Le conte du Pou (Conte cathare)
Jean-François Bladé, Contes populaires de Gascogne, tome I
Un meunier et une meunière ont une fille, jolie comme un cœur et honnête comme l’or, Chaque jour, après dîner, elle va garder le bétail au bord du Gers. Quand elle a juste dix-huit ans sonnés, assise au pied d’un vieux saule, gardant et filant, elle rêve de quelque beau garçon qui viendra la demander en mariage à ses parents. En ce moment, un pauvre a grande barbe blanche, cheminant le long de la rivière, lui demande la charité. Elle lui donne son pain et, pour la rassurer, le mendiant, qui sait à quoi elle pensa, lui promet que son désir sera accompli. Le pauvre s’appelle Jean du Ramier. En ce moment, un homme, haut d’une toise et noir comme l’âtre, sort du vieux saule creux. C’est Cagolouidors, un gueux plus méchant que cent diables, et qui a grand pouvoir sur terre. Il s’adresse à Jean du Ramier et annonce que c’est lui qui se charge de trouver le beau jeune mari futur pour la petite meunière. Il rentre dans le vieux saule creux et Jean du Ramier disparaît aussi, laissant la Jeune fille dans ses pensées bien tristes.
Le soir de la même journée Cagolouidors descendant par la cheminée apporte une boîte contenant un Pou gros comme un haricot. C’est le futur mari transformé par ce funeste maître de la terre. Cagolouidors demande à la petite meunière trois de ses cheveux qu’il va cacher où il lui plaira. Dans trois jours il reviendra. Si elle devine alors où sont cachés les trois cheveux, son Pou redeviendra un beau garçon, sinon elle épousera le Pou tel qu’il est et restera jusqu’à la mort.
Celui-ci n’a pas perdu son temps. Vite, vite, il a grimpé jusque dans l’oreille de la petite meunière, lui a soufflé bien doucement d’obéir à Cagoilouidors, puis il est redescendu de l’oreille et il est monte dans les cheveux de son ennemi, Tout cela pendant que Cagolouidors a arraché les trois cheveux de la tête de la jeune fille. C’est ainsi que le Pou peut répondre aux trois questions qui sont posées à celle-ci par Cagolouidors, trois jours après, quant aux trois cachettes des cheveux. Mais le Pou a fait autre chose encore. Cagolouidors, ne sachant où mettre le troisième cheveu, l’a laissé dans sa poche : « bien fin qui l’y devinera ». Or, le Pou descend bien doucement dans la poche déroule le troisième cheveu et le noue autour du corps de Cagolouidors, il remonte ensuite à son poste.
On devine ce qui suit. Une heure après le coucher du soleil l’homme noir entre par la cheminée. Il répète sa sentence d’il y a trois jours et pose sa première question. Le Pou n’a pas perdu son temps ; il a quitté son poste dans les cheveux de Cagolouidors, il a grimpé jusque dans l’oreille de la petite meunière et lui a soufflé de le porter dans sa bouche d’où il répond aux questions du méchant gueux. À la dernière réponse, Cagolouidors croit triompher un moment, car il ne sait pas ce que le Pou a fait du troisième cheveu. Mais Jean du Ramier entre et dit à la petite meunière : « Cagolouidors a perdu son pouvoir. Crache ton Pou » ; Aussitôt craché, le Pou redevient un beau garçon. Le cheveu noué autour du corps de Cagolouidors est devenu long, gros et fort comme un câble. Jean du Ramier attache solidement son ennemi à un pilier de la chambre et tous ceux qui sont présents frappent à tour de bras l’homme noir jusqu’à ce qu’il ait rendu tout l’or qu’il avait dans le ventre.
Alors Jean du Ramier le détache. Il a perdu tout pouvoir de mal faire et il s’en va vaincu et confus. Tous ces doubles louis d’or appartiennent à la petite meunière et le lendemain, le mariage s’accomplit entre elle et le beau garçon. Jean du Rainier y assiste. Après la noce, il prend sa besace et son bâton et part en leur souhaitant de vivre riches, heureux et contents.
Voilà en substance ce conte extraordinaire, unique, puisqu’il ne se retrouve dans aucun autre pays.
Guilhem de Carcassonne – 07/11/2021