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Contes et mythes cathares

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Contes et mythes cathares

L’autre titre donné parfois à ce conte « La légende de l’herbe bleue ou le conte du Roi des Corbeaux » ne me semble pas légitime si l’on s’en tient à la définition même du mot « légende » qui est un récit s’inspirant d’un fait historique réel (déformé et embelli au fil du temps), comme par exemple : la légende de Dame Carcas, ou celle de la bête de Gévaudan.

Le conte du Roi des Corbeaux

Introduction au conte

Avant de vous présenter le conte et le mythe que nous allons étudier ensemble, j’aimerais rappeler ce qui caractérise le conte.

 Il ne faut pas oublier que les contes, récits véhiculés tout d’abord oralement devinrent des textes littéraires seulement à la Renaissance. Alors qu’au Moyen-Âge la grande partie de la population était analphabète, les contes, tout comme les fresques dans les églises, jouaient un premier rôle de support didactique près des populations.

 Ils remplissaient en outre un rôle de cohésion sociale, car  en tant que miroir de la société, ils reflétaient les mentalités, les codes et les rapports sociaux établis dans les communautés partageant ces mêmes récits. Ils étaient donc un moyen d’unité et d’identification à une communauté précise, car si certains de ces  récits paraissent universels, les variantes géographiques( régionales,  nationales, etc.)  pour un même conte sont toujours très nombreuses. Par  ce fait même, ils étaient la mémoire collective vive de la communauté.

Enfin, tout conte, en tant que leçon de vie métaphorique, peut accepter diverses interprétations, et on peut comme pour un texte religieux en faire une exégèse  évidemment différente selon le point de vue philosophique, religieux ou politique du commentateur. Tout cela pour expliquer que les cathares du Moyen-Âge, ont eu recours, eux aussi, aux seuls supports didactiques existants pour faire connaître leurs doctrines à leurs sympathisants et à leurs croyants. Ils ont donc utilisé certains des contes très connus de cette époque  pour communiquer avec les populations qu’ils côtoyaient. Ce qui devient alors intéressant est de retrouver, dans les contes qu’ils ont utilisés, l’analyse proprement cathare qu’ils en ont faite, car celle-ci. n’est pas directement perceptible.

Étude du conte

Vous pouvez lire ce conte dans son intégralité sur le site Catharisme d’aujourd’hui[1].

 Ceux qui le connaissent déjà, ont pu remarquer ses nombreuses similitudes avec le conte « La Belle et la Bête ». Pour résumer le début, le père de trois jeunes et belles filles se voit contraint d’offrir en mariage une de ses trois filles (la benjamine et la plus belle) à un corbeau. Ce corbeau est, comme dans la « La Belle et la Bête », un roi métamorphosé par un puissant sorcier. L’héroïne — qui se trouve être la plus jeune des filles, elle n’a que dix ans —, prend pourtant la décision d’accepter  ce marché  ignoble et contre nature. Elle est dotée de qualités essentielles pour entreprendre une quête spirituelle telle que la conception chrétienne cathare l’exprime. C’est tout d’abord par Amour, amour filial dans ce cas,  mais bien amour désintéressé tel qu’il est défini comme  le premier commandement du christianisme. Ensuite, là où l’explication judéo-chrétienne voit un sacrifice, le catharisme voit un choix fait librement et une détermination certaine. La suite du conte d’ailleurs nous le prouve : devenue reine, elle vit dans un magnifique château rempli de solitude, coupée du monde. Une nouvelle valeur cathare apparaît ici : c’est le lâcher-prise sans concession possible, l’abandon de la mondanité, ou de la vie dans le monde, pour se consacrer à l’éveil qui nécessite solitude et introspection. On note chez l’héroïne une autre qualité qui  fait partie des fondements de la Règle de justice et de vérité des cathares : elle est humble et reste humble comme nous le montre la rencontre avec la lavandière.

 «Au bord du lavoir, travaillait une lavandière, ridée comme un vieux cuir, et vieille comme un chemin. La lavandière chantait, en tordant un linge noir comme la suie : « Fée, fée, ta lessive n’est pas encore achevée, la vierge mariée, n’est pas encore arrivée. Fée, fée ».
« Bonjour, lavandière, dit la reine. Je vais vous aider à laver votre linge noir comme la suie.
– Avec plaisir, pauvrette ».

Mais notre héroïne est humaine, et donc elle n’est pas infaillible. Elle va transgresser l’interdit tout près du but : ne pas chercher à voir l’époux avant la fin du sortilège. On  reconnaît ici les emprunts aux grands  mythes de Psyché et Cupidon, ou encore d’Orphée et Eurydice.

 L’enseignement cathare s’adresse ici à tout(e) croyant(e) de manière claire : on doit tout au long  du chemin se défier de nos sens qui peuvent nous faire chuter . Quand on est trop sûr de soi, on peut agir sans tempérance et par vanité retomber dans l’erreur . C’est pour éviter cela aussi que les cathares font de l’humilité une valeur essentielle à acquérir. Elle représente  la meilleure arme contre la vanité.

Après la chute, c’est une étape d’un type différent qui attend la reine. Ce que le judéo-christianisme va appeler la rédemption, ou rachat de la faute, le catharisme le conçoit comme une  « quête de la lumière qui soustraira l’âme (spirituelle) au néant ». C’est le long cheminement du chrétien (le Bonhomme, ou Bonne-dame) en formation.

En effet, si dans la première partie du conte, on a pu trouver certaines valeurs du catharisme que tout(e) croyant(e) choisit de faire siennes, on voit dans la dernières partie se dessiner le noviciat de la personne ayant choisi de parfaire le cheminement vers « sa bonne fin », ou encore le cheminement du « chrétien ».

 La reine va partir  chercher le seul objet qui peut sauver son époux du maléfice : l’herbe bleue, l’herbe qui chante nuit et jour, l’herbe qui brise le fer. Son errance va durer trois années entières, ce qui correspond au temps du noviciat chez les cathares.

Le premier monde traversé par la reine est « le pays où il ne fait ni nuit ni lune, et où le soleil rayonne toujours. Là, elle marcha tout un an ». Or, au bout d’un an de recherche, la première herbe bleue a l’unique qualité d’être bleue.

Le chemin semé d’embûches symbolise parfaitement la démarche spirituelle qui est une lente progression selon les acquis obtenus par un travail de fond sur soi,  un travail de connaissance de soi , un travail long et difficile.

Au bout de leur première année de formation consacrée à la finalisation des savoirs, à l’appréhension de la connaissance, à la méditation, au  lâcher-prise, etc., les novices cathares participent à l’oraison (ils ont le droit de dire le Pater).

Le deuxième monde traversé par la reine est « le pays où il ne fait ni jour ni nuit et où la lune éclaire toujours. Là, elle marcha tout un an ». Au bout de la deuxième année de recherche, la deuxième herbe bleue trouvée possède la première qualité : elle chante jour et nuit.

Au cours de cette deuxième année, les novices cathares, par leurs nouveaux savoirs : la compréhension de l’Être, de la part spirituelle en soi, qui exigent toujours plus de profondeur, d’avancement dans l’inconnu, peuvent commencer à développer leur connaissance qui est l’association des savoirs, de l’Être et de la foi. Parallèlement, ils poursuivent leur avancement en compagnonnage avec des chrétiens avancés qu’ils suivent dans leurs prédications. en continuant leur une formation de prêcheurs.

Le troisième monde traversé par la reine est « le pays  où il n’y a ni soleil ni lune, et où il fait nuit toujours. Là, elle marcha tout un an».

Au bout de la troisième année de recherche, la reine trouve l’herbe bleue qui chante nuit et jour, l’herbe qui brise le fer , l’objet magique nécessaire pour venir à bout du sortilège.

L’obscurité totale à traverser sous-entend les difficultés et les doutes que connaît le novice pour parvenir à se défaire de sa tunique de chair (tuer l’Adam primordial en lui) avant de pouvoir accueillir  le nouvel homme spirituel (le Christ ressuscité). L’acquisition de cette force d’introspection est difficile à concevoir pour le novice débutant, comme pour le croyant. Cette formation est conclue par une nouvelle Consolation marquant l’état de chrétien prédicateur.

L’aboutissement de la troisième année pour les novices cathares, c’est la Consolation, nouveau temps pour le chrétien libéré de toutes les chaînes mondaines ; temps qu’il va consacrer à parfaire son chemin pour réussir le « mariage mystique » qui, le jour de sa mort, pourra le soustraire au cycle infernal des réincarnations et lui permettre ainsi de rejoindre l’Esprit unique.

Mais contrairement au happy end prévisible du conte, personne ne peut s’assurer de « sa bonne fin ». Rien n’est jamais acquis ici-bas, la perfection n’étant pas de ce monde. La phrase qu’aime à rappeler Guilhem « Jamais je ne t’ai promis un jardin de roses » est finalement un excellent condensé du chemin pour garder en mémoire que c’est avant tout notre détermination qui donne toute sa force à notre quête spirituelle personnelle, et, c’est d’elle que dépendra finalement la réussite de notre retour au Père saint.

Le mythe de la tête d’âne

Introduction au mythe

Le mythe, comme le conte nous entraîne dans le merveilleux : on y croise des personnages dotés de pouvoirs surnaturels, des héros hors du commun, des demi-dieux, des dieux, etc.
Le rôle du mythe est avant tout de donner un sens à  la création du monde, aux catastrophes naturelles (cosmogonie), d’expliquer l’apparition de l’être humain (anthropogonie), de parler des divinités (théogonie), de la vie de la mort.
Le mythe a toujours un fondement spirituel : il raconte une histoire sacrée, un événement qui a eu lieu dans des temps immémoriaux, temps des commencements et peut prendre une dimension universelle ( ex. : Mythe de la caverne, Mythe de l’Émergence,  Mythe du Déluge,etc.)
Le langage métaphorique du mythe, riche en symboles et  nombreux sens est depuis toujours un sujet  d’études inépuisable pour les philosophes.

 Enfin, on sait aujourd’hui, grâce aux nouveaux travaux d’historiens s’appuyant sur la phylogénétique que plusieurs de nos grands mythes universels trouvent leur origine dans la Préhistoire (Paléolithique supérieur, au moment où Homo Sapiens quitte l’Afrique pour l’Eurasie, puis ensuite pour l’Amérique en passant par le détroit de Béring ; vers 30 000 ans avant notre ère).

Le mythe de la tête d’âne est un mythe cathare raconté le 25 juin 1324 par le croyant cathare Peyre Maury lors de son interrogatoire par l’inquisiteur Jacques Fournier ( registre d’Inquisition de Jacques Fournier, Tome III ). Peyre Maury l’avait entendu, une première fois raconté par le chrétien Philippe d’Alayrac au cours de l’été 1303.
Ce court récit est un  message condensé dont le sens difficile à appréhender pouvait être un sujet de prêche. Il nous conte l’éveil d’un esprit-saint.

Pour une meilleure compréhension du récit, il est nécessaire de rappeler deux concepts cathares très précis, bien éloignés des concepts judéo-chrétiens : il s’agit de l’âme et de l’esprit-saint.
L’âme, en un seul mot, pour les cathares définit l’âme mondaine uniquement, ou psyché selon la psychologie, c’est-à-dire l’ensemble des phénomènes psychiques, conscients et inconscients, qui constituent la personnalité de chaque individu, ensemble des sentiments, des émotions déterminés par  nos cinq sens et qui limitent l’essor de l’être intérieur ( selon C. G. Jung) ou, pour les cathares qui s’ingénient à empêcher l’éveil de l’esprit-saint.
L’esprit-saint est cette partie divine enfouie en chacun de nous dans sa  prison de chair, partie tombée de la sphère divine dans la sphère mondaine et qui aspire à retourner dans l’empyrée céleste. On la nomme aussi âme spirituelle. C’est une émanation du principe du Bien de toute éternité.

 Ce mythe nous conte le moment précis de l’éveil d’un esprit-saint.

Étude du mythe

 Les  belles allégories de ce mythe ne sont pas anodines, et sont intéressantes à décoder.

Tout d’abord le lézard, qui représente ici l’esprit-saint, a une charge symbolique, forte dans les religions comme dans la mythologie. Symbole d’immortalité, comme tous les batraciens qui changent de peau, symbole de renouvellement et de régénération (il peut reconstituer sa queue coupée), il est aussi relié à la lumière par sa propension à se chauffer au soleil. Son aptitude à se fondre dans le décor et rester immobile, sa faculté d’adaptation à des milieux très hostiles font de lui une créature exceptionnelle citée dans la Bible (Proverbes. 30, 24-28 « Il est quatre êtres minuscules sur la terre […] et parmi eux le lézard que l’on capture à la main, mais qui hante le palais des rois ». Cette créature, à qui aucun lieu n’est interdit, indifférent aux hiérarchies terrestres,  humble par sa taille, qui peut passer inaperçu, et qui pourtant se trouve partout sur la terre, nous renvoie de façon inévitable aux paroles de Jean (3. 8,21) : « L’Esprit souffle où il veut. Tu entends sa voix mais tu ne sais ni d’où il vient ni où il va ». Prisonnier seulement en apparence, l’esprit-saint, tout comme le lézard, peut sortir du corps humain, contrairement à l’âme. Cette sortie de la bouche du dormeur symbolise donc l’éveil, ou plus exactement les prémices d’un éveil, car nous assistons à une certaine errance de sa part ; n’étant pas prêt à rejoindre l’Esprit Unique, il n’a d’autre choix que de retourner dans sa prison provisoire. Mais sans la planche-passerelle, le retour à l’état antérieur n’est plus possible.

Le choix de la tête d’âne s’explique aussi quand on étudie la symbolique attachée à cet animal. L’âne, en effet, contrairement au cheval, est le symbole même de l’humilité comme de la non-violence, valeurs incontournables de la spiritualité cathare. On dit qu’un roi arrivait à cheval quand il était prêt à faire la guerre, alors qu’il montait un âne pour signifier qu’il venait en paix (cf. l’entrée de Jésus dans Jérusalem, monté sur un ânon). Il symbolise  aussi la sagesse et la persévérance, le meilleur exemple étant la célèbre ânesse du mauvais devin Balaam (nombres 22, 21-34). Pour le « lézard-esprit », le crâne décharné de l’âne était donc bien le lieu de passage par excellence entre ce « monde qui n’est pas de nous »  et le principe du Bien auquel tout esprit-saint aspire à retourner.

En étudiant de la même manière les lieux du récit et leurs symboliques propres, comme  celle de l’eau ou celle du pont, on trouvera encore toutes les métaphores connues du sacré, partagées par de nombreuses religions, depuis très longtemps et pourtant toujours d’’actualité. Mais ces images symboliques d’une culture universelle ancrées dans notre inconscient collectif ne sont pas propres au catharisme. Elles sont support consensus du message comme l’est le conte.

 La belle allégorie typiquement cathare réside ici dans les prémices de l’éveil à la foi cathare, et nous montre en même temps la douloureuse difficulté du lâcher-prise, moment charnière de l’affirmation consciente de la foi , « où la connaissance du Bien demande d’avancer sans garde-fou » pour reprendre l’expression imagée de Guilhem. Il ne faut pas oublier qu’une fois l’esprit-saint éveillé, le chemin pourra être très long avant cette affirmation.

 Et je terminerai par la belle phrase d’un cathare d’aujourd’hui qui me semble avoir sérieusement cogité tout cela : « La « création » divine n’étant pas à côté du créateur, mais bien consubstantielle à lui (non comme création mais comme émanation éternelle), on peut comprendre le mariage mystique comme le symbole de la réunion entre le principe du Bien et la part de son Être absolu, momentanément éloignée de Lui. De ce fait, il devient un concept de foi mais pas du tout mystique, car il n’y a pas de mystère à imaginer l’union du créateur et de sa création».

Chantal Benne pour Rencontre cathare de la résurgence


[1] https://www.catharisme.eu/cath-auj/2-2-cm-cm/la-legende-de-lherbe-bleue-ou-le-conte-du-roi-des-corbeaux/

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