De la traversée clandestine des Corbières, par le bon-chrétien Jacques Autier…
Jacques, fils de Pierre Autier l’ancien de l’Église cathare de la reconquête (1300-1310), suivant fidèlement la voie de son père, reçoit de celui-ci le consolament[1] d’ordination en 1301. Devenu dès lors un « hereticus perfectus[2] » de grand talent (on disait qu’il prêchait comme un ange) il va visiter, prêcher et consoler inlassablement les croyants, jusqu’à son arrestation (fruit d’une vengeance) avec son socius Prades Tavernier au début de septembre 1305. Parvenus à s’évader de la prison inquisitoriale de Carcassonne (appelée le Mur), après une brève incarcération, on retrouve les fugitifs à Quié (Ariège : 09), Ax (09) et Arques (Aude : 11), en 1306.
Après que son compagnon, Prades Tavernier, l’eut devancé de quelques jours, Jacques Autier arriva une nuit à Arques. Alors que Pierre Maury était auprès des moutons de Raymond Peyre, ce dernier l’envoya chercher et lui fit dire de venir d’urgence à son domicile. Le berger de Montaillou (09) trouva alors à sa grande surprise, auprès du feu, l’hérétique et Pierre Montaniè, un croyant de Coutaussa (11), qui lui avait servi de guide, ainsi que Raymond Peyre lui-même, sa femme Sibille et la mère de celle-ci. Le maître de maison cachant déjà son condisciple, au moins épisodiquement, il fut sans doute décidé que le bon-homme nouvellement arrivé devait être amené chez un croyant sûr, en la localité de Rieux-en-Val (11).
C’est le trajet que je vais tenter de retracer.
Pour mieux découvrir le parcours, je conseille d’associer le texte ci-dessous avec un suivi sur les cartes IGN Classiques du site Géoportail.
Toutefois, il faut rappeler, que l’exercice consistant à retrouver les chemins et les sentiers empruntés au moyen-âge, relève de la gageure. La plupart ayant disparu, ou ayant eu leur parcours modifié, il est moins ici question d’affirmer un trajet que de d’ébaucher une probabilité.
En 1323, au travers de sa déposition devant l’inquisiteur et l’évêque de Pamiers Jacques Fournier[3], Pierre Maury nous dit :
« Longtemps avant le jour, nous nous levâmes, moi, Jacques l’hérétique, et Pierre Montanié. Raymond Peyre prêta un mulet à l’hérétique, et nous allâmes, moi, l’hérétique, et Pierre Montanié, à Rieux-en-Val (11220). Quand nous sortîmes de chez lui, Raymond Peyre, nous dit de saluer pour lui tous les amis. Nous allâmes par la Calm de Linas[4] à Rieux-en-Val, et vînmes chez quelqu’un de cette ville dont j’entendis dire par la suite qu’il s’appelait Guillaume de Rieux. Ce fut la première maison détruite de la ville quand Jacques Authié fut arrêté pour la seconde fois, après être sorti du Mur de Carcassonne. »
La distance, mesurée sur le site internet de l’IGN (Géoportail), entre les communes d’Arques et Rieux-en-Val est d’environ une vingtaine de kilomètres, à vol d’oiseau.
Mais pour tenir compte, au plus près, des réalités du terrain, j’ai rajouté la moitié de la distance mesurée, en détours et sinuosités, pour alors obtenir un total plus pertinent d’une trentaine de kilomètres.
La vitesse d’un piéton étant d’environ 5 km/h, le trio a donc dû parcourir la distance en 7 heures ou 7h30, c’est à dire 6 heures de marche au minimum, avec une 1 heure (ou moins) de pause.
En ces temps de traque intense, les trajets s’effectuaient intégralement de nuit par mesure de sécurité.
L’arrivée à Rieux-en-Val s’étant logiquement produite avant l’aube (5h30 heures ?), le départ d’Arques a donc dû s’opérer aux alentours de 22 heures (?), en tout cas « Longtemps avant le jour », comme le dit le berger de Montaillou dans sa déposition.
Au départ d’Arques, Jacques Autier et ses accompagnants montent par les lacets des (actuellement) D54 et D70 et débouchent, après une dizaine de kilomètres parcourus, sur la D129, près de la Font de Razouls[5].
Puis, de cette intersection, le trio chemine toujours sur la D129 quelques centaines de mètres vers l’Est, pour trouver à nouveau la D70 qui file vers Bouisse (11). Quelques 400 mètres plus loin, depuis le dernier embranchement, toujours sur la D70, l’équipage prend le chemin d’accès à la ferme las Esclauzes[6] se trouvant sur la gauche de la route et monte toujours vers le Nord-Est en passant par le lieu-dit la Rode qui se situe à l’Ouest de Bouisse. Poursuivant leur chemin, le bon-chrétien et ses guides, traversent ainsi le Milobre de Bouisse[7], contournent la Serre Male[8] et après l’avoir dépassée, bifurquent vers l’Est pour arriver au col de la Louvièro (ou Loubière).
C’est alors que s’effectue le passage par la Calm de Linas, comme déclaré par le berger ariégeois.
Dudit col, l’hérétique et ses amis suivent donc la piste qui longe la crête de la partie Ouest du massif de Lacamp[9]. Se faisant, ils traversent les lieux dits le Countadou et Porte Chéric, passent au pied du Pech Agut, pour arriver par le Pla de Vidalbe à la Calm de Linas ou plateau de Lacamp[10].
Après avoir franchi ledit plateau d’Ouest en Est, ils empruntent un sentier se trouvant sur la crête de la Serre de la Pène et filent vers le Nord par les lieux-dits le Roc troué et l’Arc d’en haut.
Puis comme confessé par Pierre Maury un peu plus loin dans sa déposition, le trio va gagner le vallon de Combe Gautier.
Pratiquement arrivés aux portes du bourg de Mayronnes (11), le berger, le croyant et le bon-chrétien, descendent alors dans la Combe Gautier[11] (à l’Est dudit bourg) et y font une halte pour déjeuner[12]
La pause terminée, le bon-homme et ses croyants, à la sortie de la ravine, suivent une sente jusqu’au ruisseau de Madourneille qu’ils traversent pour rejoindre à l’Ouest le lieu-dit les Plots où un chemin se dirige vers le Nord. Ce sentier passant entre les pechs de la Fage et Redonel, par les lieux-dits la Garrigue, la Farge, au pied de Serre longue et de l’Échine va les mener à proximité de leur destination.
Ne reste plus alors à la petite équipe, qu’à franchir le pont romain qui enjambe Le Sou, pour parvenir, quelques centaines de mètres plus loin, au castrum de Rieux-en-Val, but de l’expédition.
Conclusion
Retracer l’itinéraire nous a autorisé à voyager par la pensée dans le temps et l’espace, auprès des proscrits du XIVème siècle. Hormis le fait d’avoir pu partager pour quelques minutes ou quelques heures leur périple, la reconstitution du trajet a permis l’identification et la localisation précise du lieu-dit autrefois appelé la Calm de Linas.
Ainsi, vous aurez le privilège de compléter les travaux historiques tout en cheminant vraiment dans les pas des cathares, hors des « sentiers cathares » largement rebattus.
© Bruno Joulia 2024 (suivez moi sur Facebook)
[1] Terme occitan que les scribes de l’Inquisiteur appelaient consolamentum et que nous appelons aujourd’hui la Consolation.
[2] D’où l’appellation de Parfait qui est inexacte mais régulièrement utilisée
[3] Le registre d’Inquisition de Jacques Fournier (évêque de Pamiers 1318-1325), tome III, traduit et annoté par Jean Duvernoy, Mouton éditeur, Paris, La Haye, New-York 1978, pages 929.
[4] Jean Duvernoy indique n’avoir pas réussi à situer ce lieu.
[5] La Font de Razouls présente sur la carte de Cassini (1756- 1815).
[6] Ferme absente de la carte de Cassini
[7] Montagne se trouvant au Nord du village de Bouisse.
[8] Mont situé au nord du Milobre de Bouisse.
[9] L’arête sommitale du massif de Lacamp étant infranchissable, c’est afin de contourner ce dernier que la piste a été empruntée.
[10] Linas (Le), anc. fief de l’abbaye de Lagrasse, cne de Saint-Martin-des-Puits. Linars 1099 (Mah., II, 613). In Calmo de Linariis, 1237 (arch. Aude, H, suppl.). Une montaigna appellada la Camp de Lynas, 1538 (ibid., H 10, f. 137). Montagne dite de la Camp de Linas, 1540 (ibid., f. 186).
Abbé Sabarthès. Dictionnaire topographique du département de l’Aude. Paris, Imprimerie Nationale, 1912 ; in-4° de LXXX p- 596 pages.
Dictionnaire topographique du département de l’Aude : comprenant les noms de lieu anciens et modernes/réd. par l’abbé Sabarthès, Paris, imprimerie nationale, 1912. (Page 213 du document).
Calm=Planòl=francès: plateau (fr)
Lina n. f. (s. XIV…) linette (graine de lin), page 408 du document. Le lin pousse à l’état sauvage dans les climats tempérés à chauds (Wiki). La Calm de Linas = Le plateau aux lins, aujourd’hui le plateau de Lacamp.
[11] Souvent région. Petite vallée encaissée (CNRTL).
[12] « En cours de route, quand nous fûmes au lieu-dit Combe Gautier où nous déjeunâmes… ». « Le registre d’Inquisition de Jacques Fournier » tome III page 932.