La communauté de vie évangélique cathare et l’argent
L’étude des textes évangéliques et de ceux relatifs au catharisme donnent à voir que la coutume amenait les nouveaux arrivants dans la communauté chrétienne de référence fassent don de tous leurs biens ou de leur contre-valeur financière.
Cette habitude est même devenue une obligation, dont le rejet ou le contournement pouvait conduire à la pire des sanctions, comme le montre très bien l’épisode d’Ananie et Saphire dans les Actes des apôtres (IV 1-11), même s’il convient de s’interroger sur la nature de la « mort » qui est présentée dans ces quelques lignes et qu’il faille plutôt y voir une exclusion de la communauté magnifiée en « mort » à la vie communautaire.
Les contraintes juridiques du Moyen Âge étaient très différentes de celles de notre époque. La plupart des personnes n’avaient que peu ou pas de biens personnels, les femmes étaient au mieux limitées à leur dot, et ceux qui en disposaient les avaient sous forme de propriétés matérielles (maison, terrain, troupeau, vêtements, etc.). Cependant, comme Pierre Authié, leur choix d’engagement en vie évangélique les amenait à réaliser leurs biens ou à les donner tels quel. Une fois apurées toutes les dettes et réalisé le partage patrimonial, les biens restant étaient donnés à l’Église cathare afin de respecter la parole de Jésus dans Luc (XVIII 18-27) : « Une chose te manque encore : vends tout ce que tu as et distribues-en le prix aux pauvres ; et tu auras un trésor dans les cieux. Et viens ici, suis-moi. » Dans Matthieu (XIX 16-26), cette obligation n’est pas présenté comme un manque par rapport à la loi reçue de Moïse mais comme un complément à la vie éternelle demandée initialement : « Jésus lui dit : Si tu veux être parfait, va-t’en, vends tes biens et donnes-en le prix aux pauvres ; tu auras un trésor dans les cieux. Et viens ici, suis-moi. »
On le voit, le don à la communauté n’est pas un commandement de Jésus mais il apparaît dans les communautés — au moins celle de Pierre — après le départ du Maître.
Les problématiques du don d’argent à notre époque
L’argent est clairement vécu par les chrétiens comme une forme d’assujettissement au monde et au Mal. C’est vraisemblablement parce que l’argent est synonyme de pouvoir, qu’il est cause convoitise et de violence et qu’il éloigne de ce fait celui qui le possède de l’idéal chrétien.
Mais à notre époque il est toujours considéré comme l’élément central de la vie humaine. Tout, autour de nous, fait référence à l’argent. Il apparaît donc de manière évidente que l’entrée en communauté chrétienne ne peut se baser sur cette valeur. L’argent doit y retrouver sa place initiale, celle d’un outil d’échange de biens et de services. Or, dans la communauté, il n’y a pas besoin d’argent puisque tout est réalisé de façon commune et partagée. L’argent ne présente éventuellement d’intérêt que pour les relations avec l’extérieur de la communauté. Il permet à cette dernière d’obtenir ce qu’elle ne peut pas produire ou réaliser par elle-même. Il est aussi le moyen pour les membres de la communauté de s’acquitter de leurs obligations envers les instances mondaines qui conservent un pouvoir de taxation envers chacun des membres (prélèvements, sociaux, impôts et autres taxes). En outre, le novice rejoignant une communauté est rarement sans attaches extérieures. Il est donc tenu de respecter les règles mondaines concernant les rapports d’argent au sein des groupes sociaux du pays concerné.
Il est un autre problème que l’on ne peut ignorer. Dans un monde où l’argent semble être le fondement de la vie, toute structure qui demanderait à ses membres de s’appauvrir et de l’enrichir serait forcément considérée comme suspecte. C’est même un des critères généralement retenu pour définir l’emprise sectaire.
Enfin, à notre époque il ne manque pas d’organismes caritatifs qui nous sollicitent financièrement pour accomplir leurs actions et l’on pourrait s’étonner que des chrétiens les ignorent au profit d’une structure ecclésiale qui pourrait finir par s’enrichir de façon difficilement compréhensible.
C’est pour toutes ces raisons que j’envisage personnellement le rapport à l’argent d’une façon un peu différente de celle qui semblait en vigueur à l’époque.
Le don d’argent à la communauté
Il y a deux cas de figure à considérer. D’une part le don d’argent par un croyant non membre d’une communauté de vie évangélique et d’autre part celui d’un membre d’une communauté de vie évangélique.
Si des croyants, qui continuent à vivre dans le monde, veulent donner de l’argent à l’Église — pour un temps représentée par une ou des communautés de vie évangélique — il leur faut s’entourer d’un certain nombre de protections afin d’éviter l’accusation d’aliénation mentale et de sujétion sectaire. On peut imaginer plusieurs pistes à explorer en la matière, allant de la co-signature d’un proche non croyant pour valider le don, jusqu’à un acte notarié attestant que l’argent donné relève de la part demeuré libre du patrimoine de la personne concernée. En tout état de cause ces dons doivent rester modestes pour ne pas être considérés comme une aliénation du patrimoine familial. Pour les personnes seules, il faudra là aussi veiller à éviter toute accusation de captation patrimoniale.
Concernant des croyants entrant en noviciat, je ne pense pas que le don de biens patrimoniaux, même limités à la part patrimoniale libre soit un pré-requis nécessaire. Il me semble possible au contraire de limiter de tels dons à une part réduite (de l’ordre de quelques pour-cent de la part patrimoniale libre) toujours dans l’esprit d’éviter les suspicions d’emprise sectaire.
Pour les membres vivant en communauté évangélique et percevant un salaire ou une pension de retraite, associée ou non à gains complémentaires (droits d’auteurs, pensions d’invalidité, aides diverses), il me semble qu’il convient qu’ils participent financièrement aux frais de la communauté et qu’ils abondent une caisse complémentaire destinée à assurer à tous les mêmes possibilités de prise en charge de frais annexes (mutuelle santé, prévoyance pour des frais exceptionnels, dépendance, etc.). Cette participation doit se faire de façon adaptée aux revenus de chacun et dans la limite des besoins de la communauté. Le but n’étant pas d’accéder à un confort moderne mais à une simplicité de vie raisonnable, cela devrait être assez facile à réaliser.
Les rapports de la communauté à l’argent
La ou les communautés qui se mettront en place doivent se poser quelques questions par rapport à la gestion de l’argent. Tout d’abord quelle structure juridique adopter pour assurer cette gestion ? Ensuite, selon le choix précédent, comment gérer les dons externes et internes ? Enfin, comment organiser le financement de la vie commune ?
La structure juridique est importante à envisager car elle sera à la base des obligations et des conséquences qu’en aura à subir la communauté toute entière. Une structuration en société — quelle qu’en soit la nature — crée de fait (et de droit) un rapport lucratif entre chacun des membres et la structure. Ainsi un membre désirant se retirer pourra exiger le remboursement de son apport dans des délais prescrits par le type de société et après réévaluation du montant selon l’évolution des finances du groupe. Ainsi il tirera profit des bénéfices réalisés au prorata de son apport. S’il vient à décéder, ses ayants-droit pourront faire de même. Une structuration en association crée un principe de non lucrativité dont le principal inconvénient est qu’il devient impossible de réaffecter les bénéfices aux membres de l’association et qu’en cas de dissolution tout le capital est dispersé hors des membres. Par contre il est possible de développer des activités commerciales, de faire des bénéfices, de payer des salariés (sous conditions) et de rendre à un partant son apport sans aucune réévaluation. Les apports peuvent même être considérés comme définitivement acquis en cas de décès.
Au-delà de la structure c’est aussi la façon de fonctionner qui sera importante. En l’absence d’une Église cathare déjà constituée ce sont les communautés qui devront s’organiser en interne. Certes, si elles choisissent de s’accorder sur un certain nombre de points, cela permettra d’instaurer un embryon de ce qui pourra devenir à terme un organisme central unique. La structuration juridique donnera la capacité à réaliser un certain nombre d’actions collectives qui seraient très compliquées ou impossibles à des individus séparés. Par exemple l’achat d’un terrain en commun nécessite une structuration sous peine de tomber dans la règle de l’indivision qui générera des problèmes majeurs, voire insolubles dès le décès d’un des membres. Personnellement je défends le principe d’une structuration associative de type Amopie, même si les choix philosophiques et politiques sont sans rapport. L’association est donc l’organe centralisateur de l’argent et devient de fait propriétaire des biens acquis en commun, charge à chaque communauté de déterminer ce qui relève du collectif et du particulier. Les éventuels apports individuels destinés à la mise en place du projet peuvent être restitués à la valeur nominale de l’entrée dans la communauté, avec ou sans échelonnement de restitution destiné à préserver les finances communes de l’effondrement en période de lancement. Ensuite, chacun paie un « loyer » à l’association en échange des services attendus : logement, alimentation, habillement, blanchissage, etc. La structure gère l’argent, met en place des moyens de fonctionnement et constitue petit à petit une trésorerie destinée à rembourser d’éventuels apports, à financer de nouveaux projets internes ou externes et à permettre d’assister les membres qui repartiraient sans disposer de moyens financiers nécessaires à leur réinsertion dans la société « civile ».
Conclusion
Comme on le voit, le problème de la gestion financière est loin d’être simple à résoudre de façon satisfaisante pour chacun et pour demeurer en accord avec les principes qui ont mené le catharisme médiéval. C’est notamment en raison de la forte évolution de notre société, tant dans son rapport à l’argent que dans son rapport à la réglementation.
Nous devons faire avec et trouver ce qui nous semble le plus juste et le plus à même de pérenniser notre communauté sans renoncer à nos principes. Ce chantier reste ouvert et devrait faire l’objet de nouvelles publications destinées à en préciser les termes, voire à l’amender.
Éric Delmas – 23/10/2012