Le merchandising du Catharisme va de pair avec sa négation

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Le merchandising du catharisme va de pair avec sa négation

Quand le commerce de masse prend le pas sur l’éducation culturelle

Une manne financière qui dérape

Le département de l’Aude, qui était sinistré sur le plan industriel et commercial voici quelques décennies, s’est auto-attribué le titre ronflant de Pays cathare, il ne l’a pas fait par un désir de promotion de l’aspect culturel d’une période de son histoire. Non, cela relevait simplement d’une démarche politique visant à attirer la manne commerciale touristique, suite à l’engouement du public attiré par la médiatisation du catharisme à travers une émission de télévision historique des années soixante et à un ouvrage de Michel Roquebert, mettant en avant les châteaux audois.

Mais le catharisme n’est pas un « produit commercial » comme un autre.

Cet engouement touristique a provoqué un regain d’intérêt pour les événements qui se sont déroulés dans la région au Moyen Âge

Malheureusement, ses promoteurs avaient oublié que cet engouement populaire allait forcément réactiver celui des chercheurs désireux de mieux connaître ce phénomène cathare.

Une figure locale de grande renommée, René Nelli, obtint en 1983 l’ouverture d’un centre de recherche moderne et efficace, confié à l’archiviste paléographe Anne Brenon, dont la réputation de chercheuse n’est plus à faire. Malgré le décès rapide de René Nelli, ce centre travailla efficacement à la mise en exergue d’une connaissance du catharisme que l’historien Jean Duvernoy avait enfin débarrassé des vieilles lunes augustiniennes de manichéisme pour lui redonner sa place de christianisme authentique.

Une reprise en main énergique

Mais cela commença à faire grincer quelques dents. Anne Brenon, poussée vers la porte, fut remplacée par Pilar Jimenez — peut-être jugée moins gênante en raison de ses attaches universitaires et de son approche plus « nuancée » du sujet. Malgré tout, l’intérêt de chercheurs sérieux pour ce sujet était insupportable. Madame Jimenez fut remerciée et le nouveau directeur, Nicolas Gouzy, se vit intimer la mission de se limiter à la « vulgarisation » du catharisme à l’intention du grand public. Là encore, cela dû sembler insuffisant et une campagne d’extinction de la recherche scientifique sur le sujet se mit en marche.
La bibliothèque d’études, située au-dessus du musée de la ville, ferma pour une restructuration qui s’éternise tant que les archives stockées dans un village proche de Carcassonne risquent de ne pas revoir le jour de si tôt, et le financement du Centre d’études cathares fut tellement réduit que ce dernier se retrouva en faillite. Les archives, un temps menacées de vente à l’encan, furent transférées pour partie aux Archives départementales — où les répertoires n’en font toujours pas mention —, ce qui n’empêche pas d’en retrouver régulièrement sur les étals des bouquinistes de Montolieu, le village du livre tout proche.

Ainsi, tout semblait être rentré dans l’ordre. Le catharisme, largement dévalorisé par une surexploitation touristique associée à une démarche d’acculturation menée à marche forcée, est si peu identifié par les visiteurs de la cité médiévale que beaucoup ne savent même pas le lien entre les deux.

Les récentes décisions prises au niveau national visant à dévaloriser le métier de guide touristique en autorisant des personnes n’ayant pas le niveau de formation requis (Master de niveau 2) et donc, bien entendu, pas le niveau culturel minimum espéré, à effectuer des visites guidées, participe clairement à la volonté d’abêtir la population afin de la concentrer sur sa mission économique à grand coup de vente de bonbons, de glaces et de vêtements, tout en la maintenant la plus éloignée possible des centres culturels comme la librairie du château inaccessible pour les nombreux visiteurs qui ne paient pas l’entrée du monument.

Une résistance organisée et active

Malheureusement, quelques trublions sont venus gripper cette machine à vider les cerveaux.

Sous l’impulsion de Jean Duvernoy et Anne Brenon, entre autre, des chercheurs organisèrent des opérations de maintien du niveau culturel en s’entourant de chercheurs internationaux et locaux qui continuèrent à porter haut le flambeau d’une recherche cathare de qualité.

Et cela fonctionna avec l’aide notamment de régions et de villes périphériques, comme Mazamet qui confia à ces chercheurs la mise en place de son musée du Catharisme et accueillit plusieurs colloques de grande qualité.

Quand j’arrivais dans la région c’est cette situation que je découvris et cela me donna envie d’étudier le sujet.

Plus récemment, pour contrebalancer la mort du Centre d’études cathares, Anne Brenon et Pilar Jimenez mirent en place le CIRCAED qui tente de relancer les recherches et qui vient de publier sur Internet le premier numéro de la revue Heresis, ancien organe de diffusion des travaux du centre disparu.

De mon côté, bien plus modestement, j’ai mis en place ce site afin d’essayer de maintenir l’intérêt pour la recherche sur le catharisme et l’association Culture et études cathares que j’ai contribué à créer en 2011 propose désormais aux chercheurs une documentation de plus en plus fournie dont la numérisation, lente mais continue, permet aux plus éloignés d’avoir accès aux documents nécessaires à leurs travaux.

Un négationnisme réactionnel

Mais les vieux ennemis du catharisme ne sont pas que politiques et commerciaux.

La recherche sur le catharisme, longtemps considérée comme secondaire et insignifiante, fut boudée par les chercheurs universitaires dans leur grande majorité. C’est pour cela que les noms devenus célèbres dans ce domaine ne sont pas ceux d’historiens officiels et universitaires mais de personnes aux compétences annexes ou connexes, mais motivées par ce travail. Philosophes et poètes, docteurs en droit et archivistes paléographes se saisirent de ce sujet délaissé et lui redonnèrent ses lettres de noblesse.

Pourtant certains historiens conscients d’avoir laissé passer une occasion de briller voulurent rattraper le train de l’histoire en investissant le sujet. Seulement, comment exister si l’on se met dans les pas de personnes jugées moins aptes et moins brillantes, si ce n’est en s’opposant à elles ?

C’est alors qu’est née l’idée d’une « déconstruction » de l’histoire du catharisme. Malheureusement pour ses promoteurs issus d’universités du sud (Nice, Montpellier et Toulouse), il restait encore suffisamment de personnes compétentes pour répondre à ces théories fumeuses et ridicules. La mort récente de Jean Duvernoy et le retrait progressif des autres grands noms du sujet, permet néanmoins à quelques personnes, appuyées par des groupes plus discrets, notamment issus de certains franges de l’Église catholique, de tenter de discréditer toutes les recherches réalisées sur le catharisme. Certaine presse de vulgarisation leur ouvrant régulièrement ses colonnes tout en écartant les autres points de vue, donne à leur propos un vernis de respectabilité.

J’ai récemment relaté l’attitude de l’évêque de Carcassonne qui, au mépris du Code du commerce, m’avait refusé la location d’une salle de conférence, avait ainsi montré que l’opposition n’est pas seulement politique et universitaire, mais qu’elle relève d’alliances plus diffuses et plus larges. Je dois néanmoins noter la courageuse démarche de l’évêque de Pamiers et du Cousserand qui, à la demande de ses paroissiens à tenu une cérémonie de repentance envers le martyre des victimes du bûcher de 1244 à Montségur en octobre dernier.

Une résistance de tous les moments

La volonté de faire taire tout ce qui peut aider à une meilleure connaissance du sujet cathare est telle qu’elle coagule de nombreuses volontés, auxquelles on peut aussi ajouter des organismes officiels comme le Centre des Monuments Nationaux (CMN) de Carcassonne.

Le dernier épisode presque comique en la matière est mon éviction de la Cité médiévale où j’étais autorisé depuis deux ans à présenter, vendre et dédicacer mon livre Catharisme d’aujourd’hui.
Muni d’une autorisation municipale en bonne et due forme, je présentais mon ouvrage — même si mon activité principale était surtout de parler du catharisme à des visiteurs souvent peu au fait du sujet — à l’entrée principale de la ville médiévale.
Voici deux semaine, le représentant du ministère de la Culture (cela ne s’invente pas), administrateur du CMN, se présenta à moi et m’indiqua que j’exerçais en un lieu interdit, quoique figurant explicitement sur mon autorisation écrite. Prenant contact avec la mairie, je découvrit effectivement que cette dernière était en infraction. Dimanche dernier, je me déplaçais donc sur une zone relevant de son autorité, mais la semaine suivante je reçu une lettre recommandée m’annonçant l’interdiction de poursuivre mon activité. J’ai déjà diffusé cette lettre dont le contenu confine au comique, ainsi que ma réponse qui en relève toutes les incohérences. La presse locale s’en est faite l’écho également.

C’est bien la volonté d’éduquer et de cultiver les connaissances de la population qui est mise en cause. Les activités strictement touristiques et commerciales sont promues et validées par des organismes qui devraient, au contraire, valoriser l’éducation des visiteurs mais qui suivent une politique visant à imposer des notions qui font consensus entre les désirs commerciaux des uns et les souhaits d’amoindrissement des comportements haineux de groupes religieux qui, en leur temps, ont participé à une entreprise monstrueuse dont ils ont encore honte aujourd’hui.

Il va sans dire que du point de vue cathare cela est ridicule, car comment reprocher à nos contemporains des erreurs commises par des personnes agissant en d’autres temps et avec d’autres conceptions du monde ?

Malgré tout, cela nous conforte dans la volonté de poursuivre cette œuvre d’éducation que les responsables nationaux et locaux ne veulent pas assurer et qu’ils combattent autant qu’ils le peuvent.

Pour autant, tout comme il est impossible d’empêcher une idée de renaître, il sera impossible de museler l’information que nous souhaitons diffuser. Il reviendra ensuite à chacun, en son âme et conscience, de s’en saisir ou pas.

Éric Delmas, 29 septembre 2017.

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