Yves Maris, le « philosophe cathare » du XXe siècle
Yves était un érudit qui avait « rejoint » le catharisme après une carrière mondaine dont on aurait pu croire qu’elle l’éloignerait à tout jamais de la spiritualité.
Mais l’Esprit peut tout surmonter et Yves l’a démontré de façon remarquable !
Après avoir abandonné le domaine financier, il s’est orienté vers la philosophie. titulaire d’un doctorat, il dédia sa vie au catharisme. Son choix était celui d’une approche intellectuelle associée à une vie ascétique, mais il ne pensait pas qu’il fut possible de nos jours de reconstruire l’Église cathare sur la base de communautés évangéliques.
Sa volonté de rapprocher les groupes et personnalités épars, se réclamant du catharisme, l’avait naturellement conduit à mettre en place un rendez-vous qu’il appelait : Rencontre de la diversité cathare. Même s’il ne put assister à la première édition en raison de la maladie qui devait l’emporter quelques semaines plus tard, il lui en revient la totale et exclusive paternité.
Outre ses livres que vous trouverez sur le site, son site internet — entretenu et animé par son ami Gérard — est désormais sous la direction de ses enfants, Olympe et Barthélémy. Je vous en propose le sommaire sur cette page.
Yves Maris nous a quitté
Ainsi que certains d’entre-vous l’ont appris, Yves Maris est décédé, mercredi 29 juillet 2009, à l’hôpital Rangueil de Toulouse.
Retracer la vie et l’œuvre de Yves n’est pas notre propos mais nous voulons dire combien il fut essentiel dans le renouveau d’une pensée cathare, ressourcée et parfaitement construite tant au plan philosophique que spirituel.
Bien que clairement partisan d’une approche assez radicale de la conception doctrinale, il fut apprécié pour sa grande bienveillance envers tous, et particulièrement envers ceux dont il ne partageait pas l’approche.
La clé de voûte de son œuvre restera, je pense, d’avoir imaginé, organisé et initié la première Rencontre de la diversité cathare qui est la première pierre du christianisme cathare du XXIe siècle.
Hommages à Yves Maris
Vous trouverez ci-dessous, les textes qui furent lus lors de cet hommage.
Olympe et Barthélémy Maris, ses enfants, lisent la dernière publication de Yves, présentée dans sa lettre mensuelle :
L’écharde dans la chair
Chers amis,
Dans sa correspondance aux Corinthiens, Paul fustige ceux qui se glorifient d’élévations fantasques, de visions et de révélations fabuleuses. Il craint la mystification et ne dira rien de son propre enlèvement « au troisième ciel », ni, bien sûr, des « paroles indicibles » qu’il a entendues. Il ne se vante que de ses faiblesses, de « cet ange de Satan » qui lui a été donné « pour le souffleter ». L’affection du corps le brise et le retient trop souvent à l’étape. Il avoue qu’il a fait appel au Seigneur pour éloigner de lui le démon de la maladie et n’a jamais obtenu qu’une réponse : « Ma grâce te suffit ; oui, parfaite est ma puissance dans la faiblesse. »
Rares ceux d’entre nous qui ne ressentent « une écharde dans [la] chair » quand les années de vie s’ajoutent. Dans la tradition juive, héritée par les judéo-chrétiens, toute maladie est un châtiment de Dieu. Plus le lien avec le péché est évident, plus la maladie devient honteuse. Elle ne disparaît que lorsque le péché est pardonné. Pour cette raison, nous dissimulons souvent nos propres affections et notre relation aux malades reste ambiguë. Vous m’autoriserez à prendre l’exemple de Paul pour dire ma propre faiblesse et les démons qui me hantent.
Je n’avais guère plus de trente ans lorsqu’un noisetier aux bourgeons éclatés, tout étincelant de rosée, me dit de façon évidente : « C’est ton dernier printemps ! » Le message était si clair que je courus chez un radiologue, sans savoir que chercher. De fil en aiguille l’on découvrit un anévrisme de la partie horizontale de l’artère aorte sur le point de rompre. L’opération, cœur arrêté, double circulation extra corporelle et hibernation profonde du cerveau, était si délicate qu’un seul chirurgien en France offrait alors une garantie de succès. L’année qui suivit l’intervention, de fortes angoisses montaient de mon inconscient, jusqu’au rêve cathartique où je vis de l’intérieur le flot sanguin revenir brutalement dans l’artère et ressentis la chaleur de vie envahir mon corps. Les angoisses cessèrent et je goûtai bientôt au bonheur de franchir les petits cols pyrénéens à bicyclette.
Vingt-et-un ans plus tard, alors que la progression du mal était régulièrement suivie, cardiologues et radiologues jugèrent qu’il était temps de consolider la partie descendante de l’artère en glissant une prothèse de bonne taille à l’intérieur. Bien que l’intervention fût incomparablement plus légère que la précédente, de longs mois de récupération furent nécessaires pour que la circulation sanguine se réorganisât et que le traumatisme cardiaque s’effaçât. Trois ans passèrent et la décision de refaire la partie initiale de l’aorte s’imposa. S’agissant d’une seconde opération, la difficulté était accrue. Les chirurgiens eurent à vaincre une longue hémorragie et à réparer l’usure de la première prothèse, avant de réimplanter les coronaires et de remplacer la valve aortique. Une opération de sept heures. Je gardai au réveil comme le souvenir d’être allé à l’extrême limite de l’existence, d’avoir vu les rives du néant et admiré sans effroi, avec fascination, les eaux noires du Styx. Je fus très étonné de revenir dans le continuum de la vie, porteur du sentiment que la mort est d’une grande simplicité.
Entre-temps, voici une douzaine d’années, alors que je rédigeais ma thèse sur Paul, je me sentis brutalement aspiré corps et âme dans un trou noir sans fond. L’impression fut si violente que j’allai dire à mon médecin que j’avais une maladie grave, cachée, qu’il devait trouver. Il m’examina avec soin, me palpa ici et là, jusqu’à découvrir un nodule sur la tyroïde. Je me souviens de la mine de circonstance du chirurgien qui s’assit sur mon lit, après l’opération, et m’annonça que j’avais un cancer. Il devait m’opérer une seconde fois. Décidément, mon corps était habité d’une foule de démons ! Mes épreuves me font dire qu’une maladie nécessite une forte concentration pour être maîtrisée et finalement vaincue. Toute distraction est une erreur. Je rentrai chez moi un soir où la neige abondante isolait la maison. J’allais être seul avec mon démon, ce qui ne me déplaisait guère. Peu après, je passai par la médecine nucléaire et le mal s’effaça subitement. Puisqu’il est entendu que mon corps est faible, je n’ajouterai pas le récit de terribles coliques hépatiques qui me valurent l’expérience de l’héroïne et une opération banale.
Je viens d’être atteint d’une sévère pleurésie, probablement due à un long hiver humide et enneigé. Cette affection de trop m’a relié à l’aveu de faiblesse de l’apôtre. C’est la raison de ma lettre. Hospitalisé d’urgence pour une insuffisance respiratoire, j’ai passé cinq semaines au fond d’un lit sans presque un mouvement ni du corps ni de l’âme. Pris dans cette sorte de contemplation que la maladie favorise, j’aperçus tout à coup le démon hors de mon corps. Avoir été vu le rendait vulnérable. Il était transparent, sans forme, revêtu d’un tissu arlequin fané, armé d’un glaive et d’un bouclier rond. Je sortis de moi-même dans le même appareil. Nous nous heurtâmes, fer contre fer, puis, je saisis une fine lance et lui arrachai le cœur que je fichai au sol, telle une sèche crachant son encre. Les médecins étaient encore dubitatifs, mais je sus que j’allais vers la guérison.
A ceux qui se glorifient d’avoir une belle âme dans un corps sain, au point de s’entretenir chaque jour avec les anges, Paul réplique que la faiblesse du corps accroît la grâce : « Je prendrai encore plus de plaisir à me vanter de mes faiblesses pour que la puissance du Christ m’abrite. » La pensée cathare entend le paradoxe. Je vous prie d’accepter ces lignes comme un témoignage à l’adresse de ceux qui souffrent dans leur chair et pourraient douter de la grâce.
Éric Delmas, ami partageant la même spiritualité, lit un texte issu de la thèse de philosophie de Yves :
« En quête de Paul » :
Jésus a montré que le temps messianique refermait immédiatement la loi. Le rachat est proposé. Il annule le péché. Il refuse le jugement. La grâce du Christ ne s’inscrit pas dans la légalité, telle une remise de peine que le droit énoncerait. Ceux qui se fient à Jésus perçoivent le paradoxe de son exécution comme un langage initiatique, pour une autre justification possible que la loi ne connaît point. En la confiance que Paul met en Jésus réside la clé du mystère.
La liberté paulinienne ne s’accommode d’aucune règle qui entrave la libre détermination de l’homme spirituel. Il n’est de rapport à Dieu que par l’esprit. Nul ne saurait surveiller la liberté de l’autre. En « l’esprit de vie », le converti met toute son espérance. Il le perçoit comme la puissance de la vie éternelle. La recherche de la pureté du souffle divin constitue l’œuvre de sa vie nouvelle. Il lui appartient de personnaliser et d’actualiser cet esprit en lui donnant vie. Alors que l’homme psychique ne sait requérir en ses prières que la satisfaction de sa « convoitise » (ses requêtes liées au monde destructible sont vaines au regard de Dieu), l’homme spirituel, lui, ne peut prier qu’en esprit. Il n’attend nulle bénédiction en son lieu de chute. Il ne peut espérer pour lui-même qu’une plus grande perfection de sa spiritualité et les fruits qu’elle donne. Or, quand l’esprit parle à l’esprit, il ne communique rien, il ne demande mie. Il se reconnaît en sa propre unité. C’est pourquoi, Paul n’a d’autre prière à enseigner que l’imitation de l’homme parfait qui fait vivre l’esprit du Christ et le réalise en ses actes.
Il n’est point d’œuvre de Dieu hors des fruits de l’esprit. Ceux-ci ne s’épanouissent nullement dans « la mer poissonneuse, la terre et les fleuves, l’orifice des sources pérennes, les créations prévues au profit de la vie, les pluies qui font venir à la fois la moisson des guérets et les arbres, la vigne et l’olivier ». N’oublions jamais le cri de foi paulinien : « Qui me délivrera du corps de cette mort ! » ; c’est à dire, de la condition terrestre. La douceur de la vie divine n’est pas dans le fruit de la terre, mais dans « le fruit de l’esprit », dont l’homme de foi recueille déjà les prémices ici-bas. Ils sont « amour, joie, paix, générosité, prévenance, bonté, fidélité ».
La loi de l’esprit est, en l’homme spirituel, révélée en sa conscience, dite par sa bouche. Nulle part ailleurs elle n’est à rechercher. L’homme n’a aucune loi à apprendre par cœur, il n’a qu’à écouter la parole de Dieu qui est en lui : La loi qu’Il a gravée dans son cœur.
L’esprit de discernement donne à l’homme le choix de sa liberté. La libération que propose le Christ est une libération absolue. Il ne libère pas l’homme de la loi de Moïse afin de l’enfermer en une loi nouvelle. Aucune loi extérieure ne peut satisfaire l’appel libérateur de l’esprit. Le converti n’est pas racheté à titre d’esclave, mais à titre d’homme libre.
La sœur de Yves lit un texte issu de l’évangile de Jean (Jn III 1-21) :
Entretien de Jésus avec Nicodème
Or il y avait parmi les pharisiens un chef des Juifs du nom de Nicodème ; celui-ci vint le trouver de nuit, et lui dit: Rabbi, nous savons que tu es un maître venu de la part de Dieu ; car personne ne peut produire les signes que, toi tu produis, si Dieu n’est avec lui.
Jésus lui répondit: Amen, amen, je te le dis, si quelqu’un ne naît pas de nouveau, il ne peut voir le règne de Dieu.
Nicodème lui demanda : Comment un homme peut-il naître quand il est vieux ? Peut-il entrer une seconde fois dans le ventre de sa mère pour naître ?
Jésus lui répondit : Amen, amen, je te le dis, si quelqu’un ne naît pas d’eau et d’Esprit, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu. Ce qui est né de la chair est chair, et ce qui est né de l’Esprit est Esprit. Ne t’étonne pas que je t’aie dit : Il faut que vous naissiez de nouveau – d’en haut. Le vent souffle où il veut ; tu l’entends, mais tu ne sais pas d’où il vient ni où il va. Il en est ainsi de quiconque est né de l’Esprit.
Nicodème reprit : Comment cela peut-il advenir ? Jésus lui répondit : C’est toi qui est maître en Israël, et tu ne sais pas cela !
Amen, amen, je te le dis, nous disons ce que nous savons, et nous témoignons de ce que nous avons vu ; et vous ne recevez pas notre témoignage. Si vous ne croyez pas alorsd je vous ai parlé des choses terrestres, comment croirez-vous si je vous parle des choses célestes ? Personne n’est monté au ciel, sinon celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme.
Et comme Moïse éleva le serpent dans le désert, il faut de même, que le Fils de l’homme soit élevé, pour que quiconque croit ait en lui la vie éternelle. Car Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, pour que quiconque met sa foi en lui ne se perde pas, mais ait la vie éternelle. Dieu, en effet, n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que par lui le monde soit sauvé. Celui qui met sa foi en lui n’est pas jugé ; mais celui qui ne croit pas est déjà jugé, parce qu’il n’a pas mis sa foi dans le nom du Fils unique de Dieu. Et voici le jugement : la lumière est venue dans le monde, et les humains ont aimé les ténèbres plus que la lumière, parce que leurs oeuvres étaient mauvaises. Car quiconque pratique le mal déteste la lumière ; celui-là ne vient pas à la lumière, de peur que ses œuvres ne soient dévoilées ; mais celui qui fait la vérité vient à la lumière, pour qu’il soient manifeste que ses œuvres ont été accomplies en Dieu.
Éric Delmas, 6 août 2009.
Pour Yves
Les amis et admirateurs de Yves Maris me disent régulièrement leur admiration pour l’homme, pour le penseur et pour le spirituel.
Plutôt que de les garder pour moi, je vais les publier ici avec leur signature, à la mode cathare.
Bertran de La Farge
Chers amis,
Yves et chacun d’entre nous, nous tous, nous avons chacun notre point de départ personnel dans la vie. Ces points de départ sont la plupart du temps différents les uns des autres. La religion d’origine (ou la non-religion) fait partie de ces points de départ. Ensuite, nous évoluons, soit sans nous en rendre compte, soit par le fait de nos quêtes personnelles. Notre quête commune du Catharisme nous conduit à converger les uns vers les autres, mais c’est une longue route qui s’étend encore devant nous. Aussi avons-nous des « diversités ». Tel était le thème de notre première rencontre de Roquefixade. Par ces diversités, par le fait que nos trajectoires convergentes ne sont pas encore achevées, nous sommes encore différents les uns des autres. Mais au fil de nos quêtes et de nos rencontres, nous sommes devenus « frères » (et « sœurs ») et solidaires. Yves était l’un de nos compagnons, un compagnon valeureux, généreux, passionné, émérite. Il n’est plus là. Il nous manque. Nous avons le cœur serré. Mais nous savons que ce n’est que son corps qui est « parti ». Yves existe toujours et, comme tous ceux qui l’ont précédé dans la grande quête cathare, et désormais avec eux, il a rejoint la grande entité spirituelle qui est en train de nous guider et qui petit à petit nous rassemble pour que soit reprise l’évolution de cette grande tâche qui a été violemment interrompue il y a 800 ans et dans laquelle chacun d’entre nous tient son rôle, un rôle et une tâche que nous avons parfois encore, du mal à identifier et à comprendre. A nous d’identifier nos jalons.
J’ai rencontré Yves pour la première fois il y a près de 30 ans. Il était alors au début de sa recherche et déjà commençait à se déclarer cathare. Par sa vie il a dès lors fait la démonstration de son ouverture d’esprit sereine, documentée et déterminée. Un jour, il y a quelques années, nous étions trois « compagnons » de quête, un soir à Pamiers. Yves bien sûr étant de ces trois. Ce soir-là l’évêque catholique de Pamiers, Mgr Perrier, organisait un débat sur le Catharisme. Yves et moi, l’avons alors « interpellé » (sans agressivité). Surprise : un dialogue ouvert s’est alors installé, chacun respectant l’autre. Ce soir-là sont nées les « Disputatios » de Roquefixade.
Ainsi fut démontré l’esprit d’ouverture et de respect des convictions d’autrui tant de la part d’Yves que de nous autres compagnons cathares et aussi de Mgr Perrier que, d’aussi deux Pasteurs protestants, dont le Pasteur Parmentier, du Mas d’Azil. Ainsi, un œcuménisme constructif se construisait, fondé sur le respect de la liberté de conscience, bienveillante et pacifique, de chacun.
Ce samedi après midi, le corps d’Yves va être conduit « à sa dernière demeure ». Mais, nous savons que l’âme qui était incarnée dans ce corps a maintenant accompli son « Mariage mystique cathare », ce mariage pendant lequel l’âme qui était prisonnière de la chair rejoint son Esprit originel : a quitté sa tunique de chair et de terre et a revêtu la Tunique immortelle et divine du Christ : « la Jérusalem d’en haut se trouvent les Esprits auxquels les âmes ayant vécu dans les bonnes œuvres doivent être attachées après avoir été, tout comme ces Esprits, édifiées par Dieu. » (Manuscrit cathare occitan de Dublin)
Et nous savons que le corps d’Yves comme tous les corps de tous les êtres humains « retourne au sol, puisqu’il en fut tiré, car il est poussière et il retourne à la poussière (Genèse, 3, 19) : tout vient de la poussère, tout s’en retourne à la poussière (Ecclésiaste 3, 19-22). Nos corps de chair sont poussière et retournent à la poussière : quand meurt l’Homme, il a pour partage serpents, bêtes et vers (Ecclésiastique 10, 13).
Alors, qu’importent les rites inventés par les Hommes, chaque rite a la valeur de celui qui le respecte. A notre tour de montrer que nous pratiquons ce même œcuménisme respectueux qu’ont pratiqué Yves et tous les Cathares qui l’ont précédé. En effet, ne savons-nous pas que les âmes et les esprits de tous les êtres humains réintègrerons tous un jour la grande Unité que nous appelons Dieu et que les Chrétiens appellent aussi « Amour ».
Nous devons bien à Yves, en ce jour, cette même amitié fraternelle et respectueuse envers tous ceux qui seront présents physiquement ou par l’esprit pour accompagner sa dernière tunique de chair en cette terre de Roquefixade qu’il a aimée et où elle va, elle, se réintégrer dans notre mère nature.
Amitié,
Bertran
PS 1 : tous ne connaissent pas notre ami Patrick Lasseube qui, loin d’être un étranger nouveau venu, est un ami de longue date d’Yves. Il a, entre autres été, auprès d’Yves, le Président de l’association qui a organisé les Disputatios de Roquefixade et il était présent lors de la Rencontre des diversités cathares. Patrick Lasseube est aussi, depuis une vingtaine d’années, l’un des compagnons militants qui ont œuvré à la création de l’Ostal d’Occitània à Toulouse. Il serait judicieux, à mon avis, et pour notre solidarité à venir que nous aidions à un rapprochement de Patrick Lasseube et de Gérard Bavoux qui se sont chacun proposés pour collationner quelques textes qui pourraient être lus et/ou distribués lors de la cérémonie œcuménique d’au revoir de ce samedi 1eraoût à Roquefixade.
PS 2 : Yves et moi avons eu une conversation, que je n’imaginais pas la dernière, vendredi, la semaine dernière à l’Hôpital de Toulouse-Rangueil. Yves a insisté avec tout son cœur pour que dès la rentrée nous continuions les Rencontres, en les alternant, tout au long de chaque année, à Roquefixade, Toulouse et Carcassonne.
Éric Delmas
Voici un peu plus de deux ans, au printemps, je venais sur mon scooter à Roquefixade.
J’y venais car j’avais lu peu avant quelques textes sur un site internet : chemins cathares.
J’y venais car, après avoir étudié l’histoire de Carcassonne et du Midi pendant un an – depuis que je m’y étais installé -, je commençais à me dire que ces cathares du Moyen Âge proposaient une spiritualité assez proche de l’idée que je me faisais de la religion depuis près de trente-cinq ans que j’avais rompu les ponts avec l’église catholique.
J’y venais car j’étais surpris d’avoir découvert qu’un homme de nos jours se réclamait de cette spiritualité que tous les livres que j’avais étudié disaient morte et enterrée.
J’y venais car j’étais inquiet et que je voulais essayer de savoir à quoi il ressemblait et vérifier si, par hasard, il n’était pas l’initiateur d’une sorte de secte.
Aussi, me voilà au pied du chemin raide qui mène à la Bastida dels Catars, que j’ai souvent gravi depuis. J’hésite, mais comme la maison n’est pas bien visible d’en bas, je décide de monter, espérant que personne ne me verra.
Quand j’arrive en haut, devant le tas de bois, j’hésite encore. Yves m’aperçoit et ouvre la porte à poignée en forme de croix occitane et entame la discussion. Je lui explique que j’ai lu quelques textes de son site et que je suis venu en curieux.
Il m’invite alors à entrer en me mène à la terrasse devant la grande baie vitrée. Assis sur une chaise de jardin nous discutons de choses et d’autres. J’essaie de rassembler mes trop rares souvenirs de ma terminale pour essayer de soutenir son discours philosophique et, finalement, je laisse ma pensée s’exprimer hors de tout cadre, au risque de passer pour un imbécile.
Je ne vous mentirai pas, je n’ai pas de souvenir précis des mots prononcés par l’un et l’autre.
Je sais seulement que sa parole et son attitude m’ont convaincu de la justesse de sa parole et de son honnêteté intellectuelle.
Je sais seulement que je suis reparti heureux de cette discussion et réfléchissant déjà aux quelques mots que j’allais envoyer, comme je venais de m’y engager, pour alimenter sa chronique « Notre Consolation ».
Je sais seulement… que je ne savais pas alors que je venais d’entrer en catharisme.
Depuis, le temps a passé comme un éclair.
Ma timide consolation publiée, Yves m’a conseillé de contacter un autre intervenant qu’il appréciait beaucoup, Ruben. Je l’ai fait et de notre rencontre sont nés une amitié et ce site. Je me suis replongé dans la philosophie grecque, que j’avais un peu négligé depuis pas mal d’années. Et je revenais, seul ou avec Ruben, pour discuter avec Yves.
Au début nos contacts étaient espacés, mais ils sont devenus plus important et plus nombreux après la controverse de Castres en juin 2008. Nous discutions de sujets où nous avions des divergences et nous commencions à envisager une future communauté cathare du XXIe siècle.
Yves s’intéressait au succès de notre site dont l’audience rattrapant le sien lui permettait d’envisager un élargissement de la communauté de sympathisants.
Et puis, lors d’une de ces rencontres solsticiale ou équinoxiale, je ne sais plus, il lança l’idée de la première Rencontre de la diversité cathare.
Avec mon bagage de membre de l’équipe de communication de la coordination infirmière, j’ai tout de suite vu à quel point cette rencontre allait être utile à la promotion d’un catharisme moderne. Ce serait la fin d’une approche contrite et docte d’un catharisme mort, comme s’époumonent à le qualifier certains, comme si le reconnaître vivant pouvait leur retirer leur légitimité.
Cette idée reçu un accueil mitigé mais Yves y croyait dur comme fer et mon soutien lui donna l’espoir de pouvoir l’organiser rapidement. Et ce furent de longs mois de réflexion et de préparation. Soucieux jusqu’à la manie de ne pas apparaître comme cherchant à récupérer quoi que ce soit et qui que ce soit, il multipliait les précautions et insistait beaucoup sur le caractère « anarchique » de l’organisation. C’est d’ailleurs amusant de constater qu’à la fin, il était devenu plus prudent que moi et qu’il commençait à s’inquiéter d’un manque d’organisation que je revendiquais.
Vous connaissez la suite.
Compte tenu de mon métier, il s’était ouvert à moi de ses problèmes de santé et m’avait fait l’historique de ses maladies. Relisez « L’écharde dans la chair » et vous en saurez presque autant que moi. Comme je lui manifestais mon inquiétude de le voir soumis à ces aléas dans un corps qu’il mettait à rude épreuve par son alimentation et ses conditions de vie, j’essayais de l’inquiéter un peu et de lui proposer des aménagements. Mais, Yves n’est pas qu’un esprit sur un plan spirituel ; il l’était aussi dans sa vie mondaine. Et les petites contraintes du quotidien ne le retenaient pas longtemps face à l’attrait d’un problème intellectuel.
Je l’entendais tousser au téléphone, je le voyais encore plus fragile lors de mes visites que j’ai multipliées avant le mois de mai. Puis est venu le vendredi 29 mai. Conscient de sa faiblesse, il se reposait sur moi pour l’organisation et avait décidé de se rendre à la clairière en voiture.
Comment vous décrire cette méditation organisée autour de la lecture d’un texte apocryphe de Jean qu’il avait intitulé « La danse des disciples » ?
Je ne suis pas un méditatif. Aussi ai-je passé cette méditation assis derrière lui, regardant son dos, apparemment massif, et imaginant ce qui se passait à l’intérieur. Les longues minutes défilaient et je me demandais de quoi demain serait fait.
Je fus vite informé. Nous dormions à la Bastida, Ruben à l’étage dans une chambre d’hôte à côté de Yves et moi dans celle du rez-de-chaussée. À trois heures du matin, je fus réveillé en sursaut par des coups frappés à ma porte et la voix de Yves m’interpellant. Le temps de sauter de ma couche, je le trouvais dans les WC de l’autre côté de la machine à tisser crachant son sang dans une quinte de toux incessante. J’évaluais la quantité de sang perdu et, considérant la gravité de la situation, je lui dis que j’appelais le SAMU. Il acquiesça.
Une fois le régulateur en ligne, j’obtins l’envoi d’une ambulance que nous attendîmes de longues minutes, dans le salon. Yves s’était allongé sur son canapé défoncé et commençait à récupérer son souffle. Je faisais des aller-retours avec sa chambre, sa salle de bain et le salon afin de récupérer quelques affaires, un sac, des médicaments, des papiers. Il commençait à se sentir mieux et à regretter l’appel mais, devant ma détermination il ne résista pas longtemps.
Il me laissa, non sans faire de multiples recommandations pour la Rencontre qui débutait dans quelques heures et partit à l’hôpital du Val d’Ariège vers quatre heures du matin. Je fis un peu de ménage dans sa salle de bain et les WC du rez-de-chaussée, ce qui me permit d’évaluer la quantité de sang perdu. Puis je me recouchais, inquiet pour son état et un peu aussi de la responsabilité qui venait de m’échoir.
La suite, vous la connaissez.
La Rencontre, littéralement habitée par Yves, fut un succès comme peu l’auraient imaginé. Les semaines qui suivirent furent ponctuées de visites hospitalières. À Rangueil d’abord, puis à Purpan où son état s’améliorait malgré l’arrêt des traitements destiné à identifier le germe cause de son infection.
Je retrouvais alors sa fille Olympe que j’avais entrevue lors de sa convalescence à l’occasion de l’intervention qui avait permis de lui installer sa prothèse aortique ascendante. Puis un jour elle m’appela pour m’annoncer que Yves avait eu un grave accident cardiaque, possiblement dû à une migration d’un amas de germes dans une artère nourricière du cœur.
Je compris alors que les choses prenaient un tour extrêmement grave. Je ne cachais pas à Olympe que Yves risquait de ne pas surmonter cette dernière épreuve. Elle me proposa alors de venir en réanimation pour le voir et discuter avec elle et son frère Barthélémy.
Nous nous sommes manqué dans le couloir faisant office de salle d’attente et Yves fut transféré en hospitalisation.
J’y venais deux fois par semaine, selon mon planning professionnel et afin de ne pas trop le fatiguer. La première visite fut inquiétante. Yves avait été emmené de sa chambre pour la pose d’une voie veineuse centrale. L’attente fut longue dans le couloir avec Olympe et Barthélémy qui nous rejoignis au bout d’un moment. Quand Yves revint, je constatais l’extrême confusion de son état. Était-ce dû à l’épuisement lié à l’accident cardiaque et au passage en réanimation ou à une possible atteinte cérébrale concomitante et de même nature ? Impossible de se prononcer avant quelques jours.
Quelques jours plus tard, je le vis transformé. Il avait récupéré intégralement sur le plan intellectuel mais se fatiguait vite. Je ne restais qu’une petite dizaine de minutes et repris ma route vers Carcassonne.
Ces trajets furent l’occasion de cogitations profondes. Finalement la décision de ré-opérer Yves fut annoncée et il fut transféré en hospitalisation de chirurgie. J’allais le voir et nous discutions de tout et de rien. Son prochain livre, la prochaine Rencontre, les uns et les autres, les petits soucis relationnels dont je ne lui cachais rien sans leur donner un relief excessif.
Sa fille m’appela pour m’annoncer l’avancement de la date d’intervention et je décidais donc de lui rendre visite la veille afin de lui communiquer un peu de force, lui qui avait complètement décidé d’engager ce nouveau combat contre ce démon qu’il avait déjà terrassé une fois.
Je le trouvais seul dans sa chambre, regardant la télé. Nous discutâmes encore à bâtons rompus, tant il est vrai qu’il n’y avait plus grand chose à dire sur l’intervention. J’insistais, comme toujours sur son alimentation, et le passage de l’aide-soignante chargée de son plateau repas fut l’occasion de lui faire réchauffer un plat de quinoa à la tomate apporté par sa fille. Il commençait à manger quand Olympe, Barthélémy et Maria sa femme entrèrent. Nous restâmes tous là quelques minutes puis je les laissais en famille.
Le lendemain, étant de repos avant ma garde de jeudi, j’attendais en décomptant les temps que je me remémorais de mes années de chirurgie cardiaque. Huit heures, il doit être au bloc. On l’endort, on prépare le champ opératoire. Neuf heures et demi, l’opération commence. Elle est annoncée comme devant durer six heures. Je n’aurai donc pas de nouvelles avant dix-huit heures, le temps de faire les pansements et de le mettre en unité de soins intensifs. Vers quinze heures je reçois un appel de Barthélémy et là, je m’effondre.
L’incroyable s’est produit.
Autant je m’attendais à perdre Yves d’un instant à l’autre quinze jours plus tôt, autant je n’entrevoyais absolument pas cette issue à ce moment.
Yves, cette fois c’est le démon qui a eu le dernier mot concernant ton enveloppe charnelle, mais tu lui a joué un sacré tour.
Il croyait te terrasser, il n’a fait que te libérer.
J’en connais un qui me dirait que c’est une réminiscence de mon côté catho – et il n’aurait pas tort – mais j’espère bien que tu ne vas pas te prélasser, maintenant que tu es revenu à la maison.
Je compte fort sur toi pour venir me donner un coup de main ici-bas (comme on dit) afin que je puisse continuer à avancer sans ton soutien direct. Et n’oublie pas les autres non plus.
Hier, nous avons conduit ta tunique de chair au cimetière, comme le faisaient nos ancêtres cathares – parfois même au nez et à la barbe du curé – et nous avons essayé de représenter ta spiritualité devant tous ces gens dont beaucoup n’y comprennent rien.
J’ai lu un petit texte composé par Gérard à partir de tes remarques dans ta thèse. J’ai regretté de n’avoir pas mémorisé correctement le premier chapitre de la prière cathare afin de la dire pendant qu’ils récitaient le Notre Père judéo-chrétien. J’ai apprécié la lecture de l’entretien de Jésus et Nicodème dont je ne sais combien en ont perçu le vrai sens cathare. J’ai trouvé de la chaleur en la présence d’amis venus réconforter les proches. Nous étions une bonne dizaine à avoir pu nous libérer à cette occasion.
Après le cimetière j’ai retrouvé ta famille charnelle avec Gérard et nous avons discuté un peu devant un verre de jus d’orange et un assortiment de quiches végétariennes.
Puis, comme j’allais partir, Olympe et Barthélémy ont tenu à me dire qu’ils allaient conserver la Bastida en essayant de la rentabiliser dans le principe de chambre d’hôte afin de ne pas être obligés de s’en séparer. Ils voulaient me dire qu’ils allaient faire appel à ses amis proches pour cette transformation afin de lui conserver ta mémoire.
J’ai beaucoup parlé à Olympe ces derniers mois et je l’adore. Mais mes derniers échanges avec Barthélémy m’ont troublé. Tu serais surpris Yves si je te disais que je commence à m’interroger sur le « genus hereticum » dont Annie Cazenave, présente elle aussi, nous parlait au printemps à Mazamet.
J’ai aussi discuté avec Sarah, ton amie de Montségur. Nous allons correspondre régulièrement, même si la discussion doctrinale n’est pas son fort. Elle m’a dit dans un souffle combien tu avais été attristé de notre brouille avec Ruben. Je lui ai promis que je ferai mon possible pour qu’elle soit aussi courte que possible.
À bientôt Yves, et ne m’oublie pas.
Pierre S. de Roquefixade
Yves Maris mort, fait désormais partie des souvenirs ; dans l’ordre naturel des choses, la mort est la marque du vivant ; cette brutale rupture laisse chacun à ses interrogations ou à sa foi.
Yves Maris, rebelle aux sornettes et mensonges, à la violence, à l’argent-roi, à l’hégémonie du pouvoir, restera l’héritier exemplaire de ceux dont il se prévalait.
Décès de Yves Maris : revue de presse
En fouillant un peu, il ne manque pas de textes dans la presse écrite ou sur le net relatant la perte de Yves pour la communauté humaine.
En voici quelques uns glânés ici ou là.
La Dépêche du Midi de l’Ariège, 31/07/2009
L’hommage de Marcel Perrier, ancien évêque de Pamiers J’ai beaucoup dialogué avec Yves Maris, dans des rencontres personnelles, lors des « disputatio » sur la place de Roquefixade et par correspondance. Sans adhérer aux dogmes de l’Église Catholique, Yves Maris était très sensible aux valeurs de l’Évangile qu’elle propose. Dans sa recherche spirituelle, il est allé jusqu’à dire son admiration pour Jésus-Christ. Spécialiste des écrits de l’Apôtre Paul, il connaissait bien son message. Paul résumait tout en écrivant aux Ephésiens, 2.14 : « Christ notre paix » et à Timothée, 1.1. « Christ notre Espérance ». Croyez à ma proximité dans la peine et dans l’espérance. Et que la paix progresse par tous nos dialogues. |
Le Petit Journal « Dernier hommage à Yves Maris Les obsèques de Yves Maris L’église de Roquefixade était trop petite pour accueillir tous ceux qui voulaient assister, dans l’après-midi du samedi 1er août, aux obsèques d’Yves Maris, décédé à l’âge de cinquante neuf ans lors d’une opération chirurgicale. Yves Maris, maire de Roquefixade sans cesse réélu depuis vingt six ans, n’aura pas été seulement un homme d’action et un citoyen engagé au service de ses concitoyens, auquel les membres du Conseil Municipal de Roquefixade ont rendu un hommage ému, mais aussi un authentique philosophe, un chercheur reconnu qui avait soutenu une thèse de doctorat autour des écrits de l’apôtre Paul, un homme de dialogue qui avait organisé dans son village des joutes spirituelles auxquelles ont participé des représentants des diverses religions chrétiennes, un philosophe cathare qui vivait quotidiennement l’amour de son prochain en vis-à-vis du « pog » de Montségur. Au cours de la cérémonie célébrée par des représentants des cultes catholique et protestant, divers hommages ont été prononcés, chacun cherchant à rendre compte d’une facette de la riche personnalité de ce philosophe engagé dans la cité et trop tôt disparu. Homme exemplaire, Yves Maris aura marqué pour longtemps l’atmosphère de Roquefixade. » AriègeNews « Disparition d’Yves Maris, maire de Roquefixade Depuis plusieurs mois on le savait malade… Sa longue silhouette sombre, ses lunettes rondes et son chapeau mou faisaient partie du paysage intellectuel du département. Une pensée à ses enfants Marie-Olympe et Jean-Barthélémy. » La Gazette Ariégeoise du 7 au 14 août Disparition > Yves Maris, homme aux multiples vies, héritier de la pensée cathare Yves Maris aurait-il été amusé, indifférent ou tout simplement surpris de voir tant de «beau» monde saluer sa mémoire le jour de ses obsèques ? Une reconnaissance bien tardive pour un homme, qui n’a jamais craint d’affronter les regards, fussent-ils ironiques, sur le chemin qu’il avait choisi de suivre : celui du dénuement et de la pensée cathare. Au demeurant, Yves Maris, disparu prématurément (59 ans) des suites d’une longue maladie, avait eu plusieurs vies et tâchait de les articuler à la lumière d’une foi et d’une spiritualité sincère. |
Éric Delmas, 12 août 2009.