Les douze travaux d’Hercule
Aucun de nous ne se prend pour un héros, mais il en est un pourtant qui me semble nous ressembler un peu. Héraclès (Hercule pour les Romains), ce fils de Zeus et d’Alcmène[1] est connu pour son caractère aventurier dont l’acmé de la geste est sans nul doute les douze travaux qui lui furent imposés par Eurysthée après qu’il ait commis un grand massacre, incluant sa femme Mégara et ses enfants. Ces douze travaux forgeront la gloire d’Héraclès auprès des Grecs et nous ont été rapportés ainsi : Le lion de Némée, L’hydre de Lerne, le sanglier d’Érymanthe, la biche de Cérynie aux pieds d’airain, les oiseaux du lac Stymphale, le taureau crétois de Minos, les juments de Diomède, la ceinture dorée d’Hyppolyte reine des Amazones, les écuries d’Augias, les bœufs de Géryon, les pommes d’or du jardin des Hespérides et enchaîner Cerbère le chien des Enfers. À la fin de ses aventures, le héros mourut empoisonné par erreur par sa femme Déjanire, trompée par le centaure Nessus, et rejoignit l’Olympe où il fut admis au statut divin avant d’y commencer une autre vie avec la déesse Hébé.
D’une certaine façon, il est possible de voir une sorte de parallèle entre ce mythe et la vie des esprits-saints tombés dans le monde où ils doivent surmonter de nombreuses difficultés avant de pouvoir revenir au Père de façon éternelle.
Si j’ai choisi de vous parler aujourd’hui des douze travaux d’Hercule, ce n’est pas gratuitement, mais c’est pour essayer de vous présenter de façon claire et évolutive la façon dont le sympathisant cathare qui deviendra ensuite croyant cathare doit orienter sa réflexion et son cheminement spirituels.
Essayons de travailler sur la base des douze travaux d’Hercule pour déterminer quels sont les éléments que nous devons étudier et accepter ainsi que les pratiques que nous devons mettre en œuvre, afin de pouvoir se fixer des étapes comme ce fut le cas pour le héros grec.
Les douze travaux cathares
La première partie de ces travaux consiste dans l’analyse et l’acceptation d’un certain nombre de prérequis qui, au vu des documents en notre possession, fixent un cadre doctrinal éprouvé et jamais remis en question de façon efficace.
1 – Dieu est omniscient et omnipotent dans le Bien
En raison de son statut de principe, Dieu ne peut avoir de cause à son origine. Par contre, peuvent émaner de lui des conséquences qui seront forcément de même substance que lui.
Par conséquent, le Bien étant le fonds de Dieu, rien ne peut émaner de lui qui ne soit absolument consubstantiel à lui, c’est-à-dire totalement et irréfragablement composé de Bien. Ce point est fondamental pour quiconque veut s’approcher spirituellement de la doctrine cathare.
2 – Aucun mélange n’est possible entre le Bien et le Mal
Si l’on s’en tient à la théorie des principes énoncée notamment, par Aristote et Platon, il n’est pas possible qu’un principe soit altéré ou amélioré par l’ajout d’éléments provenant d’un autre principe.
Par conséquent, toute émanation de Dieu, qu’on l’appelle Esprit-saint, ange, Christ, ou Saint-Esprit ne peut être que parfaite dans le Bien.
Il nous faut donc admettre que le principe du Mal ne peut en aucune façon modifier ce qui provient du principe du Bien.
3 – Le Bien est éternel, permanent, parfait et incorruptible
Selon la doctrine cathare, l’émanation divine que nous appelons Esprit-unique, ne peut subir aucune modification par l’action du Mal et ce de quelque manière que ce soit. Donc, l’hypothèse cosmogonique, selon laquelle un ange, issu de Dieu, aurait pu être perverti par le Mal et devenir ainsi son serviteur fidèle et son démiurge dans sa création maléfique est impossible à envisager.
4 – Le Bien n’a pas de mal à opposer au Mal
L’hypothèse cosmogonique, relayée par l’Apocalypse de Jean, selon laquelle le démiurge aurait, par ruse, réussi à détourner une partie de l’émanation divine, afin de s’en servir pour maintenir une apparence d’éternité dans sa propre création, ne peut s’envisager que si l’on maintient l’idée selon laquelle ce « rapt » s’est produit sans modifier en aucune façon ni la nature, ni la substance de la part de l’Esprit-unique, ainsi dérobée.
De même, si le reste de l’émanation divine et Dieu lui-même n’ont pas suivi la même voie, c’est tout simplement parce que le démiurge n’a pas cherché à les faire chuter. En outre, il est clair que Dieu lui-même n’aurait pu chuter, sauf à considérer qu’il n’était pas un principe, par définition immuable.
5 –Le mélange est un état non-permanent
Lors de sa « chute » la part de l’esprit unique, dominée par le démiurge, aurait été maintenue prisonnière au moyen de l’enfermement dans une enveloppe charnelle constituant de fait un mélange entre une part spirituelle et une part matérielle que nous appelons l’homme.
Ce mélange n’a rien d’homogène. Il faut le considérer un peu comme on le fait avec la mayonnaise, c’est-à-dire comme une émulsion entre une part liquide (l’huile) et une part solide (le jaune d’œuf), qui sont appelées à se séparer dès que les conditions sont réunies (température).
Ainsi, nous savons que notre part spirituelle est prisonnière et affaiblie au sein de l’enveloppe charnelle qui la contraint, mais qu’elle n’est pas en osmose avec elle. Cependant, nous pensons que cet enfermement peut-être limité, au moyen d’efforts visant à solliciter la part spirituelle, même s’il est impensable que nous puissions nous libérer par nous-même totalement de cet emprisonnement. La dernière étape relevant de la grâce divine.
6 – Intégrer et mettre en œuvre le commandement de Christ
De l’ensemble des éléments précédents, que nous acquérons par l’étude, la réflexion et les savoirs, il découle forcément une évidence selon laquelle nous devons trouver les moyens de quitter ce mélange sans attendre passivement que Dieu vienne nous en tirer, comme c’est le cas dans d’autres spiritualités.
C’est pour cela, qu’au fil des millénaires, des messagers sont venus nous rappeler notre situation et nous indiquer le moyen d’en sortir et peu importe qu’on les appelle ange gardien, serpent de la Genèse, inspiration, Christ ou autre. Ce moyen, c’est la mise en œuvre pratique du seul commandement que Christ nous a donné, quelques en soient les moyens et selon les textes consultés. Ce commandement est celui de la Bienveillance, c’est-à-dire vouloir le bien pour tous, de façon équanime et absolue. Cela dépasse largement la conception que nous avons habituellement de l’amour du prochain, qui fixe des limites, tant dans son intensité que dans son champ d’application.
7 – Construire une démarche morale et pratique personnelle
Cette démarche est appuyée sur la Règle de justice et de vérité que les cathares nous ont transmise depuis le Moyen Âge. Cela ne peut se faire que de façon progressive et modulée, afin de ne pas se trouver confronté à des contraintes trop importantes, voire insurmontables.
Les points à mettre en avant dès le départ, car ils sont le plus souvent les plus prégnants et difficiles à surmonter, sont la non-violence absolue et l’humilité. En effet, ces points relèvent de la mise de côté de ce qui est en notre nature mondaine le plus puissant : l’égo. C’est lui qui régit notre vie au quotidien, même si nous n’en avons pas toujours conscience. C’est l’égo qui nous fait croire que nous sommes différents des autres et parfois même meilleurs que les autres.
8 – Associer systématiquement pratique et réflexion intellectuelle
La mise en œuvre de la Règle de justice et de vérité est un excellent moyen d’associer une démarche intellectuelle qui est acceptée assez facilement, avec une mise en œuvre pratique qui elle, pose souvent d’énormes problèmes. En effet, la pratique nous désigne au regard du monde comme différents et comme porteurs d’une démarche morale et sociale contraire à l’ordre établi.
Notre choix de ne pas chercher à dominer les autres, de vivre simplement sans céder aux attraits permanents d’une société de consommation, de ne pas juger ni condamner ceux qui ne sont pas de notre avis, conduit forcément à être revêtu d’une image négative liée au fait que l’on ne peut supporter qu’un autre fasse un choix différent du sien, car cela pousse à s’interroger sur la validité de son propre choix. C’est pour cela que de tout temps ceux qui avaient fait des choix différents ont fait l’objet d’ostracisme et de dénigrement, voire de persécutions.
9 – Renoncer à ce monde
Le point le plus délicat que l’on est amené à viser quand on est un sympathisant cathare est celui du renoncement au monde. La marche est haute entre le fait d’admettre que ce monde n’est pas de Dieu et qu’il est sous la coupe du Mal, et celui de s’engager à s’en détacher autant que faire se peut alors même que nous sommes contraints d’y vivre au quotidien.
C’est sans aucun doute le moment le plus difficile, car nous sommes à la fois débutants et que nous devons affronter un rejet qui s’oppose totalement à ce qui a toujours été notre considération de vie quotidienne. Il faut affronter cette difficulté petit à petit en mettant en avant des éléments de notre vie qui n’ont rien d’essentiels au quotidien. Ce peut être des habitudes quotidiennes ou des engagements non essentiels, par exemple dans le domaine associatif, syndical, politique, etc. Mais cela peut être aussi plus délicat quand il s’agira d’expliquer à ses proches son engagement spirituel et le renoncement qu’il demande, même si on précisera à chaque fois qu’il n’est pas question pour nous d’abandonner des engagements fondamentaux que nous avons pris envers nos proches bien avant ce changement.
10 – Ne pas céder aux tentations intellectuelles valorisantes
Quand on découvre un nouveau sujet intellectuel attirant, la tentation est grande de vouloir l’étudier de façon approfondie et d’y consacrer une partie de son temps qui viendra forcément en déduction du temps que l’on consacrera à la mise en œuvre pratique. Là encore, c’est notre égo qui nous domine et nous devons en avoir conscience, afin de ne pas le laisser agir. Rappelons-nous sans cesse que le catharisme est avant tout appuyé sur le message de Christ et qu’il n’a nul besoin d’un approfondissement extrême que l’on devra garder pour le moment où l’on aura réussi à mettre en œuvre tous les points que je viens de citer auparavant.
11 – Réfléchir et agir en toute humilité
Je reviens sur l’humilité pour bien comprendre à quel point cette dernière est l’antithèse majeure de l’égo. C’est pourquoi nous devons toujours la mettre en avant, tant dans nos réflexions que dans nos pratiques. En outre, elle donne de nous une image que certains peuvent assimiler à celle d’une proie, car nous ne voulons justement pas laisser croire que nous pouvons être éventuellement des prédateurs.
Mais l’humilité est davantage tournée vers nous que vers l’extérieur. C’est en raison de la prégnance de notre égo que nous devons sans cesse l’utiliser pour lui résister efficacement.
12 – Le détachement et le lâcher-prise
Le dernier point qui me semble important d’aborder et celui du détachement et du lâcher-prise. Le détachement est la mise en œuvre concrète de notre statut de croyant cathare. Nous le manifestons au quotidien en refusant de nous laisser corrompre par tout ce que ce monde utilise pour empêcher l’émergence de la part spirituelle qui est prisonnière en chacun de nous. Rappelons-nous que nos parents et grands-parents vivaient très bien sans avoir le dixième de ce qui nous semble essentiel aujourd’hui. Sans pour autant, mettre en œuvre une éventuelle politique de décroissance, apprenons la modération et la modestie dans la vie quotidienne.
Le lâcher-prise lui relève peut-être davantage de notre démarche intellectuelle. Il faut désapprendre à considérer les choses de façon primaire, car c’est souvent notre nature mondaine qui s’exprime à ce moment-là. Apprenons donc à réfléchir, à temporiser, à comparer ce qui nous est donné de voir ou de comprendre avec ce que le catharisme nous a appris.
C’est ce que j’ai voulu vous faire comprendre par cette présentation ; vous donner une sorte de menu que vous pourrez utiliser au quotidien afin de voir dans quelle mesure vous pouvez avancer, progressivement et à votre rythme, dans ce cheminement particulièrement complexe qu’est le catharisme, particulièrement quand on passe du statut de sympathisant à celui de croyant. Je pense en effet que c’est la période la plus difficile, la plus douloureuse parfois aussi, mais c’est la plus essentielle si vous voulez pouvoir continuer sans emprunter par erreur des chemins de traverse qui vous éloigneront de votre objectif initial.
Guilhem de Carcassonne le 15 juin 2025
[1] Alcmène est une mortelle, épouse d’Amphitryon dont Zeus (Jupiter) prit l’apparence pour la tromper, pendant que Hermès (Mercure) prenait celle du serviteur du roi, Sosie, pour protéger ses ébats.