Mythe de la chute des esprits – 2

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Mythe de la chute des esprits (suite et fin)

Études des concepts

La seconde perturbation

Une fois Satan muni d’un assistant, que ce soit par dévoiement d’un ange divin, comme l’imaginent les Judéo-chrétiens ou par pure création comme l’imaginent les Cathares, il reste à étudier comment les esprits saints ont pu se retrouver dans le monde du mélange. C’est ce que Jean Duvernoy appelle la seconde ou grande perturbation.

Là aussi deux hypothèses apparaissent dans les textes. Soit il s’agit d’un vol, soit il s’agit d’une corruption. Les textes auxquels se réfèrent les Cathares mélangent parfois les deux hypothèses. Selon la théorie de l’intendant infidèle, Lucifer corrompt les anges répartis dans le firmament puis il va au-dessus du septième ciel corrompre les anges qui sont dans la zone spirituelle. Trois propositions apparaissent dans les récits et les mythes. Soit il les corrompt par des promesses, soit il use d’un artifice, une femme en l’occurrence, soit il abuse de leur pitié et crée une communication entre l’espace divin et le ciel de verre menant aux cieux inférieurs. Certains opposants judéo-chrétiens n’hésitèrent pas à accuser les Cathares d’accepter une hypothèse encore plus excessive, celle de Lucifer séduisant l’épouse de Dieu et lui donnant un fils, le Christ.

Analyse

Les Cathares rejettent l’hypothèse de la corruption volontaire et acceptée par les esprits saints car elle suppose un choix libre d’aller vers le Mal. Or, si ce libre arbitre est à la base du système judéo-chrétien comme explication de l’origine du Mal puisqu’il ne reconnaît pas un principe du Mal et qu’il ne veut pas en accuser Dieu, il est rejeté par les Cathares qui considèrent qu’il ne peut y avoir de libre arbitre sans maîtrise totale de l’ensemble de la connaissance du contexte. Or, quand on est trompé et que l’on ne peut savoir qu’on l’est il ne peut y avoir de libre choix.

En fait l’hypothèse la plus reconnue est celle de la violence. Violence directe comme le propose l’apocalypse qui nous décrit le combat entre les anges de Dieu et ceux du Mal, ce qui conforte l’idée d’une création maléfique avant même la chute des anges. Violence indirecte, accidentelle donc, quand les esprits saints témoins de la faille ouverte par Lucifer dans le ciel de verre s’en approchent imprudemment et tombent dans le trou que Dieu vient ensuite obturer de son pied.

Soucieux sans doute de sortir de ces récits trop naïfs certains Cathares avaient semble-t-il accepté l’idée de ne pas chercher à savoir exactement ce qui s’était passé et proposait simplement que Dieu avait choisi d’envoyer un messager lorsqu’il constata être appauvri d’esprits.

Ce que nous voyons dans ces trois exemples c’est la progression d’une doctrine qui, partant de celle du Christianisme catholique, va petit-à-petit s’affiner et se radicaliser parallèlement à l’évolution de la réflexion logique des penseurs cathares.

Dans le même temps, la responsabilité de la chute va glisser de l’esprit tombé au principe du Mal.

Nous l’avons dit, l’hypothèse du libre arbitre met l’esprit tombé — c’est-à-dire nous les hommes — en totale responsabilité de sa situation. Indirectement, Dieu est aussi responsable d’une faute créatrice puisqu’un esprit capable de fauter n’est pas aussi parfait que son créateur.

L’hypothèse de l’accident libère les bons esprits de toute responsabilité mais maintient celle de l’un d’entre eux qui laisse entrer Lucifer par pitié et celle de Dieu, distrait dans sa surveillance.

L’hypothèse du rapt simple va jusqu’au bout de la logique et de la cohérence en séparant ce qui relève du Bien de ce qui relève du Mal et en disculpant donc Dieu de toute trace de responsabilité et, surtout, d’incompétence. En effet, face à la violence Dieu ne peut agir puisqu’il n’a pas de mal à opposer au Mal.

Cette évolution montre la force de la recherche cathare qui lui permet d’affiner un scénario qui passe du statut de vague proposition théorique à celui d’explication cohérente, donc possible.

C’est un point majeur qui différencie Catholicisme et Catharisme.

Pour autant, comme je l’explique dans le dernier cas de figure, les Cathares ne se sentent pas tenus par des explications mythiques. Ils acceptent très bien le fait de n’avoir pas de réponse à un problème. Cela évite les impasses dans lesquelles les mythes catholiques ont mis leur Église quand la connaissance humaine les a invalidé grâce à ses découvertes.

Le catharisme au contraire adosse ses mythes à une doctrine qui ne souffre d’aucune faille logique. Par conséquent, ces derniers évoluent comme la doctrine afin de rendre une image cohérente de cette dernière.

La complexité de la construction mythique autour de la chute des esprits saints tient à l’importance que les hommes attachent à la compréhension d’un phénomène qui est à l’origine de notre condition et qui permet d’expliquer les incohérences qui opposent ce monde et de l’idée que nous nous faisons de Dieu.

Conclusion

Dans le Catharisme, peu importe l’idée que nous nous faisons des conditions de notre emprisonnement ici-bas. Ce qui importe est d’en faire le constat.

En effet, si nous ne comprenons pas que nous sommes des étrangers à ce monde nous ne pourrons pas avoir la volonté d’en partir. Et pour en revenir à mon propos initial, c’est en comprenant ce qu’est le mélange et le composé humain que se révèle à nous l’horreur de notre situation qui sera le moteur de notre désir de mettre une fin à ce processus sans cesse répété de transmigrations.

Éric Delmas, 5 février 2017.

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