À Diognète

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À Diognète

Ce texte est tiré de « Premiers écrits chrétiens » publié dans la collection La Bibliothèque de la Pléiade des éditions NRF Gallimard.
Sous la direction de Bernard Poudebon, Jean-Marie Salamito et Vincent Zarini.
Afin de respecter le droit d’auteur, l’introduction, les présentations et les annotations ne sont pas reproduites. Je vous invite donc à vous procurer ce livre pour bénéficier pleinement de la grande qualité de cet ouvrage.

Introduction

Ce document n’est ni une lettre ni une épitre, comme l’avait intitulé par erreur le français Henri Estienne (1528-1598). Découvert en 1430, il connut de multiples péripéties avant d’être acquis par la bibliothèque de Strasbourg où il fut détruit dans l’incendie lié à un bombardement prussien lors de la guerre de 1870. Ni le lieu de rédaction ni le nom de l’auteur ne sont connus, malgré de nombreuses hypothèses et le destinataire ne l’est pas davantage, si ce n’est qu’il devait être un païen, ami de l’auteur, car Diognète signifie ami de Zeus. Concernant la date de publication, un consensus la place dans la dernière décennie du 2e siècle, soit au tout début de l’Église chrétienne.
Ce texte est très intéressant, car il donne à voir la pensée d’un auteur qui, bien qu’orthodoxe vis-à-vis du judéo-christianisme, s’autorise des incursions dans le pagano-christianisme, ce qui fait que les cathares auraient pu lui trouver des qualités indéniables, s’ils avaient pu le connaître.

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I. Je vois1, excellent Diognète, avec quelle ardeur tu veux t’instruire sur la piété des chrétiens, et avec quelle clarté et quel soin tu cherches à t’informer à leur sujet. À quel dieu ont-ils donné leur confiance ? Comment le célèbrent-ils ? Comment se fait-il que tous dédaignent le monde et méprisent la mort ? Pourquoi ne tiennent-ils pas compte des dieux reconnus par les Grecs et n’observent-ils pas la superstition des Juifs ? Quelle est cette vive affection qu’ils ont les uns pour les autres ? Enfin, pourquoi donc ce peuple nouveau — ou ce nouveau genre de vie — a-t-il commencé d’exister de nos jours, et non auparavant ?
J’approuve ton empressement et je demande à Dieu, qui nous octroie de parler et d’écouter, qu’il me soit donné à moi, de parler de manière telle qu’en écoutant tu deviennes le meilleur possible, et à toi d’écouter de façon à ne pas chagriner celui qui parle.

Mon commentaire :
L’auteur réunit ici les éléments qui interrogent les païens par rapport à cette nouvelle religion qui apparaît déjà comme différente du judaïsme et valorisant des éléments contraires à la norme de la société de l’époque.

Critique des usages païens et juifs

II. Allons, une fois purifié de tous les raisonnements qui enchaînaient ta réflexion, débarrassé de l’habitude qui t’a trompé devenu un homme nouveau comme au commencement — car c’est d’une parole nouvelle, tu l’as toi-même admis, que tu vas être l’auditeur —, vois non seulement avec tes yeux, mais aussi par ta pensée, quelles sont la réalité et l’apparence de ceux que vous nommez et reconnaissez comme dieux.
L’un n’est-il pas une pierre semblable à celle sur laquelle on marche ? L’autre n’est-il pas du bronze, sans plus de valeur que les ustensiles fabriqués en ce métal pour notre utilité ? Cet autre est du bois — et déjà pourri. Cet autre, de l’argent, et il a besoin d’un homme qui le garde, afin qu’on ne le vole pas. Cet autre encore, du fer que ronge la rouille. Cet autre enfin, de la terre cuite, nullement plus noble que celle que l’on a travaillée en vue du plus vil usage.
Toutes ces statues ne sont-elles pas de matière corruptible ? N’ont-elles pas été fabriquées par le fer et le feu ? N’est-ce pas un tailleur de pierre qui a façonné celle-ci, un fondeur celle-là, un batteur d’argent cette autre, un potier cette autre encore ? Avant de recevoir ces formes, chacune par le savoir-faire d’un artisan, ne pouvaient-elles pas — comme encore maintenant — recevoir une autre forme ? Les ustensiles que voici, de la même matière, ne deviendraient-ils pas, s’ils tombaient dans les mains des mêmes artisans, semblables à des dieux de cette sorte ? Inversement, ces statues que vous adorez aujourd’hui, des êtres humains ne pourraient-ils pas en faire des ustensiles semblables à tous les autres ? Ne sont-elles pas toutes sourdes, aveugles, sans âme, insensibles, sans mouvement ? Ne sont-elles pas toutes en train de pourrir, toutes en train de se dégrader ? Voilà ce que vous appelez des dieux, voilà qui vous servez, voilà qui vous adorez : vous finissez par leur ressembler !

Mon commentaire :
Faisant preuve d’une mauvaise foi manifeste l’auteur dénigre les dieux païens sur la base de leurs représentations matérielles. On pourrait en dire autant des représentations matérielles des saints, de Jésus et de Dieu, que ce soit des gravures sur pierre ou sur bois, des statues et des peintures. Les iconoclastes sont de ce point de vue avantagés.

Et voici pourquoi vous détestez les chrétiens : parce qu’ils ne les considèrent pas comme des dieux. Or, vous qui maintenant les reconnaissez et les estimez tels, ne les méprisez-vous pas encore plus que ne le font les chrétiens ? Ne les raillez-vous pas, ne les outragez-vous pas davantage ? Vous vénérez les statues de pierre et de terre cuite sans assurer leur surveillance ; mais celles d’argent et d’or, vous les mettez sous clef pendant la nuit et vous placez des gardes auprès d’elles le jour, de peur qu’on ne les vole !
Par les honneurs que vous pensez leur rendre, si, vos dieux éprouvent des sensations, vous les incommodez plutôt. Mais, s’ils sont insensibles, vous les dénoncez comme tels en les célébrant par du sang et des odeurs de graisse. L’un de vous va-t-il tolérer, va-t-il supporter d’être ainsi traité ? Non, aucun homme ne supportera volontiers un tel désagrément, parce qu’il est apte à sentir et à raisonner. La pierre, elle, le supporte, parce qu’elle ne sent rien. Vous démontrez vous-mêmes son insensibilité.
Sur le refus des chrétiens de servir de tels dieux, j’aurais encore beaucoup d’autres choses à dire ; mais si ce qui précède ne semble pas suffire, j’estime superflu de parler davantage.

Mon commentaire :
Encore des outrances visant à dénigrer les cultes rendus aux dieux païens.

III. Venons-en au fait que les chrétiens n’expriment pas leur piété de la même manière que les juifs. Je pense que tu désires particulièrement m’écouter sur ce point.
Les juifs, donc, s’ils s’abstiennent de ce culte dont je viens de parler, font bien de vénérer le seul Dieu de l’univers et de le considérer comme maître de toutes choses. Mais s’ils le célèbrent d’une manière semblable à celle que j’ai précédemment décrite, ils se trompent. Les Grecs, par leurs offrandes à des statues insensibles et sourdes donnent un exemple de démence. Les juifs, quand ils jugent bon d’offrir à Dieu, comme s’il en avait besoin, les mêmes choses, devraient se rendre compte qu’il s’agit là de folie plutôt que de piété. « Celui qui a fait le ciel et la terre et tout ce qu’ils contiennent », et qui nous octroie à tous ce dont nous avons besoin, ne saurait avoir lui-même besoin d’aucun des biens qu’il procure à ceux qui s’imaginent les lui donner. Ceux qui croient accomplir pour lui des sacrifices par le sang, l’odeur de graisse et les holocaustes, et le glorifier par de tels honneurs, ne diffèrent nullement, selon moi, de ceux qui offrent le même hommage à des choses sourdes, alors qu’elles ne peuvent profiter de cet honneur. S’imaginer procurer quelque chose à qui n’a besoin de rien !

Mon commentaire :
Au-delà de la critique ad hominem, nous devons retenir un raisonnement cohérent et logique. Comment un Dieu auteur de toute chose pourrait-il ressentir un quelconque besoin matériel que des hommes pourraient satisfaire par des sacrifices ?

IV. Quant à leur hantise à propos des aliments, leur superstition au sujet du sabbat, leur vantardise de la circoncision, leur faux abaissement du jeûne et de la néoménie2, choses risibles, indignes que l’on en parle, je considère que tu n’as rien à en apprendre de moi. Parmi les créatures faites par Dieu pour être utiles aux hommes, accepter les unes comme créées à juste titre, refuser les autres comme futiles et superflues, comment donc serait-ce permis ? Attribuer faussement à Dieu l’interdiction d’accomplir au jour du sabbat une bonne action, comment ne serait-ce pas impie ? Se vanter d’une mutilation de la chair3 comme d’une preuve d’élection, comme si c’était pour cela qu’ils étaient particulièrement aimés de Dieu, comment n’y aurait-il pas là de quoi rire ? Leur manière d’établir l’observance des mois et des jours en surveillant les astres la lune, et de diviser les dispositions de Dieu et la succession des saisons, selon leurs désirs, en fêtes et en deuils, qui y verra une preuve de piété plutôt que de démence ?
Les chrétiens ont donc raison de s’abstenir de la superficialité et de l’illusion communes aux juifs et aux Grecs, et aussi de la tendance juive à en faire trop et à se vanter. Je considère que tu en as appris assez sur ce point. Mais le mystère de la piété propre aux juifs, ne t’attends à pouvoir l’apprendre d’un être humain.

Mon commentaire :
Là encore si la critique est juste, elle n’épargne pas les chrétiens qui ont aussi leurs dates symboliques et leurs rituels. L’erreur est de croire que cela est agréable à Dieu. Cela est fait pour souder la communauté religieuse.

La situation des Chrétiens dans le monde

V. De leur côté, les chrétiens ne se différencient des autres hommes ni par un pays ni par une langue ni par des éléments. Ils n’habitent pas des cités qui leur sont propres, n’usent pas d’un dialecte étrange, ne s’adonnent pas à un mode de vie bizarre. Leur savoir n’a pas été inventé par l’imagination anxieuse d’individus agités. Ils ne mettent pas en avant, comme certains, une doctrine humaine.
Tout en habitant des cités grecques ou barbares selon le sort de chacun, tout en se conformant aux coutumes locales pour le vêtement, la nourriture et le reste de la vie, manifestent la constitution admirable et, de l’avis de tous, paradoxale de leur république.
Ils résident chacun dans sa patrie, mais comme des étrangers domiciliés. Ils participent à tout comme des citoyens, et se soumettent a tout comme des étrangers. Tout terre étrangère est leur patrie, et toute patrie leur est terre étrangère
Ils se marient comme tout le monde, ils font des enfants, mais n’abandonnent pas leur progéniture. Ils partagent la même table, mais pas le même lit. Ils sont dans la chair, mais ne vivent pas selon la chair. Ils vivent sur terre, mais sont citoyens dans le ciel Ils obéissent aux lois en vigueur, mais leurs mœurs font mieux que les lois.
Ils aiment tout le monde, et tout le monde les persécute. On se trompe sur eux, et on les condamne ; on les met à mort, et ils obtiennent la vie. Ils vivent dans la pauvreté, et ils enrichissent beaucoup de gens. Ils manquent de tout, et ils ont tout en abondance. On les méprise, et ce mépris leur vaut la gloire. On les calomnie, et ils sont reconnus comme justes. On les insulte et ils bénissent. On leur manque de respect, et ils répondent par des honneurs. Faisant le bien, ils sont punis comme des malfaiteurs. Punis, ils se réjouissent d’obtenir la vie. Les juifs les combattent comme des étrangers et les Grecs les persécutent, et ceux qui détestent ne sauraient exprimer la cause de leur hostilité.

Mon commentaire :
Ce passage laudateur des chrétiens est discutable à son début, mais juste dans ce que le christianisme est normalement censé être, à savoir humble et hors du monde. Malheureusement, le judéo-christianisme s’est notablement écarté de cette voie.

VI. Pour le dire simplement, ce que l’âme est dans le corps, les chrétiens le sont dans le monde. L’âme est répandue à travers tous les membres du corps, et les chrétiens à travers les cités du monde. L’âme réside dans le corps, mais elle n’est pas du corps. Les chrétiens résident dans le monde, mais ils ne sont pas du monde.
Invisible l’âme est gardée prisonnière dans le corps qui est visible. On sait bien que les chrétiens sont dans le monde, mais leur piété demeure invisible. La chair déteste l’âme et, alors que celle-ci ne lui cause aucun tort, elle lui fait la guerre, parce qu’elle l’empêche de s’adonner aux plaisirs. Le monde déteste les chrétiens, alors qu’ils ne lui causent aucun tort, parce qu’ils résistent aux plaisirs.
L’âme aime cette chair qui la déteste, ainsi que membres. Les chrétiens aiment ceux qui les détestent.
L’âme est enfermée dans le corps, mais c’est par elle que le corps tient. Les chrétiens sont détenus dans le monde comme en une prison, mais c’est par eux que le monde tient. Immortelle, l’âme habite une tente mortelle. Les chrétiens résident comme des étrangers au milieu des réalités corruptibles, en attendant l’incorruptibilité qu’ils auront dans les cieux. Privée de nourriture et de boisson, l’âme devient meilleure. Maltraités, les chrétiens viennent de jour en jour plus nombreux. Dieu les a placés à un poste si important qu’ils n’ont pas le droit de l’abandonner.

Mon commentaire :
Aucune critique à formuler vis-à-vis de cette expression totalement partagée par les cathares, si ce n’est une incohérence. En effet, si Dieu est créateur du monde, pourquoi l’âme y est-elle aussi mal à sa place ? Du point de vue cathare qui considère que ce monde et notre chair sont l’œuvre du diable (démiurge) c’est parfaitement logique.

Le message chrétien

VII. Comme je l’ai déjà dit, ce qu’ils ont reçu n’est pas une invention terrestre. Ce qu’ils tiennent à garder avec tant de soin n’a pas été imaginé par un mortel. Ce qui leur a été confié, ce n’est pas l’intendance de mystères humains.
Mais c’est vraiment le Dieu tout-puissant, créateur de toutes choses et invisible qui a lui-même établi chez les êtres humains la Vérité, le Verbe saint et incompréhensible, et qui l’a installé solidement en leurs cœurs.
Il n’a pas envoyé aux humains, comme on pourrait le supposer, un quelconque subordonné, un ange, un archonte, l’un de ceux qui s’occupent des choses terrestres ou l’un de ceux à qui a été confiée l’administration des cieux, mais bien l’artisan et auteur de l’univers. C’est par celui-ci que Dieu a créé les cieux, par lui qu’il a enferme la mer dans ses limites. C’est lui dont tous les éléments respectent fidèlement les mystères, lui dont le soleil a reçu les règles qu’il doit observer en ses courses de chaque jour. C’est à lui qu’obéit la lune : il lui ordonne de briller pendant la nuit. C’est à lui qu’obéissent les astres qui accompagnent la course de la lune. C’est par lui que toutes choses ont été ordonnées, délimitées et soumises : les cieux et ce qui est dans les cieux, la terre et ce qui est sur la terre, la mer et ce qui est dans la mer, le feu, l’air, l’abîme, ce qui est dans hauteurs, ce qui est dans les profondeurs, ce qui est au milieu. Voilà celui que Dieu leur a envoyé.

L’a-t-il envoyé, comme on pourrait le supposer à vue humaine, pour la tyrannie, la peur, l’effroi ?
Pas du tout, mais avec clémence et douceur.
Comme un roi envoie son fils roi, il l’a envoyé.
C’est un Dieu qu’il a envoyé.
Pour les êtres humains il l’a envoyé.
Dans l’idée de sauver il l’a envoyé.
Dans l’idée de persuader, non d’user de violence, car la violence ne sied pas à Dieu.
Il l’a envoyé dans l’idée d’appeler, pas d’accuser.
Il l’a envoyé dans l’idée d’aimer, pas de juger.
Car il l’enverra pour juger, et qui pourra faire face à sa venue ?
[lacune]
Ne vois-tu pas qu’ils sont jetés aux bêtes pour qu’ils renient le Seigneur, et qu’ils ne sont pas vaincus ? Ne vois-tu pas que plus on punit de chrétiens, plus il y en d’autres ? Ce ne sont pas là des œuvres humaines ; c’est la puissance de Dieu qui agit, ce sont des preuves de sa présence.

Mon commentaire :
Ce qui peut surprendre c’est que le Fils envoyé soit en même temps auteur d’un univers violent et imparfait tout en étant lui-même parfait doux et bienveillant. C’est presque schizophrénique.

VIII. Qui donc parmi les humains a su ce que pouvait bien être Dieu, avant qu’il ne vienne lui-même ? Vas-tu admettre les discours creux et verbeux de ces philosophes si dignes de confiance ? Pour les uns, Dieu est le feu (ce vers quoi ils vont, ils l’appellent Dieu !) ; pour d’autres, c’est l’eau ; pour d’autres encore, c’est quelque autre des éléments créés par Dieu. Or, si l’une de ces affirmations était acceptable, n’importe quelle autre créature pourrait aussi bien être déclarée Dieu. Mais ce ne sont là que des monstruosités et des égarements de charlatans. Aucun être humain ne l’a jamais nommé ni fait connaître ; c’est lui-même qui s’est manifesté. Il s’est manifesté à travers la foi : c’est à elle seule qu’il a été accordé de voir Dieu.
Car Dieu, maître et auteur de l’univers, qui a fait toutes choses et les a réparties en bon ordre, a été non seulement ami des humains, mais aussi plein de patience. Il a toujours été ainsi, il l’est et il le sera. Il est bienveillant, bon, sans colère, véridique. Lui seul est bon.
Ayant conçu une grande, une ineffable idée, il ne l’a confiée qu’à son Enfant. Tant qu’il maintenait dans le mystère et gardait en réserve son sage projet, il semblait ne pas s’inquiéter ni se soucier de nous. Mais lorsqu’il a révélé et manifesté par son Enfant bien-aimé ce qu’il avait préparé depuis le commencement, il nous a tout offert à la fois : d’avoir part à ses bienfaits, mais aussi de voir et de connaître ce à quoi nul d’entre nous n’aurait jamais pu s’attendre !

Mon commentaire :
C’est oublier un peu vite que l’Ancien Testament donne à voir un Iahvé qui se manifeste sous des formes physiques variées. Quant à sa douceur, il suffit de lire ce texte pour voir la violence de ses colères.

IX. Dieu savait tout en lui-même : il avait tout disposé avec son Enfant. Jusqu’à une époque récente, il a admis que nous soyons emportés à notre gré par des élans désordonnés, parce que nous étions entraînés par des plaisirs et des désirs. Il ne se réjouissait pas du tout de nos fautes, mais il les supportait patiemment. Il n’approuvait le temps de l’injustice, mais il œuvrait pour l’intelligence de la justice. C’était pour que, ayant reçu dans la période précédente la preuve de ce que nos propres actions rendaient indignes de la vie, nous en soyons maintenant jugés dignes par la bienveillance de Dieu, et que, étant montrés incapables d’entrer dans le royaume de par nous-mêmes, nous en devenions capables grâce à la puissance de Dieu.
Lorsque notre injustice a atteint son comble, lorsqu’il été tout à fait évident qu’elle méritait pour salaire un châtiment mortel, quand est venu le temps que Dieu avait par avance fixé pour manifester enfin sa bienveillance et puissance (ô surabondance de son amitié pour les humains et de son amour !), il ne nous a pas détestés, ne nous a pas rejetés, ne s’est pas souvenu de nos fautes, mais il a été patient, il nous a supportés. En sa pitié, il a lui-même sur lui nos péchés. Il a lui-même livré son propre Fils en rançon pour nous : le saint pour les transgresseurs, l’innocent pour les coupables, le juste pour les injustes, l’incorruptible pour les corruptibles, l’immortel pour les mortels.
Car, pour voiler nos péchés, qu’y avait-il d’autre que sa justice ? Par qui était-il possible de nous rendre justes, nous les transgresseurs, les impies, sinon par le seul Fils de Dieu ? Ô le doux échange, l’œuvre insondable, les bienfaits inattendus : la transgression d’un grand nombre est effacée par un seul juste, la justice d’un seul rend justes de nombreux transgresseurs ! Donc, après avoir démontré, auparavant, qu’il était impossible à notre nature d’obtenir la vie, maintenant il montre que le Sauveur peut sauver même ce qui ne pouvait l’être. Par ces deux expériences il a voulu que nous ayons foi en sa bienveillance, que trouvions en lui un nourricier, un père, un enseignant, un conseiller, un médecin, l’intelligence, la lumière, l’honneur, la gloire, la force, la vie, et que nous n inquiétions pas de l’habillement ni de la nourriture.

Mon commentaire :
On retrouve le fonds judéo-chrétien qui fait de l’homme un pantin sans rôle à jouer et qui attend passivement la grâce divine ou le sacrifice purificateur par délégation. Chez les cathares, si le salut est au bout de la route, c’est bien à nous de cheminer activement de l’examen de conscience à la rédemption.

Exhortation à devenir chrétien

X. Si toi aussi tu désires cette foi, tu vas d’abord recevoir la connaissance du Père. Dieu a aimé les êtres humains. Il a fait le monde pour eux. Il leur a soumis tout ce qui est sur la terre. Il leur a donné la raison et l’intelligence. D’eux seuls il a tourné les yeux vers le haut, pour regarder vers lui. Il les a modelés d’après sa propre image. Il a envoyé vers eux son Fils, l’Unique-Engendré. Il leur a promis le royaume qui est dans les cieux : il le donnera à ceux qui l’auront aimé. Lorsque tu le connaîtras imagines-tu la joie qui te comblera, et combien tu aimeras celui qui, le premier, t’a aimé ainsi ? En l’aimant, tu seras un imitateur de sa bienveillance. Ne t’étonne pas qu’un humain puisse devenir un imitateur de Dieu : il le peut, si Dieu y consent.
Car opprimer ses voisins, vouloir l’emporter sur plus faibles, être riche, traiter avec violence ceux que l’on a au-dessous de soi, ce n’est pas être heureux. De telles attitudes ne permettent pas d’imiter Dieu, car elles sont étrangères à sa grandeur. En revanche, celui qui prend sur soi le fardeau de son prochain, celui qui, dans le domaine où il a l’avantage, accepte d’être le bienfaiteur d’un autre moins bien loti, celui qui octroie à qui en a besoin ce que lui-même possède pour l’avoir reçu de Dieu, et qui devient ainsi un dieu pour ceux qui reçoivent de lui, celui-là est un imitateur de Dieu.
Alors, tout en étant sur terre, tu verras que Dieu gouverne dans les cieux, alors tu commenceras à dire les mystères de Dieu, alors tu aimeras et admireras ceux qui subissent des châtiments parce qu’ils ne consentent pas à renier Dieu, alors tu désapprouveras la tromperie et l’égarement du monde, quand tu sauras que la vraie vie est dans le ciel, quand tu mépriseras ce qui semble ici-bas une mort, et quand tu craindras la véritable mort, réservée à ceux qui auront été condamnés au feu éternel, ce feu qui punira jusqu’à la fin ceux qui lui auront été livré. Alors tu admireras ceux qui, en faveur de la justice, supportent le feu d’ici, et tu les diras bienheureux, quand tu sauras qu’il a l’autre feu.
[lacune]

Mon commentaire :
L’auteur confirme son judéo-christianisme en rappelant que le salut n’est pas universel, mais il est acceptable en rappelant comment doit se comporter celui qui cherche la grâce divine.

XI. Je ne proclame pas des choses étranges, ni ne cherche rien de déraisonnable. Après avoir été disciple des apôtres, je me fais enseignant des nations. Ce que j’ai reçu, je le mets au service de ceux qui deviennent de dignes disciples de la Vérité. Quand on a été instruit avec justesse, quand on a pu naître grâce à l’amitié du Verbe, comment ne pas chercher à apprendre avec clarté ce que le Verbe a ouvertement montré aux disciples ? Ceux à qui le Verbe, en se manifestant lui-même, a manifesté son enseignement, en parlant ouvertement, sans être compris des incrédules mais en donnant des explications aux disciples, ceux-là, le Verbe les a comptés comme croyants et leur a fait connaître les mystères du Père.
C’est pour cette raison que Dieu a envoyé le Verbe : pour qu’il se manifeste au monde. Son peuple l’a mal reçu, les apôtres l’ont annoncé, les nations ont cru en lui. C’est lui qui était dès le commencement, lui qui s’est manifesté comme nouveau et a été reconnu comme ancien, lui qui naît toujours jeune dans les cœurs des saints. Il est Celui de toujours, aujourd’hui considéré comme Fils. Par lui est enrichie l’Église, et la grâce, se déployant, se multiplie chez les saints : elle apporte l’intelligence, manifeste les mystères, annonce les temps favorables, se réjouit des croyants, s’offre à ceux qui recherchent, à ceux qui ne brisent pas les limites de foi ni ne repoussent celles qu’ont fixées les Pères.

Alors la crainte de la Loi est chantée,
et la grâce des prophètes est connue,
et la foi des évangiles est affermie,
et la tradition des apôtres est conservée,
et la grâce de l’Église exulte !
Si tu ne contraries pas cette grâce, tu connaîtras que le Verbe proclame comme il le décide, quand il veut.
Tout ce que la volonté du Verbe nous a poussés, ses ordres, à exprimer avec grand effort, nous le part avec vous par amour pour ce qui nous a été révélé.

XII. Si vous avez lu et écouté avec ardeur ce qui précède, vous saurez ce que Dieu apporte à ceux qui l’aiment vraiment, qui sont devenus un Jardin de délice. Faites alors pousser en vous-mêmes un arbre fée florissant. Ornez-vous de fruits variés. Car en ce lieu ont été plantés l’arbre de la connaissance et celui de la vie, mais ce n’est pas l’arbre de la connaissance qui tue, c’est la désobéissance qui tue. Ce qui est écrit n’est pas obscur : Dieu, dès le commencement, a planté l’arbre de la connaissance et celui de la vie au milieu du jardin, pour montrer que la vie passe par la connaissance. C’est en faisant de la connaissance, à la suite de la tromperie du serpent, un usage impur que les premiers humains se sont retrouvés nus. Pas de vie sans connaissance ni de connaissance sûre sans la vraie vie : voilà pourquoi les deux arbres été plantés l’un près de l’autre.
L’apôtre a perçu cette signification-là : il blâme connaissance qui s’efforce d’aller à la vie sans le commandement de la Vérité ; il dit : « La connaissance s’enfle d’orgueil, mais l’amour construit. »  Celui qui croit savoir quelque chose sans la vraie connaissance, sans celle à qui la Vie a rendu témoignage, celui-là ne sait pas. Il est trompé par le serpent, parce qu’il n’a pas aimé vivre. Mais celui qui sait avec crainte et cherche à vivre, celui-là plante avec espérance et peut s’attendre à du fruit.

Que ton cœur soit pour toi connaissance, que te soit vie le Verbe véritable, que tu accueilles en toi. Si tu portes en toi son arbre et aimes son fruit, tu récolteras toujours ce que l’on désire recevoir de Dieu,
ce que le serpent n’atteint pas,
que sa tromperie ne contamine pas ;
et Eve n’est pas corrompue,
mais, vierge, elle mérite confiance.
Et le salut est montré,
et les apôtres sont enseignés,
et la Pâque du Seigneur vient,
et les temps sont rassemblés,
et le Verbe unit à lui le monde
et, instruisant les saints, il jubile. Par lui le Père est glorifié,
à qui soit la gloire dans les siècles. Amen.

Mon commentaire :
Je retiens surtout le fait que la connaissance est préalable à la vie (le salut), mais pas n’importe laquelle. Le judéo-chrétien, en lutte permanente contre les pagano-chrétiens et les gnostiques, tient à faire savoir que seule sa connaissance (gnose) est bonne, les autres étant dangereuses.

Voilà comment je comprends ce texte.

Guilhem de Carcassonne.


1. L’auteur est anonyme, mais la lecture du texte va nous révéler un judéo-chrétien du deuxième siècle
2. Fête de la nouvelle lune chez les Grecs.
3. Critique de la circoncision des Juifs.

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