8 – Église cathare

Notre apocalypse

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Notre apocalypse

Ce terme est porteur de deux acceptions très différentes. La plus commune évoque une catastrophe porteuse de la menace de la fin du monde ; la peur la plus importante qu’un être humain puisse concevoir. L’autre est de portée religieuse et nous parle d’une révélation que nous propose Christ.

Le titre de ce prêche est, selon l’acception antique ou moderne, selon notre compréhension cathare, à la fois le début et la fin. Je vous propose de vous en livrer ma compréhension afin que vous vous en imprégniez profondément, car de cette compréhension dépendra sans aucun doute le devenir de votre part spirituelle en ce monde malin.

La révélation

Le texte, attribué à Jean le disciple, qui figure dans le Nouveau Testament, révèle à ce dernier comment se passera la fin du monde et le devenir des hommes selon qu’ils auront suivi l’enseignement reçu de Christ ou qu’ils l’auront ignoré.

Mais la vraie révélation que Christ nous apporte est que pour atteindre le salut, il ne faut plus suivre seulement la loi mosaïque qui est faite pour vivre dans ce monde, mais suivre le seul commandement que Christ nous enseigne qui nous permettra d’être hors du monde, voire parfois en opposition avec le monde.

« Un chef lui demanda : Bon maître, qu’est-ce que je peux faire pour hériter de la vie éternelle ? Jésus lui dit : Pourquoi me dis-tu bon ? Personne n’est bon, que Dieu seul. Tu sais les commandements : Tu ne seras pas adultère, tu ne tueras pas, tu ne voleras pas, tu ne témoigneras pas à faux ; honore ton père et ta mère. Il dit : J’ai gardé tout cela dès ma jeunesse. À cette parole, Jésus lui dit : Une chose te manque encore : vends tout ce que tu as et distribues-en le prix aux pauvres ; et tu auras un trésor dans les cieux. Et viens ici, suis-moi. À ces paroles il devint triste, car il était fort riche. Jésus le vit et dit : Comme il est difficile à ceux qui ont des richesses d’entrer dans le règne de Dieu ! Il est en effet plus facile à un chameau d’entrer par un trou d’aiguille, qu’à un riche d’entrer dans le règne de Dieu. Ceux qui l’écoutaient lui dirent : Et qui peut être sauvé ? Il dit : Ce qui est impossible aux hommes est possible à Dieu. Et Pierre lui dit : Voilà, nous avons laissé nos affaires pour te suivre. Il leur dit : Oui je vous le dis, personne n’aura laissé maison, femme, frères, parents ou enfants à cause du règne de Dieu, qu’il ne reçoive à l’instant plusieurs fois autant et, dans l’âge qui vient, la vie éternelle. » (Lc 18, 18-30 – Matth. 19, 16-26)

« Je vous donne un commandement nouveau : vous aimer les uns les autres comme je vous ai aimés, vous aussi vous aimer les uns les autres. Par là tous sauront que vous êtes mes disciples, si vous avez de l’amour les uns pour les autres. » (Jn 13, 34-35).

La révélation qui nous est donnée n’est pas de ce monde en cela qu’elle ne nous impose pas des pratiques mondaines, comme le fait la loi mosaïque (aimer Dieu, aimer ses proches…). Elle nous montre que la seule loi qui nous donnera accès au salut est contraire aux pratiques du monde et qu’elle fera de nous des parias : aimer sans distinction et sans limite. Cela met en avant notre dualité : la première est notre part mondaine qui se fixe une morale en suivant la loi mosaïque et la seconde est notre part spirituelle qui ne connaît aucune règle, mais se contente d’aimer. C’est ce que les cathares appelaient laisser mourir en nous la part mondaine constituée d’un élément animal animé survalorisé par l’emprisonnement de l’esprit-saint (l’Adam primordial) et laisser ressusciter la part spirituelle détachée du monde et prête à rejoindre Dieu (le Christ).

La compréhension et l’adoption de cette révélation marque le passage entre l’état de sympathisant ou de croyant débutant et celui de croyant affirmé. Ce passage est, à mon avis, le plus difficile et générateur de souffrance de tout le cheminement cathare, car il exige l’acceptation pleine et entière que ce monde est du diable, malgré les points positifs que nous pouvons lui trouver, et qu’il faut donc le rejeter pour qu’il perde tout pouvoir sur nous et permettre à notre part spirituelle de guider nos pas. Cet abandon du monde est un crime aux yeux du monde qui ne manquera pas de nous le faire payer cher. C’est pour cela que, consciemment ou non, nous résistons violemment à cette obligation, car tout en nous : notre culture, notre inconscient, notre volonté s’oppose à un choix qui se présente comme une impasse sans possibilité de retour. En effet, faute de pouvoir expérimenter sans risque une telle hypothèse, notre mondanité nous enjoint de la refuser, comme nous refuserions de sauter d’un avion sans parachute ou de nager sans protection au milieu des requins.

Seuls ceux qui auront été éblouis par la puissance de cette révélation pourront envisager de la suivre comme le joueur de poker persuadé de sa main n’hésite pas à jeter tous ses jetons sur le tapis.

C’est ce que Paul fit en son temps et qu’il nous rappelle dans ses lettres :

« Le langage de la croix en effet est stupidité pour ceux qui périssent mais, pour nous qui sommes sauvés, il est puissance de Dieu, » (Première lettre aux Corinthiens 1, 18)

« Alors que les Juifs demandent des signes et que les Grecs cherchent une sagesse, nous autres, nous prêchons un christ crucifié, embûche pour les Juifs et stupidité pour les nations, un christ puissance de Dieu et sagesse de Dieu pour les appelés, Juifs ou Grecs ; car la stupidité de Dieu est plus sage que les hommes et la faiblesse de Dieu est plus forte que les hommes. » (1 Cor. 1-23-25)

« J’aurais beau parler les langues des hommes et des anges, si je n’ai pas de charité, je ne suis qu’un cuivre retentissant, une cymbale glapissante ; j’aurais beau prophétiser, savoir tous les mystères et toute la science, j’aurais beau avoir toute la foi au point de déplacer des montagnes, si je n’ai pas de charité, je ne suis rien ; quand je donnerais tous mes biens en pâture, quand je livrerais mon corps aux flammes, si je n’ai pas de charité, cela ne me sert à rien. » (1 Cor. 13, 1-3)

Cet homme érudit et disposant d’une place éminente dans la société juive de son époque, n’a pas hésité à tout sacrifier sur la base d’une simple « vision » qu’il fut le seul à ressentir. Sachant ce que cela lui a apporté par la suite, qui sommes-nous pour penser qu’il aurait eu tort ?

C’est pourquoi j’insiste à dire que quiconque refuse de lâcher prise en ce monde se ferme la porte du salut, car ce monde n’est pas de Dieu et qu’il est fait pour nous maintenir prisonniers ici-bas. Cela nous concerne tous, que ce monde nous ai favorisés ou, au contraire, qu’il nous ai maltraité, car dans les deux cas il crée des liens fermes et quasi-indissolubles, soit pour améliorer la situation qui est la nôtre qui ne nous satisfait jamais réellement.

Abandonner le monde n’est pas un choix que l’on peut faire de façon partielle. Il faut être en état de quitter ce monde à tout instant comme nous le rappelle l’autre acception du terme apocalypse.

La fin du monde : échec ou salut

C’est aujourd’hui l’acception la plus commune d’apocalypse qui est synonyme de catastrophe majeure assimilable à la fin du monde, non pas comme élément malin auquel nous n’avons aucune part, mais comme le seul monde que nous connaissions faute d’éveil spirituel.

Cela explique le caractère terrible que revêt ce terme pour ceux qui ne se sont pas éveillés par la pleine conscience de la révélation. Ce terme porte aussi l’idée intrinsèque que l’événement dramatique est imprévisible pour nous qui devrons le subir et programmé par celui qui le déclenchera. En effet, pour les judéo-chrétiens, c’est la seconde parousie de christ qui enclenchera l’apocalypse. Pour les cathares les choses sont moins clairement datées. Si du point de vue humain le déclenchement du phénomène est également imprévisible, la responsabilité de ce déclenchement n’est pas imputable à une entité — que ce soit, Dieu, le christ ou le diable —, mais dépend d’un équilibre précaire qui sera rompu par une sorte d’usure.

Pour les chrétiens, ce caractère imprévisible est largement documenté dans Le Nouveau Testament :

« Mais le jour et l’heure, personne ne les connaît, ni les anges des cieux, ni le Fils, mais seulement le Père. » (Matth. 24, 36)

« Prenez garde, chassez le sommeil, car vous ne savez pas quand c’est l’instant. » (Mc 13, 33)

Pour répondre à ce phénomène aussi imprévisible qu’inéluctable il faut être prêt, comme le rappelle Matthieu :

« Alors le règne des cieux sera pareil à dix vierges qui ont pris leurs lampes et sont sorties au-devant du marié. Cinq d’entre elles étaient stupides et cinq, sensées. Les stupides avaient pris leurs lampes mais elles n’avaient pas pris d’huile ; les sensées avaient pris de l’huile dans des récipients en même temps que les lampes. Comme le marié tardait, elles se sont toutes assoupies et se sont endormies. Au milieu de la nuit, il y a eu un cri : Voilà le marié ! Sortez au-devant de lui ! Alors toutes ces vierges se sont levées pour garnir leurs lampes. Et les stupides ont dit aux sensées : Donnez-nous de votre huile, parce que nos lampes s’éteignent. Les sensées ont répondu : Cela ne suffirait pas pour nous et pour vous ; allez plutôt en acheter chez les marchands. Pendant qu’elles y allaient le marié est venu et celles qui étaient prêtes sont entrées avec lui aux noces, et on a fermé la porte. Enfin viennent aussi les autres vierges, qui disent : Seigneur, seigneur, ouvre-nous. Mais il leur répond : Oui je vous le dis, je ne vous connais pas. Réveillez-vous donc car vous ne savez ni le jour ni l’heure. » (Matth. 25, 1-13)

Pour les cathares, nous ne quitterons ce monde que nous assimilons à l’enfer que lorsque nous aurons fait nôtre le commandement de Christ, la Bienveillance absolue et que nous l’aurons pratiquée jusqu’à notre dernier souffle. Faute de quoi nous reviendrons dans une nouvelle enveloppe charnelle, mais sans la moindre garantie que cette nouvelle vie permettra d’entrevoir cette possibilité de salut comme c’est le cas aujourd’hui, car il n’y a pas, du point de vue cathare, de progressivité et de mémorisation d’une vie à l’autre. Comme l’énonçait naïvement Bélibaste, l’« âme » libérée du corps erre nue et tremblante et se jette dans le premier corps naissant disponible.

En fait, comme je viens de vous le montrer, l’apocalypse — du point de vue cathare —, est l’alpha et l’oméga du cheminement cathare puisqu’elle marque à la fois l’éveil et le salut du croyant et du consolé.

Le point commun entre ces deux extrêmes est la compréhension de la nécessité de quitter le monde, dans ses œuvres en attendant la mort de la prison charnelle qui nous contraint, mais que nous pouvons surmonter.

Or, c’est le point crucial qui constitue la principale pierre d’achoppement pour tous ceux qui souhaitent s’engager dans la foi cathare. C’est donc au moment où la volonté d’engagement est la plus faible que cet obstacle se dresse devant vous.

Mais l’objectif en vaut la peine. Aussi, si vous découvrez le catharisme, ne vous inquiétez pas de ce passage, car quand il surviendra devant vous vous serez mieux à même de le surmonter. Si vous êtes déjà convaincu que le catharisme est la seule voie vers le salut pour vous, ne procrastinez pas et faites le ménage dans vos chaînes mondaines. Après coup vous en ressentirez les bénéfices immédiats comme le prisonnier à qui on vient de retirer ses entraves.

Contrairement à l’intention du texte judéo-chrétien qui clôt le Nouveau Testament, dont l’objectif était de terroriser les communautés pauliniennes pour les forcer à revenir au judéo-christianisme de Rome, l’apocalypse n’a que des significations positives : accéder à l’éveil d’une part et au salut d’autre part.

© le 19 janvier 2025 par Guilhem de Carcassonne

L’esprit souffle où il veut

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L’esprit souffle où il veut

« L’Esprit souffle où il veut et tu entends sa voix, mais tu ne sais d’où il vient ni où il va. Ainsi en est-il de quiconque est né de l’Esprit. » Évangile selon Jean, chap. 3, 8.

Dans notre monde, les notions les plus naturelles sont celles que nous pouvons formaliser concrètement, toucher du doigt comme on le dit. Même la philosophie traite de choses concrètes que l’on peut formaliser. C’est pour cela que nous sommes réticents à accepter que des personnes semblent manifester des compétences extra-sensorielles, car on ne peut pas les formaliser, c’est-à-dire les intégrer dans une des cases du tiroir que nous construisons pour expliquer le monde.

Mais le croyant sait intuitivement qu’il existe autre chose.

L’entretien de Jésus avec Nicodème dans l’Évangile selon Jean est très intéressant pour comprendre ce qui différencie celui qui est encore prisonnier du monde de celui qui a déjà lâché prise.

Naître d’en bas et naître d’en haut

Dans cet entretien avec Nicodème, Jésus dit être né d’en haut quand Nicodème est — selon lui —, né d’en bas. Il est facile de comprendre qu’il s’agit de différencier celui qui est issu de l’empyrée divin, domaine de Dieu si l’on peut dire, de celui qui est contraint dans le monde terrestre.

Cela interroge de la part d’un texte issu du document de référence de l’Église catholique qui a fini par s’imposer à toutes les communautés judéo-chrétiennes, à savoir le Nouveau Testament. En effet, il semblerait que cette différenciation évoque deux mondes, donc deux créateurs, ce qui est incompatible avec le dogme judéo-chrétien.

Cette différenciation radicale apparaît ici ou là dans le texte :

« Personne s’il ne naît d’en haut ne peut voir le règne de Dieu. » (Jn 3, 3), « Ce qui est de la chair est chair, ce qui est né de l’Esprit est esprit. » (Jn 3, 6).

Pourtant le dogme judéo-chrétien, matérialisé dans le credo (ou symbole) de Nicée-Constantinople, fait de Dieu le créateur du ciel et de la terre. De même, l’Ancien Testament et des écrits apocryphes relatent des rapports directs entre Dieu et un homme (Abraham, Isaïe, etc.). Il faut alors s’interroger sur la fiabilité de ces textes et se demander si le Dieu qu’ils évoquent est le même que celui que Jésus présente dans les évangiles.

Si être né d’en bas signifie être prisonnier de la matière alors que l’esprit-saint est lui né d’en haut, il faut en conclure que la matière semble avoir un pouvoir supérieur sur l’Esprit. C’est une impression erronée qui oublie une règle fondamentale de la théorie des principes, telle qu’elle nous est expliquée par Aristote. D’ailleurs, ce dernier explique les choses de façon plus précise dans Les analytiques. Si les principes sont préexistants en leur qualité de cause, il faut pour les saisir, admettre l’antériorité d’une connaissance qui permet de les comprendre. Le philosophe considérait que cette connaissance intuitive n’était pas un principe, ce qui ne remet pas en cause la nature des principes, mais qu’elle est l’apanage d’une catégorie d’êtres vivants limitée. Bien entendu, il inclut l’homme dans cette catégorie, car il porte en lui cette capacité à identifier les principes et à les différencier. Dans sa nature provisoire de mélange, l’homme, s’il met en œuvre cette connaissance, accède à cette capacité de séparation des principes. Mais s’il s’abstient de la mobiliser, il se trouve dans le même état que les animaux qui en sont dépourvus et qui n’ont, comme seule référence, que ce monde auxquels ils attribuent toutes les conséquences, bonnes ou mauvaises.

On peut donc dire que cette connaissance préalable aux principes est ce que les cathares appellent l’éveil. Cette connaissance préalable est ce qui fait de nous des « nés d’en haut ».

L’Esprit ne s’adresse qu’à ceux nés d’en haut

Contrairement à l’imagerie populaire, il n’y a pas de dimension physique pour situer l’empyrée divin. Contrairement à ce monde que nous saisissons dans sa dimension physique, l’empyrée divin est partout où se trouvent les parcelles spirituelles que nous croyons détachées de l’Esprit unique. Contrairement aux dires le royaume de Dieu est au-dedans de nous (Lc, 17, 21).

Par conséquent nous devons comprendre que notre parcelle (l’esprit-saint prisonnier dans notre corps) n’est pas séparée de l’Esprit unique, mais qu’il en est une sorte d’extension, momentanément affaiblie par sa prison mondaine. Aussi, quand nous serons éveillés et prêts à aller vers le Père, ce cheminement sera spirituel et grandira d’autant plus que nous abandonnerons le monde comme l’homme qui fait remarquer que le respect des commandements vétéro-testamentaires ne suffit plus à son désir de salut. À la réponse qui lui est faite : « Une chose te manque : vends tout ce que tu as et distribues-en le prix aux pauvres ; et tu auras un trésor dans les cieux. Et viens ici, suis-moi. » (Lc 18, 22), l’homme renonce, préférant son inconfort spirituel à l’inconfort matériel. Et nous ne pouvons qu’y reconnaître notre propre démarche, car nous aussi sommes réticents à changer de comportement pour adopter celui du détachement, comme le fit le fils prodigue.

Pourtant nous ne pouvons pas chercher l’excuse de la non-réception du message divin, car comme le dit Jean : « Le jugement, c’est que la lumière est venue en ce monde et les hommes ont mieux aimé les ténèbres que la lumière parce que leurs œuvres étaient mauvaises. » Ce qui était vrai au premier siècle est toujours valable aujourd’hui. Aussi la plupart préfèrent suivre des guides qui proposent un système spirituel copié sur le système mondain avec des préférés et des rejetés, des saints et des impies, des croyants et des hérétiques en promettant le salut sans effort à ceux qui les suivent.

Donc, si l’Esprit souffle sur tous ceux nés d’en haut, il n’en atteint vraiment que très peu à chaque génération, « car il y a beaucoup d’appelés et peu d’élus » (Matth. 22,14) et que les prédicateurs ne sont pas entendus, car comme l’a dit Christ : « aucun prophète n’est accueilli par sa patrie. » (Lc 4, 24). Cela explique très bien que les gourous de tout poil ont de grandes facilités à trouver des adeptes, alors que les prédicateurs humbles et respectueux n’attirent au mieux, que des quolibets. Mais, cela ne rend que plus respectables celles et ceux qui dans cette adversité arrivent à maintenir la qualité de leur foi et la rigueur de leur pratique spirituelle.

Cet échange entre Jésus et Nicodème met aussi l’accent sur la mission de Christ.

Faire le choix du salut

« Le peuple parla contre Élohim et contre Moïse […] Iahvé envoya contre le peuple les serpents brûlants et ils mordirent le peuple : beaucoup moururent du peuple d’Israël. […] Moïse intercéda pour le peuple et Iahvé dit à Moïse : « Fais-toi un serpent brûlant et place-le sur une hampe : quiconque aura été mordu et le verra, il vivra ! » Moïse fit donc un serpent d’airain et le plaça sur la hampe. » (Nb 21, 6-9). Ce texte original de l’Ancien Testament montre un Dieu violent qui tue son peuple quand celui-ci se plaint de ses conditions de vie dans le désert, puis qui consent à proposer une solution pour limiter le nombre de victimes lié à son propre comportement. Le Nouveau Testament utilise ce document dans un tout autre usage. Il prétend que Christ doit être lui aussi utilisé comme antidote à la maladie mortelle des hommes : l’absence de foi sincère.

D’un point de vue cathare, cette vision sacrificielle est incompréhensible, car Christ est venu nous orienter par la raison et non nous sauver par magie et encore moins en se sacrifiant lui-même. Quant à la cause de notre situation, elle n’est pas le fait de Dieu, comme c’est le cas de Iahvé dans l’histoire du serpent d’airain, mais le fait du démiurge qui nous a emprisonné ici-bas.

Et ce salut que nous propose Christ n’est pas un jugement, car le jugement ne peut intervenir que si l’on agit en contradiction avec sa nature. Étant des parties de l’émanation divine, suivre la voie divine ne donne prise à aucun jugement alors que la renier porte en soi le jugement de l’erreur que nous commettrions. Le problème qui nous met en difficulté est la puissance de contrainte qu’exerce sur nous la part mondaine qui nous emprisonne et nous pousse vers le mal.

Pourquoi Nicodème, de par sa situation au sein du judaïsme, défend-il la vision victimaire des hébreux dans le désert ? C’est par son héritage polythéiste et anthropomorphique des religions égyptienne, babylonienne et de leur origine indo-européenne, qu’il ne peut concevoir l’organisation spirituelle que comme un miroir de l’organisation temporelle du monde. Et dans cette vision, il convient de choisir un camp et de s’opposer aux autres. Mais, il semble bien avoir été ébranlé dans ses convictions par cette pensée religieuse totalement détachée du monde et entièrement tournée vers la Bienveillance. Là où les judéo-chrétiens voient un sacrifice quand le juste est martyrisé par les autres, le chrétien authentique voit un accident inévitable pour qui met en œuvre la Bienveillance dans un monde qui ne connaît que la violence. On s’étonnait que les victimes des bûchers de la croisade et de l’Inquisition aient pu avancer vers leur supplice en chantant. Mais là où les ignorants croyaient voir du fanatisme, il n’y avait que la volonté de réussir le retour vers Dieu, malgré une méthode violente contre laquelle ils n’avaient que leur amour à opposer.

Choisir entre la lumière et les ténèbres

Nous aussi nous devons nous interroger sur ces deux points essentiels.

Devons-nous choisir de privilégier notre nature spirituelle dont nous sentons profondément la cohérence et l’évidence ou devons-nous continuer sur la voie des ténèbres qui nous pousse de plus en plus à devenir ce qui nous fait horreur ?

Devons-nous nous satisfaire des demi-mesures que nous proposent ces religions qui tentent de s’adapter au monde ou celles qui poussent à rejeter les autres au nom d’un élitisme égocentré ou devons-nous considérer que l’avenir n’est ni connu, ni prévisible au risque d’échouer si la mort vient nous saisir à l’improviste ou devons-nous considérer que notre travail vers le salut doit commencer ici et maintenant et se poursuivre sans interruption jusqu’à l’heure voulue par notre destinée mondaine ? Pour reprendre l’image néotestamentaire, prenons-nous le risque de nous endormir avec la lampe éteinte ou de l’approvisionner de façon insuffisante au risque d’être rejeté par le fiancé où faisons-nous le choix de la préparation et de la rigueur pour ne pas rester à la porte ? (Matth. 25, 1-13).

Si nous ne faisons pas le bon choix nous péchons contre notre nature spirituelle et ce péché nous oblige à échouer et à retomber dans la mal une fois de plus sans savoir quand nous pourrons être de nouveau en état de changer de vie.

Si nous voulons en finir avec ces cycles infernaux, nous devons changer de vie et renoncer au monde. Notre seule lanterne doit être le commandement unique de Christ : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. ». Le mettre en œuvre exige de ne pas cheminer seul, mais de mettre nos efforts en commun pour arriver à la connaissance du Bien (l’entendenza del Be des cathares médiévaux) et de poursuivre cet effort sans faiblir dans le cadre de notre ecclésia qui nous instruit et nous soutient.

Plus nous tarderons à faire ce choix, plus notre errance dans ce monde sera difficile, car la fuite des esprits-saints ayant réussi à partir provoque naturellement l’approfondissement de la nature maligne du monde ce qui rend le cheminement encore plus difficile et douloureux.

Publié le 15 décembre 2024 par Guilhem de Carcassonne

Nous ne sommes pas du monde…

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Nous ne sommes pas du monde…

« Si vous étiez du monde, le monde aimerait ce qui est à lui, mais parce que vous n’êtes pas du monde, parce que mon choix vous a tiré du monde, le monde vous hait. » Évangile selon Jean, chap. XV, v. 19.
Cette parole attribuée à l’apôtre et publiée dans un ouvrage de facture judéo-chrétienne, est fondamentale pour l’ecclésia cathare. En effet, le simple fait de croire sincèrement en Dieu et en la parole qu’il nous à faite parvenir, suffit à faire de nous des étrangers à ce monde matériel.

Nous ne sommes pas du monde ?

Il est pourtant extrêmement surprenant d’entendre l’apôtre nous dire que nous ne sommes pas du monde. En effet, si nous sommes enfants de Dieu et si Dieu est le créateur du monde, nous sommes forcément du monde. Nous avons là une contradiction essentielle entre les termes.

Qu’en pense l’envoyé de Dieu selon les textes judéo-chrétiens ?
Matthieu dit : « Le diable l’emmène encore sur une montagne fort haute, lui montre tous les règnes du monde et leur gloire et lui dit : Je te donnerai tout cela si tu tombes prosterné devant moi. » (Matth. 4, 8-9).
Comment comprendre cette affirmation selon laquelle le diable propose d’offrir à Jésus les royaumes du monde dont, a priori, Dieu est le créateur et par conséquent le propriétaire ? Surtout que Jésus ne dément pas cette affirmation.

Mais si le diable est bien le propriétaire du monde et le gérant de ce qui y vit — puisqu’il semble pouvoir en disposer à sa guise —, l’envoyé de Dieu ne peut accepter de se soumettre puisque lui vient de l’empyrée divin qui n’est pas du monde.
Et du coup, cela permet de mieux comprendre l’apôtre Jean qui nous dit dans son Évangile : « Vous avez pour père le diable et vous voulez ce que désire votre père. Il était homicide dès le principe, il ne s’est pas tenu dans la vérité parce qu’il n’y a pas de vérité en lui. Quand il ment il tire de son fond ce qu’il dit parce qu’il est menteur et père du mensonge. » (Jn 8, 44). Dans cette affirmation il s’adresse aux scribes et aux pharisiens venus l’interroger, donc aux représentant du peuple juif. Il leur dit aussi : « Vous êtes d’en bas, moi je suis d’en haut. Vous êtes de ce monde, moi je ne suis pas de ce monde. » (Jn 8, 23).

Il est clair que le maître de ce monde et de ceux qui ne se fient pas à l’envoyé de Dieu est le diable et non le Dieu qui par ailleurs correspond bien dans l’Ancien Testament à la description qui nous est faite de Iahvé. En effet, il ne manque pas d’épisodes où Iahvé tue les hommes ou les fait se tuer entre eux : Déluge, Sodome et Gommorhe, l’épisode du veau d’or, la prise de Jéricho, etc. De même il ment régulièrement aux hommes et ce dès le jardin d’Éden où il omet de dire à ses deux premières créatures qu’elles sont nues. En fait ce texte, fondateur du judaïsme et référence du judéo-christianisme, nous donne à voir une entité plus souvent maligne que bienfaitrice. Or, l’idée que l’on se fait de Dieu est celle d’une entité parfaitement bonne.

Donc, si nous suivons l’envoyé divin, Christ, comme lui nous ne sommes pas du monde et nous devons accepter que ce monde nous en tienne rigueur et nous punisse de notre rébellion.

… mais nous sommes dans le monde

Voilà comment les cathares voyaient la dualité de notre être mondain. Une partie issue de l’Esprit unique, émanation éternelle du principe du Bien et une partie, création maléfique destinée à maintenir la première prisonnière aussi longtemps que possible. Lors de son incorporation charnelle le mélange ainsi produit forme ce que nous appelons l’Adam primordial qui domine tout jusqu’à l’éveil spirituel, où la part spirituelle que j’appelle esprit-saint, provoque l’apparition de Christ en nous, vrai sens de la résurrection.
C’est bien cette conception qui différencie fondamentalement le catharisme des autres religions, dites du Livre.

Cet enfermement mondain est renforcé par l’âme mondaine qui maintient l’esprit-saint prisonnier dans l’ignorance de son état. Nous sommes dans le monde comme le prisonnier est dans sa cellule, mais les conditions de notre enfermement nous empêchent d’en avoir clairement conscience. Mais pourquoi le monde a-t-il voulu nous maintenir enfermé en son sein alors que nous sommes totalement étrangers à lui ? C’est tout simplement parce que notre nature divine, consubstantielle au principe dont nous émanons nous confère l’Être qui fait défaut à la création maligne, par définition limitée à la fois dans le temps et dans sa qualité.

Nous sommes des éléments stabilisateurs du monde, l’empêchant de s’auto-détruire et de retourner au Néant dont il est issu. On peut comparer cela à une aile volante, comme celle qu’utilisent certains parachutistes ou comme celle des parapentistes, qui permet à leurs utilisateurs de voler. Pour autant il n’y a rien de commun entre l’homme et le matériel qu’il utilise pour voler, mais tant qu’il parvient à manœuvrer ces matériels il peut croire qu’il a dépassé sa nature et qu’il est devenu un être volant.

Cette dépendance envers le monde connaît cependant une limite. Cette limite c’est la prise de conscience de notre enfermement. Quand la prison commence à nous apparaître, la manipulation dont nous sommes les victimes perd de sa qualité et nous commençons à nous demander comment faire pour nous évader. Certes, nous sommes très peu nombreux à chaque génération à réussir notre évasion car, comme il est dit par Matthieu (22, 14) : « Il y a beaucoup d’appelés mais peu d’élus. ». En effet, la faute vient de nous puisque nous avons reçu l’invitation par le biais du messager divin, le christ, qui nous dit ce que nous sommes, où nous sommes, où nous devons aller et comment le faire. Mais notre enfermement nous semble plus confortable que les efforts à fournir pour revenir au Père.

Malgré tout, certains entendent et comprennent le message et font ce qu’il faut, ce qui leur permet de quitter définitivement cet enfer. Et même s’ils sont peu nombreux, leur flux est régulier et provoque un déséquilibre entre la partie divine prisonnière et la partie maligne qui la contraint, au bénéfice de celle-ci. C’est pourquoi le retour des esprits-saints vers le Père met en évidence le caractère malin du monde qui se « purifie » dans le Mal dont il est issu. Et cela nous le voyons quotidiennement. Que ce soit dans l’aggravation de l’état du monde sur le plan social, économique, politique et cela met en avant la violence et l’injustice du monde qui est la marque de son appartenance au Mal.

C’est donc en quittant ce monde pour revenir dans l’empyrée divin que nous dévoilons sa nature et confirmons que si nous sommes dans ce monde nous ne sommes pas de lui en quoi que ce soit. C’est la grande leçon qui marque le début du cheminement du croyant : être définitivement convaincu qu’il n’est pas du monde. Bien entendu, le monde ne reste pas passif face à cet éveil spirituel.

S’il fallait résumer cette analyse à une phrase choc, je dirais : Entre deux choix possibles, il faut considérer le pire comme le plus probable.

Pourquoi le monde nous hait ?

« Ne vous étonnez pas, frères, si le monde vous a en haine. » (Première lettre de Jean, 3, 13).
« […] et je vais te dire la raison pour laquelle on nous appelle hérétiques : c’est parce que le monde nous hait, et il n’est pas étonnant que le monde nous haïsse car il a aussi haï notre Seigneur, qu’il a persécuté ainsi que ses apôtres. » (Sermon de Pierre Authié à Pierre Maury[1]).

Pierre Authié est limpide dans son explication donnée au jeune croyant de Montaillou. Il faut cependant la compléter. Ce que le monde hait en nous ce n’est pas notre nature mondaine qu’il nous a donnée, mais notre fonds spirituel qu’il espérait avoir amoindrit au point qu’il ne se manifeste pas. Or, cette part spirituelle n’est pas de ce monde, mais elle nous vient de Dieu dont nous émanons de toute éternité. Et comme les principes du Bien (Dieu) et celui du Mal sont indissociablement étrangers l’un à l’autre, notre part spirituelle est, elle aussi, totalement incompatible avec le monde. C’est cette fracture entre le monde et nous qui explique la haine du monde à notre égard et notre certitude qu’il nous est totalement étranger.
Pour autant cette totale opposition entre part divine et part mondaine — donc maléfique —, ne suffit pas à expliquer l’importance de cette haine. Le monde pourrait ignorer ou mépriser ce qui lui est étranger. Pourquoi le haïr ?

C’est la certitude de son infériorité vis-à-vis du Bien qui fait que le Mal manifeste cette haine. En effet, malgré son apparente supériorité du moment, le monde sait que nous finirons par lui échapper ce qui aura pour conséquence inéluctable sa ruine et son retour au Néant. Cela lui rappelle sans cesse son incompétence à égaler Dieu alors qu’à l’instant donné les apparences sont en sa faveur.

La haine du monde envers nous se manifeste clairement dans la manière dont le monde se délite de plus en plus, comme nous pouvons le constater au quotidien. La souffrance de la plus grande partie de l’humanité, la destruction du monde végétal et animal par l’action de l’homme, mais aussi par l’évolution naturelle qui depuis cinq milliards d’années élimine régulièrement jusqu’à 95% des formes de vies sur la planète, sont autant de manifestation de cette haine. L’état de nature de l’humanité, résultat de notre enfermement, qui nous pousse presque systématiquement à choisir les mauvaises options, est également violent et destructeur ce qui montre que le monde n’est pas capable d’offrir une quelconque forme de stabilité à la flore et la faune et un équilibre bienveillant pour l’humanité. Comment s’étonner dès lors que les humains finissent par s’interroger et en arrivent à conclure que ce monde ne peut venir de Dieu, mais qu’il est l’œuvre du diable ?

Faute de pouvoir espérer une quelconque amélioration de l’œuvre du diable, car comme le disait Raymond Barre — citant Shakespeare — : « On ne dîne pas avec le diable, même avec une longue cuillère.[2] », il faut trouver un moyen de le tenir à distance.

On ne lutte pas contre la haine

Contrairement à ce que l’on pense généralement, la violence n’est pas une réponse durablement efficace face à la haine et à ses manifestations. Pourtant elle est satisfaisante sur le moment et peut même, dans certains cas, désarmer la violence des autres à notre encontre. Mais au lieu de protéger notre confort et notre intégrité physique il faut penser à protéger notre foi et notre intégrité morale. Donc, pour ne pas être considéré comme une proie sans devenir un prédateur, il faut préférer systématiquement la mise à distance et, dans les rares cas où cela sera impossible, renvoyer l’agresseur au risque réglementaire qu’il encourt, car le violent est toujours un lâche qui n’agit que quand il se croit à l’abri de toute sanction.

Si le monde nous hait alors que nous savons que nous ne lui devons rien, il faut résister à la tentation de nous mettre sous sa coupe.
La solution est le détachement vis-à-vis du monde. Pas un détachement ponctuel et partiel, mais un détachement permanent et complet. Si nous ne nous considérons plus comme dépendant du monde, il ne peut plus nous imposer sa haine. Pour cela il faut acquérir une indépendance vis-à-vis du monde en assurant nous-même nos besoins, soit par notre travail direct, soit par le fruit de notre travail. C’est une grande différence entre les chrétiens cathares qui prônent le travail quand d’autres religieux, chrétiens ou autres, prônent la mendicité ou la rémunération de leur activité spirituelle. Ensuite, il faut considérer le monde pour ce qu’il est et le laisser suivre sa route mortifère en allégeant la souffrance de ceux qu’il groie. C’est cela l’empathie. Admettre que le monde va à sa perte et que c’est inéluctable, mais que nous voulons aller vers notre salut, oblige à ne plus nous sentir impliqué dans le monde. Vouloir agir pour le détourner de sa voie est plus vain que de vouloir vider l’océan à la petite cuillère. Par contre, soutenir matériellement et moralement ceux qui sont les victimes du monde est notre manifestation de notre Bienveillance envers nos frères et sœurs d’esprit. Les engagements altruistes envers les personnes sont de cet ordre quand les engagements politiques et syndicaux sont voués à l’échec à terme.

Nous ne sommes pas du monde, mais nous sommes dans le monde. Tout est dit du détachement qui est la première marche que doit gravir le croyant et que nous appelons la lâcher prise.

Publié le 17 novembre 2024 par Guilhem de Carcassonne


[1] Déposition de Pierre Maury in Le registre d’Inquisition de Jacques Fournier 1318-1325, transcrit et traduit par Jean Duvernoy, éditions Privat (Toulouse) – 1965 (version latine, tome 3, page 123, folio 249d) et éditions Mouton (Paris) – 1978 (version française, tome 3, page 924).

[2] La Comédie des Méprises, acte IV, scène III, Shakespeare (1592). Voici la version anglaise : Marry, he must have a long spoon that must eat with the devil (Marry, il doit avoir une longue cuillère celui qui veut manger avec le diable).

Le fils prodigue est-il un modèle ?

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Le fils prodigue est-il un modèle ?

Cette parabole que l’on ne trouve que chez Luc (chap. XV) est clairement construite en opposition totale aux préceptes de l’Ancien Testament.

La parabole du fils prodigue vient dans le même chapitre, après celle et de la brebis perdue et celle de la drachme perdue, comme si l’organisateur du chapitre voulait mettre en avant l’idée de la joie des retrouvailles, alors que pour le fils prodigue cet élément est bien secondaire comme je vais vous l’expliquer ci-après.

L’événement déclencheur

[…] Un homme avait deux fils. Le plus jeune dit à son père : Mon père, donne-moi la part de fortune qui me revient. Il leur a donc réparti son bien et, peu de temps après, le plus jeune fils a tout rassemblé et il est parti pour un pays lointain […]

La parabole nous dit que c’est à sa demande que le plus jeune des deux fils, nanti de la part de la fortune familiale qui lui revient, décide de quitter la maison pour aller vivre pour aller vivre au loin.

Dans le chapitre 3 de la Genèse, Iahvé chasse l’homme et la femme du jardin d’Eden (v. 23) de peur que leur connaissance du bien et du mal (v. 22) n’en fasse l’égal de la divinité et pour s’assurer qu’ils ne pourront revenir, il met en place une garde de Chérubins armés d’épées flamboyantes à la frontière est. Cette frontière est également celle par où partira Caïn après le meurtre d’Abel.

Dans la Genèse c’est le péché ou la faute commis par l’homme et la femme qui conduit Iahvé à les sanctionner. Et pour renforcer la sanction il met en place les moyens d’un impossible retour.

Dans Luc c’est le fils qui fait le choix de partir. Le père, qui n’est pour rien dans ce départ ne fait aucun reproche et ne ferme pas la porte de la maison familiale.

Ce départ volontaire est proche de l’idée que les cathares se faisaient de la chute des esprits-saints (âmes spirituelles) dans la matière mondaine. Eux aussi seraient partis de leur plein gré suite à une manipulation ou mensonge du diable, comme le rappelle la seconde partie du Père saint des croyants cathares que rapporte Jean Maury devant l’inquisiteur :

« … des miens qui sont tombés du paradis, d’où Lucifer les a tiré avec le prétexte de tromperie que Dieu ne leur promet que le bien, et du fait que le diable était très faux, et leur promettait le mal et le bien, et leur dit qu’il leur donnerait des femmes qu’ils aimeraient beaucoup, et leur donnerait seigneurie les uns sur les autres, et qu’il y en aurait qui seraient rois, et comtes, et empereur, qu’avec un oiseau ils en prendraient un autre, et avec une bête une autre ; (que) tous ceux qui lui seraient soumis et descendraient en bas auraient pouvoir de faire le mal et le bien, comme Dieu en haut, et qu’il leur vaudrait beaucoup mieux être en bas, pouvant faire le mal et le bien, qu’en haut où Dieu ne leur donnait que le bien. Et ainsi ils montèrent sur un ciel de verre, et autant qu’ils y montèrent ils tombèrent et périrent…[1] »

Cela nous dit deux choses. Si une part de l’Esprit unique est tombée c’est qu’elle fut trompée par le diable qui l’a divisée, d’où son nom qui vient du grec diabòlos, du latin diabolus et de l’italien diabolo dont un des sens est celui de calomniateur mais aussi de diviseur. Mais aussi, il faut comprendre que cette expérience est impossible à reproduire, puisque désormais l’Esprit unique est informé de cette duplicité. C’est important à comprendre pour que l’épisode de la chute ne puisse être considéré comme reproductible.

La réalité de la nouvelle situation

[…] Là, il a dilapidé sa fortune en vivant comme un perdu. Il avait tout dépensé quand il y a eu une forte famine dans le pays ; et il a commencé à manquer. Alors il est allé s’attacher à un citoyen du pays, qui l’a envoyé dans ses champs faire paître des cochons. Et il convoitait de se remplir le ventre des caroubes que les cochons mangeaient, et personne ne lui en donnait. […]

 Le fils qui a quitté la sécurité de sa famille perd son bien en menant une vie de débauché et il se trouve dans une situation encore pire quand survient une famine. Il touche alors le fond, puisque s’étant mis au service d’un habitant du pays il en vient espérer pouvoir manger la même nourriture que les cochons qu’il garde.

Cette situation correspond à celle de l’humanité, tombée au pouvoir du Mal dans ce monde qui, dans un premier temps, profite des biens de ce monde, mais qui s’aperçoit un jour que cette vie semble sans objet, car elle n’offre pas d’espoir au-delà de la mort, ce qui fait que l’on vit au jour le jour une vie d’esclave de la matière qui nous contraint. Cet espoir d’au-delà nécessite une nourriture spirituelle. C’est ce qui se passe à l’occasion de l’éveil suscité par les savoirs accumulés et analysés qui conduisent à la connaissance.

La parabole met l’accent sur les motifs qui ont conduit le fils à tomber aussi bas, ce qui constitue le titre habituel de cette parabole : prodigue. Cet adjectif est la justification de l’état de déchéance, car il désigne le fait de ne pas avoir su gérer son bien et de l’avoir dilapidé. Mais les cathares voient les choses autrement. Les esprits-saints étant de substance divine sont ignorants du mal et n’ont pas les défauts qui sont notre lot ici-bas, comme la méfiance, la duplicité, le mensonge, etc. C’est pour cela que dès leur chute ils sont enfermés dans des prisons de matière, gérées par l’âme mondaine qui dispose notamment des la sensualité (les cinq sens) pour faire oublier aux esprits-saints leur situation carcérale.

Comme dans le film Matrix®, cette situation convient à la plupart, même si la vie en ce bas-monde n’est pas toujours agréable. En fait la promesse d’un mieux, comme dans les mythes grecs de Sisyphe ou de Tantale, suffit à maintenir l’enfermement. Comme dans la caverne de Platon, le fait d’entrevoir la lumière au bout du long chemin ascendant, ne suffit pas à créer la motivation nécessaire pour nous décider à l’emprunter.

Et nous restons dans notre fange en espérant obtenir mieux un jour.

La contrition et la pénitence

[…] Revenant à lui, il s’est dit : Combien de salariés de mon père ont du pain de trop, alors que moi, ici, je péris de famine ! Je vais me lever et m’en aller chez mon père ; je vais lui dire : Père, j’ai péché contre le ciel et devant toi, je ne suis plus digne d’être appelé ton fils, fais de moi comme l’un de tes salariés. Il s’est levé et il est venu chez son père. […]

La contrition nécessite l’éveil qui permet de distinguer ce qui relève des manquements à la loi mondaine et ce qui relève des manquements à la Loi de Bienveillance. Le terme « revenant » est à ce point de vue très révélateur. Le revenant est certes celui qui est parti, mais aussi celui qui est mort et qui revient partiellement vers les vivants. Cela s’applique aussi à la foi. Les cathares disent qu’il faut laisser mourir en nous l’Adam primordial (l’homme mondain) pour permettre la résurrection du christ en nous (l’homme spirituel). On retrouve cette notion dans plusieurs textes canoniques et apocryphes (résurrection de Lazare, mort de Saphire et Ananias, etc.).

La contrition permet la reconnaissance des erreurs commises et leur considération comme des fautes, ce qui implique de faire preuve d’humilité, quand beaucoup cherchent des responsables extérieurs aux erreurs qui leur sont en fait imputables. Cette contrition est à la base de la démarche de retour au Père, car quand on ne sait pas d’où on vient, comment pourrait-on y retourner ?

Une fois le bilan des erreurs fait de façon complète et honnête, on peut commencer la pénitence. Je parle de pénitence, car il ne faut pas croire que l’éveil fait de nous des supérieurs aux autres. Contrairement à la caverne de Platon où ceux qui se sont détachés et qui voient comment ils ont été trompés, se moquent des autres toujours captifs. Pour nous, cathares, la non-violence et l’humilité imposent le refus de juger. Chacun chemine à sa façon et en son temps, sans esprit de vanité ou de compétition.

La pénitence demande des efforts pour réfréner notre égo en acceptant notre état, de la cohérence pour établir le chemin à suivre et de la constance pour ne pas être découragé par les efforts et les difficultés qui s’annoncent.

Le chemin sera donc long et difficile, sans oublier le doute qui nous taraudera régulièrement.

Le retour au Père

[…] Il était encore loin quand son père l’a vu, s’est ému et a couru se jeter à son cou et lui donner des baisers. Le fils lui a dit : Père, j’ai péché contre le ciel et devant toi ; je ne suis plus digne d’être appelé ton fils. Et le père a dit à ses esclaves ; Apportez vite le meilleur habit et revêtez l’en, mettez-lui une bague au doigt et des chaussures aux pieds ; et amenez le veau gras, immolez-le et mangeons, faisons la fête, car mon fils que voilà était mort et il revit, il était perdu et il est retrouvé. Et ils ont commencé à faire la fête. […]

On retrouve dans cette partie l’implication du berger et de la femme des deux paraboles précédentes. Cela est destiné à motiver celui qui envisage de suivre l’exemple du fils prodigue et lui montrant l’impatience du Père à notre retour. Bien entendu, les choses sont sans doute différentes, car il n’y a pas d’émotion dans l’empyrée divin.

Ce qui est intéressant c’est la contrition déjà évoquée par le fils dans son exil, qu’il réitère devant son père. Car, c’est une chose de comprendre son erreur et c’en est une autre de la reconnaître officiellement devant celui que l’on a trahit.

Nous avons là le déroulé complet de notre histoire spirituelle. Tombés dans la matière par crédulité envers un diviseur, nous nous y sommes complus pendant des milliers d’années de vies perdues, puis nous avons pris conscience de notre erreur et avons décidé de faire amende honorable et de revenir vers le Père. Nous savons que nous serons accueillis, car le principe du Bien ne juge pas.

Ainsi, le christianisme nous donne l’explication de notre situation et le procédé à suivre pour mettre fin à notre exil. Encore faut-il vouloir le comprendre et agir au lieu d’attendre que notre Dieu fasse tout le travail comme dans la parabole de la brebis ou de la drachme perdue.

Le frère aîné

Le chapitre final de la parabole (v. 28 à 30) fait l’objet d’un rajout au texte initial, ce qui explique son incohérence avec le reste du texte.

[…] Son fils aîné était aux champs, mais à son arrivée, quand il a approché de la maison, il a entendu la musique et les danses ; il a appelé un des garçons pour lui demander ce que c’était. Celui-ci lui a dit : Ton frère est là et ton père a fait immoler le veau gras parce qu’il l’a retrouvé valide. Alors il s’est mis en colère, il ne voulait pas entrer. Son père est sorti l’appeler ; mais il a répondu à son père : Voilà tant d’années que je te suis asservi, sans jamais passer outre à ton commandement, et tu ne m’as jamais donné un bouc pour faire la fête avec mes amis ; et quand ton fils que voilà vient de dévorer ton bien avec des prostituées, tu lui immoles le veau gras ! Mais il lui a dit : Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi et tout ce qui est à moi est à toi ; mais il fallait faire la fête et se réjouir, car ton frère que voilà était mort et il revit ; il était perdu et il est retrouvé. […]

On comprend la volonté du scribe qui a rajouté ce final pour le faire coïncider avec la parabole de la brebis et de la drachme perdue. Il s’agit d’une remontrance envers le fils prodigue, dont le retour triomphal a dû choquer la hiérarchie judéo-chrétienne. En effet, son père ne lui reproche rien et le rétablit intégralement dans ses droits antérieurs sans l’ombre d’une punition. Or, quand vous passez au confessionnal, certes le prêtre vous absout, mais il exige une petite pénitence pour vous montrer combien vous étiez dans l’erreur. Là, la pénitence vient du fils et non du père, car c’est celui qui connaît ses fautes qui peut les évaluer et agir en conséquence, comme le faisaient les cathares lors du service mensuel.

Par contre, l’Esprit saint est unique et indivisible, qu’ils soit resté auprès du Père sans être enlevé par le démiurge ou qu’il soit tombé, comme est unique la communauté évangélique qui fait son service mensuel d’une seule voix et qui s’impose la pénitence qu’elle juge adaptée. Le diacre n’est là que pour constater le bon fonctionnement de la communauté.

Vous le voyez, les paraboles sont des leçons destinées à nous permettre de comprendre ce que nous devons savoir et ce que nous devons faire. Le problème est d’en retirer les scories accumulées par les hiérarchies judéo-chrétiennes.

Guilhem de Carcassonne


[1] Registre d’Inquisition de Jacques Fournier – 1318-1325. Déposition de Jean Maury devant l’Inquisition d’Aragon, tome II, pp 461-462 f° CCXIIIv° (version latine), tome III, p. 860 (version française). Jean Duvernoy 1965 (v. lat.) – 1976 (v. franç.).

Mon frère n’est pas mon prochain

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Mon frère n’est pas mon prochain

Qui doit-on aimer ?

Aimer son prochain

Si le livre de l’Exode (20, 2-18) et le Deutéronome (5, 6-21) qui détaillent le Décalogue (les dix commandements) ne le précisent pas aussi clairement, le Lévitique, lui, le précise clairement (19, 17) : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Matthieu (22, 39) et Marc (12, 31) reprennent ce point et en font le deuxième commandement le plus important.

Mais qui est mon prochain ? Le Lévitique le précise clairement : il s’agit des fils de ton peuple, c’est-à-dire les membres de la communauté juive ; les coreligionnaires.

Donc, pour les juifs l’amour doit être sélectif et ne peut concerner que les proches, et encore, les proches qui sont dans les petits papiers de Iahvé. Car, je vous rappelle les propos du livre de l’Exode (32, 10, 26, 28, 33, 35) où l’on voit Iahvé désireux d’exterminer les juifs. Moïse accomplit cette mesure avec l’aide des fils de Lévi et fait tuer environ 3 000 juifs, adorateurs du veau d’or. Ensuite, Iahvé valide ce comportement et le poursuit lui aussi.

Bien entendu, s’agissant des autres peuples, la question ne se pose pas. Les juifs, aidés de Iahvé, les exterminent jusqu’au dernier, incluant parfois les femmes, les enfants, les vieillards, voire les animaux.

Les chrétiens doivent-ils suivre Matthieu et Marc et n’appliquer que la loi de Iahvé ?

Aimez-vous les uns les autres

Dans Jean (13, 34), Jésus énonce ce qu’il appelle un commandement nouveau : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés, vous aussi vous aimer les uns les autres. »

Est-ce que ce nouveau commandement est en opposition avec le vieux commandement de la Torah ? Cela dépend comment on le comprend. Si l’on se place dans le contexte local qui est décrit, une réunion entre Jésus et ses disciples, on pourrait croire ce commandement limité à ce groupe. Si l’on tient compte du contenu de la phrase : « …comme je vous ai aimés… », il est clair que Jésus n’a fixé aucune limite à son amour qu’il a dispensé très largement au-delà du cercle intime et même vers des populations considérées comme étrangères (samaritaine, officier romain, etc.).

Donc, on peut raisonnablement penser que Jésus va au-delà du commandement de Iahvé et élargi l’amour dû aux autres à tout le monde. C’est pour cela qu’il annonce que la loi de Moïse est accomplie. Comme toute tâche qui est accomplie, la loi ne s’applique plus aux hommes, selon Jésus qui va en proposer une autre, différente et parfois opposée.

Mais qu’en est-il des cas particuliers, comme ceux qui ne nous aiment pas ?

Matthieu (5, 43-48) confirme le rejet de la loi mosaïque au profit d’une loi d’amour universelle : « Aimez vos ennemis, priez pour ceux qui vous poursuivent. »

Luc (6, 27-28) confirme cela aussi : « Mais je vous le dis, à vous qui m’écoutez : Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous détestent, bénissez ceux qui vous maudissent, priez pour ceux qui vous insultent. »

Là on est clairement dans une opposition totale avec la loi de Iahvé et avec la tradition humaine. Qui peut citer un peuple, à quelque période que ce soit, qui ai pratiqué ainsi ? Personne évidemment ! On comprend mieux que les judéo-chrétiens aient conservé la mauvaise habitude de la loi juive, le plus souvent renforcée par la loi du talion (œil pour œil, dent pour dent, etc.) issue du code d’Hammourabi[1] (paragraphes 196 et suivants).

Pourtant aucun chrétien ne devrait s’abstenir de suivre la loi d’Amour universel, que je préfère appeler Bienveillance pour éviter les mauvaises interprétations. Mais cette obligation de Bienveillance universelle interdit-elle de mettre en place des gradations dans sa pratique ? Ai-je le droit de préférer ma femme à mon cousin, mon cousin à mon voisin, mon voisin à un étranger, etc. ? En clair existe-t-il des critères de préférence qui pourraient venir contredire les critères sociaux hérités de notre animalité ?

Qui doit-on aimer préférentiellement ?

Après avoir remis en question la loi d’appartenance sociale et religieuse de la Torah, Jésus va également s’en prendre à la loi d’appartenance familiale. Dans Matthieu (12, 48-49) et Marc (3, 33-34) il rejette la filiation et la parenté au profit de l’adhésion spirituelle : « Qui est ma mère ? Et mes frères ? Quiconque fait la volonté de Dieu, celui-là est mon frère, ma sœur, ma mère. »

Là encore, le judéo-christianisme refuse d’appliquer cette parole, préférant largement en rester aux concepts de la loi mosaïque qui favorise le prochain à l’étranger. C’est pour cela que l’on bénit les canons, que l’on organise des croisades et que l’on brûle les hérétiques.

Mais le vrai chrétien doit savoir que sa Bienveillance ne peut s’autoriser de préférences. Elle doit s’appliquer à tous, de la même façon et avec la même intensité, c’est-à-dire autant qu’on le peut. Il n’est pas étonnant que les chrétiens qui ont mis cela en avant aient eu des problèmes. Dans l’histoire moderne, seul Gandhi a appliqué ce principe, allant jusqu’à confectionner des pantoufles pour le directeur de la prison où il était retenu indûment.

Qu’en est-il des relations sociales dans le christianisme ?

Le chrétien vit détaché du monde

On le voit, la stricte et simple application du commandement d’Amour de Christ et sa conception des liens sociaux remettent en cause ce que les hommes considéraient comme la norme avant lui.

Mais cela est-il limité à certains moments de la vie ou bien faut-il l’appliquer en permanence, y compris dans les temps particuliers des liens sociaux ?

Nous pouvons répondre à la question avec cette anecdote que vous trouverez dans Matthieu (8, 22). Alors qu’il s’apprête à partir avec ses disciples, Jésus est interpelé par l’un d’entre eux qui est requis pour l’enterrement de son père. Il lui répond : « Suis-moi et laisse les morts ensevelir leurs morts. ». S’il est un temps social majeur, c’est bien celui où le fils marque sa filiation et sa position sociale en participant activement aux obsèques de ses géniteurs. Or, Christ désigne cela comme une pratique mortifère pour le croyant. En effet, celui qui enterre un mort montre son attachement à l’idée que cela est nécessaire au devenir du mort dans l’au-delà. Cette pratique marque le passage entre l’animal et l’homme. Comme je l’ai expliqué dans de précédentes publications, les anthropologues ont observé l’apparition de l’ensevelissement rituel chez les homo-neanderthalensis et les homo-sapiens dans une période située entre 40 000 et 100 000 ans avant l’ère commune. Cette pratique marquerait le début de la religion chez les hommes. Cela rejoint le point de vue de René Girard[2].

Paradoxalement, s’il vit détaché du monde pour ce qui est des relations sociales, le chrétien est pleinement en communion avec les hommes en raison de sa nature à pratiquer la Bienveillance.

Nous sommes tous frères

Tous les chrétiens considèrent être des « créations » divines. Notre présence sur terre est la conséquence d’un événement fâcheux : la faute originelle pour les judéo-chrétiens ; la chute des anges pour les autres.

Les cathares ont poussé ce concept cosmogonique dans sa logique évidente : les hommes sont des parcelles divines tombées dans le monde par la faute du démiurge qui a « divisé » l’Esprit unique pour l’incorporer dans les corps de matière, les tuniques d’oubli, où ils sont à la fois prisonniers pour ne pas avoir la volonté de fuir ce monde, et pour servir d’outil permettant la persistance d’un monde qui est forcément limité dans le temps, alors que les parcelles divines, que j’appelle volontiers les esprits-saints, sont logiquement éternelles.

Cette idée est certes assez différente des autres, mais elle n’a rien d’excessif, si l’on se rappelle les vers de Lamartine : « L’homme est un Dieu tombé qui se souvient des cieux. »[3].

Donc, non seulement les cathares considèrent que les esprits-saints sont en fait des parcelles d’un même tout, ce qui en fait des entités parfaitement égales entre elles, des frères, mais ils rejettent toutes sortes de distinctions entre les esprits-saints tombés et ceux qui sont restés dans l’empyrée divin, fut-ce le Saint-Esprit consolateur ou le Christ.

Nous sommes donc détachés du monde mais liés en ce monde à nos frères de captivité et en attente de rejoindre l’Esprit unique par ce que les cathares appellent le mariage mystique. C’est pour cela que les cathares rejettent toute idée de différenciation entre les hommes (terme neutre incluant les femmes) y compris dans le cadre de responsabilités à assumer.

C’est pour cela que l’Église cathare dispose d’une hiérarchie fonctionnelle qui est totalement différente de la hiérarchie de pouvoir de l’Église catholique, même si les titres sont les mêmes. L’évêque cathare n’exerce aucune autorité de pouvoir sur les consolés qui dépendent de son diocèse, mais il est choisi par ces derniers pour administrer l’Église en plus de ses obligations de consolé. Le choix se porte sur celui que l’on considère comme le plus avancé dans le cheminement spirituel, car les obligations de la charge ne doivent pas empêcher la progression spirituelle.

Le rapport au monde

Le cheminement spirituel passe par un éveil de la part prisonnière : l’esprit-saint. Cet éveil vise à lui donner la capacité à surmonter la prégnance qu’exerce la part mondaine : l’âme mondaine, qui use de tous les moyens pour maintenir l’esprit-saint dans l’oubli de sa nature. Il est donc nécessaire qu’il soit capable d’agir malgré cette prégnance. Pour cela il doit se confronter au monde et non s’en cacher. Pour les cathares le consolé doit vivre dans le monde et non se cacher dans un monastère ou vivre en anachorète ou en ermite.

Il doit également agir en égal de tous les autres esprits-saints prisonniers ici-bas et non s’octroyer une situation sociale favorable. C’est pour cela qu’il doit gagner sa vie par son travail, même s’il a des charges ecclésiales à assumer en plus. Si au Moyen-Âge les femmes étaient exclues de fonctions nécessitant des déplacements hors des maisons cathares, c’est pour des raisons de sécurité, car les routes étaient dangereuses — y compris pour des hommes. Aujourd’hui cela n’a plus de raison d’être.

Mais comment le consolé peut-il mettre en accord sa foi et les obligations du monde ?

Comme c’est souvent le cas pour des pratiquants de religions, le cathare devra respecter les lois du pays où il vit et devra chercher des adaptations pour les lois qui s’opposent trop fortement à ses convictions. Heureusement, ces cas sont assez rares. L’obligation de non-violence conduira le consolé à refuser de participer à des activités violentes, comme les activités liées à la mise à mort d’animaux et, bien entendu, aux activités militaires. L’obligation d’humilité le conduira à refuser de participer à des activités pouvant le conduire à porter un jugement sur autrui. Il devra également s’abstenir de jurer ou de prêter serment. En fait, cela le conduira à rejet bon nombre de métiers en lien avec l’État.

Au final, il n’aura pas plus de mal à se fondre dans le monde actuel que les cathares médiévaux n’en avaient à le faire dans le monde de leur époque.

Conclusion

L’homme est un animal social, mais le cathare n’est plus complètement un homme. Si la Bienveillance le pousse à apporter son soutien aux autres hommes sans aucune distinction d’aucune sorte, l’engagement du consolé peut l’amener à privilégier sa foi aux règles sociales.

Pour simplifier, le cathare n’a que des frères et pas de prochain.

Guilhem de Carcassonne (15/09/2024)


[1] Roi de Babylone (environ 2000 ans avant l’ère commune) qui a fait installer des bornes aux limites de son royaume indiquant la loi qui devait y être respectée et les peines encourues. https://remacle.org/bloodwolf/erudits/amourabi/code.htm

[2] Des choses cachées depuis la fondation du monde – éditions Grasset & Fasquelle 1978.

[3] L’homme in Méditations poétiques – édition du Livre de poche

Le jugement

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Le jugement

Quand j’ai écrit mon texte concernant l’amour, j’ai fait à la fois un travail qui devait logiquement convenir à n’importe quel chrétien, même si certaines spiritualités qui s’en réclament peuvent ne pas partager totalement mon analyse. En effet, l’amour est a priori un élément central et commun à tous les chrétiens.

S’agissant du jugement, les choses sont différentes. En effet, selon que l’on accepte comme divins l’ensemble des commandements de l’Ancien Testament ou non, on sera amené à considérer certaines règles éthiques d’une façon ou d’une autre. C’est donc dans la droite ligne de ce que je crois et de ce que je retrouve dans la doctrine cathare que je vais exprimer ce que je pense de ce point de doctrine important du catharisme.

La règle de vérité et de justice

Et oui, le catharisme reconnaît une règle, car on ne saurait vivre dans le monde sans être astreint à vivre selon des règles. Le christ lui-même vivait selon des règles, même s’il avait su en limiter la prégnance autant que faire se peut. Quand le jeune homme riche vient lui demander conseil, il commence par lui rappeler que les règles issues de l’Ancien Testament sont à suivre, mais il en rajoute une autre, l’abandon de toute attache mondaine au profit d’une vie de disciple.

Chez les cathares l’ensemble des éléments à respecter pour mener une vie évangélique étaient regroupés sous la terminologie de « règle de vérité et de justice ».

J’ai déjà présenté cela dans d’autres documents, aussi me contenterais-je de redonner les éléments relatifs au jugement que l’on retrouve dans cette règle.

La vérité.

C’est en son nom que l’on s’abstient de juger. En effet, qui peut prétendre détenir la vérité au point de pouvoir émettre un jugement valable et durable ?

Quand la pécheresse est jetée aux pieds de Jésus afin qu’il valide la lapidation voulue par la foule, il ne remet pas la loi en cause, mais il en démontre le caractère inapplicable. En effet, pour définir la culpabilité, il faut plus que des preuves ; il faut que le juge soit lui-même exempt de toute faute, sinon au nom de quelle loi pourrait-il juger s’il est lui aussi coupable vis-à-vis d’un point quelconque de la même loi ? La vérité est donc que nous sommes inaptes à juger autrui, car, en notre situation de frère de misère, nous ne valons guère mieux. En outre, que savons-nous vraiment de la culpabilité de l’autre ? Est-elle une et indivisible ? Est-elle invariable et inaltérable ? Est-elle limpide et totale ? Nous n’en savons rien et ne pouvons que supputer. Risquerions-nous notre vie avec aussi peu de certitude ? Pourquoi risquer la probité et la vie des autres alors ?

C’est donc bien par amour de la vérité que l’on ne doit pas porter de jugement et bien par bienveillance, car cette vérité que l’on chérit, on la souhaite autant à autrui qu’à soi-même si l’on sait bien que cet espoir ne peut qu’être déçu en ce monde.

La justice.

Jugement et justice, deux mots si proches et pourtant si différents en ce monde. La justice veut ce qui est juste, c’est-à-dire ce qui n’est ni trop ni trop peu ; ce qui est équilibre et mesure comme l’explique si bien Aristote[1]. La justice, aurait-il dit également, est la vertu de la vérité. En effet, la vérité ne peut aboutir qu’à la justice en toutes choses. Là encore, nous retrouvons Jésus et la pécheresse quand il constate que nul n’a jeté la première pierre, il lui dit que lui non plus ne la juge pas. Pourtant nous pourrions croire qu’il était le seul à disposer de la vérité et donc en mesure d’appliquer la loi. Mais, s’il connaît effectivement la vérité puisqu’il lui enjoint de ne plus pécher — ce qui confirme qu’elle est bien pécheresse — il ne la juge pas pour deux raisons. D’abord, il connaît les failles de la loi juive, soi-disant loi de Moïse gravée dans l’argile par le doigt de Dieu, dont il va lui-même éprouver sous peu la totale injustice et il va la confondre en forçant ceux qui se réclament de Dieu à mettre à mort celui qui est envoyé par Dieu. Ensuite parce qu’il applique la loi d’amour, la loi qui ne juge pas, la loi qui ne connaît pas les degrés hiérarchiques, pas plus en matière de justice qu’ailleurs. La loi d’amour ne juge pas, ne pardonne pas, elle excuse et mieux, elle ne ressent pas l’offense.

La justice, en raison de sa nature d’équilibre, ne peut reconnaître aucune supériorité de quiconque sur autrui. Donc, si nous sommes tous égaux, dans notre nature divine, dans notre incarnation mondaine et dans notre nature pécheresse, comment pourrions-nous porter un jugement sur quiconque ?

Pouvons-nous éviter le jugement ?

Le jugement arme mondaine contre l’Esprit

Nous sommes tous comme Pierre. Quand le danger est loin, nous protestons notre fidélité et notre courage, mais qu’il nous frôle et, sans même y réfléchir, nous n’avons pas assez de salive pour renier ce qui nous semblait si indispensable quelques minutes plus tôt. Et ce n’est pas trois fois ou même dix fois que nous nous renions mais des milliers de fois.
Nous protestons de notre justice en affirmant notre désir de ne juger personne, mais peu ou prou, nous jugeons tout le monde, nous exceptés. Pourquoi sommes-nous à ce point victime de la volonté de juger ?

Je pense que le jugement est en fait une des armes de l’âme mondaine pour maintenir l’esprit divin prisonnier du corps de boue.

En effet, comme la sensualité, le jugement est un outil qui permet de valoriser celui qui en use. En outre, c’est même un outil de survie puisque c’est grâce au jugement que nous tentons de nous hisser dans la catégorie des prédateurs et d’échapper ainsi à celle des proies. Comme je l’ai déjà dit, celui qui juge se considère comme détenteur de la vérité et donc comme disposant d’une supériorité manifeste sur celui qu’il juge. Il se conforte lui-même dans sa conviction de supériorité et tente de tromper ceux qui le suivent en faisant de sa vision personnelle un élément de nature à dominer les autres.

Comme Pierre nous jugeons en prétendant ne pas le faire et, pires que lui, nous le nions dès que le coq de notre conscience nous signale notre faute contre l’esprit qui nous habite. Nous nions par fierté et arrogance au lieu de nous enfuir et de pleurer comme il le fit.

Comment ne pas juger ?

Mais, nous qui portons l’espoir d’emprunter un jour ce chemin de vérité et de justice, ne pouvons-nous donc rien faire ? Comme nous le faisons vis-à-vis de la sensualité, nous pouvons nous efforcer de réduire la prégnance du jugement sur notre pensée et sur nos comportements.

Certes, cela n’est pas facile et l’ascèse morale est bien plus difficile à suivre que l’ascèse physique. Jeûner, la belle affaire ! Mais ne pas juger voilà qui est compliqué. C’est pourquoi il nous faut appliquer une technique d’évitement comme le faisaient nos bons chrétiens médiévaux. Et oui, si l’Église cathare était « l’Église qui pardonne et qui fuit » c’était en application stricte de la règle de vérité et de justice. La fuite n’est une honte que pour les prédateurs qui ont peur que cette attitude les ravale au rang de proies. Le bon croyant fuit la confrontation susceptible de le faire pécher. Il fuit, car il se sait faillible et, n’étant pas certain de pouvoir se contrôler, il choisit d’éviter une situation incontrôlable. Il fuit par amour, pour ne pas faire subir à l’autre ce que la bienveillance qu’il lui porte lui impose de lui épargner. Et je trouve que je ne fuis pas encore suffisamment, ou plutôt pas assez tôt.

Ne pas juger n’est pas s’interdire de donner un avis

Quand tel ou tel commence à glisser du terrain de la discussion argumentaire vers celui du jugement de l’individu, je devrais m’interdire la moindre réponse et le laisser se complaire dans ses certitudes. J’arrive à ne pas enchaîner critiques et jugements à l’infini, mais pas encore à m’empêcher de les commencer.

Nous pouvons éviter de juger, mais le voulons-nous vraiment ? Car le jugement est doux à notre humanité. À ceux qui disent justement que pour atteindre le salut nous devons mourir en ce monde, je dis mon accord et j’ajoute que cette mort commence par l’anéantissement du prédateur qui ne demande qu’à dominer en nous.

Mais n’y a-t-il rien de possible entre le jugement et la fuite ?
Comme nous le faisons dans nos études, nous pouvons user de l’analyse. Dire que tel argument, tel propos ou telle affirmation sont inexacts, faux ou malhonnêtes n’est pas un jugement si nous pouvons apporter des éléments probants à l’appui de notre analyse. Dire qu’une personne ment quand nous constatons dans ses propos des contradictions flagrantes et démontrables n’est pas juger la personne, mais critiquer et dénoncer ses propos et ses affirmations. Par contre, catégoriser une personne de façon péjorative est un jugement ad hominem et est à prohiber absolument.

Comme vous le voyez, la frontière est ténue et cela sert souvent d’argument aux personnes dont vous critiquez les arguments pour prétendre que vous les jugez ou à celles qui jugent les autres pour dire qu’elles ne font que de l’analyse. La mauvaise foi a toute sa place dans un domaine où l’égo prend souvent le pas sur la raison.
Aller j’en ai assez dit pour le moment. Je n’ai plus qu’à appliquer au quotidien ce que je sais si bien exprimer sur la page blanche. Pour vous, je n’ai rien à dire, car le catharisme est la spiritualité où l’on ne peut sauver que soit, et encore très difficilement.

Guilhem de Carcassonne le 11 août 2024 dans Cultes publics.


[1]. « Éthique à Nicomaque »

Gnose et gnosticisme

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Gnose et gnosticisme

Introduction

À force d’entendre le catharisme se faire traiter de religion gnostique sans qu’aucun de ceux qui l’affublaient de ce qualificatif soit capable de me dire précisément ce qu’il entendait par là, j’ai fini par trouver nécessaire d’essayer de rationaliser cela afin d’en tirer des conclusions dignes d’intérêt.

En effet, si beaucoup trouvent normal d’affirmer sans plus argumenter ou d’argumenter sans proposer des références consultables et comparables, voire se réfugient dans les limbes d’un ésotérisme de façade appuyé sur un verbiage et une sémantique volontairement absconse afin de ne pas se sentir à l’étroit dans des théories qu’ils ne savent jamais expliquer clairement, pour ma part je ne veux ni me tromper de voie, ni entraîner quiconque sur des chemins de fortune.

Après tout, le gnosticisme ne devrait pas être obligé de se cacher si ce qu’il prône est digne d’intérêt.

C’est pourquoi après avoir été quelque peu déçu, voici quelques années, par une première tentative d’incursion dans ce secteur de la spiritualité — notamment en lisant le travail de Henri-Charles Puech[1] — j’ai décidé, cette fois, d’être plus exhaustif et de faire sérieusement le tour du sujet de la période apparente de son apparition jusqu’aux plus récentes publications.

La Gnose, qu’es acco ?

Selon les périodes et les auteurs la gnose s’est vue attribuer des origines variées : chrétienne tout d’abord dès le IIe siècle, puis juive quand il s’est avéré que ceux que l’on qualifiait de gnostiques rejetaient la Torah et même préchrétienne, voire orientale quand on croyait découvrir des textes gnostiques considérés comme préchrétiens. Charles-Henri Puech précise même qu’il y a autant d’Églises gnostiques que d’évêques !

Dans son ouvrage[2], François Decret dit d’elle : « À la différence de la connaissance rationnelle et discursive, qui aboutit au concept et opère par déductions et propositions théoriques, la gnose, qui échappe aux mécanismes de la logique et à ses démarches spéculatives, propose son enseignement sous forme de mythe. » Ainsi la connaissance acquise dans la gnose serait en fait acquise par une sorte d’intuition sans base logique et incapable de se plier à l’argumentation rationnelle.
Pourtant, bien des courants de pensée et bien des religions se sont vues classées dans la gnose alors qu’elles proposaient au contraire une connaissance logique et rationnelle. Dans le christianisme, le marcionisme, le paulicianisme et le catharisme pour ne citer qu’eux furent victimes de cette classification manifestement erronée puisque justement leur argumentaire était fondé en logique et rationalité et que la connaissance à laquelle ils ouvraient était même parfois plus cohérente et logique que celle de l’Église de Rome.

Il faut donc chercher ailleurs une définition de la gnose qui soit acceptable. Simone Pétrement[3] propose de chercher les origines de la gnose chez Paul : « Si ce renversement s’est produit dans et par le christianisme, la crucifixion du Christ, la théologie paulinienne de la croix est une réponse. La condamnation d’un juste est une condamnation du monde, un jugement sur le monde. » Cette analyse, pour pertinente qu’elle soit, pose néanmoins un problème. En effet, la lecture des évangiles et des Actes des apôtres montre clairement que cette conception est déjà présente, notamment quand Jésus affirme son rejet des obligations de la Torah concernant le sabbat ou quand il affirme aux juifs que leur père est le diable. Donc, si même en dehors de l’Évangile selon Jean, on trouve des indications d’une opposition à la Torah dans d’autres évangiles, cela veut dire que cette interprétation est entièrement chrétienne et ne peut constituer une base pour le gnosticisme. Ou alors il faudrait laisser entendre que la gnose est une partie du christianisme.


Effectivement, Simone Pétrement a raison quand elle voit dans le christianisme paulinien et johannique le ferment de la gnose mais elle omet de franchir le dernier pas quand elle continue à penser que la gnose est sortie du christianisme pour mener une existence propre.


Dès lors comment peut-on comprendre la gnose ? Si les pères de l’Église (Clément, Origène, Irénée) ne font aucun obstacle à reconnaître l’origine chrétienne de la gnose, c’est tout simplement parce qu’elle l’est d’évidence. Sinon ils auraient sauté sur l’occasion de le signaler. Ce qui les intéresse bien davantage c’est de dissocier la gnose du christianisme qu’ils défendent, et c’est là qu’il faut chercher la clé de la compréhension de la gnose. Ce n’est pas une hérésie chrétienne qui s’est extériorisée, mais une voie chrétienne originelle et authentique que l’on a cherché à tout prix à exclure du christianisme que l’on voulait rendre uniforme et entièrement soumis à l’approche catholique de Jérusalem et de Rome. Ce christianisme déchu est celui de Damas et d’Antioche, c’est le christianisme porté par Paul dès la première moitié du premier siècle et confirmé par les adeptes de Jean dès la fin de ce siècle. Aussi, quand Marcion et Valentin vont venir raviver et amplifier ce schisme initial en le présentant comme le seul christianisme authentiquement valable, la seule solution sera de les exclure en donnant à cette doctrine un autre nom et en lui cherchant des origines douteuses, mais cela n’empêchera pas Marcion de constituer son Église et de la faire prospérer au-delà de tout ce qui était imaginable dans un monde où l’Église de Rome ne disposait pas des moyens de la museler. Il me semble probable que, contrairement à Marcion, Valentin ait pu voir dans cette option extérieure au christianisme une voie possible et souhaitable qui lui permettait de recréer une cosmologie propre à sa conception des choses. Mais cette éventuelle dérive resta très modérée et ce n’est que beaucoup plus tard que les disciples de Valentin développèrent cette conception en créant un Plérôme pléthorique et finalement très anthropomorphique.


Donc la gnose est en fait une création ex nihilo destinée à combattre un schisme qui bénéficiait en Paul et Jean d’un support scripturaire autrement plus dangereux que la tradition orale. Cela permettait de l’évacuer du christianisme sans avoir à combattre sérieusement ses théories, largement validées dans les textes chrétiens qui allaient constituer le canon, tout en favorisant le rejet des fidèles et ce d’autant plus quand les valentiniens s’en emparèrent pour en faire de fait une nouvelle religion, chose que n’auraient jamais espéré les pères de l’Église dans leurs rêves les plus fous.

La Gnose ; essai de définition et recherche d’origine

La seule définition que l’on a de la Gnose est celle qu’en donnent les Pères de l’Église de Rome. Sont considérés comme gnostiques ceux qui nient que ce monde puisse être la création du Dieu d’Abraham et de Moïse, qui réfutent que Jésus se soit incarné par Marie et qui rejettent la Sainte Trinité. En clair sont gnostiques ceux qui ne sont pas catholiques romains.

S’il n’est pas étonnant de voir des responsables de l’Église chrétienne catholique et apostolique romaine chercher à évacuer du christianisme ceux qui ne partagent pas leur opinion, il est surprenant de voir ces exclus se satisfaire de cette situation, voire de l’amplifier.

En fait cela est dû à la contraction temporelle que nous subissons quand nous étudions ce sujet.

En effet, les premiers à s’être vu nier le droit d’être chrétiens n’ont jamais accepté d’autre appellation que celle de chrétiens et c’est bien plus tard que leurs disciples ont parfois décidé de faire de cette exclusion une sorte de tremplin pour proposer une nouvelle approche religieuse qui va, très rapidement, retomber dans les travers du judéo-christianisme.

Mais le phénomène s’est en quelque sorte emballé quand la Gnose s’est attribuée également le quasi-monopole de la connaissance. En effet, le terme de gnostique fut alors utilisé dans d’autres religions pour rejeter ceux qui ne suivaient pas le dogme principal et qui prétendaient à la connaissance. En fait, il est clair qu’aucune religion ne revendique d’être ignare, mais ce terme de connaissance (gnosis) est l’arbre qui cache la forêt d’un rejet doctrinal disparate selon les religions qui cherchent à l’appliquer à des opposants qu’il est difficile de contredire.

Je pense qu’il faut donc suivre, au moins partiellement, Simone Pétrement quand elle dit que le gnosticisme est d’origine chrétienne car aucun document ne permet de le dater antérieurement à la seconde moitié du premier siècle et, même le plus souvent, au début du deuxième. Les documents qui furent mis en avant pour lui donner une plus grande antériorité s’avèrent, à l’occasion d’études philologiques ou théologiques, être eux-mêmes fort douteux ou postérieurs au christianisme. En outre, les critères de définition de la Gnose sont clairement chrétiens.

Enfin, on remarque que les opposants à la Gnose n’hésitent pas à y inclure des auteurs et des textes canoniques chrétiens tant leurs arguments les y obligent au risque d’être critiqués compte tenu des critères qu’ils utilisent. Ainsi voit-on Paul de Tarse et Jean l’évangéliste traité, au mieux, d’inspirateurs de la Gnose et, au pire, de gnostiques eux-mêmes. Or, effectivement, Paul de Tarse et Jean l’évangéliste sont les premiers à rappeler que le message christique n’est pas judéo-chrétien. Paul n’utilise d’ailleurs jamais le terme Jésus qui fut rajouté à ses lettres par Clément de Rome lors d’une des multiples interpolations que subirent les textes de celui que Tertullien qualifiait d’apôtre des hérétiques, mais dont la diffusion de la pensée interdisait de les rejeter du canon comme le furent les travaux de Marcion.

Par contre, Paul ne poussa pas sa pensée jusqu’à exclure formellement le Dieu de la Torah, Yahvé, du statut de Dieu unique. Cela explique que Valentin et Marcion qui vinrent après Paul et à une époque où le pagano-christianisme triomphait — après la chute de Jérusalem et surtout après le recentrement du judaïsme pharisien à Yavne, qui signa la fin du christianisme juif des ébionites — purent choisir de rester dans une voie médiane ou de se radicaliser. Là où Valentin faisait encore du démiurge un être subordonné à Dieu, Marcion choisit de le rattacher à un autre principe différent du Dieu bon. Cela ne peut manquer de nous rappeler que les cathares étaient eux-mêmes divisés sur ce point entre les monarchiens et les dyarchiens.

La Gnose ou les gnoses

Après Valentin, dont l’approche religieuse semble avoir cherché à maintenir des ponts avec le catholicisme, ses disciples firent le choix de la rupture dont le gnosticisme est la forme la plus développée. On trouve là une sorte de nouvelle religion qui reprenait beaucoup d’éléments préexistants dans les religions polythéistes. D’une certaine façon, en voulant rompre avec une situation donnée à une période précise, ils semblent être revenus à une situation antérieure. Nous avons un autre exemple de ce comportement avec l’instauration du culte de l’Être suprême par Robespierre qui voulait ainsi contrer les Hébertistes et leur culte de la Raison tout en stoppant l’athéisme révolutionnaire de la Terreur, mais en maintenant un contrôle de l’État sur la population pour éviter la rechute dans le catholicisme jugé abêtissant. L’Être suprême venant compenser la recherche d’un dieu par la population, s’appuie sur Aristote qui formulera une entité supérieure sous la forme de principe. Une façon de vouloir aller de l’avant en revenant en arrière !

Aujourd’hui il faut comprendre la Gnose comme une connaissance intime acquise, en partie par une intuition et en partie par l’acquisition de savoirs, dont la maîtrise permet d’accéder à une révélation personnelle qui conduit à une voie spirituelle qui n’est pas forcément formalisée dans une religion. Mais cela englobe également les voies spirituelles religieuses.

Donc, tout un chacun peut suivre une gnose différente de celle des autres, et en cela on en revient à la définition de Charles-Henri Puech, car à l’extrême chaque diffuseur de pensée spirituelle constitue une gnose spécifique. On comprend mieux ainsi la sous-titre de l’ouvrage d’Irénée de Lyon, Contre les hérésies, qui dénonce les gnoses au nom menteur, puisqu’il était persuadé que la sienne — la gnose catholique — était la seule valable. Ainsi, après avoir servi à exclure du christianisme romain les autres chrétiens, la gnose devient désormais une valeur ajoutée d’un courant de pensée spirituelle ou religieuse.

Tous gnostiques ?

Dans l’absolu, la réponse est positive. Quand on dispose de savoirs, même s’ils se limitent à très peu de documents, sur lesquels on a basé une démarche spirituelle associée à une foi, qu’elle soit individuelle ou qu’elle regroupe des foules, on est gnostique dans la mesure où cet ensemble constitue une connaissance, c’est-à-dire une gnose.

Certains sont gnostiques tout seul sur des bases réduites à quelques documents qui les ont fortement impressionnés et d’autres sont gnostiques en groupe, ce qui les rassure, et dispose d’un ensemble documentaire impressionnant dont tous les ouvrages les aident à construire leur connaissance.

Les cathares étaient donc des gnostiques dans le sens que je viens d’expliquer et non dans celui qui transparaît dans les dictionnaires ou chez leurs adversaires. Ils étaient gnostiques chrétiens, car leurs savoirs venaient de documents écrits et développés par des chrétiens, même s’ils ne sont pas tous issus du canon judéo-chrétien et que c’est sur cette base et avec leur foi qu’ils ont élaboré leur connaissance logique et cohérente. Mais les traiter de gnostiques en raison des différences évidentes entre leur connaissance et celle des judéo-chrétiens n’est qu’une façon moderne de les ostraciser faute de pouvoir contester efficacement leurs arguments.

Et vous ? Sur quoi avez-vous bâti votre connaissance ? Vos bases sont-elles solides ou fluctuantes ? Votre foi est-elle réelle ou passez-vous votre temps à vous questionner sans raison, notamment sur des points qui ne sont que des conventions et non des vérités, comme la cosmogonie ? Voilà les questions que vous devez résoudre avant de vous inquiéter de savoir si vous pouvez vous intégrer à une religion ou si vous ne devez pas préférer être votre propre « Église ».

[1]. En quête de la gnose, Henri-Charles Puech. Bibliothèque des sciences humaines, NRF, éditions Gallimard, Paris (1978).

[2]. Mani et la tradition manichéenne. François Decret, éditions du Seuil 1974 (Paris)

[3]. Le Dieu séparé, les origines du gnosticisme. Simone Pétrement, éditions du Cerf 1984 (Paris), ré-édition en 2012.

La vie, la mort et le cathare

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La vie, la mort et le cathare

Quand on souhaite parcourir le chemin difficile et brumeux qu’est l’engagement de non-violence absolue, il ne manque pas de sujets qui réservent des situations apparemment inextricables. Peut-on les résoudre ou doit-on les fuir ? Sont-elles solubles ou ne génèrent-elles pas plus de problèmes qu’elles n’en résolvent ?Read more

Gestion de l’association

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Gestion de l’association

Le statut de 1901 permet une gestion opaque qui fait qu’il est largement privilégié par des groupes peu désireux d’exposer au plein jour leur gestion et leurs activités.

Notre volonté étant à terme, quand nous remplirons toutes les conditions exigées, de demander notre reconnaissance au terme du statut cultuel de la loi de 1905.
Le catharisme ne saurait se satisfaire d’une attitude visant à profiter d’un statut pour dissimuler ses actions.
Nous faisons donc le choix d’agir de façon transparente et honnête. Pour cette raison nous publierons, tous les ans, notre bilan financier.

Documents légaux

Statuts déposés en Préfecture de l’Aude

Réglement intérieur validé par l’Assemblée générale

Conseil d’Administration

Désigné par la dernière assemblée générale ordinaire, le Conseil d’administration est composé de (par ordre alphabétique) :

  • Chantal Benne, administratrice en charge de la veille médiatique ;
  • Éric Delmas, président en charge du secrétariat ;
  • Élysabeth Vonarb Bazerque, trésorière.

Guilhem de Carcassonne (Éric Delmas), chrétien consolé et membre du Conseil de l’Église assure également le suivi des croyants.

Année 2023

Bilan financier.

RECETTES DEPENSES
Report 2022 827,98€    
Acticité Associative   Activité Associative  
Adhésions ; Renouvellement et Dons 189,36 € Bien et services (frais de port colissimo) 106,40€
Activité Commerciale   Gestion  
Vente de livres 421,78€ Compte prêt payé Jazz 156,00€
    Frais bancaires : carte VISA 39,75€
       
RECETTES 1439,12€ DEPENSES 302,15€
CREDIT : 1439,12€ – 302,15€ = 1136,97€      

Nous entamons donc l’année 2024 avec un avoir de 1136,97 €

Mal, violence, souffrance, etc.

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Mal, violence, souffrance, etc.

Comme je l’ai lu récemment, le Mal d’un point de vue cathare est quasiment impossible à décrire.
Je précise que j’écris Mal (avec majuscule) pour définir le principe du mal et mal (avec minuscule) pour définir ce que nous appelons couramment mal.
Cependant, il me semble utile de revenir sur ce sujet très difficile afin que l’on évite de croire que ce sujet peut être clairement caractérisé et, en quelque, sorte, évacué.

Comment le catharisme aborde-t-il le problème du Mal ?

En fait les témoignages qui nous sont parvenus, généralement issus de personnes culturellement faibles et désirant se faire pardonner par le tribunal d’Inquisition qui les interroge, montre une approche extrêmement simpliste et réductrice.
Aujourd’hui, nous devons essayer d’aller plus loin, non pour ouvrir des champs de compréhension inconnus à ce jour, mais pour nous habiter à accepter la part d’indicible qui est liée à notre part mondaine extrêmement frustre.

Pourquoi le Mal existe-t-il ?

C’est sans doute un point très frustrant que de ne pas pouvoir imaginer un espace spirituel global débarrassé du mal comme nous le propose le judéo-christianisme depuis des millénaires.
D’un point de vue cathare, le Mal est un principe au même titre que le Bien, mais évoluant dans un espace spirituel différent et non pénétrable. Il n’y a rien au-dessus du Mal qui aurait pu décider de l’empêcher d’exister. La question n’a donc aucun sens : le Mal existe, un point c’est tout. Et dans son empyrée, la norme est le mal absolu en absence de toute forme de bien.
Par conséquent, il ne sert à rien de vouloir attribuer au Mal une fonction ; il n’en a pas ; il existe par lui-même et pour lui-même. Je serais tenté de comparer cela à une œuvre bien connue : Le seigneur des anneaux de J. R. R. Tolkien dans lequel le personnage de Gollum, ancien détenteur de l’anneau suprême, sans que l’on sache comment il l’a obtenu, agit le plus souvent en faisant le mal, mais parce que c’est pour lui son état naturel et normal.
En fait, le Mal n’existe que si l’on connaît aussi le Bien. Or, la plupart d’entre-nous ne connaît qu’un mal relatif et ignore l’existence du Mal absolu. C’est pour cela que les judéo-chrétiens, entre autres, ont décidé d’attribuer l’existence du mal à l’homme, alors que le Dieu de l’Ancien Testament, auquel ils se réfèrent, commet régulièrement le mal en l’absence de l’homme.
Dans le Nouveau Testament cette incohérence est régulièrement évoquée et même clairement formulée dans l’Évangile selon Jean, au chapitre 8, verset 44 : « Vous avez pour père le diable et vous faites l’œuvre de votre père. »

Le Mal est-il éternel ?

Contrairement aux religions qui voient le mal comme une étape dans la purification des âmes, les cathares voient le Mal comme un principe, selon la lecture qu’en donne Aristote. Donc, il est logiquement éternel.
Que devons-nous penser de cette éternité et en quoi peut-on s’en inquiéter ou pas ?
En fait, notre situation actuelle devrait nous rendre inquiets à l’idée de l’éternité du Mal, mais ce serait une approche biaisée. En effet, la sphère du Bien et celle du Mal sont étanches l’une à l’autre. Donc, comme nous ne nous préoccupons pas de savoir si un monde habité existe à plusieurs dizaines d’années-lumière du nôtre, puisqu’il n’y a aucune chance que nous en rencontrions les habitants un jour si l’on s’en réfère à l’idée que la vitesse luminale est infranchissable, il est sans intérêt de se préoccuper de ce qui se passe dans la sphère du Mal et son éternité puisqu’elle ne saurait avoir une influence sur nous.

Le Bien et le Mal peuvent-ils coexister ?

Comme je viens de le dire, le Mal et le Bien sont des principes éternels totalement étrangers l’un à l’autre et sans aucun point de contact. D’ailleurs quelle utilité pourrait-il y avoir à ce que leurs « domaines » puissent se confondre partiellement ? Aucune bien évidemment, puisqu’ils n’ont rien en commun et rien à partager.
Le cas très particulier de notre présence — nous parcelles de Bien — dans un environnement façonné par le Mal, n’est pas une osmose mais un mélange où chacune des parties conserve son intégrité. Seul notre affaiblissement et notre position d’infériorité dans ce monde font que le Bien n’apparaît pas. Il faut comprendre cette particularité comme nous comprenons l’état d’un scaphandrier plongé dans l’eau ou d’un astronaute en sortie extravéhiculaire. Ils sont plongés dans un univers hostile, mais ils n’en font pas partie. La seule différence est que la plupart d’entre-nous n’a pas conscience de sa situation.

Pourquoi souffrons-nous du mal ?

En fait nous ne souffrons pas du mal. Certes, je comprends votre surprise à une telle affirmation.
Je précise donc que notre part spirituelle ne souffre pas du mal, car le Mal ne peut avoir aucune influence sur elle. Seule notre part mondaine souffre du mal, car elle participe activement à son espace d’action. Dans cet espace malin nous souffrons du mal que nous ressentons ou du sentiment d’incomplétude que notre sensualité ressent comme un échec à ses aspirations.
Pour être plus clair, nous souffrons du manque que nous ressentons du fait que, dans un espace injuste, malveillant et mauvais, nous voulons pour nous ce qu’il y a de mieux. C’est l’absence qui est ressentie comme une souffrance. C’est donc en raison de notre nature mondaine et de l’espace créé par le Mal pour nous y maintenir que nous subissons des conditions dont certaines ne nous satisfont pas et ainsi nous donnent à ressentir une souffrance.
Mais le caractère imparfait de ce monde conduit en général à ce que rien ne permette de satisfaire pleinement nos aspirations et que, même au sommet de l’échelle sociale et pourvu de tout ce que l’on rêver de mieux, nous souffrons alors de la peur d’en être potentiellement privé. C’est une situation de déséquilibre permanent, comme je l’avais évoquée dans un prêche précédent.
Pour faire cesser cette souffrance, la seule solution est d’habituer notre enveloppe charnelle à changer de paradigmes et à lui faire préférer l’ascèse à l’opulence. Dès lors, une fois installés sans effort dans cette ascèse, notre souffrance diminuera fortement et, dans le meilleur des cas, disparaîtra.

Pourquoi nous adonnons-nous au mal ?

Nous nous adonnons au mal parce que nous sommes convaincus qu’il est le seul moyen pour nous d’obtenir un statut vivable dans ce monde. Dès lors, nous apprenons ses règles par notre éducation avec l’exemplarité que nous enseigne notre culture, et nous cherchons à reproduire ces éléments en essayant d’en tirer le meilleur parti.
Or, pour cela il nous faut utiliser les règles de ce monde, ce qui implique d’utiliser le mal au mieux de nos intérêts. Nous pensons qu’il n’y a que deux attitudes possibles : être un prédateur ou être une proie. Pour nous cathares, il existe une troisième voie : accepter de n’être ni l’un, ni l’autre, mais prévenir ceux qui ne verraient en nous que des proies qu’en cas de nécessité nous les renverront devant les instances et autorités qui régissent le monde à la façon dont ils le comprennent. L’immense majorité des personnes qui abusent du mal étant des lâches, la menace d’une sanction assurée les fera reculer et ils finiront par nous considérer comme d’étranges créatures sans intérêt et sans danger pour eux.
Si nous nous refusons à recourir au mal c’est avant tout pour mettre notre vie en harmonie avec notre morale qui est inspirée par notre foi. Et les vrais chrétiens doivent s’interdire toute forme de mal, car il n’existe pas de moindre mal ou de mal justifié. Là où l’Ancien Testament, c’est-à-dire la loi juive, parle de loi du talion — qui vient du code d’Hammurabi, relevant d’une autre religion —, le Nouveau Testament parle lui de non-violence absolue avec les exemples bien connus comme de tendre la joue gauche quand on nous frappe sur la droite ou de donner tout son manteau à celui qui en réclame la moitié, etc.

Comment surmonter le mal inhérent au monde ?

Le lien entre le mal et le monde justifie pleinement le qualificatif d’inhérent puisque ce monde fonctionne en tout point dans le cadre du mal. Même quand nous croyons percevoir le bien dans ce monde, une analyse plus fine révèle la présence du mal que nous n’avions pas vu initialement. En général un bien comporte un pendant malin, car ce qui profite aux uns est souvent négatif pour d’autres. Il ne faut pas oublier que nous appréhendons ce monde par les moyens de notre corps, qui est un outil au service du mal, et qui utilise pour nous tromper nos sens qu’il abuse facilement.
Aussi, même quand nous croyons voir du bien autour de nous et en nous, nous sommes le plus souvent dans le mal sans en avoir conscience. Cet état, si nous en avions l’intuition, pourrait nous rendre amers et tristes. Cependant, pour en avoir l’intuition il faut être capable de développer la part issue du Bien qui est partiellement endormie et maintenue prisonnière en nous. Dès lors, nous entrevoyons une autre issue que celle que nous propose le monde et, cette autre issue est porteuse d’espoir et de joie infinie, ce qui nous rend heureux malgré nos vicissitudes. En fait nous pouvons être partiellement et momentanément heureux quand nous sommes aveuglés par le monde ou l’être pleinement quand nous sommes capables de nous extraire partiellement et momentanément de ce monde grâce à l’éveil spirituel.

En quoi l’éveil peut-il nous aider ?

Quand un sympathisant cathare approfondit son savoir, qu’il acquiert par son étude du catharisme, il est amené à s’interroger sur les certitudes qui ont fait leur lit dans son éducation et dans son expérience de vie. Souvent, il les balaie d’un revers de main, car elles sont remises en question par ce qu’il découvre et que cela lui semble insurmontable ou que cela lui provoque une profonde souffrance.
Mais s’il décide de l’approfondir par des études sérieuses, il va découvrir les incohérences de ce qu’il considérait jusqu’alors comme des vérités, ou tout au moins des certitudes. Dès lors va s’enclencher un processus où tout apprentissage et savoir supplémentaire va lui montrer la logique et la cohérence du catharisme, ce qui le conduira à considérer que s’il est croyant c’est dans cette voie qu’il pourra accéder au salut. Quand ce sera devenu une évidence incontournable, se produira cet événement intellectuel et spirituel que l’on appelle l’éveil.
Cet éveil donne à celui qui en est empreint la capacité de comparer ce qu’il vit à ce que son savoir lui a apporté au fil des ans. Or, quand on sait qu’il y a deux réalités alternatives, celle du monde et celle de la foi cathare, cette comparaison se fait au détriment de celle du monde pour la bonne raison qu’elle est incohérente et même illogique. C’est l’atout majeur de l’éveil qui place le croyant cathare dans une position de connaissance qui échappe à la plupart des autres humains qui n’ont qu’une seule vérité possible et qu’un seul angle de vue, tout comme un observateur unique observant un avion au lointain dans un ciel uniforme est moins capable de savoir s’il s’approche ou s’il s’éloigne que s’il l’observe latéralement ce qui lui permet de comparer deux points différents dans l’espace déterminant sa position et son sens de déplacement.
Mais, chercher à cheminer pour échapper au Mal n’est-il pas une perte de temps ? il est vrai que notre situation de prisonniers de ce monde et la certitude qu’à la fin des temps tout le monde sera sauvé, peut donner à penser qu’il suffit d’attendre passivement que les choses se fassent. Mais comme celui qui est éloigné des siens depuis longtemps choisira le moyen de transport le plus propice à des retrouvailles rapides, celui qui sait qu’il est prisonnier ici-bas n’a plus qu’une envie : retourner au Père à la fin de cette vie terrestre.
C’est pour cela que la suite logique de l’éveil est d’entamer le cheminement vers la Consolation qui surviendra quand les croyants auront effectué une part importante, même si elle est difficile, du chemin de retour.

Pour conclure je vous dirai que si l’accès aux savoirs essentiels et à l’éveil est un chemin difficile qui provoque des souffrances et qui expose à des violences de ceux qui ne peuvent comprendre nos motivations, il n’en reste pas moins essentiel à notre « évasion » de la prison mondaine dans laquelle la malignité nous a fait choir. Mais il ne faut pas en avoir peur, car comme l’aurait dit le Christ aux apôtres, ces difficultés sont les moindres auxquelles nous sommes exposés et que pour les surmonter il nous assiste largement par le truchement du Saint-Esprit paraclet.

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