Le paradoxe de Voyager

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Le paradoxe de Voyager

Ayant suivi un reportage sur l’épopée — le mot n’est pas excessif — des deux sondes Voyager® 1 et 2 envoyées à travers le système solaire afin de découvrir les planètes que les meilleurs télescopes de l’époque ne visualisaient que de manière floue, je n’ai pu m’empêcher de laisser mon esprit vagabonder un peu.

Rappel sur le projet

C’est à l’occasion d’une opportunité unique que fut déclenché ce programme visant à envoyer deux sondes jumelles dans l’espace de notre système solaire afin d’explorer les planètes extérieures : Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune ainsi que les lunes de Jupiter et les anneaux de Saturne, seuls éléments identifiés à l’époque. En effet, une conjonction planétaire unique était prévue pour la fin de la décennie 70 et ne se représenterait pas avant plus centaines d’années.
Ce qui fait le caractère exceptionnel de ce programme c’est qu’il associait des éléments dont chacun d’entre-eux aurait logiquement dû justifier son rejet. Il fallait donner une autonomie de douze ans à des véhicules spatiaux quand l’expérience de l’époque se limitait à quelques semaines d’autonomie. Il fallait s’approcher de planètes dont on ne connaissait quasiment pas les propriétés atmosphériques susceptibles de porter un coup fatal aux sondes qui s’en approcheraient. Il fallait faire fonctionner pendant des années des matériels dont la plupart étaient l’avant-garde technologique de leur époque, dans des conditions extrêmes et sans la moindre panne faute de pouvoir les réparer. Il fallait doter l’ensemble d’une autonomie suffisante pour supporter les délais de communication qui rendaient impossible toute réactivité rapide. Enfin, et ce n’est pas le moindre, ce programme prévoyait pour la première fois de ne pas récupérer les engins spatiaux qui partiraient, une fois leur mission accomplie, dans le vide sidéral au risque d’être un jour récupérés par des formes de vie intelligentes avec lesquelles les distances sidérales et le temps de vie de notre espèce rendaient tout espoir de communication impossible.
Autant dire que ces sondes étaient davantage qu’une expérience scientifique et d’ailleurs un élément majeur va influencer sensiblement l’objet de la mission. En effet, pour financer le projet, la NASA dut se lancer dans une entreprise de communication destinée à lever des fonds. Pour ce faire elle fit notamment appel à Carl Sagan grand spécialiste de la vulgarisation scientifique. Ce dernier eut une idée destinée à soulever l’enthousiasme des foules et à forcer le porte-monnaie du Congrès américain : apposer sur chacune des sonde un disque en or contenant de nombreuses informations sur l’humanité (notamment de la musique) et une plaque destinée à résumer le mode d’emploi du disque et les caractéristiques de notre civilisation planétaire.
Ainsi munies de ce message aux civilisations futures, les deux sondes furent lancées et réalisèrent bien plus que ce que les espoirs les plus fous de l’époque auraient pu imaginer.
Aujourd’hui, alors qu’elles viennent de sortir du système solaire, presque muettes, déjà sourdes et aveugles, elles continuent leur dérive dans le vide interstellaire sans espoir de s’approcher suffisamment d’un autre soleil avant environ quatre mille ans. Trente ans après avoir été lancées, avec une autonomie de douze ans, elles continuent à émettre extrêmement faiblement et continueront peut-être encore longtemps.

Que pouvons-nous comprendre de ce projet ?

Bien entendu ce projet fut avant tout scientifique et il serait ridicule de prétendre le contraire. Mais au-delà d’une meilleure compréhension de notre système solaire lointain qu’est-ce que les scientifiques ont réalisé de façon lucide et de façon inconsciente ?

Les impératifs humains

Tout d’abord la volonté d’explorer la totalité du système solaire révèle la curiosité extrême de notre espèce. Incapable de se contenter de ce qu’elle a à sa disposition, l’espèce humaine ne peut s’empêcher de se projeter plus loin et cette caractéristique nous rappelle le mythe de la caverne de Platon1 qui voit certains se projeter vers l’extérieur malgré les souffrances que cela implique. Cette curiosité ne peut nous empêcher de nous interroger. Pourquoi chercher plus loin quand on a ce qu’il faut ici ? Les animaux ne bousculent leur mode de vie que pour compenser un manque, l’homme le fait sans autre motif que sa curiosité et parfois pour satisfaire son désir de toujours améliorer sa situation actuelle, même si elle satisfait ses besoins.
Cependant il y a plus dans ce projet qu’une volonté scientifique. Son extrême précarité liée à la fenêtre de tir réduite, aux défis techniques à surmonter, aux problèmes financiers, aurait dû pousser à s’orienter vers d’autres projets plus abordables. Celui-ci avait une particularité spécifique qui était de donner à l’homme la capacité à embrasser la totalité de son univers observable et, en quelque sorte, à le dominer. Là aussi on trouve une particularité de l’esprit humain qui ne peut se contenter de ce que ses sens lui donnent à voir et qui veut se hisser au dernier barreau de l’échelle pour voir s’il n’y aurait pas autre chose à observer. Cela dénote un sentiment plus ou moins confus d’insatisfaction de l’état où nous sommes et une forme de prescience d’un autre possible que celui qui nous est dévoilé.
Même si les motifs scientifiques rendaient obligatoire l’abandon des sondes au vide glacial intersidéral, le fait de les envoyer aussi loin reflétait également ce désir de projection future et l’idée que même quand notre espèce, notre monde et même le système solaire auraient disparus, il resterait quelque part dans l’insondable univers une trace de notre existence. Une sorte d’immortalité à laquelle aucune autre espèce n’est parvenue à ce jour selon nos données observables. Ce point conforte l’idée que l’homme, aussi pragmatique soit-il, aussi peu croyant ou aussi convaincu d’une croyance qui n’a que faire de ce genre de comportement, ne peut se priver de l’opportunité de laisser sa marque au cas où !
Et cela est bien entendu conforté par l’idée de Carl Sagan d’envoyer explicitement un message intelligible et intelligent dans l’hypothèse où ces sondes tomberaient au pouvoir d’une civilisation apte à lire notre message. Alors là, de la part de scientifiques et, plus encore, de la part de judéo-chrétiens, cette initiative est totalement incongrue et clairement psychologiquement pathologique. Comment des personnes qui refusent obstinément de considérer que la vie intelligente puisse exister ailleurs que sur Terre, soit qu’ils considèrent qu’un tel hasard est impossible, soit qu’ils considèrent que le créateur n’a élu qu’une seule espèce à un tel rang, pourraient-elles dans le même temps agir comme si elles considéraient que leurs convictions les mieux établies sont malgré tout susceptibles de n’être qu’un ramassis d’erreurs et de fantaisie ?
Mais en fait, ce message spatial, à qui est-il envoyé ?
En réalité les chances que des objets aussi petits puissent être interceptés à des milliards de milliards de kilomètres par des espèces suffisamment évoluées pour les repérer et les intercepter sont quasiment nulles. Donc, il faut chercher une raison plus tangible que la simple opportunité qui se serait contentée d’une plaque disant qui a envoyé ces sondes.
Et si la raison était tout simplement terrienne ? Là encore nous touchons du doigt notre paradoxe le plus profond. Aussi convaincus que nous soyons de notre identité terrienne, animale et de notre finitude sans avenir, nous ne pouvons nous empêcher de penser qu’il serait bon de nous survivre à nous-même. Ce message c’est à nous qu’il est envoyé. Tous les jours que nous avons des nouvelles de ces sondes nous savons que notre humanité chemine dans l’univers et même quand nous ne pourrons plus avoir d’information sur elles, le simple fait d’imaginer qu’elles poursuivent leur route, suffira à nourrir l’espoir de survie de nos petites personnes.

Que m’inspire cette histoire ?

Ma position de croyant cathare est touchée par ce projet et ses implications que je viens de vous présenter. D’abord parce qu’elle me montre que les hommes ne sont pas aussi monolithiques qu’ils essaient le plus souvent de le faire croire. Ensuite parce que j’y vois l’action de l’esprit prisonnier en chacun de nous et qui tente de percer même chez les moins éveillés.
Depuis que les esprits sont prisonniers des corps de boue que le démiurge leur a donné comme prison, ils n’aspirent qu’à une chose, s’élever au dessus de leur condition mondaine pour rejoindre les étoiles. Et, à chaque fois qu’il le peut, l’esprit qui notre moi réel et profond, tente de percer la carapace mondaine pour éclairer l’âme et révéler sa vraie nature.
Il est même encore plus paradoxal que cela se produise chez des êtres qui portent apparemment une forte conviction contraire à cette idée, soit qu’ils considèrent les choses d’un point de vue purement matérialiste, soit que leur foi leur ait déjà fourni les réponses que leurs actes contredisent.
Mais pour nous croyants cathares, les sondes Voyager® sont à la fois touchantes et futiles, émouvantes dans ce qu’elles mettent en avant ces soubresauts spirituels de nos contemporains et ridicule quant à l’objectif visé. Car le salut n’est pas à quelques milliards de kilomètres de nous, mais en nous, non pas auprès d’une autre civilisation intelligente potentielle et même probable, mais dans la disponibilité où nous nous mettrons au moment venu pour recevoir la grâce et rejoindre instantanément la création dont nous sommes issus.
En fait le paradoxe de ce programme spatial ne fait que révéler notre propre paradoxe qui nous déchire quand nous cherchons à nous élever sans ouvrir la porte à l’Esprit et qui disparaît immédiatement quand nous accédons enfin à l’éveil.

Éric Delmas, le 25/08/2013.


1. Platon. La république, livre VII.

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