Évangile selon Jean – Chapitre 19

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Ce texte est tiré du Nouveau Testament publié dans la collection La Bibliothèque de la Pléiade des éditions NRF Gallimard.
Introduction de Jean Grosjean, textes traduits, présentés et annotés par Jean Grosjean et Michel Léturmy avec la collaboration de Paul Gros.
Afin de respecter le droit d’auteur, l’introduction, les présentations et les annotations ne sont pas reproduites. Je vous invite donc à vous procurer ce livre pour bénéficier pleinement de la grande qualité de cet ouvrage.

ÉVANGILE SELON JEAN

Chapitre XIX

1 – Alors Pilate prit Jésus et le fit fouetter.
2 – Les soldats tressèrent une couronne d’épines, la lui mirent sur la tête et le vêtirent d’un manteau pourpre.
3 – Et ils venaient lui dire : Salut, roi des Juifs. Et ils lui donnaient des coups.
4 – Pilate ressortit et dit : Eh bien je vous l’amène dehors pour que vous sachiez que je ne trouve aucun motif en lui.
5 – Jésus sortit avec la couronne d’épines et le manteau pourpre. Pilate leur dit : Voici l’homme.
6 – Quand les grands prêtres et les gardes le virent, ils crièrent : Crucifie, crucifie ! Pilate leur dit : Prenez-le, vous le crucifierez. Moi je ne trouve pas de motif en lui.
7 – Les Juifs lui répondirent : Nous avons une loi, et d’après cette loi, il doit mourir, car il s’est fait fils de Dieu.
8 – Quand Pilate entendit cette parole, il craignit davantage.

Mon analyse :
Dans un premier temps Pilate pense s’en tirer avec une petite correction et quelques vexations. Mais le problème n’est pas Jésus mais les Juifs. En effet, pour eux Jésus a blasphémé contre la loi de Iahvé et cette loi leur impose de le mettre à mort. En s’opposant à cette loi, Pilate a conscience qu’il risque de rompre l’équilibre mis en place par Rome qui laisse aux Juifs leur liberté de culte en échange d’une soumission à l’envahisseur. S’il remet en cause la validité de leur culte, il risque un soulèvement. Mais il n’a pas d’argument valable au nom de la loi romaine.

9 – Il rentra dans le prétoire et dit à Jésus : D’où es-tu ? Jésus ne lui donna pas de réponse.
10 – Pilate lui dit : Tu ne parles pas ? Tu ne sais pas que j’ai pouvoir de te relâcher et pouvoir de te crucifier ?
11 – Jésus répondit : Tu n’aurais aucun pouvoir sur moi s’il ne t’était donné d’en haut. C’est pourquoi celui qui m’a livré à toi porte un plus grand péché.

Mon analyse :
Pilate espère faire de Jésus un allié pour ne pas céder aux Juifs. Mais Jésus ne l’aide pas car il ne le reconnaît pas comme du même domaine que lui. Seul Judas est considéré comme pécheur car il a péché contre l’esprit que Jésus était venu apporter aux hommes.

12 – Dès lors Pilate cherchait à le relâcher. Mais les Juifs crièrent : Si tu le relâches, tu n’es pas ami de César. Qui se fait roi s’oppose à César.
13 – À ces mots, Pilate amena Jésus dehors, s’assit à son tribunal au lieu appelé Dallé et, en hébreu, Gabbatha.
14 – C’était la Préparation de la Pâque, vers la sixième heure. Et il dit aux Juifs : Voici votre roi.
15 – Alors ils crièrent : Enlève, enlève, crucifie-le. Pilate leur dit : Crucifierai-je votre roi ? Les grands prêtres répondirent : Nous n’avons de roi que César.
16 – Alors il le livra pour le crucifiement. Ils prirent Jésus.

Mon analyse :
Les Juifs mettent Pilate en situation de faute vis-à-vis de Rome en donnant un argument juridique recevable. Jésus s’est dit roi donc il constitue un danger de rébellion contre Rome. Mais Pilate tente de faire de dette accusation un fait juif en rappelant qu’il s’est dit roi des Juifs, ce que ces derniers réfutent, préférant se dirent sujets de César. Pilate cède, mais prépare une dernière pirouette pour faire retomber l’entière responsabilité sur les juifs.

17 – Et il sortit, chargé de sa croix, vers le lieu-dit du Crâne, c’est-à-dire en hébreu Golgotha,
18 – où ils le crucifièrent et deux autres avec lui, un de chaque côté et Jésus au milieu.
19 – Pilate écrivit et mit sur la croix une pancarte dont l’inscription était : JÉSUS DE NAZARETH, LE ROI DES JUIFS.
20 – Beaucoup de Juifs lurent cette pancarte, car le lieu où fut crucifié Jésus était proche de la ville et l’inscription était en hébreu, en latin et en grec.
21 – Les grands prêtres des Juifs dirent alors à Pilate : N’écris pas : Le roi des Juifs, mais ce qu’il a dit : Je suis le roi des Juifs.
22 – Pilate répondit : J’ai écrit ce que j’ai écrit.

Mon analyse :
Par cette inscription Pilate réussit une double action : justifier la mise à mort puisque l’envahisseur romain agit légitimement contre tout ce qui peut remettre en cause son pouvoir. Or, il ne peut y avoir deux pouvoirs absolus sur la même terre. Ensuite, il humilie les Juifs dont la croyance en un Messie libérateur est ainsi détruite puisque si Jésus est ce Messie, Rome, par l’action de Pilate, vient de le réduire à rien. Crucifier le roi des Juifs est la pire hypothèse si l’affirmation est vraie. C’est pourquoi les Juifs cherchent à faire supprimer cette inscription, mais Pilate n’a plus de raison de leur céder car il est le maître et cette inscription ne peut justifier de soulèvement. Donc, Pilate la maintient car elle le disculpe de la décision de mise à mort et elle affirme encore plus fort la mainmise de Rome sur les Juifs.

23 – Quand les soldats eurent crucifié Jésus, ils prirent ses vêtements dont ils firent quatre parts, une pour chaque soldat, et la tunique. Mais la tunique était sans couture, tissée d’une pièce depuis le haut.
24 – Ils se dirent entre eux : Ne la déchirons pas, mais tirons-la au sort. C’était pour accomplir cette écriture : Ils se sont partagés mes habits, ils ont tiré au sort mon vêtement. C’est ce que firent les soldats.
25 – Près de la croix de Jésus, se tenaient sa mère, la sœur de sa mère, Marie de Clopas et Marie Madeleine.
26 – Jésus voyant sa mère et, près d’elle, le disciple qu’il aimait, dit à sa mère : Femme, voici ton fils.
27 – Puis il dit au disciple : Voici ta mère. Et depuis lors le disciple la prit chez lui.
28 – Après quoi Jésus, sachant que tout était fini, dit pour finir l’écriture : J’ai soif.
29 – Il y avait là un vase rempli de vinaigre. Ils mirent au bout d’un javelot une éponge remplie de vinaigre et la portèrent à sa bouche.
30 – Quand Jésus prit le vinaigre, il dit : C’est fini. Il baissa la tête et remit l’esprit.

Mon analyse :
Il y a quelques points étonnants dans cette partie. D’abord, le narrateur — Jean de façon supposée — ne décrit que la présence de trois femmes au pied de la croix : la mère de Jésus, celle de Jean baptiste et Marie Madeleine. Ces trois femmes sont emblématiques et cette description peut logiquement paraître non historique. Ensuite, apparaît un autre personnage : le disciple qu’il aimait, que certains ont assimilé à Marie Madeleine, sauf qu’il est présenté au masculin et que d’autres assimilent à Jean lui-même, sauf qu’on se demande pourquoi il n’apparaît dans la première description et pourquoi il parle de lui-même à la troisième personne du singulier. De là à penser que nous avons également une rédaction tardive associée à une interpolation il n’y a qu’un pas. C’est également un argument de ceux qui réfutent que jésus ait eu des frères et sœurs, puisqu’ils ne sont pas là. Cependant, n’oublions pas qu’il s’agit d’une mise à mort ignominieuse pour sédition. Y assister est un risque de mise en cause dans la sédition et nous savons que les parents de Jésus n’ont jamais cru à ses dires. Il est donc compréhensibles qu’ils n’aient pas voulu prendre le risque d’apparaître à son exécution où l’on ne retrouve que ceux qui croient en lui et sa mère dont on ne sait si elle est là par foi, par amour maternel ou, comme le pensent les cathares, parce qu’elle assume sa mission d’accompagnement de l’envoyé divin.
L’épisode du vinaigre est également surprenant. En fait on constate surtout la multiplication des références scripturaires vétéro-testamentaires. Cela montre combien l’école johannique est encore fortement attachée au judaïsme.
Jésus ne meurt pas de façon classique ; on nous dit qu’il baissa la tête et rendit l’esprit. Pour nous cathares c’est extrêmement parlant, il se sépare du corps apparent et rend sa part divine à son père. Ce terme est d’ailleurs passé dans le langage courant, comme si l’on séparait bien deux choses inconciliables. C’est pour cela que le judéo-christianisme nous parle de la résurrection des corps à la fin des temps. Il lui faut à tout prix réunir ces deux parties dont il dit qu’elles sont l’œuvre de Dieu.

31 – Comme c’était la Préparation, les Juifs pour ne pas laisser les corps en croix pendant le sabbat, car ce sabbat était un grand jour, demandèrent à Pilate de leur rompre les jambes et de les enlever.
32 – Les soldats vinrent rompre les jambes du premier puis de l’autre qu’on avait crucifié avec lui.
33 – Et arrivés à Jésus, ils le virent déjà mort. Ils ne lui rompirent pas les jambes,
34 – mais un des soldats lui perça le côté avec sa lance, et aussitôt sortirent du sang et de l’eau.
35 – Celui qui l’a vu en témoigne, et son témoignage est véritable, et celui-là sait qu’il dit vrai pour que vous ayez foi aussi.
36 – Car ce fut pour accomplir cette écriture : On ne lui brisera pas un os.
37 – Et une autre écriture dit encore : Ils verront celui qu’ils ont transpercé.
38 – Après quoi Joseph d’Arimathie qui était disciple de Jésus, mais en secret par crainte des Juifs, demanda à Pilate à enlever le corps de Jésus. Pilate le permit et ils vinrent enlever le corps.
39 – Nicodème qui, au début, était venu à lui de nuit, vint aussi, apportant un mélange d’environ cent livres de myrrhe et d’aloès.
40 – Ils prirent le corps de Jésus et le lièrent de bandelettes avec les aromates comme les Juifs ont coutume d’ensevelir.
41 – Or il y avait un jardin au lieu où il avait été crucifié et, dans le jardin, un tombeau neuf où personne encore n’avait été mis.
42 – Alors, à cause de la Préparation des Juifs, c’est là qu’ils mirent Jésus, car ce tombeau était proche.

Mon analyse :
La volonté de cette partie est de bien attester la mort de Jésus, pour mieux renforcer sa résurrection.
Si l’on brise les jambes des suppliciés c’est pour les empêcher de prendre appui sur leur pieds afin de soulager la tension exercée par les bras sur la cage thoracique et ainsi de permettre la respiration. Ainsi asphyxiés les suppliciés meurent plus vite. Or Jésus est considéré comme déjà mort, donc on ne lui brise pas les jambes mais on lui perfore le flanc pour attester de sa mort — une telle blessure étant forcément fatale à l’époque — et l’on voit s’écouler du sang, ce qui est caractéristique d’un cadavre dont le sang ne coagule plus, et de l’eau pour rappeler que Jésus est considéré comme source d’eau vive. Là encore transparaît la conception judaïsante des rédacteurs puisqu’ils attribuent un pouvoir au corps matériel de Jésus. On termine par une mise en avant de Jean présenté comme seul témoin valable, puisqu’il est le seul homme.

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