans l’hémisphère nord, le marcheur solitaire dérive sur sa gauche en raison du sens de rotation de la Terre et finalement se déplace en cercle quand il croit aller droit.
Cette histoire me permet d’évoquer de façon très précise une problématique identique mais concernant la spiritualité.
En effet, le chemin du croyant sincère est un état de déséquilibre permanent. Du moment où l’on pense aller droit, il faut être convaincu que l’on commence à dériver.
Certes, la dérive est souvent insidieuse. Notre mondanité et notre âme sont éprouvées dans l’art de nous éloigner de notre route pour servir leur maître, le démiurge.
À chaque fois que l’on s’autorise une petite entorse aux principes que nous savons vrais, nous permettons à ces leurres de nous tirer un peu hors du chemin de justice et de vérité.
J’ai du mal à accepter les critiques des autres et je me réfugie dans un splendide isolement ? Cela me fait perdre cet essentiel appui de celui qui peut me dire que je suis en train de me fourvoyer.
Je me dis que telle ou telle pratique ne me convient pas vraiment et qu’après tout, du moment que suis en accord avec mon esprit, tout va bien ? Cela offre à ma mondanité cette petite victoire qui, telle cette cale glissée dans la porte entrouverte, en appelle d’autres pour le démiurge.
Je me crois assez fort pour ne me fier qu’à mon esprit, persuadé qu’il sait différencier dans ce qui l’anime ce qui vient du Bien de ce qui vient du monde ? Cette vanité est déjà la preuve de mon égarement.
Je ressens ce besoin de certitudes vérifiables, de références évidentes, de phares éclairant mes ténèbres et je me raccroche à des éléments mystiques, à des apparences physiques, à des reconstitutions de rites ou de scènes connues ? L’oubli du caractère éminemment incertain du catharisme m’amène dans les bras d’un système de dynamique de groupe bien connu des manipulateurs volontaires ou inconscients.
Je pourrai développer encore longtemps les exemples, tant il vrai que j’ai moi-même subi les mêmes tentations et que je ne suis pas certain d’avoir échappé à toutes. Mais vous comprenez sans doute ce que je pense.
Nous rêvons tous de voir dans cette incarnation se développer un catharisme de ce siècle aussi développé que nous imaginons celui des bons hommes médiévaux.
Ce n’est pas aussi simple. Il faut accepter l’idée que les choses ne seront pas aussi faciles.
Je dirai même mieux, le premier signe que l’on est en train de se fourvoyer et qui doit nous alerter est la découverte de quelque chose qui semble nous aplanir le chemin.
Le démiurge n’est pas un adversaire facile et il ne s’embarrasse de nos conceptions éthiques. Pour lui tout est bon pour nous faire retomber dans ses filets. Aussi, lui échapper est une entreprise titanesque qui n’autorise aucune faiblesse et aucun répit.
Le bon croyant ne vise pas à l’érémitisme mais s’accommode de la société des hommes, même si ces derniers le rejettent quand il n’accepte pas de suivre les sirènes grégaires.
Le bon croyant ne se croit pas plus fort qu’il n’est et n’imagine pas être capable, par la seule force de son esprit, de déjouer les pièges du mauvais. Sinon, dites-moi pourquoi les bons chrétiens ressentaient le besoin de battre leur coulpe régulièrement devant leur diacre et de s’attribuer des jeûnes pénitentiels pour les fautes dont ils s’accusaient ? Si eux n’arrivaient pas à cheminer parfaitement droit, qui sommes-nous pour nous en croire capables ?
Le bon croyant cherche à mener une vie exempte de signes prétendument révélateurs et de symboles de quelque nature que ce soit qui ne peuvent être cathares puisqu’ils sont forcément mondains.
Le bon croyant se méfie comme la peste de ce qui provoque l’engouement de la foule, aussi sincère soit-elle, car la multitude est plus encline à glisser dans l’erreur car elle potentialise sa mondanité. Si le groupe était la voie du salut, les cathares auraient développé un cénobitisme forcené au lieu de la vie anachorète qu’ils menaient en se limitant à des groupes de vie restreints.
Même si nous voulons voir chez ceux qui nous entourent la marque de l’esprit, nous devons nous garder de le faire car, nos conditions de vie actuelle ne nous mettent pas en condition de le faire.
Quand une ou plusieurs communautés de vie auront développé leur réflexion en affaiblissant leur mondanité au moyen des pratiques de vie que nos ancêtres pratiquaient assidument, elles pourront peut-être voir émerger en leur sein des personnalités particulières dignes d’une considération spécifique.
Vu l’état de notre résurgence cathare, cela n’arrivera pas avant longtemps.
Et jusques là, ceux qui croiront suivre le chemin du salut, risquent surtout de marcher dans le désert jusqu’à croiser leurs propres traces.
Éric Delmas – 22/06/2010