adombrement

La vérité historique : Christ et Jésus

8-4-ecf- cultes publics
78 vue(s)

La vérité historique : Christ et Jésus

Nous ressentons le besoin viscéral d’être assurés connaître toute la vérité sur tous les sujets. Cela en arrive même au point que, de nos jours, la remise en question de toute information — y compris quand elle est confirmée par les spécialistes du sujet —, est devenue un sport planétaire. Nous oscillons entre la peur de la manipulation et l’envie de disposer d’une information indiscutable.
L’homme est-il allé sur la Lune ? La terre est-elle ronde ou plate ? Fut-elle le fruit d’une évolution naturelle de type darwinien ou a-t-elle été créée en sept jours ?

Aujourd’hui je vais essayer d’ouvrir avec vous un dossier beaucoup plus épineux sans prétendre vous proposer une réponse univoque et encore moins vous faire adopter mon avis.

La vérité historique

Samuel Noah Kramer titre son ouvrage : « L’histoire commence à Sumer ».
La justification de cette affirmation tient au fait que cette science humaine permet de fixer la mémoire, d’un peuple, d’un pays, d’un continent, etc. Or, Sumer étant, en l’état actuel de nos connaissances, la région où est apparue la première forme d’écriture (vers – 3300), qui évoluera vers l’écriture cunéiforme, elle devient logiquement le premier lieu où les événements furent « fixés » par ce nouveau moyen de transmission de la mémoire.

La vérité historique repose donc sur deux éléments qui la définissent sans garantir en aucune façon l’authenticité de ce qu’ils affirment : l’honnêteté du récit qui est liée à la subjectivité de celui qui le raconte et l’existence d’un moyen de transmission fixe, l’écriture.

La fiabilité des sources

La fiabilité des sources est d’autant plus douteuse que l’un de ces deux éléments peut être pris en défaut. Les Romains comme les juifs, considéraient qu’un témoignage unique était sans valeur (testis unus testis nullus), ce qui nécessitait donc deux témoignages concordants pour avoir valeur de preuve. Donc, si un fait est relaté par un témoin unique, sa fiabilité est forcément douteuse, sans que cela soit un jugement de valeur sur le témoin. Pendant des siècles, nous avons eu des Gaulois l’image que nous en transmis par écrit un seul témoin Jules César, dans son ouvrage : La guerre des Gaules. Nous savons aujourd’hui, grâce à d’autres axes de recherche, que ce témoignage n’est pas fiable. De même, les sources orales ont toujours fait l’objet d’adaptations au fil du temps, ce qui leur ôte toute fiabilité.

Le concept de vérité historique

L’histoire est écrite par les vainqueurs. Cette affirmation de Robert Brasillach dans son livre Frères ennemis, pose en fait la volonté que l’histoire soit le ciment d’une nation et qu’elle doive donc proposer un récit univoque pour souder des peuples après des troubles. Mais, les vaincus ont leur propre histoire et la conservent sous différentes formes dans le but de ne pas laisser s’éteindre leur vérité historique.
La vérité historique se heurte souvent à des contradictions issues d’autres sciences, comme ce fut le cas de l’archéologie pour le récit de la Torah ou de la philologie pour l’attribution du contenu de certains documents écrits, comme les Lettres de Paul par exemple.
Ainsi, les peuples dominants ont souvent falsifié, de manière intentionnelle ou culturelle, le récit qu’ils ont retranscrit pour orienter l’image qu’ils voulaient donner des événements. Les juifs ont inventé une antériorité de leur histoire d’environ six siècles (- 1200 ans au lieu de – 600 ans), car l’ancienneté d’un récit renforçait sa validité. Aujourd’hui, la tendance s’est quasiment inversée. Il en va de même du christianisme qui est devenu l’histoire du groupe judéo-chrétien, institué comme groupe chrétien de référence par Théodose 1er et doté d’un droit de répression qui lui a permis de réduire, voire de détruire les groupes dissidents, généralement pagano-chrétiens. Ainsi, plus rien ne s’opposait à ce que leur vérité devienne la vérité de toute la chrétienté.

Le récit historique

Si l’utilisation de l’histoire est si importante pour un peuple c’est qu’elle permet de créer une cohésion basée sur des événements, réels ou fictifs, qui servent de socle à l’établissement d’un récit national. Or nous savons comment la référence nationale est toujours un ciment puissant pour les peuples en leur permettant de reconnaître ses membres et d’en exclure les autres. Cela fonctionne aussi dans la plupart des religions. Malheureusement, comme nous le voyons aujourd’hui, c’est aussi l’occasion de violences qui visent à imposer un état de fait qui ne s’appuie que sur ce récit historique, comme c’est le cas en Palestine ou en Ukraine.

La vérité historique doit donc rester à l’état de concept pour le chercheur, même si ses convictions personnelles le poussent à vouloir valider tel récit historique qui correspond à sa culture.

L’histoire chrétienne et Jésus

La situation du christianisme au premier siècle

Le proto-christianisme s’est développé dans une région où deux religions coexistaient : le judaïsme hébreu et le mithraïsme romain. Les populations concernées étaient juives et le judaïsme était composé de nombreux courants de pensée appelés sectes : pharisiens, saducéens, zélotes, esséniens, etc. L’apparition de ce nouveau courant, qui ne rejetait rien du judaïsme traditionnel n’a donc pas provoqué de choc culturel susceptible de justifier des écrits clairs et concordants, du moins jusqu’à ce qu’il devienne gênant et justifie des rétorsions. Du point de vue romain, une secte juive de plus ou de moins était sans intérêt.
On retrouve ce schéma avec le catharisme en Languedoc : tant qu’il est resté dans la discrétion de la vie quotidienne personne n’en parlait et il fallut attendre le 13e siècle pour qu’il apparaisse dans les textes, alors qu’il existait dans les écrits d’autres régions (Bulgarie, Cologne, Champagne, Orléanais, etc.) depuis un siècle, puisqu’il y a fait l’objet de répressions.
Le christianisme présente en outre la particularité d’être une religion dont les courants internes n’ont jamais cessé d’être en conflit pour s’imposer comme seule référence globale. Comme je l’ai expliqué dans mon livre[1], un premier schisme s’est produit en 49 quand Paul s’est insurgé de la volonté des représentants (colonnes) de Jérusalem d’imposer le strict respect des règles juives aux prétendants se réclamant de Christ. De ce schisme sont apparus deux groupes, le premier soumis au judaïsme (juifs-chrétiens puis judéo-chrétiens) et le second affranchi de tout lien avec le judaïsme (pagano-chrétiens). Bien entendu, ces termes ne furent employés qu’après l’attribution du sobriquet « chrétiens » aux marcionites d’Éphèse au début du 2e siècle[2].

Le personnage de Jésus

La tradition orale judéo-chrétienne était initialement centrée sur la Passion, incluant la crucifixion et la résurrection. S’adressant à des populations juives pour la plupart, bercées de récits fantastiques issus de la Torah, il se devait d’être au moins aussi merveilleux, d’autant qu’il évoquait un personnage falot, sans pouvoir et éliminé de la façon la plus misérable qui soit. Cela était bien éloigné du récit juif du Messie guerrier qui viendrait un jour délivrer son peuple prisonnier des ennemis de Iahvé ancré dans l’imaginaire juif.
Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que le récit de la mort et de la résurrection soient empreints d’éléments extraordinaires. Sans oublier qu’à l’époque personne n’imaginait que deux millénaires plus tard des chercheurs disséqueraient ces textes pour y séparer la réalité des fantasmes.

Les hypothèses sur le Jésus historique

Si l’on prend au pied de la lettre le récit issu des évangiles synoptiques de Matthieu et de Luc, la conception, la naissance et la reconnaissance de Jésus comportent plusieurs éléments fantastiques plus proche des récits mythologiques grecs, romains et sumériens que de la réalité commune de l’époque. Tout y est assemblé de façon à faire de ce Jésus, un moins que rien, né dans les pires conditions d’une mère réprouvée puisque fille-mère. Cela est contrebalancé par les signes divins et l’affirmation de la virginité de Marie, nullement affectée par la naissance de Jésus !
Cet individu va se faire remarquer dans les textes jusqu’à son douzième anniversaire où il surprend les maîtres juifs du temple de Jérusalem, avant de disparaître sans laisser de trace pendant dix-huit ans. Certains ont bien essayé de combler ce vide gênant en inventant un voyage en Égypte ou un long séjour auprès des sectes juives des esséniens ou des thérapeutes. En fait, cette enfance semble très peu crédible, ce qui explique peut-être que deux des quatre évangélistes se soient abstenus d’en parler.
La vie adulte de Jésus, consacrée à sa prédication, dure de un à trois ans selon les auteurs qui la relatent, ce qui est un nouveau problème pour sa validité. Elle est l’occasion d’événements plus ou moins merveilleux qui peuvent être passés inaperçus pour les guérisons, mais dont on ne peut comprendre qu’ils n’aient laissé aucune trace pour les résurrections. Ajoutons les apparitions et disparitions de Jésus d’assemblées comptant des juifs opposants, les événements suivant la mort de Jésus en croix (atteintes du temple, résurrection des morts sortant des cimetières, etc.), sans parler de la résurrection qui aurait dû provoquer des rapports écrits des autorités juives et romaines. En fait le seul témoignage écrit concernant l’existence physique de Jésus vient du général juif Flavius Josèphe[3]. Mais ce document est largement considéré, soit comme une forgerie, soit comme une interpolation d’un scribe judéo-chrétien.
Donc, rien dans l’existence physique d’un Jésus historique n’est vérifiable, de très nombreuses incohérences émaillent son histoire et sa mort est elle-même plus proche d’une forme de mythologie chrétienne que d’autre chose. Je vous invite à lire l’ouvrage de Jacques Giri : Les nouvelles hypothèses sur les origines du christianisme, aux éditions Karthala (4eédition à Paris en 2011) qui fait le point de façon exhaustive sur tous ces éléments douteux.
L’hypothèse la plus réaliste sur l’origine de ce texte est celle d’une forgerie du 2e siècle, réalisée en opposition à Marcion de Sinope, dans son Evangelion, qui faisait de Jésus un être apparu miraculeusement à l’âge adulte (cf. Évangile selon Luc chap. 3).

Les hypothèses sur le Jésus mythique

Face aux incohérences et aux manipulations visant à donner un caractère historique à Jésus, de nombreuses voix se sont élevées pour faire de Jésus un personnage mythique destiné à porter la crédibilité du christianisme.
On pourrait les regrouper en trois catégories :
1 – Jésus est un homme dont l’attitude a justifié son élévation par Dieu (adoptianisme).
2 – Jésus est un homme ayant reçu l’inspiration divine et qui l’a reprise à son compte, se faisant passer ou étant assimilé au messager divin.
3 – Jésus est un personnage inventé ou calqué sur un personnage historique antérieur à la période considérée qui a servi de support à la prédication judéo-chrétienne.
Ce qui explique l’hypothèse d’un Jésus mythique, outre les nombreuses incohérences de son histoire figurant dans les textes judéo-chrétiens comme le Nouveau Testament, est le fait que Paul indique avoir été l’objet d’une inspiration divine sur le chemin de Damas qui va provoquer son éveil spirituel et sa conversion, suivis d’un baptême par imposition des mains, reçu d’Ananias, responsable de la communauté pagano-chrétienne de cette ville.
Donc, si Paul a pu recevoir le message de Christ sans jamais connaître Jésus et sans aucun intermédiaire, pourquoi les premiers disciples auraient-ils eu besoin d’un Jésus en chair et en os pour si mal comprendre le même message ?
Mais dire à l’époque que Jésus était un mythe conduisait sans aucun doute à la mort. C’est pourquoi apparut le concept d’adombration, c’est-à-dire d’apparition dans l’ombre d’autre chose, qui permettait de laisser croire à une apparence charnelle sans pour autant qu’elle existe. Nous qui voyons quotidiennement des illusionnistes réaliser des tours encore plus extraordinaires pouvons comprendre qu’une apparition divine ait pu facilement berner les hommes de l’époque.

Aujourd’hui, je préfère imaginer une inspiration divine à la façon de Paul, avec par ailleurs une construction mythique autour du message reçu ; car ce qui compte c’est le message et en aucun cas le messager.

Le Christ et Jésus de nos jours

Maintenant que les hommes sont suffisamment éduqués pour comprendre des concepts simples, il faut choisir des hypothèses réalistes plutôt que de céder à des fantasmes incohérents.
Imaginer un Jésus en chair et en os ou une apparition d’apparence humaine présente des inconvénients équivalents. Dans le premier cas, comment expliquer les phénomènes où la matière semble disparaître opportunément au profit d’une entité immatérielle, comme lorsqu’il échappe aux juifs en traversant les murs et les portes de lieux clos ? Dans le second cas, comment justifier qu’une entité immatérielle mange avec les disciples ? Comment expliquer la nécessité d’une forme apparente pour les disciples et pas pour Paul ?

Personnellement, l’hypothèse qui me convient le mieux — dans le champ cosmogonique cathare —, est celle d’une inspiration divine qui s’est manifesté chez une ou plusieurs personnes qui l’ont enjolivée d’une identité mondaine ou qui l’ont endossée à titre personnel, un peu comme fit Manès en son temps qui se prétendait nouveau Jésus. Paul n’a pas jugé utile d’user de tels artifices et a laissé les disciples à leurs choix, ce qui explique qu’il ai mis trois ans avant de revenir à Jérusalem où il n’en a rencontré que deux d’entre eux.
Par contre, je crois en la réalité d’un envoyé divin que j’appelle Christ qui fut porteur du message de Bienveillance et qui nous a laissé aux bons soins du Saint-Esprit paraclet pour nous guider vers notre salut.

Guilhem de Carcassonne.

Le 11 décembre 2022


[1] Catharisme d’aujourd’hui, Éric Delmas, éditions Catharisme d’aujourd’hui (2014-2015).

[2] Orthodoxie et hérésies aux début du christianisme, Walter Bauer, éditions du Cerf en 2009 (première édition en allemand en 1934).

[3] Antiquité juives, Livre 18, 63-64.

Docétisme et mythisme ?

3-1-Doctrine cathare
1 409 vue(s)

Docétisme et mythisme ?

Le docétisme

Le docétisme est une théorie qui pense que Jésus n’était pas à la fois Dieu et homme, comme le propose la doctrine chrétienne catholique initiale, conservée malgré les schismes par les orthodoxes et les réformés. Il y a donc deux formes de docétisme : celui qui ne voit en Jésus qu’un Dieu et celui qui ne voit en lui qu’un homme. Rappelons que les Judéo-chrétiens, avec leur mythe de la Trinité divine, considèrent Jésus et le Saint-Esprit comme pleinement divins, à l’instar de Dieu lui-même. Cela a longtemps posé problème à nombre de chrétiens qui avaient du mal à imaginer Dieu dépossédé de son statut exceptionnel, ce qui revenait à leur yeux à le faire tomber de son piédestal.

De nombreux courants de pensée vont naître de ces deux hypothèses que propose le docétisme. Parmi ceux qui ne voient en Jésus qu’un homme, figurent les adoptianistes. Jésus, homme et seulement homme, s’est fait remarquer de Dieu par ses qualités et, ce dernier l’a adopté. On retrouve là une vision qui ne manque pas de rappeler un système existant dans la mythologie gréco-latine. En effet l’enfant d’un dieu et d’un mortel n’est pas dieu lui-même, mais par ses prouesses de héros, il peut arriver qu’il soit élevé au rang de dieu après sa mort. À cheval entre les deux théories se trouve un courant chrétien qui fut très influent avec d’être dénoncé comme hérétique : les nestorianisme. Pour les adeptes de Nestorius, en Jésus cohabitaient sans mélange les deux natures, humaine et divine. À l’opposé des adoptianistes se trouvent les monophysites qui considèrent que Jésus fut uniquement divin et que son existence apparente fut un leurre.
Certains auteurs considèrent que les écrits de Paul et l’Évangile selon Jean comportent des éléments de docétisme, mais celui qui fut considéré comme le premier à émettre cette hypothèse fut Cérinthe qui ne voyait en Jésus qu’un homme. Ménandre, dont la doctrine le fait considérer par plusieurs chercheurs comme le premier gnostique, aurait de fait validé un docétisme monophysite en détachant la création du monde de la compétence de Dieu. Il est également présenté comme un disciple de Paul, influencé par l’évangile johannique.

Enfin, s’il est un personnage dont le docétisme est affirmé, c’est bien Marcion de Sinope. En effet, dans son travail de reprise des documents pauliniens qu’il considéraient comme fortement remaniés et adultérés par les scribes judéo-chrétiens, soucieux d’empêcher Paul de servir de base à un Christianisme autre que le leur, il proposa notamment un Évangile paulinien, partiellement appuyé sur celui de Luc qui manifestait dès son premier chapitre un docétisme affirmé. Je vous renvoie pour cela à son Evangelion. Or, nous le savons maintenant, les marcionites ont clairement influencé les pauliciens, dont il est fort probable qu’ils ont même initié leur religion par le biais d’un diacre qui aurait évangélisé Constantin, le créateur du Paulicianisme, lors d’une rencontre près de Mananalis. De même, les pauliciens ont probablement été à l’origine du Bogomilisme et du Catharisme languedocien et italien, comme je l’explique dans mon livre, ce qui explique que le docétisme ait logiquement imprégné tous ces Christianismes.

Le docétisme cathare

Pour les cathares le docétisme est un prolongement logique de deux éléments de leur doctrine : l’origine du monde et la nature de l’émanation divine.
En effet, tous les cathares considèrent que le monde matériel est une création du démiurge, le disciple du principe du Mal, également appelé le diable. De ce fait, il ne peut y avoir de connexion ou de convergence entre le monde et Dieu. En outre, la « création » divine chez les cathares n’est pas à proprement une création, au sens d’une fabrication, mais une émanation consubstantielle qu’ils comparaient déjà à leur époque avec le soleil et ses rayons. Et, en raison de leur fondamental doctrinal qu’était l’humilité, ils considéraient cette émanation comme un tout unique dont l’apparente division visible ici-bas n’était qu’un leurre.
Ces deux points amènent à une réflexion logique et cohérente qui valide le docétisme visant à faire de Jésus un être divin qui ne s’est jamais incarné. En effet, la parcelle d’esprit — que j’appelle par commodité un esprit saint — qui est venue au contact des autres esprits saints prisonniers de la matière mondaine, ne diffère en rien de ces derniers. Donc, s’il s’était incarné, il aurait forcément subi le même sort et serait tombé sous l’emprise du démiurge. Comment imaginer, dans l’idée que tous les esprits saints sont identiques par nature, même si leurs missions diffèrent, qu’il puisse y en avoir de plus puissants ou résistants que d’autres ? Cela serait une grave entorse au principe de la Bienveillance divine qui s’applique uniformément sur toute sa « création ».

Mais alors, comment expliquer le choix des cathares médiévaux pour proposer l’idée d’un Christ ayant toutes les apparences de l’incarnation, y compris dans son adombrement[1]en Marie, sans en avoir la nature physique ?
Il faut se placer dans le contexte de l’époque, car l’ignorer conduit inévitablement à appliquer à une pensée ancienne des critères modernes, ce qui fausse complètement l’analyse. En effet, du IVesiècle au siècle des Lumières, la notion d’athéisme est quasiment inexistante. On appartient forcément à une religion, souvent définie par une zone géographique et un système politique. Cette situation rend à peu près impossible la compréhension de concepts très éloignés de la pensée générale. Donc, les cathares ne pouvaient pas nier l’existence physique apparente de Jésus alors même qu’elle était en opposition totale avec leur conception doctrinale, comme je l’ai expliqué ci-dessus. C’est pourquoi ils ont fait le choix de l’apparence physique convaincante. Pour autant cette idée reposait sur des éléments que les judéo-chrétiens ne pouvaient critiquer puisqu’on les trouve dans le Nouveau Testament. Quand Jésus ressuscité se donne à voir aux disciples, à deux reprises, la première fois sans Thomas et la seconde en sa présence, il a toutes les apparences d’une incarnation. Mieux encore, Thomas va toucher son « corps physique » en mettant le doigt et la main dans ses blessures[2]. De même, quand Christ rencontre les deux apôtres en voyage en direction d’Emmaüs[3], ils ne le reconnaissent pas, mais ils vont partager le pain avec lui, ce qui atteste une apparence mondaine poussée. Et ensuite, il va apparaître également aux onze à qui les deux pèlerins sont venus rendre compte[4]. Là également, pour attester sa mondanité il va manger du poisson devant eux. Donc, proposer un Jésus non incarné bien que parfaitement visible et ayant des attitudes et des capacités pouvant faire totalement illusion, n’a rien d’irréaliste pour des hommes de leur époque.

Le docétisme cathare aujourd’hui

Le Catharisme, issu d’une longue lignée de doctrines chrétiennes évolutives, n’a aucune raison de rester figé dans son état médiéval au motif que nous le connaissons comme tel. Il ne faut pas oublier que la plupart des chercheurs qui l’ont révélé étaient des judéo-chrétiens, notamment catholiques et protestants, dont la logique doctrinale les poussait naturellement à avoir une conception figée des choses. Cela explique que ces chercheurs et même des théologiens modernes préfèrent élaborer des hypothèses complexes en accord avec leurs vues plutôt que d’accepter ce qui relève de la doctrine cathare elle-même. On le voit notamment dans la genèse du Catharisme que les catholiques ont pendant longtemps attribué au Manichéisme et que les Protestants ont ensuite attribué à l’Origénisme.

Mais le Catharisme dispose de son identité propre, issue d’une lignée pagano-chrétienne, et le docétisme y est inscrit depuis ses origines comme je l’ai montré plus haut. C’est pourquoi nous pouvons et nous devons continuer à proposer des réflexions et des hypothèses sur ce sujet. Notamment, est-il impensable que l’apparente incarnation de Jésus soit un mythe ? En effet, les recherches les plus poussées montrent une part non négligeable d’incohérence dans l’idée d’un Jésus ayant eu une vie mondaine apparente. En effet, les témoignages extérieurs au milieu des premiers chrétiens montrent qu’il y avait bien des personnes se réclamant de Christ — Jésus n’est presque jamais cité —, ce qui est la preuve de l’existence d’une religion, mais pas celle du personnage que certains décrivent. En outre, attribuer à ce personnage les miracles qu’il aurait réalisés pose le problème du silence des sources extérieures à ce sujet. Pourtant, la résurrection de Lazare aurait dû provoquer un véritable séisme social ! Pourtant, on n’en trouve aucune trace chez les autorités juives et romaines de l’époque. Cela est très étonnant, car un tel miracle aurait logiquement pu être craint comme offrant de vrais risques de troubles sociaux.

Donc, si la preuve de l’apparence physique de Jésus n’existe pas, et disons-le honnêtement la preuve inverse fait également défaut, pourquoi vouloir se rattacher à ce qui n’est qu’un point de vue défendu par les judéo-chrétiens pour qui cette existence physique est essentielle à leur propre doctrine ? Les cathares n’ont en rien besoin d’un Jésus apparent puisqu’il leur est impossible d’accepter son incarnation.

C’est pourquoi j’ai étudié l’hypothèse selon laquelle Jésus n’avait pas existé du tout. Cette hypothèse n’est pas aussi mythique que certains voudraient le croire. En effet, l’idée que Christ ait pu s’adresser directement à des hommes sans passer par l’image d’une apparence physique peut sembler difficile à accepter. Pourtant nous avons un élément en faveur de cette thèse dans le Nouveau Testament lui-même. Rappelons-nous l’épisode que ce document — pourtant clairement judéo-chrétien —, nous relate. Paul, appelé Saul dans le texte, part en direction de Damas, car il sait devoir y trouver des juifs exilés après la mort d’Étienne qu’il veut arrêter pour blasphème. En route il est victime d’un éblouissement par lequel il tombe de cheval et entend la voix de Christ qui lui parle[5]. Cet événement, demeuré invisible pour les hommes qui l’accompagnent, provoque une cécité qui ne sera levée que trois jours plus tard par le baptême d’esprit que lui conféra Ananie en lui imposant les mains[6].

La question qui se pose est la suivante : si Paul a pu croire en Christ sans le voir ; s’il a pu recevoir son message et le transmettre sans avoir besoin d’une confirmation physique, est-ce que cela a pu se passer de la même façon pour les disciples qui ont dit l’avoir vu ?
La réponse n’est pas simple. En effet Paul était quelqu’un d’intellectuellement très instruit, alors que ceux dont on nous dit qu’ils ont prétendu avoir vu Jésus en chair étaient au contraire très peu éduqués ; la plupart étaient des paysans et des pêcheurs. Si l’on pense que Jésus fut inventé, cela peut s’expliquer et se justifier par la nécessité de la prédication. Comment faire admettre à une masse analphabète pour l’essentiel la validité d’un message transmis uniquement en songe ? Seul Muhammad y parviendra, mais ce sera six siècles plus tard. Il est donc possible que Jésus fut créé de toutes pièces dans ce but par un accord passé entre les premiers disciples et transmis à leurs propres disciples qui vont finaliser cette information en écrivant les textes canoniques. L’autre hypothèse est que Christ ait commencé par s’adresser à des hommes qui ne pouvaient entendre sa parole que si une apparence physique la prononçait. Il se serait alors donné cette apparence dans ce but. Mais on peut en douter, car Abraham n’a pas eu besoin d’un subterfuge aussi poussé pour croire et transmettre le message de Iahvé ; un seul buisson enflammé lui a suffit. Enfin, on peut aussi imaginer que la première hypothèse étant la bonne, les premiers disciples se sont inspirés de personnes ayant existées à leur époque pour en faire le support de leur « inspiration divine ». On sait notamment par le Sanhedrin qu’un Jésus fut condamné pour blasphème vers cette époque et exécuté par lapidation. On le voit, l’hypothèse d’une apparence physique n’a rien d’impossible, mais rien ne semble la justifier pleinement.

C’est pourquoi je suis personnellement attiré par l’hypothèse qui me semble la plus simple : celle d’une construction justifiée par la nécessité de valider devant une foule, qui aurait sans doute rejeté le témoignage d’une simple vision ou inspiration divine, l’idée d’un être d’apparence physique ayant transmis le message. Pour moi et comme Paul le faisait, Christ n’est pas une dénomination de Jésus, mais bien le seul et unique messager divin venu nous apporter la parole et la voie menant au salut.
Certains désignent cette conception comme « mythiste ». Je l’accepterais volontiers si je ne sentais pas le relent d’une volonté de décrédibiliser une hypothèse sans avoir à se donner la peine d’y réfléchir pour la critiquer. Ou alors il faudrait considérer que, face à une hypothèse « mythiste » il y a une hypothèse « incarnationiste ». Mais en quoi cela ferait-il avancer le débat ? En rien me semble-t-il. Donc, restons-en à l’hypothèse d’un Jésus incarné pour les uns, apparent pour les autres et celle d’un Christ n’ayant pas eu besoin d’un support visuel pour agir.

J’ai également eu droit à l’argument qu’un Jésus mythique s’opposerait à l’existence de Paul qui parle du ressuscité. J’avoue trouver cet argument douteux. En effet, Paul lui aussi s’adresse à une population convaincue de l’existence de Jésus. Il n’y a donc rien d’anormal à ce qu’il parle du ressuscité, puisqu’il ne veut pas parler de Jésus, mais de Christ. Lui ne connaît pas Jésus, si ce n’est pas ouï-dire. Cette façon de faire serait même, à mon avis en faveur du docétisme de Paul.


[1]L’adombrement est la théorie selon laquelle Christ aurait paru naître de Marie dont il aurait utilisé le corps pour donner l’illusion d’une naissance. Il se serait ainsi tenu dans son ombre, d’où l’origine du terme.
[2]Évangile selon Jean : 20, 19-31
[3]Évangile selon Luc : 24, 13-32
[4]Évangile selon Luc : 24, 36-43
[5]Actes des apôtres : 9, 3-9
[6]Actes des apôtres : 9, 17-19