L’isolement social

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L’isolement social

 

Le premier reproche que l’on fait aux groupements spirituels, et qui participe de l’identification d’une dérive sectaire, est l’isolement social. En effet, les groupes désireux de maintenir une pression psychologique sur leurs membres ont à cœur de les isoler d’un environnement susceptible de leur montrer une autre réalité.

Mais cet isolement social est-il uniquement le fait du groupe sectaire ou bien n’est-il pas surtout le fait du groupe social vis-à-vis de l’élément qui commence à s’extraire du comportement stéréotypé jugé « normal » par la communauté ?

Car, parmi les critères qui font la secte, il en est un que personne ne veut admettre, en raison de son caractère ségrégationniste et de l’expérience historique qui nous montre combien il est subjectif et porteur d’intolérance : c’est le critère de la taille du groupe. En effet, l’appartenance à un groupe majoritaire détermine chez ses membres la certitude de la validité de ses choix.

Récemment, un ami m’informait de l’inquiétude d’une ancienne collègue qui lui a fait part du trouble qu’elle avait ressenti suite à une conversation téléphonique que nous avions eu. Apprenant que ma vie personnelle prenait un tour très différent de celui qu’elle avait connu quand je travaillais avec elle, elle s’inquiétait de ma « dérive » d’autant plus incompréhensible pour elle qu’elle n’a pas suivi mon parcours personnel depuis plusieurs années. En fait, comme nous tous, ce qui l’inquiète sans qu’elle ne s’en doute, c’est le changement qui intervient hors de soi et qui donne le sentiment qu’une autre forme d’évolution que celle que l’on connaît est possible. Cette remarque je l’ai déjà entendue au sein de ma famille, directement ou non. L’annonce de mon détachement progressif des biens matériels, qui se matérialise par la vente de mes collections, le non investissement dans la décoration de mon appartement, l’absence d’envie d’acquisition de biens technologiques, l’abandon des outils modernes de gestion du temps ou de la communication mobile, inquiète au plus haut point. Cette inquiétude tient au fait qu’elle va à contre-courant du choix majoritaire, voire quasi-unanime d’une société qui fait de la fuite en avant le principe même de son existence.

Or, qu’observe-t-on quand on ne suit pas le groupe comme le bon mouton de Panurge que nous sommes censé être ? D’abord que, malgré ce choix minimaliste, il est possible de continuer à vivre dans cette société. Or, cela va totalement à l’encontre de ce que nos publicitaires nous serinent à longueur de journée. Incroyable ! On peut vivre sans montre, sans téléphone portable de dernière génération, sans accès internet tous les dix mètres. On peut vivre sans invectiver l’autre à la moindre occasion, sans chercher à conserver l’apparence physique de ses vingt ans, sans changer de garde-robe tous les six mois. On peut vivre sans avoir vu le dernier spectacle, sans aller au cinéma, sans salle de sport, sans voyage organisé, sans quitter son lieu de vie habituel.

On peut vivre mais la vie se complique lentement mais sûrement. Elle se complique car ceux qui constituaient votre entourage habituel tendent à se comporter différemment. Vous commencez à vous sentir dans la peau de celui qui, atteint d’une grave maladie, voit son réseau social se déliter lentement. Comme si la différence était contagieuse. Et surtout comme si cette contagion potentielle était de nature à influencer des gens qui ne veulent surtout pas courir le risque d’être atteints. Pourtant, je croyais que ceux qui mènent cette vie se pensaient plus forts que ceux qui s’en extraient. Dans notre société, ce sont ceux qui ont « réussi » qui sont censés être les plus forts. Celui qui vit avec des moyens financiers minimaux est considéré comme un raté, une épave. Celui qui tend la main n’a d’autre fonction sociale que de nous permettre de montrer que nous sommes des humains supérieurs quand nous lui glissons une pièce dans la main (ou plutôt dans sa sébile car sa main nous inquiète, et en plus elle est sale). Par conséquent, celui qui vit dans les codes sociaux devrait se sentir capable de côtoyer celui qui fait d’autres choix sans s’inquiéter de cette dérive qui ne saurait le toucher. Et bien non. Il inquiète celui qui est étymologiquement un hérétique — c’est-à-dire qui fait un autre choix que le choix majoritaire — car il montre qu’il n’y a pas qu’une voie pour mener au bonheur. Donc, s’il n’y a pas qu’une voie, il n’y a pas non plus qu’un seul bonheur et cela inquiète à juste titre car cela implique qu’en fait l’accès au bonheur résulte d’un effort individuel pour identifier celui qui convient à chacun. En clair, pour réussir sa vie, il faut quitter le troupeau bêlant et identifier sa voie, son hérésie personnelle. Seulement, une telle perspective met gravement en danger les plans de celui qui agite nos fils de marionnettes. Quand l’être humain envisage sa vie en dehors des chemins balisés, il ne peut y avoir que deux options. Soit il est isolé et ne remet pas en cause le choix majoritaire et on le considère comme un gentil excentrique ou un génie s’il revient plus tard dans le troupeau en ayant réussi à devancer tout le monde. Mais s’il prétend avoir identifié un choix de vie de meilleure qualité que le choix majoritaire, il devient un danger potentiel. Et s’il fait des adeptes, le danger devient réel. Alors, il faut envisager de le rendre inoffensif. Au pire, il faudra l’exclure du groupe. Certes, pas à la manière utilisée au Moyen Âge, mais avec d’autres moyens. Déclarer l’hérétique déviant, voire fou est une technique efficace car la folie fait peur ce qui favorise l’exclusion. On peut aussi le dire dangereux, voire potentiellement terroriste. Et l’on en vient à un phénomène surprenant. La même société qui déclare sectaires les groupes à fonctionnement centripète qui font le choix de se fermer à l’extérieur, n’hésite pas à se comporter de façon centrifuge en excluant ceux qui la gênent en adoptant donc un comportement qui ne peut être qualifié que de sectaire. Finalement, si la religion est une secte qui a réussi — comme le dit la citation — la société est la première des religions.

Éric Delmas, 17 octobre 2009.

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