La diffusion du catharisme

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La diffusion du catharisme

L’histoire du catharisme, et notamment son mode de diffusion dans ce qui est aujourd’hui la France, semble avoir fait l’objet d’un traitement plus que superficiel par les historiens. La plupart d’entre eux s’est contenté d’évoquer une diffusion de la pensée bogomile par le biais des voies naturelles de communication que sont les routes commerciales entre l’Orient et l’Occident, qui traversent les Balkans.
Cette hypothèse, tout à fait vraisemblable, a l’avantage d’éviter de s’interroger sur d’autres phénomènes et sur des incohérences de dates. En effet, si l’on en croit les historiens, le bogomilisme débuterait à la fin du 10e siècle puisque l’on dispose du discours (slovo) du pope (prêtre) Cosmas, daté des environs de 967, dans lequel il décrit cet « hérétique » Bogomil et anathémise sa doctrine.
Sauf que ce document, que rien ne vient corroborer clairement, contient l’information capitale selon laquelle ce mouvement hérétique aurait déjà mis en place cinq évêchés. Difficile donc de considérer qu’il est tout débutant à cette date.
La diffusion par la voie commerciale semble avérée en cela que l’on retrouve les mêmes conceptions du côté de Cologne quelques décennies plus tard. On peut donc imaginer que des bogomiles gyrovagues auraient pu se déplacer et transmettre leur vision doctrinale dans un pays que la réforme grégorienne semblait avoir rendu moins uniforme du point de vue doctrinal, comme semble en attester certains groupes franchement « réformateurs », mais pas totalement hérétiques, comme ceux qui côtoient les bogomiles de Cologne ou comme l’histoire du paysan Leutard.
Cette réforme, qui semble avoir donné des espoirs de renouveau théologique, paraît avoir favorisé l’émergence de courants de pensée doctrinale parallèles ou même carrément différents chez les clercs. Ces derniers avaient les moyens d’accéder à des écrits transportés par d’autres clercs, de les lire, d’y réfléchir et de les transmettre à leur tour. L’affaire des chanoines d’Orléans qui, en 1022, se mettent à enseigner une théorie très proche de celle des futurs cathares peut en attester.
Si l’on fait une comparaison modeste avec notre époque, on constate que nombre de personnes s’intéressant à la spiritualité sont amenées à s’interroger sur le sens à donner à leur approche spirituelle. En effet, chez les chrétiens d’origine, la lecture des textes officiels peut donner des raisons de douter de la valeur de leur contenu. Combien de catholiques en sont venus à rejeter certains dogmes et à se concocter une approche spirituelle très personnelle ? Il n’est donc pas impossible de penser que cela a pu se produire en d’autres temps, surtout si l’annonce de la réforme grégorienne a pu laisser croire que le temps des réformes théologiques était venu.
Enfin, une troisième voie mérite d’être explorée. Je reconnais que je crois être le seul que cela ait intéressé, mais je pense qu’il faut néanmoins se pencher sur elle.
Lors de la première croisade, les chevaliers du Nord, Godefroy de Bouillon et Bohémond de Normandie notamment, semblaient autant animés par le désir de « libérer » les lieux saints aux mains des musulmans, que par le désir de s’approprier des territoires sur lesquels ils pourraient régner. Cela paraît être moins présent à l’esprit de Raimond IV de Saint-Gilles, le comte de Toulouse. L’empereur Alexis Comnène, qui voyait arriver ces troupes, qui prétendaient expulser les musulmans, considérait que ces territoires étaient sa propriété momentanément spoliée par ces Arabes. Il se méfiait donc fortement de cette « aide providentielle » sur laquelle il ne se faisait aucune illusion . C’est pourquoi il exigea que les chevaliers lui prêtent un serment d’allégeance.
Si les chevaliers du Nord ne se firent pas prier, sans pour autant envisager de respecter ce serment, Raimond de son côté refusa. En effet, la psychologie occitane, dominée par le Paratge, lui donnait deux caractéristiques particulières : l’attachement à l’engagement pris de libérer gracieusement les terres « souillées » et la valeur indiscutable de sa parole qu’un serment secondaire ne pourrait qu’amoindrir. Ce caractère si particulier retarda son départ de Constantinople et l’amena à fréquenter plus longuement l’empereur Alexis. Ce dernier qui avait prêté des troupes aux chevaliers, tant pour renforcer leur maigre équipage, que pour avoir des hommes à lui en leur sein, afin de mieux les surveiller et les contrer si nécessaire, semble avoir été sensible à cette psychologie occitane.
Il est donc raisonnable de penser que la mentalité orientale ait été plus proche de celle des Occitans et a pu donner lieu à des liens amicaux plus clairs entre les soldats de comte et ceux prêtés par l’empereur, parmi lesquels se trouvaient forcément des pauliciens, depuis leur défaite finale de 872.
Ces troupes revinrent en Occitanie prématurément au début du 11e siècle, après la mort du comte, afin de soutenir son fils cadet resté à Toulouse avec une maigre armée. Que les pauliciens aient pu choisir de suivre le mouvement afin d’échapper à l’empereur qui les tenait forcément en défiance, vu leur approche doctrinale et au regard des longues confrontations antérieures, n’a rien de surprenant.
Voici donc trois hypothèses de développement du catharisme en France. Il n’est pas question d’en privilégier une sur les autres ; elles ont très bien pu être concomitantes tout en s’ignorant l’une l’autre, quitte à se rejoindre quelques décennies plus tard en Occitanie. Cela expliquerait des données chronologiques apparemment peu compatibles.
On peut même imaginer que la « rencontre » des successeurs des bogomiles provenant de la diffusion issue du Nord, par les voies commerciales, avec les successeurs des pauliciens venus avec l’armée du comte Raimond IV, ait pu conduire ces groupes, relativement disparates, à chercher une validation de leur organisation en faisant venir Nicetas à Saint-Félix Caraman en 1167.

Éric Delmas – 18/12/2019

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