Règles et loi de la vie chrétienne
La doctrine chrétienne, telle que nous la connaissons, fait apparaître qu’à partir du moment où se fonde une communauté, apparaissent également des modes de fonctionnement codifiés, parfois de façon très stricte.
Les chrétiens cathares ne font pas exception et l’on peut aisément identifier, dans leur mode de vie, ces codes qui régissent les communautés.Pourtant, on semble loin des codes catholiques de l’époque, non pas dans leur manifestation (chasteté, jeûnes, prières, pauvreté, etc.) mais dans leur concept qui chez les chrétiens cathares est basé sur l’acceptation non seulement libre mais désirée alors que chez les catholiques il repose sur une obligation.
Comment traiter ces informations et comment les mettre en accord avec le rapport à la loi de l’église de chaque communauté ?
Loi positive et loi de l’esprit
Le judaïsme et le christianisme, issu des apôtres de Jérusalem et de Rome, s’appuient sur une loi dictée par Dieu à Moïse. Cette loi est dite positive car elle s’impose comme élément irréductible d’appartenance, c’est-à-dire comme une obligation.
Cette loi positive n’est pas systématiquement considérée comme mauvaise par son contenu, mais plutôt par la façon dont elle s’adresse à ceux à qui elle est destinée. Il y a plus qu’une différence sémantique entre le fait de ne pas avoir de désir meurtrier et l’obligation qui nous est faite de ne pas être meurtrier.
La loi positive s’impose par la force à un esprit qui n’est pas obligatoirement convaincu de son bien-fondé et qui vivra donc cette obligation comme une violence avec toutes les frustrations que cela peut engendrer, sans oublier le risque de non-adhésion spirituelle qui crée un état de mensonge et de dissimulation.
La loi positive est notre lieu commun. Nous vivons en permanence sous le coup de lois qui s’imposent à nous sous peine de sanctions et de risque d’exclusion de la communauté. Cela développe des comportements, dits asociaux, qui n’ont d’autre but que de contourner ces lois car elles ne sont pas considérées comme assimilées même si elles sont considérées comme justes. Au pire, nous voyons même des réactions de rejet liées — non pas au contenu de la loi qui est tout à fait légitime — mais au contenant de la loi qui est considéré comme contraignant donc haïssable a priori.
La loi de l’esprit est toute différente. C’est une loi personnelle construite individuellement par la réflexion et qui vise à accorder notre façon de vivre à notre conception profonde des choses.
Se laisser guider par l’esprit n’impose aucune contrainte puisque tous les critères mis en valeur sont le résultat d’un choix réfléchi et considérés comme les meilleurs possibles. Il n’y a donc pas de risque de rejet, ni de contournement d’une telle loi. Par contre, cette loi ne s’adresse dans l’absolu qu’à l’individu qui l’élabore sans qu’il soit possible de l’étendre aux autres. En outre, elle dépend de la culture et de l’éthique de l’individu. Ce qui est considéré comme bien pour untel sera considéré comme mal par un autre.
La loi de l’esprit est en fait un substrat qui forme la base de la conscience individuelle. Elle ne peut, à elle seule, servir à une communauté. Parfois même, elle sert d’argument pour s’extraire d’une communauté puisqu’elle est logiquement considérée par celui qui l’émet comme supérieure à toute loi positive.
La règle comme moyen d’accord entre loi positive et loi de l’esprit
La règle est considérée comme une loi positive adaptée à une communauté réduite. Le christianisme différencie un clergé séculier — qui vit dans le siècle (dans le monde) et un clergé régulier — qui vit selon une règle (et parfois plusieurs règles différentes) — et, plus rarement des situations intermédiaires mélangeant les deux (prêtres ouvriers par exemple).
Le christianisme cathare ne connaît qu’un clergé mixte, régulier par son organisation interne et séculier par son mode de vie.
Donc, dans le cadre séculier, le clergé est soumis à la loi positive dont il ne peut que marginalement s’extraire, à condition que ces « exceptions à la loi » soient légalement acceptables.
Par contre, dans le cadre régulier, il y a une grande attention portée aux infractions — qui sont recherchées et avouées, publiquement ou non — afin de faire l’objet de pénitences destinées à amender un comportement fautif pour éviter toute récidive, même si dans l’absolu cela est considéré comme impossible en vertu de la faiblesse de la chair.
Mais, sur quoi porte cette règle qui semble plus encadrée que la loi positive ?
Et bien la règle découle d’un constat qu’il est impossible de vivre en communauté de façon apaisée sur la simple base de la loi de l’esprit. Tout au moins si la loi de l’esprit devait primer en tout sur chaque élément de la vie de chaque membre de la communauté.
Donc, la règle est une sorte de formalisation d’un choix collectif, librement consenti par chaque membre de la communauté, qui confirme l’adhésion aux principes fondamentaux et qui les adapte à tous les points, primordiaux ou secondaires qui se posent dans une vie collective au sein d’une communauté religieuse.
La règle permet ainsi d’organiser la vie de la communauté, d’en définir les rythmes, d’en fixer les limites et d’en rendre le fonctionnement cohérent. Elle n’est absolument valable que dans la communauté de vie ; les personnes qui vient en dehors n’y sont pas astreintes, même si elles peuvent s’en inspirer.
Quels sont les éléments constitutifs d’une règle ?
La règle ne peut venir contrarier la loi de l’esprit que sur des points accessoires. Il faut donc que la règle ne contredise pas des points essentiels pour l’individu, au risque de devenir pour lui une loi positive. Cela veut dire que les fondamentaux de la règle, qui sont issus des fondamentaux de la doctrine, doivent être librement et pleinement acceptés par chacun avant tout engagement dans la communauté.
La règle doit faire l’objet d’une acceptation pleine et entière, car tout aménagement que s’autoriserait un membre risquerait d’être ressenti par d’autres comme une entrave à leur propre liberté au sein de la règle.
La règle doit faire l’objet d’une acceptation totalement libre, car toute contrainte renvoie à la loi positive.
La règle ne s’interdit pas de reprendre pleinement des concepts issus d’une loi positive pour autant qu’ils respectent le point précédent.
La règle ne peut être figée dans le temps et peut être remise en question chaque fois que le besoin s’en fait sentir. Elle est adaptative par consentement unanime des personnes concernées.
La règle est logiquement en accord avec la culture des membres de la communauté.
Au sein de ce cadre, chaque communauté se fixe une règle propre.
La règle communautaire cathare
Les communautés chrétiennes cathares avaient une règle dont nous avons retrouvé certains éléments, mais dont nous ignorons certainement beaucoup de détails.
Cette règle peut varier sur des points de détal d’une communauté à l’autre, afin de s’adapter aux particularités de chaque communauté.
Elle a logiquement évolué au fil du temps et notamment à l’époque de la persécution inquisitoriale pour s’adapter aux conditions de vie extrêmement précaires des bons chrétiens de cette époque.
Plus la communauté se réduit, plus le risque que la règle se radicalise augmente.
Nous connaissons tous certains points essentiels de la règle des communautés cathares. La non-violence, l’abstinence sexuelle, la pauvreté individuelle, les jeûnes, les prières, le refus de l’isolement, etc. en sont des points centraux et manifestement communs aux différentes communautés cathares connues. Des points accessoires semblent moins connus.
Aujourd’hui, cette règle est d’actualité dans pour l’essentiel, car l’idéal de vie communautaire reste le même. Cependant, elle serait sujette à de quelques adaptations et évolutions car les bons chrétiens d’aujourd’hui sont des êtres humains différents de ceux d’hier et le contexte socio-culturel ne peut être évacué de la mise en place d’une règle de vie communautaire.
Mais il reste un point majeur à ne jamais oublier, la règle qui viendraient à apparaître, dans des communautés qui se voudraient cathares, serait forcément librement et naturellement admises par tous leurs membres sous peine de devenir une loi positive et ne pourrait faire l’impasse sur des points essentiels sous peine de ne plus être cathare.
Aussi, il est primordial pour quiconque aspire à une vie communautaire, de mettre en premier la liberté de son esprit, avant un éventuel désir de rejoindre une communauté. Si l’isolement n’est pas un état idéal pour avancer sur le chemin, l’instinct grégaire est un mal pour l’esprit quand il conduit à feindre la libre adhésion à ce qui heurte l’esprit.
Éric Delmas – 27/10/2009