Vivre enfin ou mourir encore !

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Vivre enfin ou mourir encore !

Introduction

En observant notre société j’y vois la marque indélébile d’une lente, mais croissante, déliquescence autodestructrice.

Plus ce monde prétend s’améliorer et se développer, plus j’y vois une involution qui emprunte une voie à la fois différente et plus brutale que celle qui l’a amené à son évolution la plus aboutie.
C’est un peu comme une machine parfaitement huilée dont les défauts de structure finissent par prendre le dessus et qui devient irrémédiablement folle et incontrôlable au point de se mettre à s’autodétruire.
Certes, nous savons que le facteur de ce monde étant lui-même très imparfait, il est logique que son œuvre le soit. Cependant, j’ai le sentiment d’un effet d’emballement de ce processus. Car la violence qui est la marque du monde et de son démiurge avait, jusque là, donné l’impression d’une forme organisée et auto-contrôlée. Même les pires comportements des périodes troubles du passé semblaient obéir à une règle, écrite ou non, et tendre vers un objectif susceptible de mener à une nouvelle forme de stabilité. Aujourd’hui il en va tout autrement. Non seulement la recherche d’un équilibre, y compris en passant par une phase de violence et d’anarchie, ne constitue plus un objectif pour les plus mondains d’entre-nous, mais l’évidence d’un échec total avec la quasi certitude d’un dommage maximal pour l’auteur de la violence ne suffit pas à réfréner ces pulsions de haine qui deviennent en quelque sorte des pulsions suicidaires.
Or, comment mieux décrire l’échec d’un œuvre d’établissement que de lui trouver un caractère suicidaire ? Ce monde court à sa perte et il en est parfaitement conscient mais ne peut s’empêcher de passer le point de non retour qui rendra sa propre destruction inéluctable. Et plus cette fin lui semble inévitable plus il agit à son accomplissement et à son accélération.
C’est cette folie destructrice que je me propose d’étudier pour tenter d’en comprendre le processus, à défaut du sens, et pour voir en quoi notre foi chrétienne cathare nous aide à traverser ce chaos mondain.

Inversion des comportements de survie

Comment l’homme a évolué jusqu’à nos jours ?

Ce qui avait permis à l’animal ridiculement impropre à la survie qu’est l’homme de surmonter les dangers qui le menaçait fut de se regrouper en tribus et puis en sociétés où la mise en commun des compétences a permis de surmonter toutes les difficultés et de démultiplier les talents. Ce regroupement fut certainement lié à la prise de conscience de cette fragilité et au décryptage d’un “ ordre naturel ” que l’homme percevait déjà et qui lui avait permis de comprendre que des entités supérieures à lui existaient et avaient, d’une façon ou d’une autre, prise sur lui.
Par la soumission à des forces qu’il percevait via les soubresauts naturels qu’étaient pour lui le vent, l’orage, la foudre, les tremblements de terre, l’homme créait une hiérarchie dont il n’était pas le sommet. Et même s’il considérait ce qui le dominait comme comparable à lui, notamment dans ses comportements, ses passions et ses défauts — ainsi que l’illustre superbement le panthéon grec — il en supportait le joug au motif de la supériorité intrinsèque au caractère divin et qu’il rassemblait dans le concept d’immortalité. D’ailleurs, la récompense suprême de l’homme héroïque au comportement insigne était d’être admis à l’immortalité et de rejoindre les dieux.
La divinité fut donc considérée comme apte à organiser les comportements humains et à imposer des modus vivendi contre-naturels en raison de sa supériorité dont l’élément définissable varia selon les période entre la toute puissance violente des premiers temps de l’humanité au caractère immuable conféré par l’immortalité de l’époque antique.
De ce point de vue, le judaïsme ne déroge en rien à cette approche conceptuelle. Le Dieu des juifs est un dieu tout puissant par sa violence et son immortalité est extrême puisqu’il est éternel.

Pour survivre dans ce monde difficile et sans pardon, l’homme devait donc suivre les injonctions divines et réfréner ses instincts individualistes au profit d’un comportement communautaire qui, s’il lui pesait parfois, lui garantissait une progression rapide au sein de la chaîne animale.

La perte des repères provoque l’inversion des valeurs

Le christianisme va bouleverser ces valeurs en mettant au rang des attributs divins l’Amour, la compassion, la patience, la douceur et le pardon. L’immortalité étant en quelque sorte dévaluée par le fait qu’elle devenait un attribut promis à tous les croyants après cette étape terrestre.
Cette approche est extrêmement perturbante pour une humanité qui avait validé un autre schéma mondain pendant plusieurs millénaires. Mais cette gêne sera compensée par une adaptation du christianisme authentique aux valeurs pré-existantes via le judéo-christianisme qui, en reprenant dogmatiquement autant que généalogiquement, les fondamentaux juifs, va mettre en place un christianisme plus acceptable pour les esprits de l’époque.
Cependant, au fil des siècles, ce système va se trouver confronté à ses propres incohérences, provoquant ici ou là l’émergence de courants contestataires qui pointent ces incohérences ou révolutionnaires qui rejettent la totalité de ce système perverti pour proposer le retour au système originel qui posait tant de problèmes.
Malheureusement, l’évolution de la société humaine se faisant à contresens de ce christianisme originel, ces révolutionnaires, anarchistes véritables puisque naturellement antisociaux, furent l’objet de persécutions et d’élimination jugées nécessaires à l’équilibre du monde dont personne n’avait encore saisi la précarité.
En effet, cette précarité était masquée par le caractère hautement grégaire du système social de référence et par la hiérarchisation indestructible que constituait le système religieux, ce qui explique bien qu’il fut également repris par la nouvelle religion apparue quelques siècles après le judéo-christianisme : la religion musulmane.

Mais l’évolution de la société allait provoquer la perte de ses fondements grégaires. Plus l’homme accédait à un confort personnel, plus il perdait de vue comment il avait pu l’atteindre. L’absence du danger crée le sentiment de son inexistence.
Deux ennemis majeurs allaient menacer l’homme : l’individualisme et l’orgueil.
Aujourd’hui, l’individualisme prend inexorablement le dessus. Même quand cet individualisme est compris comme néfaste à la communauté, il est revendiqué comme un droit au motif que chacun se considère comme autorisé à commettre le pire au nom de sa liberté individuelle. Cela tend à rompre le fragile équilibre entre l’homme et son environnement, mais le fait que la société de nos pères est encore debout nous cache les conséquences de ce choix égoïste. Par contre, quand les effets de nos actes actuels deviendront visibles, il y a fort à parier qu’il sera trop tard pour y remédier.
Ainsi, nous effacerons d’un trait de plume des millénaires de construction évolutionniste au risque de revenir à un état misérable dont nous avions eu tant de peine à nous extraire.
L’orgueil fut de considérer que la société humaine pouvait poursuivre sa route sans la relativement bienveillante surveillance divine. En rejetant l’autorité de Dieu, en fait en rejetant l’hypothèse divine, l’homme pensait s’émanciper au nom de son évolution intellectuelle. Ce qu’il n’avait pas compris c’est que c’est cette soumission à une puissance, non seulement supérieure mais surtout inatteignable qui lui avait permis la construction sociale à la base de sa réussite. Il s’était même convaincu de l’inverse. Ce n’était pas la religion qui avait permis la société, mais la société qui avait fait naître la religion. Ils sont encore nombreux aujourd’hui qui en sont persuadés et qui donc courent logiquement à leur perte au lieu d’agir dans le bon sens. Mais en mettant la société avant la religion, l’homme se met avant Dieu et cela lui convient bien mieux que l’inverse. Cette lente déconstruction spirituelle fut initiée par l’accès à la connaissance de la nature et de notre genèse qui venait contredire l’histoire inventée à l’origine des religions pour justifier la soumission de l’homme au démiurge. Elle se poursuivit par la mise en place de systèmes relais qui proposaient que l’homme était le propre deus ex machina de sa réussite. Pour cela on dota la science de tous les pouvoirs de favoriser et de diriger les progrès de l’humanité et, ce faisant, on déboulonna Dieu de son piédestal. N’ayant plus de référence supérieure à sa propre personne, l’homme put laisser libre court à son orgueil et à son individualisme atavique. Et cela ne fit que s’aggraver au fur et à mesure qu’il s’avérait que les “dieux mondains” qu’il se créait ne parvenaient pas à proposer un modèle d’évolution stable. La science montra ses limites, comme l’industrialisation et les nouvelles énergies.

Aujourd’hui, l’homme se trouve devant une impasse. Plus d’espoir d’une nouvelle idole susceptible de laisser croire à un avenir meilleur et le constat flagrant des dégâts occasionnés par les précédentes utilisées de façon déraisonnable.
L’homme se trouve dès lors confronté à son destin de chose fragile et passante et sa fin prochaine lui apparaît désormais totalement inexorable, non plus au plan individuel mais en tant qu’espèce.
C’est en raison de la négation de l’inexorable qu’il est poussé à des comportements hautement ridicules qu’il provoque en croyant les dominer pour finir par succomber à un destin qu’il s’est en quelque sorte forgé de ses mains. Car, tout à coup, l’immortalité reprend de la vigueur. Non pas pour en parer un dieu supérieur mais pour se l’attribuer, et si l’immortalité semble inatteignable, on fait alors le choix ultime de son apparence et de la maîtrise de la vie.
En effet, il y a un lien absolu dans la volonté de ne pas vieillir, comme remède à la mort, et dans celle de mourir avant l’heure au motif de ne pas s’infliger à soi ou aux autres une agonie dont on ne perçoit plus la justification.
Comment expliquer cette espèce d’anesthésie de la pensée qui pousse à faire semblant de croire que, tant qu’on paraîtra jeune, l’on ne pourra pas mourir ou à croire qu’on est maître de sa vie en se donnant la mort personnellement ou par procuration ?
Pour moi, cela relève de la même pathologie. Une sorte de névrose de l’autruche, qui pousse à traiter les problèmes superficiellement de peur d’avoir à les affronter dans toute leur profondeur et une hypertrophie de l’ego qui permet à l’homme — par ailleurs quotidiennement témoin de son insuffisance en tous domaines — de s’imaginer plus fort que son destin.
Pourtant, la cohérence est de reconnaître ce qui ne dépend pas de nous et à l’accepter plutôt qu’à prétendre le masquer ou se croire capable de forcer la main d’un démiurge et de lui échapper avec ses propres armes.
Vieillir, c’est admettre la lente mais inexorable décrépitude d’un organisme, qui est le seul vaisseau dont nous disposons, pour traverser le long fleuve de la vie. Le voir se déliter fait sourdre la même angoisse que ressentirait l’astronaute dont la navette perdrait, une à une, toutes ses tuiles de protection thermique.
Pas encore mort mais, certain de l’être et, surtout, visuellement convaincu de l’être. Car il y a un monde entre savoir confusément que l’on est mortel et l’objectiver de ses propres yeux.
C’est cette même névrose qui en pousse certains à refuser l’approche lente de la mort, surtout si elle est visible en raison de transformations physiques patentes. Du coup, comme ces hommes et ces femmes — prisonniers d’édifices en train de s’effondrer après un attentat ont préféré se jeter dans le vide sans aucun espoir de survie — ils préfèrent anticiper la mort ou la réclament au nom de leur liberté de choix alors même qu’ils démontrent par là leur incapacité d’en jouir.
Il faut avoir conscience que ce comportement ne protège de rien et ne garantit rien. Car, qui peut se targuer de savoir dans son incarnation ce que le destin, c’est-à-dire le projet du démiurge, a décidé pour nous ? Refuser de voir la vie passer permet-il de reculer l’échéance ? Bien sûr que non. Anticiper une échéance que l’on devine permet-il de déjouer le plan du démiurge ? Le croire est ridicule et revient à utiliser une arme qui nous est étrangère contre celui qui en connaît tous les rouages et le fonctionnement. La seule chose que nous pouvons faire est de laisser se dérouler le projet du démiurge sans y interférer, ni en prolongation, ni en interruption.

Disparaître au lieu de lutter

Comme il est heureux, celui qui comprend les ressorts de cette machinerie diabolique, et peut travailler à en déjouer l’objectif abject.
Oui, vraiment j’espère avoir toute ma vie pour suivre visuellement l’évolution du temps et me convaincre de travailler à l’éveil de mon esprit, comme j’espère avoir toute mon agonie pour parachever ce travail et donner à mon esprit tout l’élan qui lui sera nécessaire pour échapper aux griffes du démiurge.
Car la solution la plus logique me semble bien être là. D’une part, si l’on prétend ne pas avoir avoir part au projet du démiurge, il convient de s’en dégager par la seule force de l’esprit et de ne pas intervenir matériellement, ni en prétendant prolonger les choses, ni en croyant pouvoir les interrompre.
Notre vie mondaine ne nous appartient pas. Donc, comme le ferait un invité, nous devons nous interdire de maltraiter ce que notre hôte met à notre disposition. Comme dans la parabole des talents nous devons rendre au maître ce qu’il nous a donné en évitant toute corruption mais en n’ayant pas pour autant fait son désir, c’est-à-dire fait fructifier ce qu’il nous a donné.
Certes, comme dans la parabole, cela ne peut que lui déplaire, mais sa colère doit venir de lui et pas de nous. Par conséquent notre incarnation doit être correctement entretenue par nous tant qu’il nous est donné de l’utiliser.
Plus nous allons essayer de développer notre spiritualité et plus notre enveloppe redeviendra un élément extérieur à nous. C’est là le seul moyen que nous devions nous autoriser pour lui échapper. Ce moyen non violent utilise bien des outils pratiques dans sa mise en œuvre. L’ascèse, qui peut aller jusqu’à l’endura, permet de réduire la prégnance corporelle dans le développement spirituel. La méditation ou prière n’est pas tournée vers l’extérieur mais vers l’esprit qui par cette pratique se raffermit dans sa réalité et se dégage de la gangue de l’âme pour redevenir lui-même. La bienveillance permet de limiter l’expansion de l’“ego” et donc de calmer la vanité qui est la marque la plus profonde de l’incarnation. L’humilité permet à l’esprit de se fondre dans une création spirituelle où il n’est qu’une part identique aux autres au lieu de se comparer en mieux à d’autres créations de ce monde matériel. La pauvreté permet de laisser de côté l’instinct mondain qui nous pousse à vouloir toujours plus pour imiter ceux qui nous semblent plus heureux que nous.
Et c’est vrai qu’une fois acquises ces techniques d’humilité, de pauvreté, de retour sur soi et d’ascèse, on devient presque invisible au monde et ce dernier glisse sur nous comme l’eau sur la plume du canard.
Il est alors évident qu’à ce stade, quelle que soit la durée de la vie terrestre et quelles que soient les vicissitudes que nous y réserve le démiurge, l’esprit que nous somme peut tout traverser sans regret ni envie puisqu’il touche déjà du doigt sa récompense, acquise au prix de souffrances certes, comme eut à souffrir le fils prodigue avant de comprendre que la seule richesse était le retour à la maison. Retour auquel nous aspirons tous.

En fait il est là le message de ce christianisme qui fut si mal compris qu’on l’affubla dès l’origine des oripeaux juifs qui permettaient de se voiler la face quant à l’analyse qu’il voulait nous aider à faire.
N’étant pas de ce monde nous n’avons pas à vouloir le façonner à notre avantage. Nous devons simplement le traverser avec un minimum de remous et laisser son démiurge mener sa barque. Comme la “planète” monstrueuse qui intrigue tant les hommes au début du film Le cinquième élément qui grossit et se rapproche à chaque violence exercée contre elle, les remous que nous provoquons en ce monde à chaque fois que nous essayons d’y créer un espace d’indépendance ne font que resserrer les chaînes dont il se sert pour nous contraindre à suivre la volonté de son démiurge.
Si le Christ apparaît dépourvu de tous les atours du Messie qu’attendaient les juifs, ce n’est pas par hasard. S’il suit une voie systématiquement en désaccord avec la loi religieuse de son temps, ce n’est pas par opposition à cette religion mais par dénonciation de tous les systèmes qui basent le spirituel sur le mondain. Et sa fin apparemment ignominieuse sur une croix n’est que la révélation éclatante de son message qui condamne absolument la voie mondaine au profit de la voie spirituelle.
Ce que n’a pas compris le judéo-christianisme catholique et orthodoxe, pas plus d’ailleurs que ses réformes médiévales (valdéisme, henricisme, bruxisme, etc.) ou protestante, c’est que ce monde n’est pas amendable puisqu’il n’est pas divin. Il ne sert donc à rien d’essayer de s’y adapter quand la solution est de s’en dissocier aussi longtemps que doit durer notre passage dans cet univers.

Celles et ceux qui ne le comprendraient pas et qui, d’une façon ou d’une autre, feraient le jeu du démiurge, obtiendraient le résultat inverse de celui souhaité.
Au lieu de vivre enfin auprès de leurs frères esprits, ils devraient mourir encore en ce monde pour mieux y revenir.

 

Éric Delmas – 30/12/2010

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