Je sais rien mais je dirai tout

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Je sais rien mais je dirai tout

J’ai rarement eu l’occasion d’étudier des sujets ayant, comme le catharisme, cette particularité extrême d’être revendiqués par des personnes aussi différentes dans leur nature, dans leurs intentions et dans leur approche.
Cela ne fait que six ans que j’étudie ce sujet et pourtant, en si peu de temps j’ai croisé des personnes qui n’ont de point commun que leur attachement au mot « catharisme », je dis bien au mot et à rien d’autre puisque le plus souvent, ils sont en complet désaccord sur tout le reste.

Forcément, comme il se doit alors, chacun va utiliser les moyens à sa disposition pour accréditer son point de vue et, comme il se doit dans ce monde, discréditer celui de ceux qui ne le partagent pas. Les plus motivés essaieront de bâtir des argumentaires documentés et les autres sauteront sans hésiter d’affirmation en insinuation sans se fixer de limite dans l’enlisement.
Ainsi, chacun va finir par se construire son « catharisme », l’embellir de sa conception personnelle, parfois l’habiller de considérations modernes et parfois le maintenir dans la naphtaline de peur que l’oxygène du XXIe siècle ne risque de le corrompre. Au total, le plus souvent, le fondement de l’objet initial est oublié depuis longtemps sans que ses soi-disant défenseurs aient jamais compris qu’il n’était à leurs yeux qu’un prétexte.

Je vous propose une petite promenade dans le domaine de l’anthropologie socio-culturelle des « spécialistes » du catharisme.
Mais comment classifier cette foule bigarrée et aussi peu saisissable qu’une savonnette sous la douche ?
Ceux que l’on voit le mieux dans cette foule sont les historiens. D’abord parce qu’ils s’exposent volontiers, ce qui est normal pour des personnes ayant passé — en général — des années dans les bibliothèques obscures ou à leur table de travail. Le besoin de profiter de l’air pur, de la lumière et de l’exposition publique d’une salle de conférence est bien compréhensible. Sans compter que l’espoir de publier quelques ouvrages permet d’espérer améliorer notablement un ordinaire mis à mal par les années d’ascèse forcée qu’impose la recherche.
Mais qu’est-ce donc qu’un historien ? Nous verrons que cette question n’est pas aussi simple qu’on pourrait le croire.
Ensuite, nous trouvons une catégorie assez fournie elle aussi, celle des spécialistes de la religion. Qu’ils soient clercs, théologien ou simplement érudits en la matière importe peu puisque concernant une religion apparemment disparue depuis des siècles, ils sont tous formés à la connaissance religieuse telle qu’elle est enseignée et formatée par le courant religieux qui a justement éliminé le catharisme.
La troisième catégorie est un peu plus floue à cerner. Il s’agit des philosophes. En fait il y a les philosophes qui tentent de comprendre le catharisme dans sa logique mais sans trop s’appesantir sur le côté religieux qui dépasse forcément leur domaine, il y aussi les psychanalystes qui se demandent à la manière de Montesquieu : « Comment peut-on être cathare ? ». En fait tous les domaines des sciences humaines qui tournent autour de l’intellect, de la psychologie, de la vie sociale, etc. s’intéressent aussi au catharisme même si leurs motivations sont souvent très éloignées les unes des autres.
Ne nous le cachons pas il y a aussi des personnes qui, sans titre ou compétence particulière, s’intéressent au catharisme car le destin de ces religieux médiévaux ne manque pas d’intriguer et de laisser entrevoir des hypothèses mystérieuses, des espoirs mirifiques, voire des possibilités quasi magiques.
Et je serais présomptueux de prétendre avoir fait le tour des populations concernées tant il y a d’autres possibilités, y compris d’ailleurs celle de personnes qui découvrent dans le catharisme une approche spirituelle qui résonne étrangement en eux et qui provoque une série de réactions intimes les poussant à considérer que cette approche chrétienne est la seule qui puisse correspondre à leur attente.

Les historiens

Nous étions restés sur une question bien difficile à résoudre.
En effet, qu’est-ce qui pourrait définir le titre d’historien ? Il existe une formation supérieure en histoire qui permet d’atteindre un doctorat. Être docteur en histoire est-ce être historien ? Certes certains doctorats ne laissent aucun doute quant à la compétence de leurs détenteurs ; c’est l’apanage des titres attribués dans les sciences physiques et dans les professions qui les utilisent pleinement. En France ce titre est d’ailleurs habituellement utilisé pour désigner un docteur en médecine. Personne ne peut se prévaloir du titre de médecin s’il n’est possesseur de ce doctorat.
Mais quand on aborde les sciences humaines, on constate que si le doctorat justifie l’attribution du titre, il existe bien des personnes qui pratiquent sans ce précieux sésame. Essayez de publier un ouvrage de médecine sans être médecin et vous aurez vite des problèmes. Par contre, vous pouvez écrire sur la psychologie, l’ethnologie, la politique et l’histoire sans devoir dégainer votre doctorat.
Donc, la filière universitaire ne définit pas l’historien. Heureusement d’ailleurs car de nombreux travaux historiques reconnus et valorisés sont le fait d’historiens « amateurs » comme on dit pudiquement même s’ils en vivent à plein temps.

Pourrait-on trouver une autre définition plus large ? Paul Veyne1 propose dans son ouvrage Comment on écrit l’histoire2 une définition qui risque de ne pas plaire à tous : « … les historiens racontent des événements vrais qui ont l’homme pour acteur ; l’histoire est un roman vrai. » En effet, comme le fait si bien remarquer cet historien disposant de tous les titres, compétences et reconnaissances qui l’habilitent à se prononcer sur ce sujet, l’historien est amené à soumettre son travail aux contraintes que lui imposent ses sources, parfois nombreuses pour une période courte et parfois rares pour une longue période, et ses prédécesseurs, eux-mêmes victimes de leurs propres préjugés, ce qui pose de sérieux problèmes quant à la qualité du résultat obtenu.
D’ailleurs les historiens semblent l’avoir compris puisqu’ils essaient à tout prix de se forger une image de neutralité censée garantir la fiabilité de leur production. Mais nous le savons tous, même les Suisses ne sont pas neutres. Tout le monde à des opinions dans à peu près tous les domaines et organise sa vie autour de pré-requis que l’on ne remet que très rarement en cause.
Alors concernant un domaine où l’histoire, la politique et le religieux s’entremêlent allègrement, il est illusoire, voire dangereux, de se croire neutre.

En matière de catharisme, l’historien fut souvent un défricheur, un aventurier prêt à s’engager dans une voie prétendue sans issue, un courageux que ne rebutait pas le fait d’être la risée de l’Université et qui d’ailleurs n’en était que rarement issu. Une bonne partie venait de l’Église judéo-chrétienne et quelques autres étaient soit dans des secteurs parallèles de l’histoire, soit carrément venus de secteurs très différents. C’était la réunion des passionnés et des curieux. Mais pour être finalement reconnus ils durent le plus souvent taire leurs convictions et se contenter de proposer des travaux formatés au modèle universitaire autorisé.

Les spécialistes de la religion

Issus eux-aussi du judéo-christianisme et plus rarement des autres religions du Livre (l’Ancien Testament bien entendu), ces personnes étaient plus encore que les historiens neutres, donc athées, victime du formatage bi-millénaire qui ne conçoit pas que le christianisme puisse être docète, pluriel et non eucharistique, pré-nicéen pour dire les choses autrement.
Du coup, comme leurs collègues médiévaux, ils eurent le plus grand mal à ne pas classer le catharisme selon les critères qui avaient fait florès pendant plus de cinq siècles.
Quelques uns, profitant de l’évolution que l’on trouve au sein des églises réformées furent bien plus ouverts dans leur analyse, sans parvenir toutefois à se départir complètement du judéo-christianisme. Sans compter que la rivalité existant entre les Églises de ce groupe poussa certains à vouloir faire du catharisme une sorte de pré-Réforme chrétienne.

Les « humanistes »

Chez les tenants de cette catégorie, le problème dépend du formatage qui agit sur les conceptions de chacun. Il tendra à faire de ces chercheurs l’équivalent de ces aveugles qui dans un conte indien 3 sont amenés à proximité d’un éléphant sans en avoir jamais croisé et qui le décrivent sur la base de la partie qu’ils touchent de leur main. Du coup chacun affirme ce qu’il croit être la vérité alors qu’il ne s’agit que de sa vérité limitée par son champ d’appréciation.
De même philosophe, ethnologue, psychanalyste ou sociologue aborderont le catharisme sous des angles différents qui auront le mérite d’être tous utiles mais tous incomplets.

Les partisans de domaines mystiques, paranormaux et ésotériques

Quand un domaine est laissé en friche par les spécialistes de la recherche, il conserve une part d’inconnu qui attire logiquement les personnes à la recherche de réponses que les domaines officiels de la connaissance n’ont pu leur procurer.
La plus grande partie de ces personnes sont de bonne foi mais n’ont pas forcément le recul nécessaire et les outils indispensable à une approche raisonnée d’un domaine de recherche que personne n’a exploré.
Quand les chercheurs viennent invalider ces approches, le dépit peut conduire certaines personnes à nier jusqu’aux évidences. Cela les amène alors dans une spirale infernale où le recours à l’hypothèse mystérieuse, à la restriction ésotérique qui ne se révèle qu’à un initié de haut niveau, voire à des choix invérifiables, ce qui ne fait qu’aggraver le fossé de façon irrémédiable. Alors, les théories les plus surprenantes se bâtissent sur le sable d’arguments non fondés mais soutenus par le seul fait qu’ils sont à contre-courant de la « science officielle ».
Le besoin de merveilleux est consubstantiel à notre humanité peu reluisante et promise à un avenir médiocre. Lui seul peut donner un sens à notre vie quand rien d’autre ne l’habite.

Les croyants

Cette dernière catégorie est la moins connue car elle a du mal à trouver une place parmi toutes les autres. En fait elle est fortement malmenée par tous ceux qui cherchent à lui donner une étiquette alors qu’elle n’en revendique aucune en fait.
Les croyants se satisfont très bien de n’être ni des historiens reconnus, ni des théologiens de haut vol, ni des philosophes et ils n’ont aucun besoin de recourir à l’ésotérisme ou au mystère puisque leur foi les emplit totalement et les comble pleinement.
Leurs travaux et leurs recherches n’ont d’autre but que de venir conforter leur foi en apportant des éléments qui révèlent que ses fondamentaux sont cohérents et logiques, qu’ils s’inscrivent dans une tradition qu’ils reconnaissent et qu’ils ne la relègue pas à l’une des théories fumeuses ou dévalorisantes dont elle fut si longtemps affublée.

Alors qu’est-ce que le catharisme ?

Il est aisé de comprendre que si l’on veut appréhender le catharisme le risque de se fourvoyer est plus grand que celui de toucher au but rapidement.
La raison en est simple. Le catharisme est une religion qui ne respecte aucun des schémas qu’offrent les religions existantes et dont l’histoire est très difficile à appréhender en raison de la faiblesse des sources disponibles.
Aussi la seule approche possible ne peut être que globale. Le catharisme n’est pas un concept historique, il n’est pas une philosophie, il n’est pas une religion parmi d’autre, ni un mystère insondable, mais il est un peu de tout cela selon où l’on se trouve par rapport à lui.
Ce qu’il faut c’est soit accepter de ne pas la connaître d’avantage, soit — si cela vient du plus profond de vous — accepter de monter dans le seul véhicule qui puisse vous aider à le découvrir, celui des croyants.

Éric Delmas, 19 juin 2012.


1. Paul Veyne : Professeur honoraire au Collège de France spécialiste de la Rome antique.

2. Éditions du Seuil 1971.

3. Luda SCHNITZER, Ce que disent les contes, © Éditions du Sorbier, 1985

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