8 – Église cathare

Les douze travaux d’Hercule

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Les douze travaux d’Hercule

Aucun de nous ne se prend pour un héros, mais il en est un pourtant qui me semble nous ressembler un peu. Héraclès (Hercule pour les Romains), ce fils de Zeus et d’Alcmène[1] est connu pour son caractère aventurier dont l’acmé de la geste est sans nul doute les douze travaux qui lui furent imposés par Eurysthée après qu’il ait commis un grand massacre, incluant sa femme Mégara et ses enfants. Ces douze travaux forgeront la gloire d’Héraclès auprès des Grecs et nous ont été rapportés ainsi : Le lion de Némée, L’hydre de Lerne, le sanglier d’Érymanthe, la biche de Cérynie aux pieds d’airain, les oiseaux du lac Stymphale, le taureau crétois de Minos, les juments de Diomède, la ceinture dorée d’Hyppolyte reine des Amazones, les écuries d’Augias, les bœufs de Géryon, les pommes d’or du jardin des Hespérides et enchaîner Cerbère le chien des Enfers. À la fin de ses aventures, le héros mourut empoisonné par erreur par sa femme Déjanire, trompée par le centaure Nessus, et rejoignit l’Olympe où il fut admis au statut divin avant d’y commencer une autre vie avec la déesse Hébé.

D’une certaine façon, il est possible de voir une sorte de parallèle entre ce mythe et la vie des esprits-saints tombés dans le monde où ils doivent surmonter de nombreuses difficultés avant de pouvoir revenir au Père de façon éternelle.
Si j’ai choisi de vous parler aujourd’hui des douze travaux d’Hercule, ce n’est pas gratuitement, mais c’est pour essayer de vous présenter de façon claire et évolutive la façon dont le sympathisant cathare qui deviendra ensuite croyant cathare doit orienter sa réflexion et son cheminement spirituels.

Essayons de travailler sur la base des douze travaux d’Hercule pour déterminer quels sont les éléments que nous devons étudier et accepter ainsi que les pratiques que nous devons mettre en œuvre, afin de pouvoir se fixer des étapes comme ce fut le cas pour le héros grec.

Les douze travaux cathares

La première partie de ces travaux consiste dans l’analyse et l’acceptation d’un certain nombre de prérequis qui, au vu des documents en notre possession, fixent un cadre doctrinal éprouvé et jamais remis en question de façon efficace.

1 – Dieu est omniscient et omnipotent dans le Bien

En raison de son statut de principe, Dieu ne peut avoir de cause à son origine. Par contre, peuvent émaner de lui des conséquences qui seront forcément de même substance que lui.
Par conséquent, le Bien étant le fonds de Dieu, rien ne peut émaner de lui qui ne soit absolument consubstantiel à lui, c’est-à-dire totalement et irréfragablement composé de Bien. Ce point est fondamental pour quiconque veut s’approcher spirituellement de la doctrine cathare.

2 – Aucun mélange n’est possible entre le Bien et le Mal

Si l’on s’en tient à la théorie des principes énoncée notamment, par Aristote et Platon, il n’est pas possible qu’un principe soit altéré ou amélioré par l’ajout d’éléments provenant d’un autre principe.
Par conséquent, toute émanation de Dieu, qu’on l’appelle Esprit-saint, ange, Christ, ou Saint-Esprit ne peut être que parfaite dans le Bien.
Il nous faut donc admettre que le principe du Mal ne peut en aucune façon modifier ce qui provient du principe du Bien.

3 – Le Bien est éternel, permanent, parfait et incorruptible

Selon la doctrine cathare, l’émanation divine que nous appelons Esprit-unique, ne peut subir aucune modification par l’action du Mal et ce de quelque manière que ce soit. Donc, l’hypothèse cosmogonique, selon laquelle un ange, issu de Dieu, aurait pu être perverti par le Mal et devenir ainsi son serviteur fidèle et son démiurge dans sa création maléfique est impossible à envisager.

4 – Le Bien n’a pas de mal à opposer au Mal

L’hypothèse cosmogonique, relayée par l’Apocalypse de Jean, selon laquelle le démiurge aurait, par ruse, réussi à détourner une partie de l’émanation divine, afin de s’en servir pour maintenir une apparence d’éternité dans sa propre création, ne peut s’envisager que si l’on maintient l’idée selon laquelle ce « rapt » s’est produit sans modifier en aucune façon ni la nature, ni la substance de la part de l’Esprit-unique, ainsi dérobée.
De même, si le reste de l’émanation divine et Dieu lui-même n’ont pas suivi la même voie, c’est tout simplement parce que le démiurge n’a pas cherché à les faire chuter. En outre, il est clair que Dieu lui-même n’aurait pu chuter, sauf à considérer qu’il n’était pas un principe, par définition immuable.

5 –Le mélange est un état non-permanent

Lors de sa « chute » la part de l’esprit unique, dominée par le démiurge, aurait été maintenue prisonnière au moyen de l’enfermement dans une enveloppe charnelle constituant de fait un mélange entre une part spirituelle et une part matérielle que nous appelons l’homme.
Ce mélange n’a rien d’homogène. Il faut le considérer un peu comme on le fait avec la mayonnaise, c’est-à-dire comme une émulsion entre une part liquide (l’huile) et une part solide (le jaune d’œuf), qui sont appelées à se séparer dès que les conditions sont réunies (température).
Ainsi, nous savons que notre part spirituelle est prisonnière et affaiblie au sein de l’enveloppe charnelle qui la contraint, mais qu’elle n’est pas en osmose avec elle. Cependant, nous pensons que cet enfermement peut-être limité, au moyen d’efforts visant à solliciter la part spirituelle, même s’il est impensable que nous puissions nous libérer par nous-même totalement de cet emprisonnement. La dernière étape relevant de la grâce divine.

6 – Intégrer et mettre en œuvre le commandement de Christ

De l’ensemble des éléments précédents, que nous acquérons par l’étude, la réflexion et les savoirs, il découle forcément une évidence selon laquelle nous devons trouver les moyens de quitter ce mélange sans attendre passivement que Dieu vienne nous en tirer, comme c’est le cas dans d’autres spiritualités.
C’est pour cela, qu’au fil des millénaires, des messagers sont venus nous rappeler notre situation et nous indiquer le moyen d’en sortir et peu importe qu’on les appelle ange gardien, serpent de la Genèse, inspiration, Christ ou autre. Ce moyen, c’est la mise en œuvre pratique du seul commandement que Christ nous a donné, quelques en soient les moyens et selon les textes consultés. Ce commandement est celui de la Bienveillance, c’est-à-dire vouloir le bien pour tous, de façon équanime et absolue. Cela dépasse largement la conception que nous avons habituellement de l’amour du prochain, qui fixe des limites, tant dans son intensité que dans son champ d’application.

7 – Construire une démarche morale et pratique personnelle

Cette démarche est appuyée sur la Règle de justice et de vérité que les cathares nous ont transmise depuis le Moyen Âge. Cela ne peut se faire que de façon progressive et modulée, afin de ne pas se trouver confronté à des contraintes trop importantes, voire insurmontables.
Les points à mettre en avant dès le départ, car ils sont le plus souvent les plus prégnants et difficiles à surmonter, sont la non-violence absolue et l’humilité. En effet, ces points relèvent de la mise de côté de ce qui est en notre nature mondaine le plus puissant : l’égo. C’est lui qui régit notre vie au quotidien, même si nous n’en avons pas toujours conscience. C’est l’égo qui nous fait croire que nous sommes différents des autres et parfois même meilleurs que les autres.

8 – Associer systématiquement pratique et réflexion intellectuelle

La mise en œuvre de la Règle de justice et de vérité est un excellent moyen d’associer une démarche intellectuelle qui est acceptée assez facilement, avec une mise en œuvre pratique qui elle, pose souvent d’énormes problèmes. En effet, la pratique nous désigne au regard du monde comme différents et comme porteurs d’une démarche morale et sociale contraire à l’ordre établi.
Notre choix de ne pas chercher à dominer les autres, de vivre simplement sans céder aux attraits permanents d’une société de consommation, de ne pas juger ni condamner ceux qui ne sont pas de notre avis, conduit forcément à être revêtu d’une image négative liée au fait que l’on ne peut supporter qu’un autre fasse un choix différent du sien, car cela pousse à s’interroger sur la validité de son propre choix. C’est pour cela que de tout temps ceux qui avaient fait des choix différents ont fait l’objet d’ostracisme et de dénigrement, voire de persécutions.

9 – Renoncer à ce monde

Le point le plus délicat que l’on est amené à viser quand on est un sympathisant cathare est celui du renoncement au monde. La marche est haute entre le fait d’admettre que ce monde n’est pas de Dieu et qu’il est sous la coupe du Mal, et celui de s’engager à s’en détacher autant que faire se peut alors même que nous sommes contraints d’y vivre au quotidien.
C’est sans aucun doute le moment le plus difficile, car nous sommes à la fois débutants et que nous devons affronter un rejet qui s’oppose totalement à ce qui a toujours été notre considération de vie quotidienne. Il faut affronter cette difficulté petit à petit en mettant en avant des éléments de notre vie qui n’ont rien d’essentiels au quotidien. Ce peut être des habitudes quotidiennes ou des engagements non essentiels, par exemple dans le domaine associatif, syndical, politique, etc. Mais cela peut être aussi plus délicat quand il s’agira d’expliquer à ses proches son engagement spirituel et le renoncement qu’il demande, même si on précisera à chaque fois qu’il n’est pas question pour nous d’abandonner des engagements fondamentaux que nous avons pris envers nos proches bien avant ce changement.

10 – Ne pas céder aux tentations intellectuelles valorisantes

Quand on découvre un nouveau sujet intellectuel attirant, la tentation est grande de vouloir l’étudier de façon approfondie et d’y consacrer une partie de son temps qui viendra forcément en déduction du temps que l’on consacrera à la mise en œuvre pratique. Là encore, c’est notre égo qui nous domine et nous devons en avoir conscience, afin de ne pas le laisser agir. Rappelons-nous sans cesse que le catharisme est avant tout appuyé sur le message de Christ et qu’il n’a nul besoin d’un approfondissement extrême que l’on devra garder pour le moment où l’on aura réussi à mettre en œuvre tous les points que je viens de citer auparavant.

11 – Réfléchir et agir en toute humilité

Je reviens sur l’humilité pour bien comprendre à quel point cette dernière est l’antithèse majeure de l’égo. C’est pourquoi nous devons toujours la mettre en avant, tant dans nos réflexions que dans nos pratiques. En outre, elle donne de nous une image que certains peuvent assimiler à celle d’une proie, car nous ne voulons justement pas laisser croire que nous pouvons être éventuellement des prédateurs.
Mais l’humilité est davantage tournée vers nous que vers l’extérieur. C’est en raison de la prégnance de notre égo que nous devons sans cesse l’utiliser pour lui résister efficacement.

12 – Le détachement et le lâcher-prise

Le dernier point qui me semble important d’aborder et celui du détachement et du lâcher-prise. Le détachement est la mise en œuvre concrète de notre statut de croyant cathare. Nous le manifestons au quotidien en refusant de nous laisser corrompre par tout ce que ce monde utilise pour empêcher l’émergence de la part spirituelle qui est prisonnière en chacun de nous. Rappelons-nous que nos parents et grands-parents vivaient très bien sans avoir le dixième de ce qui nous semble essentiel aujourd’hui. Sans pour autant, mettre en œuvre une éventuelle politique de décroissance, apprenons la modération et la modestie dans la vie quotidienne.
Le lâcher-prise lui relève peut-être davantage de notre démarche intellectuelle. Il faut désapprendre à considérer les choses de façon primaire, car c’est souvent notre nature mondaine qui s’exprime à ce moment-là. Apprenons donc à réfléchir, à temporiser, à comparer ce qui nous est donné de voir ou de comprendre avec ce que le catharisme nous a appris.

C’est ce que j’ai voulu vous faire comprendre par cette présentation ; vous donner une sorte de menu que vous pourrez utiliser au quotidien afin de voir dans quelle mesure vous pouvez avancer, progressivement et à votre rythme, dans ce cheminement particulièrement complexe qu’est le catharisme, particulièrement quand on passe du statut de sympathisant à celui de croyant. Je pense en effet que c’est la période la plus difficile, la plus douloureuse parfois aussi, mais c’est la plus essentielle si vous voulez pouvoir continuer sans emprunter par erreur des chemins de traverse qui vous éloigneront de votre objectif initial.

Guilhem de Carcassonne le 15 juin 2025


[1] Alcmène est une mortelle, épouse d’Amphitryon dont Zeus (Jupiter) prit l’apparence pour la tromper, pendant que Hermès (Mercure) prenait celle du serviteur du roi, Sosie, pour protéger ses ébats.

Sur mon chemin

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Sur mon chemin

L’œuvre majeure de la conscience consiste à épurer l’idée de Dieu jusqu’à la transparence¹. Cette phrase de Yves Maris agit comme un véritable déclencheur pour moi; c’est elle qui m’a donné le courage ou la lucidité de reconnaître l’existence de ma conscience spirituelle, d’accepter l’immanence innommée. Je me suis rappelé les «joutes» philosophiques lycéennes sous l’égide du prof, au sujet de l’existence de Dieu, et ai senti renaître instantanément ce sentiment furtif, indéfinissable, indicible et vite gommé par la raison, d’une part d’Amour en soi qui nous transcende. Pour moi, c’est cette immanence qu’on appelle «étincelle divine». Puis je découvris par la lecture, l’exemplaire vie de personnes qui, au Moyen-Âge, suivirent la voie apostolique de Jésus-Christ. C’est par l’exemple de ces personnes que Christ prit alors pour moi, toute sa réalité.
La découverte philosophique du «Livre des deux principes» laissa des traces indélébiles dans mon «inconscient» spirituel jusqu’à ce que, dévastée par la mort de mon père, ce sentiment d’Amour universel s’impose de manière tout à fait claire. Cet éveil spirituel, que je ne pouvais plus nier, eut évidemment le visage du catharisme.

Dieu est et restera indéfinissable, car l’idée de Dieu m’est «transparente». Le divin est totalement contenu dans le principe du Bien qui définit l’Être unique dont émanent toutes nos «étincelles divines» (ou  âmes spirituelles, ou encore esprits saints). Toute  image cosmogonique ne m’intéresse plus aujourd’hui, comme il  ne m’intéresse plus de m’interroger sur le comment et le pourquoi du Mal sur  la terre ou de la responsabilité de Dieu dans tout ça, puisque Dieu est principe.

«Quand nous nous éveillons à la connaissance de notre état, nous entamons notre chemin et la route qui s’ouvre devant nous est un cheminement de concert avec le Christ et le Père sous la guidance du Paraclet ²». Dans le seul but d’éclairer mon propre chemin en toute liberté de conscience, je réécris cette phrase de Guilhem en changeant un seul mot. J’enlève ce nom «Père» qui trouble ma vision; «La route devant [moi] est un cheminement de concert avec le Christ, et le [Bien] sous la guidance du Paraclet». Le besoin de définir ma foi me fait passer par des étapes de «purification» des concepts . Tout comme il peut paraître plus juste de parler de l’idée de Dieu plutôt que de sa représentation, le concept de Père me heurte profondément. Le sens premier d’engendrement attaché à ce substantif est forcément réducteur  du divin (étranger au monde corruptible). Il y a, de plus, dans ce terme un reliquat de paganisme tout aussi dérangeant: tous ces dieux tout-puissants, ces déesses- mères du panthéon mythologique sont par trop humanisés. Il est un postulat cathare très démystifiant pour moi: Dieu n’étant pas créateur de ce monde je ne peux l’appeler «Père». De toute façon, si mon engagement spirituel avait nécessité la représentation d’un créateur, rien ne m’aurait empêché de choisir plutôt l’Amour d’une Mère, telle la Pachamama³.

M’interrogeant régulièrement sur mon cheminement, je me suis imposé aujourd’hui d’exprimer mes sentiments, de préciser ma vision de cette voie  empruntée maintenant depuis quatre ans, inquiète de ma légitimité à ce beau et pur idéal. Mais  je garde toujours chevillées à ma «tunique d’oubli» et à mon âme mondaine, cette quête du Bien et cette foi dans l’Amour universel.  Amitiés.

Chantal.


  1. Yves Maris. La résurgence cathare le Manifeste. Le Mercure Dauphinois 2007
  2. Guilhem de Carcassonne. Commentaire de l’Évangile selon Jean, dimanche de la Pentecôte.
  3. Pachamama: Terre- Mère en Quechua. Elle correspond à la déification de la Terre dans la cosmogonie andine précolombienne, elle est considérée comme la mère de tous les êtres vivants. Figure très forte chez les indiens Quechuas et Aymaras, elle continue d’être respectée et vénérée par l’ensemble de la population andine.

L’attrait du nid

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L’attrait du nid

L’être humain a la particularité d’être à la fois extrêmement explorateur et dans le même temps extrêmement casanier. En effet, tous les recoins de la planète qui ont pu être accessibles à l’homme ont été visités à un moment où à un autre, car ce dernier ressent ce besoin irrépressible de découvrir ce qui lui est inaccessible a priori. Ainsi, il n’y a quasiment pas de zone sur la surface de la Terre que l’homme n’a pas explorée et il a également visité les surfaces maritimes et une partie des grands fonds. Et il est actuellement en pleine exploration de l’espace.

Pour autant, s’agissant de sa personne, il a tendance à vouloir rester dans un environnement rassurant, quitte à s’interdire toute interrogation et toute recherche, pour essayer d’avancer dans ses savoirs, afin de ne pas courir le risque de remettre en question ce qu’il considère comme acquis une fois pour toutes.

Cette apparente contradiction entre le désir d’exploration lointaine et la volonté de ne pas s’appesantir sur des sujets plus personnels, montre en fait les deux facettes de l’être humain qui correspondent à deux parties totalement distinctes que les cathares considèrent être la part mondaine et la part spirituelle.

Aujourd’hui, je voudrais étudier avec vous cette seconde facette, afin de voir si cette part spirituelle peut s’émanciper de notre vivant.

La peur de la liberté

Dans son dernier roman, « Les frères Karamazov »[1], Fiodor Dostoïevski, nous montre Yvan Karamazov, qui raconte à son frère Aliocha un texte qu’il a écrit et qui s’intitule « Le grand inquisiteur ».

L’action se déroule à Séville en Espagne au XVIe siècle. Le personnage qui nous est décrit sans qu’il ne soit jamais cité de façon claire est évidemment le Christ qui aurait choisi de revenir sur terre lors d’un des pires moments de l’humanité, à l’époque où s’allumaient les bûchers de l’Inquisition espagnole. Ce personnage est décrit en train de traverser la ville jusqu’à arriver devant la grande cathédrale. Sur son passage, tous le reconnaissent et lui font un signe, obtenant quand c’est nécessaire une guérison miraculeuse comme c’est le cas d’un aveugle. Il s’arrête sur le parvis de la cathédrale au moment où l’on apporte un petit cercueil blanc dans lequel repose une enfant de sept ans. À la supplique de la mère de l’enfant, il ressuscite celle-ci devant l’ecclésiastique en charge des obsèques, médusé. Témoin de la scène, le cardinal, grand inquisiteur, observe de loin et désigne du doigt le personnage aux gardes, afin de le faire arrêter. Le peuple soumis ne s’interpose pas.

Dans la prison, lors de l’interrogatoire qui suit, l’inquisiteur s’adresse à ce personnage, à qui d’ailleurs il interdit de se nommer précisément, car il sait très bien de qui il s’agit et lui fait le reproche suivant.

La liberté que tu avais promise aux hommes, ils n’ont pas su en profiter. C’est nous qui, au fil de quinze siècles de dur labeur, avons instauré cette société qui convient à nos buts, mais sache que jamais les hommes ne se sont crus aussi libres qu’à présent, et pourtant leur liberté initiale, ils l’ont déposé à nos pieds. L’inquisiteur se vante donc d’avoir supprimé la liberté des hommes dans le dessin de les rendre heureux. En effet, leur nature les pousse naturellement à la révolte. Ce passage nous fait comprendre que pour les personnes qui veulent diriger le monde, la liberté est une chose à laquelle les hommes ne sont pas préparés et qu’ils sont prêts à abandonner au profit de la sécurité et de la tranquillité. Cette peur de la liberté nous habite toujours. En effet, la liberté, c’est la décision de ne pas suivre la voie commune et de se diriger là où l’on pense que se trouve la réponse à nos questions. Or, les hommes préfèrent refuser de faire des choix et d’avoir à les assumer. On a même construit pour expliquer cela le mythe de la prison dorée qui n’est rien d’autre qu’un enjolivement du confort de la soumission.

Si nous y regardons bien, nous observons que les hommes ont un comportement que l’on appelle grégaire, qui consiste à préférer vivre au sein d’un groupe plutôt que seuls. Ce choix est sécurisant, même s’il impose de se soumettre à des règles communes qui parfois vont à l’encontre des désirs individuels. Ces choix s’imposent à nous, depuis que nous avons quitté notre statut d’homme des cavernes vivant dans un environnement strictement familial pour rejoindre des communautés de vie qui nous ont permis d’obtenir la sécurité et le recours à l’alimentation plus facile. Ce choix s’est imposé par le biais de la religion qui n’a d’autre but que de permettre à la société de fonctionner sereinement en imposant de la part d’une autorité supérieure, donc insurmontable, la transcendance, une obligation comportementale qui n’est en fait que d’origine humaine.

Être soumis ou résister

Ce que nous apprend le catharisme, c’est que nous ne pouvons en aucune façon obtenir pour notre salut, un cheminement simple, sécurisant et confortable. Mais comme nous le rappelle René Girard dans son œuvre[2], sortir de la voie commune et vivre différemment, provoque un rejet du groupe qui peut aller jusqu’à la mise à mort. C’est ce qu’on va voir avec les cathares et bien d’autres chrétiens avant eux.

Aujourd’hui, rien n’a changé pour nous. Nous devons choisir d’être soumis ou de résister. Être soumis, c’est suivre la règle que la société et l’Église nous imposent en échange d’une promesse de tranquillité et de salut qui suffit largement à la plupart d’entre nous. Pour reprendre l’allégorie de la caverne de Platon[3], être soumis, c’est rester enchaîné à son rocher, en regardant le mur sur lequel défilent des silhouettes dont l’ombre projetée par la lumière du feu leur donne une apparence de réalité. Or, nous savons que le salut appartient à celui qui se détache et qui sort de la caverne, uniquement guidé par le point de lumière qu’il voit au bout d’un long tunnel sombre. Ce choix est douloureux, dangereux et surtout antisocial. Ce point est important, car celui qui veut juste résister à la pression commune se retrouve très vite qualifié de terroriste en cela qu’ils met en danger l’ordre social dans sa totalité. Il s’agit donc d’un choix radical qui ne permet pas le retour en arrière, sans en subir les conséquences, que le groupe ainsi menacé ne manquera pas de nous faire subir. Pour avoir voulu affirmer notre liberté naturelle, nous devenons des terroristes.

Cela permet de comprendre qu’entre la situation d’un sympathisant, qui trouve le catharisme très attirant et très sympathique, et celle d’un croyant qui va s’engager dans la foi cathare de façon assidue, il se trouve une articulation extrêmement difficile à mettre en place pour un choix de vie radicalement différent et pour lequel aucune garantie ne peut être accordée. Et pourtant cette articulation est absolument nécessaire dans la mesure où il est impossible de passer de sympathisant à croyant sans se trouver en permanence en butte aux contraintes d’un monde dans lequel nous sommes prisonniers jusqu’à ce que notre corps nous libère à sa mort.

Le risque du lâcher-prise

C’est là qu’intervient une notion que le catharisme met en avant et qui s’appelle le lâcher-prise. J’emploie souvent l’image de deux hommes tombés dans un torrent tumultueux, accrochés à une grosse branche et qui sont inexorablement attirés vers un gouffre qu’ils ne peuvent deviner tant la nuit est noire et sans lune. L’un des hommes va s’agripper à la branche, pensant qu’ainsi il peut éviter la noyade, quand l’autre, pris d’une intuition que rien ne justifie, fera le choix de lâcher cet appui ferme pour nager latéralement dans l’espoir d’atteindre la rive. Ce que la religion officielle et la société nous demandent de faire c’est de rester accroché à la branche, car leur rôle est de nous permettre ainsi d’atteindre un lieu de secours ou tout au moins de rester dans la ligne comportementale admise. La foi cathare, elle, nous demande de lâcher la branche et de suivre notre intuition, car cette dernière vient de notre part spirituelle et même si ses objectifs ne nous apparaissent pas immédiatement, c’est par cette voie que nous obtiendrons notre salut. Ce qui nous est caché, c’est que la société est en fait dirigée par une entité qui nous veut du mal. Dès lors, tant que nous lui restons soumis, nous courrons de mal en pis vers notre malheur et nous sommes condamnés à revivre sans cesse une vie identique.

Le choix cathare ne nous promet rien de précis, mais il nous laisse entrevoir que nous ne sommes pas des animaux guidés par leur seul instinct et leur intellect et qui n’agissent qu’avec une anticipation très limitée de leur devenir. Nous sommes habités par une part divine, régie par le Bien, et cette part divine nous guide, afin de nous permettre d’être définitivement libérés du monde maléfique dans lequel nous sommes emprisonnés.

C’est pourquoi je dis toujours aux personnes qui m’interrogent à ce sujet que le passage du statut de sympathisant à celui de croyant est, à mes yeux, le moment le plus difficile du cheminement au sein du catharisme. Et ce passage, nous ne pouvons le faire que seuls, car nous ne disposons d’aucun référentiel qui puisse nous aider à le franchir de façon sécurisée.

Il est facile de comprendre que dans ces conditions, la remarque que l’on trouve dans l’Évangile, selon laquelle il y a de beaucoup d’appelés, mais peu d’élus[4] est parfaitement adaptée à notre situation.

Quitter le nid

Pourtant, notre vie quotidienne, pour peu que nous ayons pris un peu d’âge, nous montre que nous devons à tout propos faire des choix plutôt radicaux qui nous obligent à abandonner un confort apparent en vue d’obtenir une situation plus intéressante que celle que nous quittons. C’est ce que nous appelons : quitter le nid. Croyez-vous que l’oisillon, juché sur la bordure de ce qui a constitué son univers, depuis qu’il a fracturé sa coquille, ne ressent pas la douleur de cet abandon pour une promesse que seuls ses parents lui ont proposée sans jamais lui en fournir ni preuve ni démonstration ? Et on ne connaît pas de cas d’oisillon qui ait, à ce jour, refusé de quitter le nid. Ce qu’ils font par instinct, notre intellect et nos savoirs nous poussent à le refuser. C’est en grande partie, il faut le reconnaître, parce que nous, nous devons accepter un choix que tous nous déconseillent, à part quelques individus, largement dénigrés, voire poursuivis pour leurs idées « terroristes » au regard des intérêts de la société dans laquelle nous vivons.

Mais je ne peux rien vous proposer de mieux ici, car je suis moi-même de ceux que la société moque à la fois pour leurs idées et pour leurs choix de vie personnelle. Je ne peux rien vous démontrer, je ne peux rien prouver, je ne peux rien garantir.

La seule force que je puisse mettre en œuvre est faiblesse au regard du monde, mais force invincible pour l’esprit. Vous devrez donc décider par vous-même s’il vaut mieux vous accrocher à votre nid ou si vous êtes prêt à vous éloigner des lumières du monde, pour celle bien plus pâle de l’empyrée divin dont nous sommes issus. C’est pour cela que vous ne pouvez vous appuyer que sur la force de votre foi pour espérer faire le bon choix et abandonner tout ce qui en ce monde a constitué votre vie jusqu’à ce jour et que vous devez considérer comme déjà mort et pourriture.

Guilhem de Carcassonne


[1] Les frères Karamazov, Fiodor Dostoïevski (1879-1880).

[2] René Girard (1923-2015), Des choses cachées depuis la fondation du monde, Le livre de poche (1983)

[3] Platon, La République, Livre VII.

[4] Évngile selon Matthieu : 22, 14

666 : le nombre de la Bête

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666 : le nombre de la Bête

L’Apocalypse de Jean

Ce document dont la fonction principale était de ramener les communautés externes — c’est-à-dire pagano-chrétiennes —, et notamment pauliniennes au sein de l’Église catholique et apostolique romaine, utilise la peur comme moteur principal. Dans son chapitre 13, l’auteur nous décrit deux bêtes qui assistent le dragon[1] ou antique serpent (satan) dans sa lutte contre l’archange Michel[2].
Ce choix n’est pas anodin, car il vise à se relier aux quatre bêtes de la vision du livre de Daniel et également au tandem Leviathan-Béhémot[3] de la littérature judaïque antique. De la même façon la première bête[4] est d’origine marine, qui représente le pouvoir romain païen, est assistée d’une seconde[5], d’origine terrestre qui représente les faux prophètes. Si Daniel évoquait les quatre empires redoutés des Hébreux (babylonien, perse, mède et grec), Jean vise plus particulièrement ce qui est au service du diable, c’est-à-dire le pouvoir et l’argent.

Le nombre de la Bête[6] est la marque de l’asservissement à son autorité, c’est-à-dire du choix volontaire de ceux qui se mettent au service du Mal. On pourrait aujourd’hui associer chacun des chiffres qui le composent aux trois éléments de cet asservissement : l’argent, le pouvoir et l’égo (égoïsme et égocentrisme). Comme je l’ai présenté dans mon article de 2020 : Qui est l’Antéchrist ?, l’asservissement à ces trois facettes du Mal nous maintient prisonniers du monde et nous empêche de cheminer vers notre salut.
Parmi les interprétations des nombres dans la Bible, je retiens le fait que 6 correspond à ce qui n’est pas fini par différence avec 7 qui désigne la finitude accomplie.
Cet ensemble, symbolisé par ces trois chiffres, est aussi appelé l’Antéchrist puisque sa fonction est justement de s’opposer au Christ.

Les trois 6

Le nombre de la Bête, ou Antéchrist, désigne la combinaison d’éléments qui va maintenir l’homme prisonnier de la création maléfique. Individuellement ces éléments peuvent sembler acceptables, voire inoffensifs, mais associés ils créent un système fermé qu’il est très difficile de défaire.

L’argent

Je vous invite à relire mon article de 2017 intitulé : De l’argent à Mammon.

Nous avons oublié que l’argent est un outil de simplification des biens et services par comparaison avec le troc et qu’il n’a donc que la valeur que nous voulons bien lui attribuer selon les situations et les époques. Surtout, indépendemment de tout le reste, il n’a aucune valeur. Essayez donc de manger ou de boire votre argent, de vous habiller ou de vous déplacer avec ! Même le roi Midas[7] a compris que l’or ne sert à rien sans ce qu’il sert à acheter.
L’argent commence à nous séduire et à nous posséder dès que nous excédons ce qui nous est strictement nécessaire. J’avais évoqué ce point dans mon article de 2010 : La pauvreté choisie. L’argent est donc bien un puissant outil dans ce monde pour entretenir les vices des hommes liés à une différenciation que rien ne peut justifier.

Le pouvoir

Le pouvoir est le meilleur allié de l’argent qu’il utilise pour valider son emprise sur les hommes. Ce pouvoir diviseur est l’œuvre du diable qui s’en est servi pour provoquer la chute des esprits-saints, comme l’explique de façon naïve Sibille Peyre d’Arques en citant Pierre Authié[8] : « …Puis le diable alla à la porte du paradis, … quand il y fut, il persuada aux esprits et aux âmes faits par le Père céleste que lur sort n’était pas bon, parce qu’ils étaient soumis au Père céleste, mais que si ils voulaient le suivre et aller dans son monde, il leur donnerait des possessions, c’est-à-dire des champs, des vignes, de l’or et de l’argent, des femmes, et autres biens en ce bas monde visible. … »

Le pouvoir est composé de la possession et de la persuasion. La possession crée une différence entre les hommes, ce qui crée une hiérarchie entre ceux qui possèdent et les autres. La persuasion permet de convaincre les autres de la supériorité que l’on prétend avoir sur eux.
Pierre Maury de Montaillou, dans sa déposition, précise mieux les choses que Sibille Peyre ou Arnaud Sicre. Le diable, en plus des biens matériels énoncés ci-dessus précise : « … et je vous donnerai aussi une épouse pour compagne ; vous aurez vos maisons, vous aurez vos petits enfants, … L’un de vous sera seigneur de l’autre, et vous pourrez faire et défaire[9]. »

Aujourd’hui le pouvoir s’immisce partout, même là où nous ne le voyons pas forcément. En effet, la hiérarchie, aussi justifiée et douce soit-elle, crée de fait un pouvoir de l’un sur l’autre parce qu’en ce monde il faut partager les tâches en donnant des compétences spécifiques à chacun faute de pouvoir donner toutes les compétences à tous. Cela confirme que notre enfermement charnel est une dégradation par rapport à l’état spirituel où nous étions tous strictement égaux et parfaits dans le Bien. C’est pourquoi l’humilité doit nous pousser à ne pas voir les autres comme des supérieurs ou des subordonnés, mais comme des égaux dans leur part spirituelle. Et si notre situation familiale, professionnelle ou sociale nous amène à exercer un pouvoir temporel sur les autres, il faut le limiter autant que possible et l’abandonner quand nous choisissons d’entrer en noviciat. Cela est vrai pour certaines activités professionnelles qui impliquent d’attendre la retraite avant d’entrer en noviciat, mais aussi des mandats syndicaux, électoraux et des engagements sociaux, sans oublier notre mission d’éducation des enfants qui doit être terminée avant d’aller plus loin dans notre foi.

Mais si le pouvoir et l’argent peuvent être relativement faciles à surmonter, ce qui l’est moins et qui constitue la partie la plus difficile de la triade 666, c’est l’égo.

L’égo

L’égo et ses déclinaisons, l’égoïsme et l’égotisme est le moteur principal de l’Antéchrist. En tant que troisième élément de la triade il conforte, soutient et consolide les deux autres.

Sa raison d’être est de nous convaincre que nous sommes des entités distantes des autres entités de même nature, cassant ainsi notre rattachement à l’esprit unique dans notre intellect, car nous savons que ce lien est indissoluble et sous le seul pouvoir de Dieu.

Cette division formalisée dans ce monde a pour but de nous fragiliser afin de nous convaincre que nous ne pouvons survivre et surnager qu’en appliquant la règle mondaine essentielle : moi d’abord !

Cette règle existe dans tous les domaines et nous en avons une terrible illustration en Europe et dans le monde. Elle régit les invasions visant à s’approprier des territoires où l’on veut trouver la manne que nous sommes trop fainéants pour la chercher chez nous, comme c’est notamment le cas entre la Russie et l’Ukraine. Cela s’appelle l’égotisme qui considère que ce qui nous semble utile doit nous appartenir. Elle régit les règles économiques à tous les niveaux où elles s’appliquent. Individuelles quand nous acceptons d’acheter des produits fabriqués à bas coût en acceptant la misère sociale et environnementale qu’elles produisent. Mais aussi quand un pays cherche à s’approprier la direction des marchés visant à lui fournir les biens qu’il recherche et à imposer ses prix quand il vend à l’étranger. Cela s’appelle l’égoïsme qui considère que l’intérêt individuel n’a pas à se préoccuper des autres.

Je ne doute pas que vous êtes déjà convaincus quand on voit les choses de haut. Le serez-vous toujours si je vous donne des exemples à l’échelle de l’individu, c’est-à-dire la nôtre ?

Posons-nous la question de savoir si nous n’achetons que des produits, des biens et des services issus de sources respectueuses de celles et ceux qui sont en bas de l’échelle, quitte à y mettre le prix fort ? La réponse est forcément négative pour quasiment tous, moi y compris.

Quand nous voyons un produit qui nous intéresse, mais dont le stock est faible, proposons-nous aux autres de privilégier ceux qui en ont le plus besoin au risque de devoir nous en passer ?

Certes, me direz-vous c’est impossible d’agir ainsi pour tout et pour tous.

C’est vrai, mais il y a quand même quelques solutions pour réduire notre dépendance à l’Antéchrist.

Le détachement

Face à un système dont l’objectif est l’enfermement dans un monde dont chaque élément est à l’opposé de notre nature spirituelle, il n’y a pas de demi-mesure possible. Contrairement à ce que beaucoup croient, ou imaginent pouvoir réussir, la solution pour détruire ce qui nous retient prisonniers est le détachement. Comme le dit le proverbe : « Nous ne possédons pas les objets ; ce sont les objets qui nous possèdent. »

J’ai personnellement vécu cette problématique, car j’étais un collectionneur compulsif, ne pouvant supporter de n’avoir que partiellement ce qui me plaisait. C’était notamment le cas de ma collection de timbres, commencée dans l’enfance et poursuivie de façon ininterrompue jusqu’à la cinquantaine. Je la complétais et l’agrandissais chaque fois que mes moyens me le permettaient et j’ai fini par posséder une collection presque complète avec également des pièces assez rares. Quand j’ai compris que je devais me détacher du monde et que cette collection était la première marche de ce choix, j’ai eu un moment d’inquiétude, mais quelques jours après j’ai ressenti la libération que ce choix m’avait offerte. Cela m’a semblé comparable à la libération ressentie quand j’ai décidé et réussi à arrêter de fumer voici plus de quarante ans.

Agir par pallier

Bien entendu, mon expérience n’est pas transposable à d’autres, car nous n’avons pas les mêmes chaînes.

Aussi je conseille à celles et ceux qui pensent que cela les attire de commencer par des choses qui ne remettent pas forcément leur mode de vie en cause, comme je l’ai fait avec mes timbres. Ensuite, vous pourrez envisager, si cela est justifié, d’arrêter des habitudes de vie qui s’apparentent à des addictions comme le jeu (s’il est récurrent et attentatoire à vos revenus), le tabac et la drogue, l’alcool et, plus difficile, les rapports sexuels qui sont le summum de l’emprisonnement sensoriel.

L’important est de ne pas créer une trop grande souffrance et de vérifier que l’envie causée par l’ascèse s’atténue facilement en quelques mois, ce qui sera la preuve de votre réussite. Sinon, donnez-vous plus de temps afin de ne pas courir le risque d’une rechute majeure comme cela s’observe dans les religions où l’ascèse est imposée brutalement.

L’ataraxie

Quand vous en arriverez au point où l’ascèse, au lieu de vous peser, vous fera ressentir un sentiment de paix et de stabilité, vous aurez atteint le stade de l’ataraxie, c’est-à-dire la paix des sens. Vous aurez donc coupé le lien avec ce qui constitue notre boulet personnel : la prison sensuelle (au sens large du terme). Dès lors, vous pourrez commencer à vous préparer à harmoniser votre vie avec votre foi pour poursuivre votre route jusqu’au moment où vous sentirez prêts à entamer votre noviciat.

On ne peut pas tuer la Bête, mais on peut la tenir à distance.

Guilhem de Carcassonne le 19 avril 2025


[1] Apocalypse de Jean, chap. 12, 3-4.

[2] Ibid., chap. 12, 7-9.

[3] Animaux mythiques que l’on retrouve dans les Psaumes (18, 8 – 74, 13-14 – 104, 26), le livre d’Isaïe (27, 1) et le livre de Job (3,8 – 18, 8 – 32 – 40, 10-19 – 41, 1 et 32).

[4] Apocalypse de Jean, chap. 13, 1-2.

[5] Ibid., chap. 13, 11-12.

[6] Ibid., chap. 18.

[7] Roi de Phrygie (8e siècle av. E. C.) qui selon Ovide (Métamorphoses) transformait en or tout ce qu’il touchait suite à un don offert par le dieu Dyonisos. Ne pouvant plus manger, il ne parvint à de débarasser de cette calamité qu’en se lavant les mains dans le fleuve Pactole qui depuis charrie de l’or, source de la richesse de la Phrygie.

[8] Registre d’Inquisition de Jacques Fournier – Traduction de Jean Duvernoy, tome 2, page 569 (v. f.).

[9] Ibid. tome 3, page 929 (v. f.).

Les origines spirituelles de l’homme

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Les origines spirituelles de l’homme

Convergence scientifique et spirituelle ?

Alphonse de Lamartine a écrit — dans son poème à lord Byron intitulé : l’homme — « L’homme est un Dieu tombé qui se souvient des cieux ».
Cette phrase porte sens pour les cathares.

Rapports de l’homme à la science et à la religion

L’homme est le seul animal de cette planète qui s’interroge sur ses origines.
Mais cette interrogation semble présenter un caractère divergent, voire opposé, selon qu’il l’aborde de façon scientifique ou religieuse.

Les divergences

Cette opposition qui cohabite dans la majorité des êtres humains est-elle définitivement irréductible ou bien est-elle le reflet d’un défaut des deux domaines d’analyse ?
Pour répondre à cette question, il faudrait trouver un système qui les intègre sans les diminuer ni les rejeter.
Mais cela pose la question de ce qui a donné à l’homme l’idée que son origine n’était peut-être pas seulement terrestre.
Comme le poète romantique, nous allons essayer de voir si cela peut s’envisager.
Plus la science progresse et plus elle semble s’éloigner des concepts imposés par les religions dominantes.
L’abandon du système cosmologique géocentrique de Ptolémé au profit du système héliocentrique de Copernic a fortement bouleversé les tenants d’un concept religieux où Dieu a créé l’univers au seul profit de l’homme qui en est le centre.
La révolution darwinienne a créé plus de remous encore en proposant un modèle d’évolution lente et tâtonnante au détriment de la création de l’homme parfait par Dieu, suite à la création de l’univers et de la terre avec ses minéraux, végétaux et animaux au seul service de l’homme.

Les oppositions

« La religion est le soupir de la créature accablée, l’âme d’un monde sans cœur, de même qu’elle est l’esprit d’un état de choses où il n’est point d’esprit. Elle est l’opium du peuple. » Karl Marx, Pour une critique de la philosophie du droit de Hegel.

« La science et la technique ont pris le pas sur la nature, sur le pouvoir, sur la poésie, sur la philosophie et sur la religion. Voilà le cœur de l’affaire. Elles ont bouleversé notre vie. » Jean d’Ormesson, Un jour je m’en irai sans en avoir tout dit.

La science, discipline évolutive, met à mal les dogmes religieux qui eux refusent absolument toute remise en question.
Mais, la science n’est pas à l’abri des défauts de la religion et devient parfois, elle aussi, dogmatique.

Par exemple, nous parlons de l’univers connu. Cela veut dire que nous ne connaissons pas tout l’univers ? Non, car nous fixons à l’univers une limite temporelle et dimensionnelle, évaluée à 13,7 milliards d’années que nous appelons par simplification : le big bang. L’univers inconnu est là, sous nos yeux, mais nous ne le voyons pas. En effet, il est constitué de deux éléments à propos desquels les scientifiques ne savent rien sinon que leur présence est la seule façon d’expliquer les phénomènes cosmologiques que nous observons et qui défient la logique scientifique. C’est en 1933 que l’astronome Fritz Zwicky proposa le terme de matière noire pour justifier la stabilité gravitationnelle d’un amas de galaxies. Plus tard on proposa d’expliquer le phénomène observé par Edwin Hubble d’expansion de l’univers par une force qui, au contraire, repousserait les galaxies, par le terme d’énergie noire. L’adjectif noire n’est donc utilisé que pour conceptualiser la méconnaissance totale que nous avons de ces phénomènes.

Remarquons au passage que dans la Genèse, lorsque Iahvé débute sa création : « Que la lumière soit. », cette dernière chasse les ténèbres qui, logiquement, semblaient préexister. Doù venaient-elles et qui les avaient créées.

Donc, l’univers connu ne représente que 7% de l’univers total, le reste étant irrégulièrement réparti entre matière et énergie noire.

Le catharisme, religion non dogmatique, dispose d’une grande plasticité qui lui permet de respecter les découvertes scientifiques et parfois de s’en inspirer pour mieux expliquer ses conceptions doctrinales et cosmogoniques.
Pour lui, l’univers est une « construction » du démiurge, au service du principe du Mal, que depuis le Moyen-Âge nous appelons le diable.

Préambule

Par sa plasticité, le catharisme pourrait-il être ce chaînon manquant entre science et religion ?
Le catharisme est une religion qui ne s’oppose pas au savoir :

  • il se remet en question depuis ses origines (Marcion a demandé à ses disciples de ne pas hésiter à critiquer ses opinions s’ils découvraient de bonnes raisons de le faire)
  • il s’adapte aux avancées scientifiques (le poisson, considéré comme un végétal au Moyen-Âge, était consommé par les cathares ; aujourd’hui il ne l’est plus, car nous savons qu’il s’agit d’un animal sensible)
  • il n’hésite pas à dire son ignorance (à Orléans en 1022, à la question de leurs juges sur le caractère divin de Jésus, les clercs catharisants répondirent qu’ils ne pouvaient l’affirmer, car ils ne l’avaient pas vu eux-mêmes)
  • il peut aussi aider à expliquer des phénomènes que ni la science ni les autres religions n’ont expliqués jusqu’à aujourd’hui (comme la transcendance ou l’origine de la pensée humaine)

Essayons une étude comparative.

Méthodologie

La science Le catharisme
Procède par observation, analyse, expérimentation Procède par réflexion, étude et déduction
S’appuie sur des faits et des preuves tangibles S’appuie sur tout ce qui peut l’éclairer
Tolère des hypothèses en attente de vérification Tolère des hypothèses diverses sans choisir de façon dogmatique
Bute sur des inconnues Imagine des hypothèses pour expliciter les inconnues
Minimise les contradictions Accepte la contradiction argumentée et pourvue de sources

Cosmogonies comparées

Pour la science

La création du monde est à peu près aussi mystérieuse pour les religions que pour la science.

Le big bang (apparu vers 13,7 milliards d’années) est une illustration qui permet de proposer des hypothèses, mais dont aucun scientifique sérieux n’oserait dire qu’elle est l’explication de l’origine de l’univers[1].
La terre se forma il y a environ 5 milliards d’années
La vie apparut il y a environ 3,5 milliards d’années
La colonisation des eaux et des sols date de 350 millions d’années
La séparation des hominidés (pan, gorilla, homo) remonte à 7 millions d’années environ. Les fossiles de Ororin (8 millions d’années) et de Toumaï (7 millions d’années) sont des candidats possibles au statut de chaînon manquant entre hominoïdes et hominidés.
Les hominidés sont différenciés entre les Gorillinés (Gorilles) les Paninés (chimpanzés, bonobo, orang outan), les Australopithèques : (Lucy, Abel) et les Homo (2 millions d’années : Habilis, Ergaster). Les paranthropes sont situés à cheval sur les deux précédents sans qu’on puisse les relier à tel ou tel groupe.
– bipédie vers 4 à 5 millions d’années (Australopithèques : Lucy)
– premiers silex taillés vers – 3 millions d’années

Les premiers hommes (homo) apparaissent vers – 2 millions d’années :

  • évolution rapide des humains et relative stagnation du règne animal
  • premiers feux maîtrisés vers – 550 000 ans

Les plus récents sont : Naledi, Néanderthalien (- 350 000 ans) et Sapiens (- 300 000 ans)

  • premières sépultures vers – 100 000 ans (première évolution non positive)

Pour le judéo-christianisme

Genèse 1

Jour 1 : Création des cieux et de la terre (Gn 1, 1). La terre déserte et vide semble composée de ténèbres et de l’Abime (mer) (Gn 1, 2). La lumière est créée (Gn 1, 3). Élohim voit que la lumière est bonne et la sépare des ténèbres (Gn 1, 4)
Jour 2 : Création du firmament et séparation des eaux du ciel et de la terre (Gn 1, 6-8).
Jour 3 : Séparation des eaux terrestres et de la Sèche, pousse des végétaux. (Gn 1, 9-13)
Jour 4 : Création du soleil, de la lune et des étoiles. (Gn 1, 14-19)
Jour 5 : Création de tous les animaux. (Gn 1, 20-25)
Jour 6 : Création de l’homme et de la femme, simultanément et directement. Élohim leur donne tout pouvoir sur la terre et les animaux. (Gn 1, 28-31)

Genèse 2

Jour 7 : La création divine est finie et Élohim se repose. (Gn 2, 1-4)
Retour en arrière : avant que ne poussent les végétaux (J 3 ?) Iahvé Élohim forme l’homme qui est de la poussière du sol et lui insuffle une haleine de vie en ses narines ce qui en fait une âme vivante. (Gn 2, 7-8)
Création du jardin en Éden où Iahvé Élohim fait germer des arbres pour la vue et la nourriture ainsi que l’arbre de vie et celui de la science du bien et du mal. (Gn 2, 9)
Iahvé Élohim interdit à l’homme de toucher aux fruits de ce dernier arbre sous peine d’en mourir. (Gn 2, 17)
Il considère qu’il a oublié quelque chose et crée les animaux (jour 5).
Il fabrique la femme, secondairement à l’homme, à partir d’une côte. (Gn 2, 22-24)
Enfin, ce Dieu surprenant ressent le besoin d’un jour de repos après son travail un peu brouillon.

Pour les cathares

Le monde est d’origine maléfique : Le démiurge (diable), Lucifer ou satan, crée le monde pour « rivaliser » avec la « création » divine
Sa création est temporelle et non éternelle faute d’Être (au sens ontologique du terme) qui est la nature de Dieu.
L’homme : Initialement créé sans différence notable avec l’animal mais avec une évolution plus qualitative grâce à sa capacité d’adaptation
La part spirituelle (esprit-saint[2]) est une extension de l’émanation divine : l’Esprit unique
Une des extensions de l’Esprit unique non tombée dans la matière, le Logos ou Christ, est venue inspirer les hommes pour qu’ils rappellent notre origine réelle.
Avant toute chose est le Logos (parole et raison de Dieu) car il est éternel quand le monde est temporel (Jn 1, 1-2).
Tout ce qui est, vient d’elle, et ce qui ne vient pas d’elle, n’est pas (Jn 1, 3). Concept de l’Être selon Parménide.
Le Logos porte la vie et la vie est ce qui éclaire les hommes (Jn 1, 4). L’éveil spirituel nous rappelle notre origine éternelle et nous invite à revenir à notre source.
Cette lumière brille dans les ténèbres qui ne l’ont pas reconnue (Jn 1,5). Ceux qui préfèrent l’ombre à la lumière empêchent l’éveil et sont condamnés à recommencer vie après vie.

La chute des âmes est-elle compatible avec l’évolution ?

Les espèces Homo ne se succèdent pas et ne sont pas forcément descendantes les unes des autres. H. Habilis et H. Erectus sont « sœurs » et ont cohabité pendant environ 500 000 ans. Idem pour H. Neanderthalensis et H. Sapiens qui ont cohabité pendant environ 250 000 ans.

1 – L’Australopithèque (Toumaï ?) semble avoir inventé la bipédie, ce qui va lui procurer plusieurs avantages : meilleure survie, car il voit les prédateurs de loin, nouvelles compétences, car il libère ses pattes antérieures avec lesquelles il va pouvoir découvrir de nouvelles fonctions, développement cérébral lié à ces nouvelles activités et effet boule de neige.

2 – Il y a 4 à 2,5 millions d’années, ces singes que nous appelons australopithèques (Lucy, Abel) commencent à tailler des outils à partir de pierres. Cela va lui procurer également des armes qui vont lui permettre que passer d’un régime essentiellement végétalien (avec complément protéique via quelques insectes et cadavres de petits animaux) à une alimentation carnée (surtout les viscères plus faciles à mastiquer). Ce sont des animaux qui n’agissent qu’en fonction de leurs intérêts.

3 – Aux environ de deux millions d’années, apparaît une nouvelle espèce : Homo qui est la branche dont nous descendons vraiment.

Il va découvrir le langage structuré, si utile pour s’organiser en groupe, puis l’homo erectus (Tautavel) ± 1 Ma va apprendre à domestiquer le feu, ce qui va lui permettre de faire cuire et d’attendrir les muscles de la viande, plus riches en énergie.

4 – Les premiers homo à concevoir la transcendance :

– H. Naledi (- 330 000 à – 236 000 ans) : il ne semble pas que ses sépultures soient guidées par une conception spirituelle, mais constituent une évolution par rapport à ses devanciers qui jetaient les cadavres dans des fosses naturelles, voire en mangeaient des parties.
– H. Neanderthalensis (- 430 000 à – 30 000 ans)
– H. Sapiens (- 300 000 à aujourd’hui)

H. Neanderthalensis et H. Sapiens furent des inventeurs comme leurs prédécesseurs.
Mais au lieu d’inventer de quoi se faciliter la vie, ils firent l’inverse !

  • Pendant plus de 200 000 ans, le rapport à l’après-vie semble inexistant
  • Apparition d’un changement majeur (entre 100 000 et 30 000 ans)
  • Premières sépultures avec objets et bijoux marquant un intérêt pour l’après-vie terrestre
  • Apparemment concomitant des peintures murales qui semblent indiquer aux chasseurs le choix de proies à offrir en offrande
  • Possible explication de l’évolution vers l’élevage (futures offrandes aux dieux) (R. Girard)

Spiritualisation de l’homme

Pour la science l’homme est un animal évolué grâce à son cerveau
Pour le judéo-christianisme, Dieu crée une âme pour chaque corps conçu
Pour le catharisme, le démiurge a incorporé des extensions de l’Esprit unique, émané de Dieu, dans des enveloppes charnelles pré-existantes.
C’est ce que l’on appelle la chute des esprits-saints.
La création et la chute des esprits-saints peuvent nous sembler naïves aujourd’hui.
Pourtant elles mettent en lumière un phénomène important :

  • La création du monde est antérieure à la chute des esprits-saints
  • La chute des esprits-saints modifie une partie de la création maligne

La vision scientifique est très cohérente à l’exception de deux moments :

  • Le big bang que nul ne peut expliquer scientifiquement, sauf dans l’hypothèse récente du temps stellaire
  • Le changement d’attitude des H. Neanderthalensis et H. Sapiens face à leurs morts qui intervient tardivement et est contre-nature !

Témoignages médiévaux

Contrairement aux manichéens (Épitre du Fondement), les cathares ne cherchent pas à donner une explication précise du premier contact entre le Mal et le Bien.
Dans le Livre des deux principes (Liber de duobus principiis) :

  • Animosité du Mal envers le Bien
  • Création spirituelle
  • Dieu « tolère » l’action du Mal
  • Dieu n’a pas créé ce qui est du Mal

Création spirituelle :

Hébreux : « C’est pourquoi (en parlant des anges), l’Écriture dit que des esprits, Dieu en a fait ses anges, et que, des flammes ardentes, il en fait ses ministres » (Hébr., I, 7).

Livre des deux Principes :
« Il résulte de tout ce qui précède qu’il est absolument impossible de croire que le Seigneur vrai Dieu a créé, directement et dans le principe, les ténèbres et le mal, ni surtout qu’ils les a créés à partir du néant, comme nos adversaires le croient expressément, bien que Jean leur ait affirmé, dans la première épître : « Que Dieu est la lumière même et qu’il n’y a point en lui de ténèbres » (I Jean, I, 5), et que, par conséquent, les ténèbres ne sont point par lui. » Livre des deux principes Jean de Lugio (13e siècle)

« Le diable alla à la porte du Paradis… il resta à la porte pendant mille ans. Puis il entra par fraude. Il persuada les esprits et les âmes qui tombèrent du ciel pendant neuf jours et neuf nuits.

Le père céleste se leva de son trône et posa le pied sur le trou pour arrêter la chute des esprits. Dieu dit aux esprits tombés : «  Allez maintenant, pour le moment ! » » Inquisition de Pamiers – Jacques Fournier t II Sibylle Peire

Chute des esprits :

Lucifer va corrompre les esprits saints dans la création spirituelle pour les kidnapper.
Interrogatoires de l’Inquisition de Pamiers :

  • Lucifer pénètre au paradis et corrompt les esprits saints (Jean Maury de Montaillou)
  • Chute des esprits en raison du combat (réf. à Apo. 12,4)
  • Enfermement dans les tuniques d’oubli (corps humains)

« Mon père me dit, à l’époque où j’habitais avec lui à Montaillou, avant qu’il ne fût cité ou arrêté, que le diable était resté trente-deux ans à la porte du paradis; puis il entra au paradis, et y introduisit avec lui une femme. Et quand il fut au paradis, il dit à ceux qui y étaient qu’il leur donnerait une épouse de ce genre, qu’ils aimeraient leurs épouses et qu’elles les aimeraient beaucoup. Le diable leur dit aussi que leur seigneur ne leur donnait que le bien, mais lui leur donnerait le mal et le bien. Et eux crurent le diable, car le mal est en plus grande abondance que le bien, et a un plus grand renom. Il leur dit aussi qu’il leur donnerait d’être seigneurs les uns sur les autres, et de prendre une bête avec une autre, ou un oiseau avec un autre. »

« Puis le diable fit un ciel de verre, et quand il l’eut fait il dit qu’il était dieu. Dieu lui répondit qu’il était un dieu étranger. Et quand Dieu eut dit cela, le diable tomba du ciel avec son ciel de verre, avec la femme, et tous ceux qui avaient cru en lui – Et il eut le monde en son pouvoir, justes et pécheurs, et ils allaient en enfer. Et tout cela était l’œuvre du diable. » (Jean Maury Fournier t. 3 p. 737)

Apocalypse 12, 4 : « Sa queue entraînait le tiers des étoiles du ciel, et elle les envoya sur la terre. »

Analyse cathare moderne

Les esprits-saints emprisonnés apportent une nette amélioration aux corps déjà créés, mais pas dans le sens pratique habituel.
C’est dans le domaine spirituel que se produit le changement.
Ce que la science ne peut expliquer, le catharisme peut en proposer une explication cohérente : la chute des esprits-saints a transformé l’animal humain préhistorique en Adam, le premier homme composé d’une part mondaine et d’une part spirituelle.
Cette incorporation n’a rien d’une osmose ; corps mondain, d’origine maléfique et esprit-saint, extension de l’Esprit unique cohabitent comme l’huile et l’œuf dans la mayonnaise. Il suffit d’un rien pour les séparer.
L’objectif du catharisme est de permettre à chaque humain de se rappeler cela pour accéder à l’éveil.
Ensuite, par un comportement adapté, chacun pourra développer sa part spirituelle au détriment de sa part mondaine.
Au final, quand le corps mondain mourra, l’esprit-saint libre et éveillé pourra retourner auprès du Père. C’est la résurrection de l’esprit-saint qui fera de chacun un Christ.
Cette progression ne peut débuter que par l’éveil qui est le moment où l’humain, dominé par sa nature mondaine, va faire sienne cette conception et n’aura plus d’autre urgence que de développer ses savoirs pour acquérir la connaissance qui est l’union des savoir de la foi et de l’éveil afin de pouvoir faire sa bonne fin et libérer sa part spirituelle.

Quels sont les enjeux scientifiques du catharisme d’aujourd’hui ?

  1. Proposer une analyse cohérente du début de l’univers (big bang, multivers, inflation, etc.)
  2. Proposer une réponse adaptée à la vie intelligente dans l’univers
  3. Imaginer une régulation des esprits-saints prisonniers ici-bas
  4. Faire de la science un outil pour la réflexion cathare, notamment dans le domaine cosmogonique
  5. Faire du catharisme une force de proposition quand la science bute sur des situations apparemment inexplicables

Car comme le disait Einstein : « La science sans religion est boiteuse, la religion sans science est aveugle. »

Guilhem de Carcassonne – Prêche du 16 mars 2025


[1] Un reportage récent indiquait que l’Univers existait avant le big bang qui n’est que le début de l’ère stellaire de l’Univers, ce dernier étant auparavant strictement ténébreux et constitué de matière noire qui « tissa » une sorte de toile dont les intersections furent le support permettant l’éclosion des premières étoiles. Il indiquait également cette période stellaire, donc lumineuse, verrait sa fin lors de l’extinction de la dernière naine rouge qui pourrait survenir dans environ un millier de milliards d’années. Alors, les ténèbres reprendront toute la place. Cela ressemble à la conception cathare.

[2] Le terme esprit-saint est utilisé pour différencier cette extension de l’Esprit unique, appelée âme par les judéo-chrétiens, de l’ordonnatrice mondaine chargée de maintenir les parts spirituelles prisonnières de ce monde, que nous appelons âme mondaine.

Les chemins vers Dieu

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Les chemins vers Dieu

La lecture du Pentateuque, équivalent de la Torah juive, nous indique les règles à suivre pour être un bon juif aux yeux de Iahvé. De même, le chapitre 5 de l’Évangile selon Matthieu propose un sermon, dit sur la montagne, qui trace le comportement que doit avoir celui qui souhaite cheminer vers son salut.
La mise en exergue de ces deux textes devrait nous aider à confirmer ce qui vient du monde et ce qui vient du spirituel.

Le décalogue

Voici le texte issu du chapitre 20 de l’Exode :
« Élohim dit toutes ces paroles en ces termes :
« Je suis Iahvé, ton Dieu, qui t’ai fait sortir du pays d’Égypte, de la maison des esclaves :

  • Tu n’auras pas d’autres dieux en face de moi.
  • Tu ne te feras pas d’idole, ni aucune image de ce qui est dans les cieux en haut, ou de ce qui est sur la terre en bas, ou de ce qui est dans les eaux sous la terre.
  • Tu ne te prosterneras pas devant eux et tu ne les serviras pas. Car moi, Iahvé, ton Dieu, je suis un Dieu jaloux, punissant la faute des pères sur les fils, sur la troisième et sur la quatrième génération, pour ceux qui me haïssent, et faisant grâce jusqu’à la millième pour ceux qui m’aiment et observent mes commandements.
  • Tu ne prononceras pas en vain le nom de Iahvé, ton Dieu, car Iahvé n’innocente pas celui qui prononce son nom en vain.
  • Souviens-toi du jour du Sabbat pour le sanctifier : six jours tu travailleras et tu feras toute ta besogne, mais le septième jour est le Sabbat pour Iahvé, ton Dieu ; tu ne feras aucune besogne, ni toi, ni ton fils, ni ta fille, ni ton serviteur, ni ta servante, ni ton bétail, ni ton hôte qui est dans tes portes, car en six jours Iahvé a fait les cieux et la terre et la mer, et tout ce qui est en eux, mais il s’est reposé au septième jour. C’est pourquoi Iahvé a béni le jour du Sabbat et l’a sanctifié.
  • Honore ton père et ta mère, afin que se prolongent tes jours sur le sol que te donne Iahvé, ton Dieu.
  • Tu ne tueras pas.
  • Tu ne commettras pas d’adultère.
  • Tu ne voleras pas.
  • Tu ne déposeras pas de faux témoignage contre ton prochain.
  • Tu ne convoiteras pas la maison de ton prochain.
Tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain, ni son serviteur, ni sa servante, ni son bœuf, ni son âne, ni tout ce qui est à ton prochain.»

Essayons de la résumer un peu, afin d’y retrouver les dix commandements :

  1. Tu n’auras pas d’autre dieux que moi ;
  2. Tu ne feras pas d’idole ou d’image de quoi que ce soit et tu ne les adoreras pas ;
  3. Tu ne prononceras pas le nom de Iahvé en vain ;
  4. Tu respecteras le Sabbat ;
  5. Tu travailleras six jours ;
  6. Tu te reposeras le septième ;
  7. Honore ton père et ta mère ;
  8. Tu ne tueras pas ;
  9. Tu ne déposeras pas de faux témoignage contre ton prochain ;
  10. Tu ne convoiteras pas la maison de ton prochain ni rien de ce qui est à lui.

Iahvé impose sa loi d’airain au juif et lui rappelle qu’il est jaloux et peut devenir méchant envers ceux qui ne respectent pas sa loi. Il interdit les conflits avec les prochains, c’est-à-dire ceux qui partagent la même foi, mais nous savons que lui-même ne se fixe pas de limite envers les juifs et qu’il les autorise, voire les incite à la violence envers les autres humains. Nous sommes clairement dans un contexte de loi positive. Le but est d’établir une justice dont le seul étalon est Iahvé lui-même.

On ne peut rejeter ce texte dans sa totalité, notamment pour les quatre derniers éléments.

Ce texte ne cherche pas à mettre en avant la spiritualité ; c’est un contrat qui impose des règles à suivre pour ne pas être sanctionné. En échange les juifs considéraient pouvoir tout attendre de Iahvé.

Cela rend cette loi facile à suivre, même si elle peut sembler difficile à respecter.

Le sermon sur la montagne

« Magnifiques les pauvres par esprit car le règne des cieux est à eux.
Magnifiques les endeuillés car on les consolera.
Magnifiques les doux car ils hériteront de la terre.
Magnifiques les affamés et assoiffés de justice car on les rassasiera.
Magnifiques les miséricordieux car on leur fera miséricorde.
Magnifiques les cœurs purs car ils verront Dieu.
Magnifiques les pacifiques car on les appellera fils de Dieu.
Magnifiques les poursuivis pour cause de justice car le règne des cieux est à eux.
Magnifiques, vous autres quand on vous injuriera et poursuivra, qu’on dira de vous, à tort, toute sorte de mal à cause de moi. »

Dans ce texte les choses sont très différentes. Il n’est plus question de contrat, mais d’état d’être. Encore faut-il bien le comprendre pour en saisir la profondeur, ce qui n’est pas toujours le cas des exégètes qui s’y sont essayés.

Notre approche spirituelle devrait nous aider à y parvenir.

Reprenons chaque élément :
Les pauvres par esprit (et non pas les pauvres d’esprit) sont ceux qui pratiquent l’humilité.
Les endeuillés sont les repentants qui seront alors accessibles à la consolation.
Les doux sont les non-violents qui n’auront personne pour les combattre.
Les affamés et assoiffés de justice sont ceux qui voudront toujours mieux pour tous.
Les miséricordieux sont ceux qui n’auront rien à reprocher à quiconque.
Les cœurs purs sont ceux qui auront su laisser leur esprit se libérer de sa gangue mondaine.
Les pacifiques sont ceux qui auront su éteindre en eux les passions commandées par la sensualité
Les poursuivis pour cause de justice sont ceux qui auront à subir, mais jamais à accuser.
Les injuriés et accusés à tort sont ceux qui suivront la voie de Christ quelles qu’en soient les conséquences.

Ce qui frappe de prime abord à la lecture de ces derniers versets est leur proximité avec la Règle de justice et de vérité qui suivaient et suivent les cathares consolés. Tout y parle de nous et jamais des autres, contrairement à la loi mosaïque. C’est en nous que nous devons régler les problèmes pour être en accord avec notre foi. C’est l’équivalent de la philosophie grecque qui n’était possible que si l’on vivait au quotidien en accord avec ses préceptes.

« Vous êtes le sel de la terre. Si le sel s’affadit, avec quoi le saler ? Il n’est plus bon à rien qu’à être jeté dehors et piétiné par les hommes. »
Là encore l’exhortation porte sur ce que nous devons être du moment où nous avons conscience de notre état spirituel.

« Vous êtes la lumière du monde. Une ville située sur une montagne ne peut se cacher.
On n’allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau, mais sur le lampadaire, et elle brille pour tous dans la maison.
Qu’ainsi votre lumière brille devant les hommes pour qu’ils voient vos belles œuvres et glorifient votre père qui est dans les cieux. »
Ce qui nous est rappelé ici est qu’il ne faut pas agir en secret, par volonté élitiste ou par peur, mais au contraire, savoir affirmer ce que l’on est sous peine de ne l’être plus. Pour autant ce n’est pas un appel à la vanité.

« Ne croyez pas que je suis venu défaire la Loi ou les Prophètes ; je ne suis pas venu défaire, mais remplir.
Car je vous le dis, si votre justice n’a rien de plus que celle des scribes et des pharisiens, vous n’entrerez pas dans le règne des cieux. »
Ces deux versets peuvent interroger, mais une lecture précise permet de lever l’apparente ambiguïté.
Le but n’est pas de rejeter la loi mosaïque qui, du point de vue chrétien est accomplie, c’est-à-dire arrivée à son terme comme toute tâche accomplie.
Le but est de lui substituer la Bienveillance qui s’exprime à un niveau bien plus élevé.
Et pour confirmer les choses il est clairement précisé que suivre la loi mosaïque est insuffisant pour être sauvé. On retrouve cela dans l’épisode de l’homme riche venu demander à Jésus comment être un homme de bien, puis de préciser comment devenir un saint. Cela confirme aussi le verset 8, 44 de l’Évangile selon Jean où Iahvé est traité de diable, car sa loi égare les esprits-saints au lieu de les sauver.

« Et moi je vous dis que quiconque se met en colère contre son frère sera passible du jugement… Sois vite arrangeant avec ton adversaire pendant que vous êtes en chemin ensemble, de peur que ton adversaire te livre au juge et le juge, au garde, et que tu sois jeté en prison. »
Ce précepte de l’arrangement amiable, y compris à perte est prégnant dans le catharisme et on en voit un exemple avec Pierre Authié qui met ses affaires en ordre avant de partir en Italie faire son noviciat avec son frère.

« Moi je vous dis que celui qui regarde une femme pour la convoiter est déjà adultère avec elle dans son cœur.
On a dit : Celui qui renvoie sa femme, qu’il lui donne une répudiation. Et moi je vous dis que quiconque renvoie sa femme, sauf cas de prostitution, la rend adultère, et celui qui se marie avec une répudiée est adultère. »
Là encore nous voyons deux points de la doctrine cathare : limiter les contacts avec l’autre sexe, par prudence et par humilité, car la sensualité par laquelle notre âme mondaine nous tient prisonniers ici-bas est très puissante. L’autre point sous-entendu est celui du respect des engagements de couple. On n’abandonne pas l’autre quand cela nous chante, mais uniquement quand les engagements sont accomplis ou quand l’autre nous en détache en toute liberté.

« Je vous dis de ne pas jurer du tout, ni par le ciel, ni par la terre. Ne jure pas non plus par ta tête ; que votre parole soit : oui oui, non non ; le surplus est du mauvais. »
Nous voyons ici pourquoi la règle cathare interdit toute forme de jugement et de serment. Qu’il s’agisse du jugement de l’autre ou de l’affirmation, c’est-à-dire de la vanité qui nous pousse à croire que nous détenons la vérité. Il conseille donc d’affirmer avec parcimonie, sans rien ajouter qui peut invalider notre témoignage. Au total la loi de ce monde, durera autant que durera le monde car les hommes ne peuvent s’en passer, mais cela ne veut pas dire qu’elle est éternelle. Seule la Bienveillance qui vient du seul Dieu sera éternelle. On ne doit donc rien retirer à la loi du monde, mais il faut lui ajouter beaucoup pour le rendre bienveillante.

« Je vous dis de ne pas vous opposer au mauvais.  Mais quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui aussi l’autre ; et celui qui veut te faire juger pour prendre ta tunique, laisse-lui aussi le manteau. Quiconque te requiert pour un mille, fais-en deux avec lui. Donne à qui te demande et, si on veut t’emprunter, ne te détourne pas. »
Contrairement à la loi mosaïque qui prône une réponse adaptée à la violence reçue (la loi du talion), la Bienveillance prône le Bien en réponse au Mal.

« Vous avez entendu qu’on a dit : Tu aimeras ton proche et détesteras ton ennemi. Et moi je vous dis : Aimez vos ennemis, priez pour ceux qui vous poursuivent. »
Enfin vient le dernier point de l’enseignement. La Bienveillance n’est pas une monnaie ou un objet d’échange ; c’est un don gratuit qui ne se fixe aucune borne. Le Dieu des Juifs n’est donc pas parfait puisqu’il pousse l’homme à préférer son proche à son ennemi. S’il n’est pas parfait il n’est pas Dieu. Ce n’est donc pas lui que nous devons suivre, mais celui que Christ nous donne à connaître et à imiter.

J’espère vous avoir montré combien il est inadapté de lier l’Ancien et le Nouveau Testament, car ce qu’ils contiennent ne parle pas de la même entité spirituelle : Celle de la loi mosaïque qui n’est que le diable se faisant passer pour Dieu et le principe du Bien qui est le seul vrai Dieu qui ne prône que la Bienveillance absolue envers la part de son émanation momentanément tombée sous le pouvoir du Mal.

Publié le 23 février 2025 par Guilhem de Carcassonne

Notre apocalypse

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Notre apocalypse

Ce terme est porteur de deux acceptions très différentes. La plus commune évoque une catastrophe porteuse de la menace de la fin du monde ; la peur la plus importante qu’un être humain puisse concevoir. L’autre est de portée religieuse et nous parle d’une révélation que nous propose Christ.

Le titre de ce prêche est, selon l’acception antique ou moderne, selon notre compréhension cathare, à la fois le début et la fin. Je vous propose de vous en livrer ma compréhension afin que vous vous en imprégniez profondément, car de cette compréhension dépendra sans aucun doute le devenir de votre part spirituelle en ce monde malin.

La révélation

Le texte, attribué à Jean le disciple, qui figure dans le Nouveau Testament, révèle à ce dernier comment se passera la fin du monde et le devenir des hommes selon qu’ils auront suivi l’enseignement reçu de Christ ou qu’ils l’auront ignoré.

Mais la vraie révélation que Christ nous apporte est que pour atteindre le salut, il ne faut plus suivre seulement la loi mosaïque qui est faite pour vivre dans ce monde, mais suivre le seul commandement que Christ nous enseigne qui nous permettra d’être hors du monde, voire parfois en opposition avec le monde.

« Un chef lui demanda : Bon maître, qu’est-ce que je peux faire pour hériter de la vie éternelle ? Jésus lui dit : Pourquoi me dis-tu bon ? Personne n’est bon, que Dieu seul. Tu sais les commandements : Tu ne seras pas adultère, tu ne tueras pas, tu ne voleras pas, tu ne témoigneras pas à faux ; honore ton père et ta mère. Il dit : J’ai gardé tout cela dès ma jeunesse. À cette parole, Jésus lui dit : Une chose te manque encore : vends tout ce que tu as et distribues-en le prix aux pauvres ; et tu auras un trésor dans les cieux. Et viens ici, suis-moi. À ces paroles il devint triste, car il était fort riche. Jésus le vit et dit : Comme il est difficile à ceux qui ont des richesses d’entrer dans le règne de Dieu ! Il est en effet plus facile à un chameau d’entrer par un trou d’aiguille, qu’à un riche d’entrer dans le règne de Dieu. Ceux qui l’écoutaient lui dirent : Et qui peut être sauvé ? Il dit : Ce qui est impossible aux hommes est possible à Dieu. Et Pierre lui dit : Voilà, nous avons laissé nos affaires pour te suivre. Il leur dit : Oui je vous le dis, personne n’aura laissé maison, femme, frères, parents ou enfants à cause du règne de Dieu, qu’il ne reçoive à l’instant plusieurs fois autant et, dans l’âge qui vient, la vie éternelle. » (Lc 18, 18-30 – Matth. 19, 16-26)

« Je vous donne un commandement nouveau : vous aimer les uns les autres comme je vous ai aimés, vous aussi vous aimer les uns les autres. Par là tous sauront que vous êtes mes disciples, si vous avez de l’amour les uns pour les autres. » (Jn 13, 34-35).

La révélation qui nous est donnée n’est pas de ce monde en cela qu’elle ne nous impose pas des pratiques mondaines, comme le fait la loi mosaïque (aimer Dieu, aimer ses proches…). Elle nous montre que la seule loi qui nous donnera accès au salut est contraire aux pratiques du monde et qu’elle fera de nous des parias : aimer sans distinction et sans limite. Cela met en avant notre dualité : la première est notre part mondaine qui se fixe une morale en suivant la loi mosaïque et la seconde est notre part spirituelle qui ne connaît aucune règle, mais se contente d’aimer. C’est ce que les cathares appelaient laisser mourir en nous la part mondaine constituée d’un élément animal animé survalorisé par l’emprisonnement de l’esprit-saint (l’Adam primordial) et laisser ressusciter la part spirituelle détachée du monde et prête à rejoindre Dieu (le Christ).

La compréhension et l’adoption de cette révélation marque le passage entre l’état de sympathisant ou de croyant débutant et celui de croyant affirmé. Ce passage est, à mon avis, le plus difficile et générateur de souffrance de tout le cheminement cathare, car il exige l’acceptation pleine et entière que ce monde est du diable, malgré les points positifs que nous pouvons lui trouver, et qu’il faut donc le rejeter pour qu’il perde tout pouvoir sur nous et permettre à notre part spirituelle de guider nos pas. Cet abandon du monde est un crime aux yeux du monde qui ne manquera pas de nous le faire payer cher. C’est pour cela que, consciemment ou non, nous résistons violemment à cette obligation, car tout en nous : notre culture, notre inconscient, notre volonté s’oppose à un choix qui se présente comme une impasse sans possibilité de retour. En effet, faute de pouvoir expérimenter sans risque une telle hypothèse, notre mondanité nous enjoint de la refuser, comme nous refuserions de sauter d’un avion sans parachute ou de nager sans protection au milieu des requins.

Seuls ceux qui auront été éblouis par la puissance de cette révélation pourront envisager de la suivre comme le joueur de poker persuadé de sa main n’hésite pas à jeter tous ses jetons sur le tapis.

C’est ce que Paul fit en son temps et qu’il nous rappelle dans ses lettres :

« Le langage de la croix en effet est stupidité pour ceux qui périssent mais, pour nous qui sommes sauvés, il est puissance de Dieu, » (Première lettre aux Corinthiens 1, 18)

« Alors que les Juifs demandent des signes et que les Grecs cherchent une sagesse, nous autres, nous prêchons un christ crucifié, embûche pour les Juifs et stupidité pour les nations, un christ puissance de Dieu et sagesse de Dieu pour les appelés, Juifs ou Grecs ; car la stupidité de Dieu est plus sage que les hommes et la faiblesse de Dieu est plus forte que les hommes. » (1 Cor. 1-23-25)

« J’aurais beau parler les langues des hommes et des anges, si je n’ai pas de charité, je ne suis qu’un cuivre retentissant, une cymbale glapissante ; j’aurais beau prophétiser, savoir tous les mystères et toute la science, j’aurais beau avoir toute la foi au point de déplacer des montagnes, si je n’ai pas de charité, je ne suis rien ; quand je donnerais tous mes biens en pâture, quand je livrerais mon corps aux flammes, si je n’ai pas de charité, cela ne me sert à rien. » (1 Cor. 13, 1-3)

Cet homme érudit et disposant d’une place éminente dans la société juive de son époque, n’a pas hésité à tout sacrifier sur la base d’une simple « vision » qu’il fut le seul à ressentir. Sachant ce que cela lui a apporté par la suite, qui sommes-nous pour penser qu’il aurait eu tort ?

C’est pourquoi j’insiste à dire que quiconque refuse de lâcher prise en ce monde se ferme la porte du salut, car ce monde n’est pas de Dieu et qu’il est fait pour nous maintenir prisonniers ici-bas. Cela nous concerne tous, que ce monde nous ai favorisés ou, au contraire, qu’il nous ai maltraité, car dans les deux cas il crée des liens fermes et quasi-indissolubles, soit pour améliorer la situation qui est la nôtre qui ne nous satisfait jamais réellement.

Abandonner le monde n’est pas un choix que l’on peut faire de façon partielle. Il faut être en état de quitter ce monde à tout instant comme nous le rappelle l’autre acception du terme apocalypse.

La fin du monde : échec ou salut

C’est aujourd’hui l’acception la plus commune d’apocalypse qui est synonyme de catastrophe majeure assimilable à la fin du monde, non pas comme élément malin auquel nous n’avons aucune part, mais comme le seul monde que nous connaissions faute d’éveil spirituel.

Cela explique le caractère terrible que revêt ce terme pour ceux qui ne se sont pas éveillés par la pleine conscience de la révélation. Ce terme porte aussi l’idée intrinsèque que l’événement dramatique est imprévisible pour nous qui devrons le subir et programmé par celui qui le déclenchera. En effet, pour les judéo-chrétiens, c’est la seconde parousie de christ qui enclenchera l’apocalypse. Pour les cathares les choses sont moins clairement datées. Si du point de vue humain le déclenchement du phénomène est également imprévisible, la responsabilité de ce déclenchement n’est pas imputable à une entité — que ce soit, Dieu, le christ ou le diable —, mais dépend d’un équilibre précaire qui sera rompu par une sorte d’usure.

Pour les chrétiens, ce caractère imprévisible est largement documenté dans Le Nouveau Testament :

« Mais le jour et l’heure, personne ne les connaît, ni les anges des cieux, ni le Fils, mais seulement le Père. » (Matth. 24, 36)

« Prenez garde, chassez le sommeil, car vous ne savez pas quand c’est l’instant. » (Mc 13, 33)

Pour répondre à ce phénomène aussi imprévisible qu’inéluctable il faut être prêt, comme le rappelle Matthieu :

« Alors le règne des cieux sera pareil à dix vierges qui ont pris leurs lampes et sont sorties au-devant du marié. Cinq d’entre elles étaient stupides et cinq, sensées. Les stupides avaient pris leurs lampes mais elles n’avaient pas pris d’huile ; les sensées avaient pris de l’huile dans des récipients en même temps que les lampes. Comme le marié tardait, elles se sont toutes assoupies et se sont endormies. Au milieu de la nuit, il y a eu un cri : Voilà le marié ! Sortez au-devant de lui ! Alors toutes ces vierges se sont levées pour garnir leurs lampes. Et les stupides ont dit aux sensées : Donnez-nous de votre huile, parce que nos lampes s’éteignent. Les sensées ont répondu : Cela ne suffirait pas pour nous et pour vous ; allez plutôt en acheter chez les marchands. Pendant qu’elles y allaient le marié est venu et celles qui étaient prêtes sont entrées avec lui aux noces, et on a fermé la porte. Enfin viennent aussi les autres vierges, qui disent : Seigneur, seigneur, ouvre-nous. Mais il leur répond : Oui je vous le dis, je ne vous connais pas. Réveillez-vous donc car vous ne savez ni le jour ni l’heure. » (Matth. 25, 1-13)

Pour les cathares, nous ne quitterons ce monde que nous assimilons à l’enfer que lorsque nous aurons fait nôtre le commandement de Christ, la Bienveillance absolue et que nous l’aurons pratiquée jusqu’à notre dernier souffle. Faute de quoi nous reviendrons dans une nouvelle enveloppe charnelle, mais sans la moindre garantie que cette nouvelle vie permettra d’entrevoir cette possibilité de salut comme c’est le cas aujourd’hui, car il n’y a pas, du point de vue cathare, de progressivité et de mémorisation d’une vie à l’autre. Comme l’énonçait naïvement Bélibaste, l’« âme » libérée du corps erre nue et tremblante et se jette dans le premier corps naissant disponible.

En fait, comme je viens de vous le montrer, l’apocalypse — du point de vue cathare —, est l’alpha et l’oméga du cheminement cathare puisqu’elle marque à la fois l’éveil et le salut du croyant et du consolé.

Le point commun entre ces deux extrêmes est la compréhension de la nécessité de quitter le monde, dans ses œuvres en attendant la mort de la prison charnelle qui nous contraint, mais que nous pouvons surmonter.

Or, c’est le point crucial qui constitue la principale pierre d’achoppement pour tous ceux qui souhaitent s’engager dans la foi cathare. C’est donc au moment où la volonté d’engagement est la plus faible que cet obstacle se dresse devant vous.

Mais l’objectif en vaut la peine. Aussi, si vous découvrez le catharisme, ne vous inquiétez pas de ce passage, car quand il surviendra devant vous vous serez mieux à même de le surmonter. Si vous êtes déjà convaincu que le catharisme est la seule voie vers le salut pour vous, ne procrastinez pas et faites le ménage dans vos chaînes mondaines. Après coup vous en ressentirez les bénéfices immédiats comme le prisonnier à qui on vient de retirer ses entraves.

Contrairement à l’intention du texte judéo-chrétien qui clôt le Nouveau Testament, dont l’objectif était de terroriser les communautés pauliniennes pour les forcer à revenir au judéo-christianisme de Rome, l’apocalypse n’a que des significations positives : accéder à l’éveil d’une part et au salut d’autre part.

© le 19 janvier 2025 par Guilhem de Carcassonne

L’esprit souffle où il veut

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L’esprit souffle où il veut

« L’Esprit souffle où il veut et tu entends sa voix, mais tu ne sais d’où il vient ni où il va. Ainsi en est-il de quiconque est né de l’Esprit. » Évangile selon Jean, chap. 3, 8.

Dans notre monde, les notions les plus naturelles sont celles que nous pouvons formaliser concrètement, toucher du doigt comme on le dit. Même la philosophie traite de choses concrètes que l’on peut formaliser. C’est pour cela que nous sommes réticents à accepter que des personnes semblent manifester des compétences extra-sensorielles, car on ne peut pas les formaliser, c’est-à-dire les intégrer dans une des cases du tiroir que nous construisons pour expliquer le monde.

Mais le croyant sait intuitivement qu’il existe autre chose.

L’entretien de Jésus avec Nicodème dans l’Évangile selon Jean est très intéressant pour comprendre ce qui différencie celui qui est encore prisonnier du monde de celui qui a déjà lâché prise.

Naître d’en bas et naître d’en haut

Dans cet entretien avec Nicodème, Jésus dit être né d’en haut quand Nicodème est — selon lui —, né d’en bas. Il est facile de comprendre qu’il s’agit de différencier celui qui est issu de l’empyrée divin, domaine de Dieu si l’on peut dire, de celui qui est contraint dans le monde terrestre.

Cela interroge de la part d’un texte issu du document de référence de l’Église catholique qui a fini par s’imposer à toutes les communautés judéo-chrétiennes, à savoir le Nouveau Testament. En effet, il semblerait que cette différenciation évoque deux mondes, donc deux créateurs, ce qui est incompatible avec le dogme judéo-chrétien.

Cette différenciation radicale apparaît ici ou là dans le texte :

« Personne s’il ne naît d’en haut ne peut voir le règne de Dieu. » (Jn 3, 3), « Ce qui est de la chair est chair, ce qui est né de l’Esprit est esprit. » (Jn 3, 6).

Pourtant le dogme judéo-chrétien, matérialisé dans le credo (ou symbole) de Nicée-Constantinople, fait de Dieu le créateur du ciel et de la terre. De même, l’Ancien Testament et des écrits apocryphes relatent des rapports directs entre Dieu et un homme (Abraham, Isaïe, etc.). Il faut alors s’interroger sur la fiabilité de ces textes et se demander si le Dieu qu’ils évoquent est le même que celui que Jésus présente dans les évangiles.

Si être né d’en bas signifie être prisonnier de la matière alors que l’esprit-saint est lui né d’en haut, il faut en conclure que la matière semble avoir un pouvoir supérieur sur l’Esprit. C’est une impression erronée qui oublie une règle fondamentale de la théorie des principes, telle qu’elle nous est expliquée par Aristote. D’ailleurs, ce dernier explique les choses de façon plus précise dans Les analytiques. Si les principes sont préexistants en leur qualité de cause, il faut pour les saisir, admettre l’antériorité d’une connaissance qui permet de les comprendre. Le philosophe considérait que cette connaissance intuitive n’était pas un principe, ce qui ne remet pas en cause la nature des principes, mais qu’elle est l’apanage d’une catégorie d’êtres vivants limitée. Bien entendu, il inclut l’homme dans cette catégorie, car il porte en lui cette capacité à identifier les principes et à les différencier. Dans sa nature provisoire de mélange, l’homme, s’il met en œuvre cette connaissance, accède à cette capacité de séparation des principes. Mais s’il s’abstient de la mobiliser, il se trouve dans le même état que les animaux qui en sont dépourvus et qui n’ont, comme seule référence, que ce monde auxquels ils attribuent toutes les conséquences, bonnes ou mauvaises.

On peut donc dire que cette connaissance préalable aux principes est ce que les cathares appellent l’éveil. Cette connaissance préalable est ce qui fait de nous des « nés d’en haut ».

L’Esprit ne s’adresse qu’à ceux nés d’en haut

Contrairement à l’imagerie populaire, il n’y a pas de dimension physique pour situer l’empyrée divin. Contrairement à ce monde que nous saisissons dans sa dimension physique, l’empyrée divin est partout où se trouvent les parcelles spirituelles que nous croyons détachées de l’Esprit unique. Contrairement aux dires le royaume de Dieu est au-dedans de nous (Lc, 17, 21).

Par conséquent nous devons comprendre que notre parcelle (l’esprit-saint prisonnier dans notre corps) n’est pas séparée de l’Esprit unique, mais qu’il en est une sorte d’extension, momentanément affaiblie par sa prison mondaine. Aussi, quand nous serons éveillés et prêts à aller vers le Père, ce cheminement sera spirituel et grandira d’autant plus que nous abandonnerons le monde comme l’homme qui fait remarquer que le respect des commandements vétéro-testamentaires ne suffit plus à son désir de salut. À la réponse qui lui est faite : « Une chose te manque : vends tout ce que tu as et distribues-en le prix aux pauvres ; et tu auras un trésor dans les cieux. Et viens ici, suis-moi. » (Lc 18, 22), l’homme renonce, préférant son inconfort spirituel à l’inconfort matériel. Et nous ne pouvons qu’y reconnaître notre propre démarche, car nous aussi sommes réticents à changer de comportement pour adopter celui du détachement, comme le fit le fils prodigue.

Pourtant nous ne pouvons pas chercher l’excuse de la non-réception du message divin, car comme le dit Jean : « Le jugement, c’est que la lumière est venue en ce monde et les hommes ont mieux aimé les ténèbres que la lumière parce que leurs œuvres étaient mauvaises. » Ce qui était vrai au premier siècle est toujours valable aujourd’hui. Aussi la plupart préfèrent suivre des guides qui proposent un système spirituel copié sur le système mondain avec des préférés et des rejetés, des saints et des impies, des croyants et des hérétiques en promettant le salut sans effort à ceux qui les suivent.

Donc, si l’Esprit souffle sur tous ceux nés d’en haut, il n’en atteint vraiment que très peu à chaque génération, « car il y a beaucoup d’appelés et peu d’élus » (Matth. 22,14) et que les prédicateurs ne sont pas entendus, car comme l’a dit Christ : « aucun prophète n’est accueilli par sa patrie. » (Lc 4, 24). Cela explique très bien que les gourous de tout poil ont de grandes facilités à trouver des adeptes, alors que les prédicateurs humbles et respectueux n’attirent au mieux, que des quolibets. Mais, cela ne rend que plus respectables celles et ceux qui dans cette adversité arrivent à maintenir la qualité de leur foi et la rigueur de leur pratique spirituelle.

Cet échange entre Jésus et Nicodème met aussi l’accent sur la mission de Christ.

Faire le choix du salut

« Le peuple parla contre Élohim et contre Moïse […] Iahvé envoya contre le peuple les serpents brûlants et ils mordirent le peuple : beaucoup moururent du peuple d’Israël. […] Moïse intercéda pour le peuple et Iahvé dit à Moïse : « Fais-toi un serpent brûlant et place-le sur une hampe : quiconque aura été mordu et le verra, il vivra ! » Moïse fit donc un serpent d’airain et le plaça sur la hampe. » (Nb 21, 6-9). Ce texte original de l’Ancien Testament montre un Dieu violent qui tue son peuple quand celui-ci se plaint de ses conditions de vie dans le désert, puis qui consent à proposer une solution pour limiter le nombre de victimes lié à son propre comportement. Le Nouveau Testament utilise ce document dans un tout autre usage. Il prétend que Christ doit être lui aussi utilisé comme antidote à la maladie mortelle des hommes : l’absence de foi sincère.

D’un point de vue cathare, cette vision sacrificielle est incompréhensible, car Christ est venu nous orienter par la raison et non nous sauver par magie et encore moins en se sacrifiant lui-même. Quant à la cause de notre situation, elle n’est pas le fait de Dieu, comme c’est le cas de Iahvé dans l’histoire du serpent d’airain, mais le fait du démiurge qui nous a emprisonné ici-bas.

Et ce salut que nous propose Christ n’est pas un jugement, car le jugement ne peut intervenir que si l’on agit en contradiction avec sa nature. Étant des parties de l’émanation divine, suivre la voie divine ne donne prise à aucun jugement alors que la renier porte en soi le jugement de l’erreur que nous commettrions. Le problème qui nous met en difficulté est la puissance de contrainte qu’exerce sur nous la part mondaine qui nous emprisonne et nous pousse vers le mal.

Pourquoi Nicodème, de par sa situation au sein du judaïsme, défend-il la vision victimaire des hébreux dans le désert ? C’est par son héritage polythéiste et anthropomorphique des religions égyptienne, babylonienne et de leur origine indo-européenne, qu’il ne peut concevoir l’organisation spirituelle que comme un miroir de l’organisation temporelle du monde. Et dans cette vision, il convient de choisir un camp et de s’opposer aux autres. Mais, il semble bien avoir été ébranlé dans ses convictions par cette pensée religieuse totalement détachée du monde et entièrement tournée vers la Bienveillance. Là où les judéo-chrétiens voient un sacrifice quand le juste est martyrisé par les autres, le chrétien authentique voit un accident inévitable pour qui met en œuvre la Bienveillance dans un monde qui ne connaît que la violence. On s’étonnait que les victimes des bûchers de la croisade et de l’Inquisition aient pu avancer vers leur supplice en chantant. Mais là où les ignorants croyaient voir du fanatisme, il n’y avait que la volonté de réussir le retour vers Dieu, malgré une méthode violente contre laquelle ils n’avaient que leur amour à opposer.

Choisir entre la lumière et les ténèbres

Nous aussi nous devons nous interroger sur ces deux points essentiels.

Devons-nous choisir de privilégier notre nature spirituelle dont nous sentons profondément la cohérence et l’évidence ou devons-nous continuer sur la voie des ténèbres qui nous pousse de plus en plus à devenir ce qui nous fait horreur ?

Devons-nous nous satisfaire des demi-mesures que nous proposent ces religions qui tentent de s’adapter au monde ou celles qui poussent à rejeter les autres au nom d’un élitisme égocentré ou devons-nous considérer que l’avenir n’est ni connu, ni prévisible au risque d’échouer si la mort vient nous saisir à l’improviste ou devons-nous considérer que notre travail vers le salut doit commencer ici et maintenant et se poursuivre sans interruption jusqu’à l’heure voulue par notre destinée mondaine ? Pour reprendre l’image néotestamentaire, prenons-nous le risque de nous endormir avec la lampe éteinte ou de l’approvisionner de façon insuffisante au risque d’être rejeté par le fiancé où faisons-nous le choix de la préparation et de la rigueur pour ne pas rester à la porte ? (Matth. 25, 1-13).

Si nous ne faisons pas le bon choix nous péchons contre notre nature spirituelle et ce péché nous oblige à échouer et à retomber dans la mal une fois de plus sans savoir quand nous pourrons être de nouveau en état de changer de vie.

Si nous voulons en finir avec ces cycles infernaux, nous devons changer de vie et renoncer au monde. Notre seule lanterne doit être le commandement unique de Christ : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. ». Le mettre en œuvre exige de ne pas cheminer seul, mais de mettre nos efforts en commun pour arriver à la connaissance du Bien (l’entendenza del Be des cathares médiévaux) et de poursuivre cet effort sans faiblir dans le cadre de notre ecclésia qui nous instruit et nous soutient.

Plus nous tarderons à faire ce choix, plus notre errance dans ce monde sera difficile, car la fuite des esprits-saints ayant réussi à partir provoque naturellement l’approfondissement de la nature maligne du monde ce qui rend le cheminement encore plus difficile et douloureux.

Publié le 15 décembre 2024 par Guilhem de Carcassonne

Nous ne sommes pas du monde…

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Nous ne sommes pas du monde…

« Si vous étiez du monde, le monde aimerait ce qui est à lui, mais parce que vous n’êtes pas du monde, parce que mon choix vous a tiré du monde, le monde vous hait. » Évangile selon Jean, chap. XV, v. 19.
Cette parole attribuée à l’apôtre et publiée dans un ouvrage de facture judéo-chrétienne, est fondamentale pour l’ecclésia cathare. En effet, le simple fait de croire sincèrement en Dieu et en la parole qu’il nous à faite parvenir, suffit à faire de nous des étrangers à ce monde matériel.

Nous ne sommes pas du monde ?

Il est pourtant extrêmement surprenant d’entendre l’apôtre nous dire que nous ne sommes pas du monde. En effet, si nous sommes enfants de Dieu et si Dieu est le créateur du monde, nous sommes forcément du monde. Nous avons là une contradiction essentielle entre les termes.

Qu’en pense l’envoyé de Dieu selon les textes judéo-chrétiens ?
Matthieu dit : « Le diable l’emmène encore sur une montagne fort haute, lui montre tous les règnes du monde et leur gloire et lui dit : Je te donnerai tout cela si tu tombes prosterné devant moi. » (Matth. 4, 8-9).
Comment comprendre cette affirmation selon laquelle le diable propose d’offrir à Jésus les royaumes du monde dont, a priori, Dieu est le créateur et par conséquent le propriétaire ? Surtout que Jésus ne dément pas cette affirmation.

Mais si le diable est bien le propriétaire du monde et le gérant de ce qui y vit — puisqu’il semble pouvoir en disposer à sa guise —, l’envoyé de Dieu ne peut accepter de se soumettre puisque lui vient de l’empyrée divin qui n’est pas du monde.
Et du coup, cela permet de mieux comprendre l’apôtre Jean qui nous dit dans son Évangile : « Vous avez pour père le diable et vous voulez ce que désire votre père. Il était homicide dès le principe, il ne s’est pas tenu dans la vérité parce qu’il n’y a pas de vérité en lui. Quand il ment il tire de son fond ce qu’il dit parce qu’il est menteur et père du mensonge. » (Jn 8, 44). Dans cette affirmation il s’adresse aux scribes et aux pharisiens venus l’interroger, donc aux représentant du peuple juif. Il leur dit aussi : « Vous êtes d’en bas, moi je suis d’en haut. Vous êtes de ce monde, moi je ne suis pas de ce monde. » (Jn 8, 23).

Il est clair que le maître de ce monde et de ceux qui ne se fient pas à l’envoyé de Dieu est le diable et non le Dieu qui par ailleurs correspond bien dans l’Ancien Testament à la description qui nous est faite de Iahvé. En effet, il ne manque pas d’épisodes où Iahvé tue les hommes ou les fait se tuer entre eux : Déluge, Sodome et Gommorhe, l’épisode du veau d’or, la prise de Jéricho, etc. De même il ment régulièrement aux hommes et ce dès le jardin d’Éden où il omet de dire à ses deux premières créatures qu’elles sont nues. En fait ce texte, fondateur du judaïsme et référence du judéo-christianisme, nous donne à voir une entité plus souvent maligne que bienfaitrice. Or, l’idée que l’on se fait de Dieu est celle d’une entité parfaitement bonne.

Donc, si nous suivons l’envoyé divin, Christ, comme lui nous ne sommes pas du monde et nous devons accepter que ce monde nous en tienne rigueur et nous punisse de notre rébellion.

… mais nous sommes dans le monde

Voilà comment les cathares voyaient la dualité de notre être mondain. Une partie issue de l’Esprit unique, émanation éternelle du principe du Bien et une partie, création maléfique destinée à maintenir la première prisonnière aussi longtemps que possible. Lors de son incorporation charnelle le mélange ainsi produit forme ce que nous appelons l’Adam primordial qui domine tout jusqu’à l’éveil spirituel, où la part spirituelle que j’appelle esprit-saint, provoque l’apparition de Christ en nous, vrai sens de la résurrection.
C’est bien cette conception qui différencie fondamentalement le catharisme des autres religions, dites du Livre.

Cet enfermement mondain est renforcé par l’âme mondaine qui maintient l’esprit-saint prisonnier dans l’ignorance de son état. Nous sommes dans le monde comme le prisonnier est dans sa cellule, mais les conditions de notre enfermement nous empêchent d’en avoir clairement conscience. Mais pourquoi le monde a-t-il voulu nous maintenir enfermé en son sein alors que nous sommes totalement étrangers à lui ? C’est tout simplement parce que notre nature divine, consubstantielle au principe dont nous émanons nous confère l’Être qui fait défaut à la création maligne, par définition limitée à la fois dans le temps et dans sa qualité.

Nous sommes des éléments stabilisateurs du monde, l’empêchant de s’auto-détruire et de retourner au Néant dont il est issu. On peut comparer cela à une aile volante, comme celle qu’utilisent certains parachutistes ou comme celle des parapentistes, qui permet à leurs utilisateurs de voler. Pour autant il n’y a rien de commun entre l’homme et le matériel qu’il utilise pour voler, mais tant qu’il parvient à manœuvrer ces matériels il peut croire qu’il a dépassé sa nature et qu’il est devenu un être volant.

Cette dépendance envers le monde connaît cependant une limite. Cette limite c’est la prise de conscience de notre enfermement. Quand la prison commence à nous apparaître, la manipulation dont nous sommes les victimes perd de sa qualité et nous commençons à nous demander comment faire pour nous évader. Certes, nous sommes très peu nombreux à chaque génération à réussir notre évasion car, comme il est dit par Matthieu (22, 14) : « Il y a beaucoup d’appelés mais peu d’élus. ». En effet, la faute vient de nous puisque nous avons reçu l’invitation par le biais du messager divin, le christ, qui nous dit ce que nous sommes, où nous sommes, où nous devons aller et comment le faire. Mais notre enfermement nous semble plus confortable que les efforts à fournir pour revenir au Père.

Malgré tout, certains entendent et comprennent le message et font ce qu’il faut, ce qui leur permet de quitter définitivement cet enfer. Et même s’ils sont peu nombreux, leur flux est régulier et provoque un déséquilibre entre la partie divine prisonnière et la partie maligne qui la contraint, au bénéfice de celle-ci. C’est pourquoi le retour des esprits-saints vers le Père met en évidence le caractère malin du monde qui se « purifie » dans le Mal dont il est issu. Et cela nous le voyons quotidiennement. Que ce soit dans l’aggravation de l’état du monde sur le plan social, économique, politique et cela met en avant la violence et l’injustice du monde qui est la marque de son appartenance au Mal.

C’est donc en quittant ce monde pour revenir dans l’empyrée divin que nous dévoilons sa nature et confirmons que si nous sommes dans ce monde nous ne sommes pas de lui en quoi que ce soit. C’est la grande leçon qui marque le début du cheminement du croyant : être définitivement convaincu qu’il n’est pas du monde. Bien entendu, le monde ne reste pas passif face à cet éveil spirituel.

S’il fallait résumer cette analyse à une phrase choc, je dirais : Entre deux choix possibles, il faut considérer le pire comme le plus probable.

Pourquoi le monde nous hait ?

« Ne vous étonnez pas, frères, si le monde vous a en haine. » (Première lettre de Jean, 3, 13).
« […] et je vais te dire la raison pour laquelle on nous appelle hérétiques : c’est parce que le monde nous hait, et il n’est pas étonnant que le monde nous haïsse car il a aussi haï notre Seigneur, qu’il a persécuté ainsi que ses apôtres. » (Sermon de Pierre Authié à Pierre Maury[1]).

Pierre Authié est limpide dans son explication donnée au jeune croyant de Montaillou. Il faut cependant la compléter. Ce que le monde hait en nous ce n’est pas notre nature mondaine qu’il nous a donnée, mais notre fonds spirituel qu’il espérait avoir amoindrit au point qu’il ne se manifeste pas. Or, cette part spirituelle n’est pas de ce monde, mais elle nous vient de Dieu dont nous émanons de toute éternité. Et comme les principes du Bien (Dieu) et celui du Mal sont indissociablement étrangers l’un à l’autre, notre part spirituelle est, elle aussi, totalement incompatible avec le monde. C’est cette fracture entre le monde et nous qui explique la haine du monde à notre égard et notre certitude qu’il nous est totalement étranger.
Pour autant cette totale opposition entre part divine et part mondaine — donc maléfique —, ne suffit pas à expliquer l’importance de cette haine. Le monde pourrait ignorer ou mépriser ce qui lui est étranger. Pourquoi le haïr ?

C’est la certitude de son infériorité vis-à-vis du Bien qui fait que le Mal manifeste cette haine. En effet, malgré son apparente supériorité du moment, le monde sait que nous finirons par lui échapper ce qui aura pour conséquence inéluctable sa ruine et son retour au Néant. Cela lui rappelle sans cesse son incompétence à égaler Dieu alors qu’à l’instant donné les apparences sont en sa faveur.

La haine du monde envers nous se manifeste clairement dans la manière dont le monde se délite de plus en plus, comme nous pouvons le constater au quotidien. La souffrance de la plus grande partie de l’humanité, la destruction du monde végétal et animal par l’action de l’homme, mais aussi par l’évolution naturelle qui depuis cinq milliards d’années élimine régulièrement jusqu’à 95% des formes de vies sur la planète, sont autant de manifestation de cette haine. L’état de nature de l’humanité, résultat de notre enfermement, qui nous pousse presque systématiquement à choisir les mauvaises options, est également violent et destructeur ce qui montre que le monde n’est pas capable d’offrir une quelconque forme de stabilité à la flore et la faune et un équilibre bienveillant pour l’humanité. Comment s’étonner dès lors que les humains finissent par s’interroger et en arrivent à conclure que ce monde ne peut venir de Dieu, mais qu’il est l’œuvre du diable ?

Faute de pouvoir espérer une quelconque amélioration de l’œuvre du diable, car comme le disait Raymond Barre — citant Shakespeare — : « On ne dîne pas avec le diable, même avec une longue cuillère.[2] », il faut trouver un moyen de le tenir à distance.

On ne lutte pas contre la haine

Contrairement à ce que l’on pense généralement, la violence n’est pas une réponse durablement efficace face à la haine et à ses manifestations. Pourtant elle est satisfaisante sur le moment et peut même, dans certains cas, désarmer la violence des autres à notre encontre. Mais au lieu de protéger notre confort et notre intégrité physique il faut penser à protéger notre foi et notre intégrité morale. Donc, pour ne pas être considéré comme une proie sans devenir un prédateur, il faut préférer systématiquement la mise à distance et, dans les rares cas où cela sera impossible, renvoyer l’agresseur au risque réglementaire qu’il encourt, car le violent est toujours un lâche qui n’agit que quand il se croit à l’abri de toute sanction.

Si le monde nous hait alors que nous savons que nous ne lui devons rien, il faut résister à la tentation de nous mettre sous sa coupe.
La solution est le détachement vis-à-vis du monde. Pas un détachement ponctuel et partiel, mais un détachement permanent et complet. Si nous ne nous considérons plus comme dépendant du monde, il ne peut plus nous imposer sa haine. Pour cela il faut acquérir une indépendance vis-à-vis du monde en assurant nous-même nos besoins, soit par notre travail direct, soit par le fruit de notre travail. C’est une grande différence entre les chrétiens cathares qui prônent le travail quand d’autres religieux, chrétiens ou autres, prônent la mendicité ou la rémunération de leur activité spirituelle. Ensuite, il faut considérer le monde pour ce qu’il est et le laisser suivre sa route mortifère en allégeant la souffrance de ceux qu’il groie. C’est cela l’empathie. Admettre que le monde va à sa perte et que c’est inéluctable, mais que nous voulons aller vers notre salut, oblige à ne plus nous sentir impliqué dans le monde. Vouloir agir pour le détourner de sa voie est plus vain que de vouloir vider l’océan à la petite cuillère. Par contre, soutenir matériellement et moralement ceux qui sont les victimes du monde est notre manifestation de notre Bienveillance envers nos frères et sœurs d’esprit. Les engagements altruistes envers les personnes sont de cet ordre quand les engagements politiques et syndicaux sont voués à l’échec à terme.

Nous ne sommes pas du monde, mais nous sommes dans le monde. Tout est dit du détachement qui est la première marche que doit gravir le croyant et que nous appelons la lâcher prise.

Publié le 17 novembre 2024 par Guilhem de Carcassonne


[1] Déposition de Pierre Maury in Le registre d’Inquisition de Jacques Fournier 1318-1325, transcrit et traduit par Jean Duvernoy, éditions Privat (Toulouse) – 1965 (version latine, tome 3, page 123, folio 249d) et éditions Mouton (Paris) – 1978 (version française, tome 3, page 924).

[2] La Comédie des Méprises, acte IV, scène III, Shakespeare (1592). Voici la version anglaise : Marry, he must have a long spoon that must eat with the devil (Marry, il doit avoir une longue cuillère celui qui veut manger avec le diable).

Le fils prodigue est-il un modèle ?

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Le fils prodigue est-il un modèle ?

Cette parabole que l’on ne trouve que chez Luc (chap. XV) est clairement construite en opposition totale aux préceptes de l’Ancien Testament.

La parabole du fils prodigue vient dans le même chapitre, après celle et de la brebis perdue et celle de la drachme perdue, comme si l’organisateur du chapitre voulait mettre en avant l’idée de la joie des retrouvailles, alors que pour le fils prodigue cet élément est bien secondaire comme je vais vous l’expliquer ci-après.

L’événement déclencheur

[…] Un homme avait deux fils. Le plus jeune dit à son père : Mon père, donne-moi la part de fortune qui me revient. Il leur a donc réparti son bien et, peu de temps après, le plus jeune fils a tout rassemblé et il est parti pour un pays lointain […]

La parabole nous dit que c’est à sa demande que le plus jeune des deux fils, nanti de la part de la fortune familiale qui lui revient, décide de quitter la maison pour aller vivre pour aller vivre au loin.

Dans le chapitre 3 de la Genèse, Iahvé chasse l’homme et la femme du jardin d’Eden (v. 23) de peur que leur connaissance du bien et du mal (v. 22) n’en fasse l’égal de la divinité et pour s’assurer qu’ils ne pourront revenir, il met en place une garde de Chérubins armés d’épées flamboyantes à la frontière est. Cette frontière est également celle par où partira Caïn après le meurtre d’Abel.

Dans la Genèse c’est le péché ou la faute commis par l’homme et la femme qui conduit Iahvé à les sanctionner. Et pour renforcer la sanction il met en place les moyens d’un impossible retour.

Dans Luc c’est le fils qui fait le choix de partir. Le père, qui n’est pour rien dans ce départ ne fait aucun reproche et ne ferme pas la porte de la maison familiale.

Ce départ volontaire est proche de l’idée que les cathares se faisaient de la chute des esprits-saints (âmes spirituelles) dans la matière mondaine. Eux aussi seraient partis de leur plein gré suite à une manipulation ou mensonge du diable, comme le rappelle la seconde partie du Père saint des croyants cathares que rapporte Jean Maury devant l’inquisiteur :

« … des miens qui sont tombés du paradis, d’où Lucifer les a tiré avec le prétexte de tromperie que Dieu ne leur promet que le bien, et du fait que le diable était très faux, et leur promettait le mal et le bien, et leur dit qu’il leur donnerait des femmes qu’ils aimeraient beaucoup, et leur donnerait seigneurie les uns sur les autres, et qu’il y en aurait qui seraient rois, et comtes, et empereur, qu’avec un oiseau ils en prendraient un autre, et avec une bête une autre ; (que) tous ceux qui lui seraient soumis et descendraient en bas auraient pouvoir de faire le mal et le bien, comme Dieu en haut, et qu’il leur vaudrait beaucoup mieux être en bas, pouvant faire le mal et le bien, qu’en haut où Dieu ne leur donnait que le bien. Et ainsi ils montèrent sur un ciel de verre, et autant qu’ils y montèrent ils tombèrent et périrent…[1] »

Cela nous dit deux choses. Si une part de l’Esprit unique est tombée c’est qu’elle fut trompée par le diable qui l’a divisée, d’où son nom qui vient du grec diabòlos, du latin diabolus et de l’italien diabolo dont un des sens est celui de calomniateur mais aussi de diviseur. Mais aussi, il faut comprendre que cette expérience est impossible à reproduire, puisque désormais l’Esprit unique est informé de cette duplicité. C’est important à comprendre pour que l’épisode de la chute ne puisse être considéré comme reproductible.

La réalité de la nouvelle situation

[…] Là, il a dilapidé sa fortune en vivant comme un perdu. Il avait tout dépensé quand il y a eu une forte famine dans le pays ; et il a commencé à manquer. Alors il est allé s’attacher à un citoyen du pays, qui l’a envoyé dans ses champs faire paître des cochons. Et il convoitait de se remplir le ventre des caroubes que les cochons mangeaient, et personne ne lui en donnait. […]

 Le fils qui a quitté la sécurité de sa famille perd son bien en menant une vie de débauché et il se trouve dans une situation encore pire quand survient une famine. Il touche alors le fond, puisque s’étant mis au service d’un habitant du pays il en vient espérer pouvoir manger la même nourriture que les cochons qu’il garde.

Cette situation correspond à celle de l’humanité, tombée au pouvoir du Mal dans ce monde qui, dans un premier temps, profite des biens de ce monde, mais qui s’aperçoit un jour que cette vie semble sans objet, car elle n’offre pas d’espoir au-delà de la mort, ce qui fait que l’on vit au jour le jour une vie d’esclave de la matière qui nous contraint. Cet espoir d’au-delà nécessite une nourriture spirituelle. C’est ce qui se passe à l’occasion de l’éveil suscité par les savoirs accumulés et analysés qui conduisent à la connaissance.

La parabole met l’accent sur les motifs qui ont conduit le fils à tomber aussi bas, ce qui constitue le titre habituel de cette parabole : prodigue. Cet adjectif est la justification de l’état de déchéance, car il désigne le fait de ne pas avoir su gérer son bien et de l’avoir dilapidé. Mais les cathares voient les choses autrement. Les esprits-saints étant de substance divine sont ignorants du mal et n’ont pas les défauts qui sont notre lot ici-bas, comme la méfiance, la duplicité, le mensonge, etc. C’est pour cela que dès leur chute ils sont enfermés dans des prisons de matière, gérées par l’âme mondaine qui dispose notamment des la sensualité (les cinq sens) pour faire oublier aux esprits-saints leur situation carcérale.

Comme dans le film Matrix®, cette situation convient à la plupart, même si la vie en ce bas-monde n’est pas toujours agréable. En fait la promesse d’un mieux, comme dans les mythes grecs de Sisyphe ou de Tantale, suffit à maintenir l’enfermement. Comme dans la caverne de Platon, le fait d’entrevoir la lumière au bout du long chemin ascendant, ne suffit pas à créer la motivation nécessaire pour nous décider à l’emprunter.

Et nous restons dans notre fange en espérant obtenir mieux un jour.

La contrition et la pénitence

[…] Revenant à lui, il s’est dit : Combien de salariés de mon père ont du pain de trop, alors que moi, ici, je péris de famine ! Je vais me lever et m’en aller chez mon père ; je vais lui dire : Père, j’ai péché contre le ciel et devant toi, je ne suis plus digne d’être appelé ton fils, fais de moi comme l’un de tes salariés. Il s’est levé et il est venu chez son père. […]

La contrition nécessite l’éveil qui permet de distinguer ce qui relève des manquements à la loi mondaine et ce qui relève des manquements à la Loi de Bienveillance. Le terme « revenant » est à ce point de vue très révélateur. Le revenant est certes celui qui est parti, mais aussi celui qui est mort et qui revient partiellement vers les vivants. Cela s’applique aussi à la foi. Les cathares disent qu’il faut laisser mourir en nous l’Adam primordial (l’homme mondain) pour permettre la résurrection du christ en nous (l’homme spirituel). On retrouve cette notion dans plusieurs textes canoniques et apocryphes (résurrection de Lazare, mort de Saphire et Ananias, etc.).

La contrition permet la reconnaissance des erreurs commises et leur considération comme des fautes, ce qui implique de faire preuve d’humilité, quand beaucoup cherchent des responsables extérieurs aux erreurs qui leur sont en fait imputables. Cette contrition est à la base de la démarche de retour au Père, car quand on ne sait pas d’où on vient, comment pourrait-on y retourner ?

Une fois le bilan des erreurs fait de façon complète et honnête, on peut commencer la pénitence. Je parle de pénitence, car il ne faut pas croire que l’éveil fait de nous des supérieurs aux autres. Contrairement à la caverne de Platon où ceux qui se sont détachés et qui voient comment ils ont été trompés, se moquent des autres toujours captifs. Pour nous, cathares, la non-violence et l’humilité imposent le refus de juger. Chacun chemine à sa façon et en son temps, sans esprit de vanité ou de compétition.

La pénitence demande des efforts pour réfréner notre égo en acceptant notre état, de la cohérence pour établir le chemin à suivre et de la constance pour ne pas être découragé par les efforts et les difficultés qui s’annoncent.

Le chemin sera donc long et difficile, sans oublier le doute qui nous taraudera régulièrement.

Le retour au Père

[…] Il était encore loin quand son père l’a vu, s’est ému et a couru se jeter à son cou et lui donner des baisers. Le fils lui a dit : Père, j’ai péché contre le ciel et devant toi ; je ne suis plus digne d’être appelé ton fils. Et le père a dit à ses esclaves ; Apportez vite le meilleur habit et revêtez l’en, mettez-lui une bague au doigt et des chaussures aux pieds ; et amenez le veau gras, immolez-le et mangeons, faisons la fête, car mon fils que voilà était mort et il revit, il était perdu et il est retrouvé. Et ils ont commencé à faire la fête. […]

On retrouve dans cette partie l’implication du berger et de la femme des deux paraboles précédentes. Cela est destiné à motiver celui qui envisage de suivre l’exemple du fils prodigue et lui montrant l’impatience du Père à notre retour. Bien entendu, les choses sont sans doute différentes, car il n’y a pas d’émotion dans l’empyrée divin.

Ce qui est intéressant c’est la contrition déjà évoquée par le fils dans son exil, qu’il réitère devant son père. Car, c’est une chose de comprendre son erreur et c’en est une autre de la reconnaître officiellement devant celui que l’on a trahit.

Nous avons là le déroulé complet de notre histoire spirituelle. Tombés dans la matière par crédulité envers un diviseur, nous nous y sommes complus pendant des milliers d’années de vies perdues, puis nous avons pris conscience de notre erreur et avons décidé de faire amende honorable et de revenir vers le Père. Nous savons que nous serons accueillis, car le principe du Bien ne juge pas.

Ainsi, le christianisme nous donne l’explication de notre situation et le procédé à suivre pour mettre fin à notre exil. Encore faut-il vouloir le comprendre et agir au lieu d’attendre que notre Dieu fasse tout le travail comme dans la parabole de la brebis ou de la drachme perdue.

Le frère aîné

Le chapitre final de la parabole (v. 28 à 30) fait l’objet d’un rajout au texte initial, ce qui explique son incohérence avec le reste du texte.

[…] Son fils aîné était aux champs, mais à son arrivée, quand il a approché de la maison, il a entendu la musique et les danses ; il a appelé un des garçons pour lui demander ce que c’était. Celui-ci lui a dit : Ton frère est là et ton père a fait immoler le veau gras parce qu’il l’a retrouvé valide. Alors il s’est mis en colère, il ne voulait pas entrer. Son père est sorti l’appeler ; mais il a répondu à son père : Voilà tant d’années que je te suis asservi, sans jamais passer outre à ton commandement, et tu ne m’as jamais donné un bouc pour faire la fête avec mes amis ; et quand ton fils que voilà vient de dévorer ton bien avec des prostituées, tu lui immoles le veau gras ! Mais il lui a dit : Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi et tout ce qui est à moi est à toi ; mais il fallait faire la fête et se réjouir, car ton frère que voilà était mort et il revit ; il était perdu et il est retrouvé. […]

On comprend la volonté du scribe qui a rajouté ce final pour le faire coïncider avec la parabole de la brebis et de la drachme perdue. Il s’agit d’une remontrance envers le fils prodigue, dont le retour triomphal a dû choquer la hiérarchie judéo-chrétienne. En effet, son père ne lui reproche rien et le rétablit intégralement dans ses droits antérieurs sans l’ombre d’une punition. Or, quand vous passez au confessionnal, certes le prêtre vous absout, mais il exige une petite pénitence pour vous montrer combien vous étiez dans l’erreur. Là, la pénitence vient du fils et non du père, car c’est celui qui connaît ses fautes qui peut les évaluer et agir en conséquence, comme le faisaient les cathares lors du service mensuel.

Par contre, l’Esprit saint est unique et indivisible, qu’ils soit resté auprès du Père sans être enlevé par le démiurge ou qu’il soit tombé, comme est unique la communauté évangélique qui fait son service mensuel d’une seule voix et qui s’impose la pénitence qu’elle juge adaptée. Le diacre n’est là que pour constater le bon fonctionnement de la communauté.

Vous le voyez, les paraboles sont des leçons destinées à nous permettre de comprendre ce que nous devons savoir et ce que nous devons faire. Le problème est d’en retirer les scories accumulées par les hiérarchies judéo-chrétiennes.

Guilhem de Carcassonne


[1] Registre d’Inquisition de Jacques Fournier – 1318-1325. Déposition de Jean Maury devant l’Inquisition d’Aragon, tome II, pp 461-462 f° CCXIIIv° (version latine), tome III, p. 860 (version française). Jean Duvernoy 1965 (v. lat.) – 1976 (v. franç.).