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Le monde, la mort, la vie et le cathare

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Le monde, la vie, la mort et le cathare

La philosophie n’est pas un système de raisonnement déconnecté du réel, réservé à une élite auto-proclamée, qui finit par accoucher d’une souris. Au contraire, c’est une façon d’avancer les yeux ouverts, là où beaucoup se mettent la tête dans le sable, afin de répondre aux trois questions existentielles qui agitent l’humanité depuis toujours : D’où viens-je ? Qui suis-je ? Où vais-je finir ?

D’où venons-nous ?

En général, les hommes voient le monde comme un champ d’expérience mit à leur disposition, soit par le fruit du hasard, soit par une divinité plus ou moins bienveillante. Dès lors, l’idée de s’interroger sur sa raison d’être profonde devient caduque et nous nous contentons d’y cheminer tant bien que mal en essayant d’oublier qu’au bout du chemin il y a la mort.
Plus la science progresse dans son savoir, plus nous comprenons que cette vision est égocentrée et, à bien des égards, fausse.
Mais la plupart des religions ne se sont pas dotées de la capacité d’évolution dont bénéficie la science, même si cette dernière a aussi des limites insurmontables.

Les hypothèses de l’origine du monde

La vision anthropomorphique, élaborée à Babylone au 6e siècle avant l’ère commune[1], rend l’approche religieuse puérile et manipulatrice. L’idée d’un Dieu créant un univers en six jours, sous la forme que nous lui connaissons, ne résiste pas aux découvertes scientifiques qui montrent une apparition progressive où des milliards d’années ont été nécessaires, ne laissant à l’homme que le dernier million d’année pour apparaître et se développer. Mais la science est elle-même incapable de proposer une explication démontrable concernant l’origine de cet univers, issu paraît-il d’une masse infiniment petite et infiniment dense qui serait toujours en expansion. Certains en viennent même à refuser d’y réfléchir partant du principe que si le big-bang est le début de l’univers, il ne saurait y avoir un avant big-bang ! Du coup cette masse initiale, apparue à l’origine n’aurait, elle aucune origine ?

Je vous passe les deux interrogations majeures concernant l’Homme. Celle induite par la relation de la Genèse — premier chapitre de la Torah, que nous appelons Pentateuque —, qui propose d’abord une création de l’homme et de la femme ex nihilo, par un Dieu, parfois unique (Yahwé), parfois multiple (Élohim), souvent unitaire au sein groupe multiple (Yahwé Élohim). Au deuxième chapitre, ce Dieu réitère ce qui n’est plus vraiment une création, mais plus un façonnage à partir de la glaise, rendue vivante par un souffle divin. Souffle dont seul l’homme bénéficie, la femme étant cette fois façonnée à partir de la côte de l’homme, même si des chercheurs plus récents préfèrent la traduction à côté et non de la côte. Bien entendu, la recherche scientifique réfute largement et avec toutes les preuves nécessaire cette vision idyllique. Mais la science fait à peine mieux. Si elle nous propose une évolution lente des mammifères, favorisée entre-autre par la disparition des dinosaures, et un développement amélioré, lié notamment à la nécessité vitale d’échapper à un grand nombre de prédateurs, par des avancées physiologiques et techniques qui ont toutes permis une amélioration des conditions de vie de cette espèce, elle fait l’impasse sur un moment décisif qui bat en brèche ce processus naturel. En effet, dans une période, qui pour l’instant ne peut être datée que grossièrement (entre – 40 000 et – 100 000 ans), l’homme, représenté par deux espèces à peu près concomitantes : l’homo-neanderthalensis (-300 000 à – 150 000 ans environ) et l’homo-sapiens (- 300 000 à nos jours environ), va faire une découverte qui, non seulement ne lui apportera aucun bénéfice en termes de survie ou de conditions de vie, mais va au contraire lui compliquer la vie. Cette découverte est celle de la transcendance, c’est-à-dire de l’existence d’une entité suprahumaine qui a tout pouvoir sur l’humanité. Et c’est pour la satisfaire que l’homme va modifier son mode de vie en se basant sur des humains capables de communiquer avec la ou les divinités : les chamanes, inventant des obligations restrictives appelées tabous et des obligations rituelles, les sacrifices. René Girard[2] a bien compris que cette modification est apparue sans doute à l’occasion du regroupement des cellules familiales nucléaires en petites communautés plus efficientes en matière de protection et de production alimentaire et que ces tabous et rituels avaient pour objectif de limiter le risque de conflits mimétiques potentiellement destructeurs pour ces communautés. Mais si le monde animal est lui aussi soumis aux conflits mimétiques et à leurs « remèdes » connus chez l’homme, ce dernier est le seul du genre animal à les avoir étendus à la sphère intellectuelle, voire spirituelle. La question qui se pose alors est de savoir ce qui a changé dans la physiologie ou dans la psychologie humaine qui l’a poussé à mettre cet élément au premier plan, ce que n’ont pas fait les autres animaux.

La compréhension cathare

Pour les cathares les choses sont plus simples. L’univers est la création du Mal, principe éternel strictement contraire à Dieu et totalement dépourvu d’Être, c’est-à-dire de Bien absolu. Désireux d’affirmer sa toute-puissance, il aurait élaboré une création, temporelle et corruptible, dont la durée dans le temps nécessitait un mélange partiel avec l’émanation divine : l’Esprit, consubstantiel au principe du Bien et doté de l’Être. L’homme serait donc ce composé entre une matière animale issue de la création maligne, incluant la chair mais aussi l’âme mondaine qui lui insuffle sa volonté de vivre et son égo, et un composé divin « aspiré » dans l’univers pour lui assurer un peu plus de durabilité. S’agit-il d’un vol, ce qui semblerait surprenant ou d’une projection volontaire destinée à montrer au Mal que sa création est malgré tout sans avenir en raison de sa nature maligne, je ne saurais le dire. La seconde hypothèse aurait le mérite de mettre en avant la Bienveillance absolue de Dieu et l’ignorance atavique du Mal. Cela correspondrait en outre parfaitement à l’image utilisée par les cathares médiévaux d’un principe du Bien, symbolisé par le soleil, étendant ses rayons, symboles de son émanation (l’Être), sur une création vouée à sa fin, comme le soleil réchauffe les planètes sans pouvoir éviter qu’à terme elles se dissoudront dans son expansion.
Les cathares sont donc aptes à accepter les découvertes scientifiques, voire à compléter les « trous » qu’elle y trouve, au moins jusqu’à ce que les scientifiques les comblent par de nouvelles découvertes. D’où vient le big-bang ? Dans quoi l’univers est-il en expansion ? D’où viennent les ténèbres au sein desquelles Yahvé crée la lumière ? Pourquoi deux races d’homo déjà anciennes ont complètement modifié leurs comportements au lieu de suivre une évolution qui leur était favorable jusques là ?

C’est donc l’infusion partielle de l’Esprit dans l’enveloppe matérielle des homo-neanderthalensis et des homo-sapiens qui serait responsable de ce changement de nature profonde de l’animal humain à cette époque.
Mais ce nouveau composé humain va développer, au sein de sa prison charnelle, des interrogations et des concepts dont certains sont clairement dus à sa nature mondaine et d’autres laissent entrevoir sa nature spirituelle.

Qui suis-je ?

C’est une chose de s’entendre dire que nous sommes issus d’un monde composé par une entité maligne dans lequel nous sommes prisonniers d’une enveloppe charnelle et une autre de découvrir que nous ne sommes pas de ce monde, mais d’une autre origine inconnue à ce jour.

Le point de vue judéo-chrétien

Je passe volontairement sur le point de vue athée, puisqu’il recouvre simplement ce que je viens de dire dans le début du chapitre précédent. Cependant, je pense que ce point de vue n’est pas aussi fermement ancré dans l’inconscient des athées qu’ils le croient. En fait, leur « esprit » profond en conduit la plupart à être plus proches de l’état agnostique, c’est-à-dire prêt à accepter une entité supérieure, mais sans pouvoir en imaginer une acceptable. Cela vient, me semble-t-il pour l’essentiel des images que les principales religions renvoient. Ces images très anthropomorphiques conviennent peu à une divinité que l’on voudrait imaginer parfaite en tout et incapable d’avoir la moindre responsabilité dans le mal, directement ou non, ce qui interroge sur son origine.
D’un point de vue judéo-chrétien, nous sommes des descendants d’Adam et d’Ève et notre âme divine nous est donnée à l’instant de la conception. Ce ne fut pas toujours ainsi. Initialement l’Église considérait que l’âme était la marque de l’adoption divine que nous conférait le baptême, mais cela posait le problème des enfants mourant avant le baptême. C’est donc pour le résoudre que les catholiques sont passés de l’adoptianisme au créationnisme. Ainsi, même l’embryon le plus petit dispose d’une âme, ce qui explique l’élément dogmatique de l’interdit de l’interruption volontaire de grossesse et, par extension, de l’interdiction de contrôle des naissances par la contraception. Ce n’est pas à l’homme de décider si une âme doit apparaître ou si une âme en gestation doit disparaître. Même si beaucoup de catholiques notamment semble ne pas comprendre ce point, il est clair que le refus de ces deux interdits vous place ipso facto en dehors de la communauté catholique.
Une fois né, l’être humain est donc voué à profiter de la nature tout en assumant le « karma » de son aïeul Adam dont la faute originelle impose à tous ses descendants d’en baver gravement tout au long de leur vie dans un espoir assez faible d’atteindre le Salut. La difficulté de ce parcours a d’ailleurs obligé l’Église à inventer le purgatoire pour éviter que la majorité des âmes finissent en enfer, car selon le dogme judéo-chrétien nous n’avons droit qu’à un essai sur cette terre. Comment justifier cela de la part d’un Dieu plein d’Amour pour ses créatures, omniscient et omnipotent ? Comment imaginer qu’un être humain issu de ce Dieu parfait ait pu choisir le mal qu’il ne connaissait pas — et dont on se demande comment il a pu apparaître sans la permission divine —, au lieu du bien qui était son fonds naturel ? Enfin, comment imaginer que Dieu puisse tolérer qu’en cas d’échec les hommes soient voués à un enfer éternel, qu’ils aient eu une vie longue ou brève, facile ou difficile, dans un environnement apte à les aider à choisir la bonne voie ou, au contraire, dans un environnement totalement délétère ?
En fait, cette approche est totalement anthropomorphique et n’a rien de divin.

Le point de vue cathare

Dès le début de ce qui allait devenir le christianisme des hommes ont refusé ce schéma dramatique. Paul a commencé par remettre en question la Loi de Yahvé, comme cela apparaît dans les textes, y compris ceux retenus par l’Église de Rome. Après lui, Apollos sans doute, Ménandre, Satornil et Marcion ont remis en cause le caractère de Dieu bon du créateur de ce monde, le démiurge, émettant l’hypothèse que notre origine serait autre.
Les cathares sont les héritiers de ceux qui refusent la vision juive du Dieu de la Torah et des textes annexes aujourd’hui réunis dans l’Ancien Testament. Ils ne se posent pas comme des concurrents des juifs dans l’Amour de Dieu et n’ont de ce fait aucune acrimonie ni aucune accusation à formuler à leur endroit.
Pour eux nous sommes des « extensions » de l’Esprit unique, faussement et en apparence séparées les unes des autres, disposées dans ce monde selon un modèle ségrégationniste (homme, femme, riche, pauvre, puissant, misérable, etc.) et enfermés dans des corps de matière maligne, sous la direction de l’âme mondaine dont l’objet est d’empêcher l’éveil de cette part spirituelle en la maintenant dans l’ignorance de sa nature et de son état au moyen d’outils de sujétions réunis sous le nom de sensualité au sens large ou de perception sensorielle.
Notre part animale, guidée par cette âme mondaine se comporte naturellement comme chez n’importe quel autre animal de cette création. L’instinct nous pousse à vouloir survivre à tout prix, à prendre le pouvoir sur les autres tout en restant dans le groupe protecteur et pourvoyeur d’opportunités. Cette partie, fortement prégnante, ne voit pas plus loin que cette vie qu’elle feint de croire éternelle et est sans cesse à la recherche d’un conflit mimétique susceptible de conforter un état de prédateur, afin d’éviter de se retrouver dans celui de la proie. Mais le cathare, ou plutôt le découvreur du catharisme entrevoit une autre vérité. Comme dans le film américain, Le Truman show[3], nous sommes dans un univers fabriqué sur mesure pour nous maintenir prisonnier tout en nous laissant croire à notre totale liberté de choix. Une version luxe du labyrinthe d’un rat de laboratoire. La vérité est époustouflante ! Depuis notre naissance tout est faux et ceux qui se laissent prendre à cette illusion sont condamnés à revivre sans fin cet emprisonnement, retardant d’autant la possibilité de retourner à leur origine.
Pour en sortir, il n’y a qu’un moyen : refuser la fiction, en chercher les failles, se convaincre de la manipulation et comprendre où est la réalité de notre Moi profond. Alors, l’éveil viendra nous révéler la voie à suivre pour atteindre notre but.

Où vais-je finir ?

Là où le judéo-chrétien est plutôt pessimiste quant à sa capacité de mériter le paradis, plutôt qu’à se retrouver éternellement en enfer, le cathare est franchement optimiste, même s’il a conscience que son cheminement pour s’évader de ce monde sera long et difficile. En effet, convaincu que Dieu est bon et bienveillant, même s’il espère réussir son passage dès la fin de cette vie, il sait cependant qu’à la fin des temps, toutes les parcelles d’Esprit retourneront au Père et que ce monde, lui, retournera au néant dont il est issu.
Cette différence de vue représente le point fort du catharisme sur toutes les autres religions et philosophies. En effet, pas de crainte d’enfer ou de disparition définitive ; le meilleur est à venir. Le catharisme c’est le pari gagnant, le gros lot garanti. Si la conviction cathare devait s’avérer erronée, le croyant n’aurait rien perdu et subirait le sort tragique des autres hommes, mais si elle s’avère juste, il pourra réussir son passage et retourner à l’empyrée divin dont il a été éloigné. Là où tout un chacun voit dans le catharisme une religion difficile et pessimiste, les cathares ne voient au contraire qu’un choix magnifique et parfaitement heureux.
Le seul problème est d’acquérir en ce monde le savoir nécessaire à la compréhension de la manipulation maligne dont nous sommes les victimes. C’est ce savoir qui va profondément nous perturber au point de provoquer l’éveil de la part spirituelle prisonnière et, une fois cet éveil acquis, il faudra simplement agir en accord avec cette nouvelle certitude. Comme c’est souvent le cas pour les projets importants de notre vie, la réussite avec son émerveillement nécessite des efforts et une persistance dans l’effort qui n’est difficile, voire insurmontable qu’avant de l’avoir entamé.

Guilhem de Carcassonne.

12/03/2023


[1] Voir La Bible dévoilée, Israël Finkelstein et Neil Asher Silbermann

[2] Des choses cachées depuis la fondation du monde, René Girard : recherches avec Jean-Michel Oughourlian et Guy Lefort

[3] Film américain de Peter Weir (1998)

Les bornages du catharisme

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Les bornages du catharisme

Les bornages dans le monde

À tout moment dans la vie mondaine nous sommes soumis à des bornages. Ils sont pour la plupart du temps mis en place a posteriori et ont généralement un caractère de jugement et de comparaison.

Le but des bornages dans ce monde est de différencier les individus en valorisant les uns et en dévalorisant les autres. Même si nous ne savons plus les reconnaître, nous n’y échappons pas. Pour certains d’entre nous ils sont bénins et pour d’autres ils sont insurmontables. Cela commence dès la petite enfance :

  • À l’école, le passage de classe en classe dépend d’une évaluation de l’année précédente, voire d’un examen qui sanctionne un niveau d’étude ;
  • Pour conduite un véhicule à moteur, cyclomoteur ou voiture, une évaluation sanctionne un niveau de connaissance et de pratique ;
  • Bien entendu, pour accéder à de nombreux métiers, une formation est requise et est sanctionnée par des examens
  • Dans l’exercice professionnel il n’est pas rare de devoir, là aussi, subir des évaluations de la part de son encadrement, voire des examens et des formations validant.

Notre vie est bornée à posteriori, c’est-à-dire qu’un jugement est porté sur nous après une étape, pour décider de la possibilité de passer à une autre.

Certains bornages sont formels, mais nous en subissons d’autres qui sont plus discrets, voire pernicieux :

  • L’inclusion dans un groupe social (ami, relations, etc.) dépend souvent de critères précis ou intuitifs qui définissent la confiance qui nous sera accordée.
  • La relation de couple dépend aussi d’une période d’évaluation que notre partenaire potentiel mettra à profit pour savoir s’il est possible d’envisager une vie à deux ;
  • Nous sommes également portés à évaluer les autres avant de leur permettre d’accéder à des zones intimes.

Même si ces bornages sont réalisés a posteriori, rien ne garantit qu’ils soient infaillibles et il n’est pas rare qu’ils puissent être remis en cause, le plus souvent par les autres.

Il n’y a guère que dans le domaine intime que les bornages peuvent se faire éventuellement a priori en se basant généralement sur l’appartenance à un groupe social, familial, ethnique ou autre.

Ces bornages servent à valider des compétences et à organiser la société en plaçant chacun de ses membres à la place estimée la plus profitable au groupe. Le problème est qu’ils sont souvent basés sur des niveaux de compétences généraux et qu’ils ne peuvent donc pas vraiment prendre en compte les particularismes de chacun.

Ils créent aussi des jugements de valeur, donnant à chaque catégorie des qualités ou des défauts plus ou moins justement évalués. Ainsi on constate régulièrement qu’un des paramètres qualitatifs de classement est celui de l’argent. Que ce soit l’argent généré en positif, comme le salaire ou des revenus autres, mais que ce soit aussi de l’argent dépensé pour la catégorie, comme les coût des allocations diverses.

Si le prologue de la Constitution indique que : « Les hommes naissent libres et égaux en droit. », il semble bien que la société se chargent très tôt de détruire cette égalité au profit d’un classement qualitatif qui va créer des catégories difficiles à dépasser, malgré l’inscription de l’égalité dans notre devise nationale.

Ces bornages ne remplissent pas leur fonction d’utilité sociale, car nous voyons qu’ils ne conduisent pas à valoriser ce qui est le plus important pour le groupe : la situation des personnels de santé, entre autres, le montre malheureusement bien.

Ces bornages sont donc bien en phase avec ce monde imparfait et souvent malin, qui nuit plus qu’il ne sert l’humanité qui en subit les conséquences.

Comment le catharisme fonctionne-t-il de ce point de vue ?

La particularité du catharisme est qu’il n’a pas besoin de classer la population puisqu’il considère que chaque être humain est une parcelle de l’Esprit unique, émanation divine artificiellement divisée.

Par contre, ceux qui s’intéressent au catharisme et veulent progresser en son sein ressentent le besoin de se situer. Mais la doctrine cathare ne permet pas de juger, donc de séparer les hommes sur quelque critère que ce soit. La manifestation des choix doit donc obéir à une autre forme.

La désignation a posteriori est forcément basée sur le jugement puisqu’elle se sert de l’expérience accumulée pour évaluer la compétence et le niveau atteint. Elle est donc impossible dans le catharisme.

La désignation a priori rencontre le même problème. Dire d’une personne qu’elle est apte à ceci ou cela est un jugement et le fait qu’il ne s’appuie pas sur des éléments objectifs ne lui ôte pas cet aspect de jugement.

C’est pour cela que le catharisme a choisi de retirer à son système de bornage ce qui lui posait problème : l’estimation extérieure.

Mais il n’en reste pas moins qu’il y a des étapes dans l’avancement en catharisme et que ces étapes constituent un système de bornage de l’évolution au sein de cette spiritualité. Nous pouvons en définir trois de façon précise :

Tout d’abord, quand une personne découvre le catharisme, grâce à des apports de connaissance personnels (lecture, contact avec des croyants, etc.) elle peut, soit n’y voir qu’un sujet comme un autre et le laisser de côté une fois que sa curiosité aura été satisfaite. On peut dire sans exagérer que cela représente l’immense majorité des cas. Cependant, il arrive que cette personne ressente le désir d’aller plus loin dans sa connaissance, notamment dans le domaine spirituel, soit parce qu’elle n’est pas satisfaite de ce qu’elle a déjà appris, soit parce que cela éveille en elle des sentiments liés à d’autres connaissances qu’elle possède déjà. Le fait de vouloir approfondir ses connaissances, surtout s’il s’accompagne d’une empathie envers le catharisme, voire d’une sympathie plus profonde, marque le franchissement d’une borne entre le statut de curieux et celui de sympathisant.

Le sympathisant va poursuivre ses études et améliorer ses connaissances, ce qui lui permettra de faire un tri dans les données circulant sur le catharisme et qui sont, dans une grande majorité, erronées, voire pires. De ces études il retirera, soit une connaissance améliorée sans qu’elle n’éveille rien de particulier en lui, soit le sentiment que cette voie spirituelle semble être celle qui peut assurer le salut.

Si le sympathisant adhère à la doctrine cathare au point de considérer que c’est la meilleure voie possible pour atteindre le salut, il va continuer à l’étudier et, parallèlement il suivra l’enseignement des chrétiens cathares qui l’aideront à mieux appréhender le christianisme. Si cela l’imprègne réellement, il finira par atteindre l’éveil qui se manifestera pour lui par l’impérieux besoin d’aller au bout de ce cheminement pour faire sa bonne fin. Cela s’appelle l’éveil et fait de ce sympathisant un croyant cathare. Une fois qu’il l’aura compris, le croyant recherchera les chrétiens cathares consolés et leur manifestera son état en leur demandant leur aide pour son cheminement par le biais de l’Amélioration. Il marquera ainsi le bornage de son nouvel état.

On le voit dans ces deux cas, le bornage peut n’être visible que de l’intéressé ou bien se manifester ouvertement envers l’Église cathare. Il n’intervient que pour confirmer un état déjà acquis et n’est évalué que par l’intéressé. Pas de jugement, pas de sanction, pas de marque extérieure publique ; même l’Amélioration ne peut se faire qu’en comité restreint. De même, l’engagement pris est sans cesse remis en question et l’intéressé peut abandonner son cheminement s’il considère s’être trompé. Là encore, il est seul juge de son état réel.

Le croyant manifeste son état dans sa pratique intime et dans sa volonté de participer à la mise en place des conditions qui lui permettront d’assurer son salut, à savoir disposer en temps voulus d’une maison cathare où faire son noviciat et recevoir sa Consolation. En attendant d’en arriver là, surtout si des contraintes mondaines l’empêchent de se libérer, il va approfondir son cheminement par l’étude, par les pratiques spirituelles et par une adaptation de sa vie mondaine, afin de la rendre la plus compatible possible avec la règle de justice et de vérité. La préparation spirituelle peut se faire aider par un accompagnement dans l’étude des textes et dans les pratiques spirituelles. Aujourd’hui, plutôt que des participations à des prêches réguliers, qui n’est pas forcément facile étant donné l’éloignement entre les membres de l’Église, il peut entamer une préparation au noviciat.

Au cours de cette période de préparation, non seulement le croyant va améliorer ses capacités spirituelles et pratiques, mais il va également travailler aux conditions de règlement des contraintes qui le retiennent encore dans ce monde. Cela passe par des échanges avec les personnes qui lui sont attachées pour expliquer ses choix et son désir d’avancement. Cela permettra de voir si les autres sont encore dans une dépendance envers lui qui l’empêche de partir ou si ces personnes sont plus dans une démarche visant à le bloquer dans ses choix. Dans cette dernière hypothèse il est clair que ses engagements ne seront plus de même nature. De même, s’il a des enfants, il convient de voir selon leurs capacités à appréhender la situation, si des aménagements sont possibles (déménagement à proximité d’une maison cathare, séparation de corps avec le conjoint avec maintien d’un lien quotidien avec les enfants, etc.). En effet, la plasticité du catharisme permet bien des aménagements propres à favoriser l’entrée en noviciat sans nuire à l’entourage. Le choix d’entrée en noviciat va constituer un nouveau bornage dont le croyant seul peut définir le moment opportun.

Une fois entré en noviciat, le croyant va cheminer plus profondément dans sa foi au moyen de temps de pratiques et de spiritualités plus nombreux, même si des obligations mondaines demeurent. Plusieurs étapes viendront ponctuer son avancement au sein de la maison cathare et lui permettront de choisir une finalité strictement personnelle ou un parcours plus approfondi en vue de devenir prédicateur. Il va sans dire que de nos jours, les freins à l’accès à des fonctions de responsabilités que connaissaient les femmes cathares médiévales, n’ont plus aucune justification.

Ainsi, au terme d’une évaluation personnelle et d’un approfondissement de son état spirituel, il sera en mesure de ressentir le lien avec le Saint-Esprit consolateur qui lui confirmera la nouvelle étape atteinte. Dès lors, il pourra en parler avec les membres de la maison cathare afin de définir la date de sa Consolation. Ce bornage, considéré à tort par beaucoup comme une fin, lui ouvrira la porte d’un nouveau cheminement qui sera lui aussi ponctué de bornages, visibles ou non, qui le mèneront à terme à sa bonne fin.

Conclusion

On le voit mieux maintenant, le catharisme est lui aussi ponctués de moments-clés, mais ils prennent des formes particulières qui lui sont propres.

D’abord ils ne sont pas forcément formalisés de façon mondaine. Ils sont toujours à l’initiative de la personne concernée qui est la mieux placée pour évaluer son état. Elle peut s’appuyer sur l’avis de personnes plus avancées qu’elle, ce qui ne constitue pas un jugement. Quand une cérémonie ponctue ce bornage, elle peut survenir à distance du moment où le changement s’est opéré. Enfin, les bornages cathares sont systématiquement vécus a posteriori de ce qui les justifie, car le catharisme ne préjuge jamais d’un avenir qui n’est pas écrit dans ce monde.

Éric Delmas, novice cathare à Carcassonne.