Du déconstructionnisme au négationnisme

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Du déconstructionnisme au négationnisme

À force d’entendre ou de lire des choses plus que surprenantes, j’en suis venu à me demander ce qu’était cette nouvelle lubie de certains historiens : le déconstructionnisme.

Un peu de sémantique

Voici deux définitions que j’ai empruntées à Wikipédia :
La déconstruction, appelé aussi déconstructionnisme, est une méthode, voire une école, de la philosophie contemporaine. Cette pratique d’analyse textuelle s’exerce sur de nombreux types d’écrits (philosophie, littérature, journaux), pour révéler les décalages et confusions de sens qu’ils font apparaître par une lecture centrée sur les postulats sous-entendus et les omissions dévoilés par le texte lui-même.

Le négationnisme (auquel il est parfois fait référence en tant que révisionnisme) consiste en un déni de faits historiques, malgré la présence de preuves flagrantes rapportée par les historiens, et ce à des fins racistes ou politiques.
Le terme est créé en 1987 par l’historien Henry Rousso pour désigner la contestation de la réalité du génocide mis en œuvre contre les Juifs par l’Allemagne nazie pendant la Seconde Guerre mondiale, c’est-à-dire la négation de la Shoah. Le négationnisme consiste ainsi à prétendre, soit qu’il n’y a pas eu d’intention d’exterminer les Juifs, soit que les moyens de réaliser cette extermination, notamment les chambres à gaz homicides, n’ont pas existé.

Le principe de la sémantique est d’étudier le signifiant, c’est-à-dire ce que l’on veut dire avec les mots que l’on emploie. Déjà nous remarquons que le déconstructionnisme semble n’avoir été appliqué qu’en philosophie. En effet, cette discipline fait un usage parfois immodéré de termes employés dans un sens peu commun, voire de constructions syntaxiques destinées à créer un signifiant particulier. Il est donc envisageable de vouloir déconstruire parfois cet édifice quand on considère qu’il ne tient pas debout.

L’histoire est-elle sujette à la déconstruction ?

L’histoire n’est pas un édifice basé sur des concepts mais plus généralement une reconstitution d’événements basée sur des éléments factuels rapportés par des témoins et des preuves matérielles. C’est ainsi que l’on est en droit de douter de la réalité historique de Jésus car les témoins sont tous du même bord, les autres témoignages présentant seulement des rumeurs, et qu’aucune preuve matérielle n’a jamais été retrouvée à ce jour. Pour autant, quand on dispose de témoignages convergents, issus de groupes humains peu enclins à collaborer sur le sujet évoqué et que l’on dispose de documents présentant un contenu lui aussi convergent avec le groupe étudié, peut-on dire qu’il n’y a pas de réalité historique ?

Si l’on accepte l’idée d’une réalité historique des personnages incriminés par les témoins et les accusateurs, des événements liés à leur existence et à leur extermination, des rapports issus des autorités civiles et religieuses de l’époque, peut-on néanmoins envisager de « déconstruire » tout cela comme s’il s’agissait d’une hypothèse philosophique ?

À en croire certains titulaires de diplômes reconnus par les facultés d’histoire, il semblerait que oui. Il suffit en effet de partir de présupposés doctrinaux, d’hypothèses géographiques et de l’autorité que confèrent les titres universitaires pour s’opposer aux personnes qui ont vécu de façon contemporaine au phénomène et à ceux qui ont étudié les documents disponibles de cette époque. Il faut dire qu’il est inenvisageable, quand on a un titre universitaire supérieur à celui de ceux qui ont déjà émis une hypothèse, de se contenter de la valider sans rien y apporter. Imagineriez-vous une seule seconde un docteur en médecine voyant arriver un malade accompagnée d’une infirmière qui affirmerait que ce dernier est porteur d’une plaie, au seul motif que la chair dudit malade est clairement fendue et laisse apparaître les structures internes, répondre qu’effectivement il s’agit bien d’une plaie ? Baliverne ! Pour justifier ses titres et diplômes ce médecin serait obligé de « déconstruire » l’hypothèse de l’infirmière en prétendant qu’elle affirme cela pour justifier son emploi mais qu’en fait cette plaie n’existe pas et que quiconque n’aurait pas les mêmes diplômes que lui ne saurait voir son témoignage reconnu.

D’ailleurs, et pour soutenir ma défense des déconstructionnistes, je tiens à préciser que cette science hautement moderne, donc exacte et infaillible, n’a fait qu’entre ouvrir les domaines de son expression. En effet, il ne manque pas de domaine où nous pouvons douter de la fiabilité des témoignages et des preuves matérielles tant il est évident que des intérêts puissants et concordant les ont suscités, voire fabriqués. J’éviterai le domaine des exterminations de masse modernes (Juifs, Arméniens, etc.) car il semblerait que des groupes de pressions puissants soient en mesure de contrecarrer efficacement en ces domaines les tentatives courageuses d’avancées déconstructionnistes en les requalifiant de négationnistes. Par contre, peut-être pourrait-on rappeler que rien d’autre que des témoignages humains de personnes intéressées au premier chef et des preuves matérielles ayant pu être modifiées ou fabriquées, ne sauraient attester de l’existence de la Résistance française et européenne au nazisme. Le Bolchévisme serait de même une invention du capitalisme et de l’impérialisme russe. Le capitalisme lui-même n’est attesté que par les riches et les pauvres. Fi ! cela est notoirement insuffisant à en justifier la réalité. J’en viens à me demander si en fait il y a un seul pan de l’histoire qui ne pourrait être déconstruite ?

Le déconstructionnisme est-il du négationnisme ?

Voilà une question ennuyeuse. En effet, au titre de la liberté d’expression, de la volonté de faire progresser la recherche, d’étudier l’histoire de l’Histoire, il est bien légitime de tout remettre en question. Ce n’est pas moi qui refuserait une analyse critique de l’Histoire car je dis assez souvent qu’il n’y a pas d’objectivité en ce domaine où les vainqueurs valorisent leurs exploits, réels ou supposés, où le temps pose une chape réconfortante sur les événements douloureux qu’il convient de ne pas briser sous peine de faire resurgir les souffrances. Pour autant, analyser l’histoire, la critiquer n’implique pas de la nier. On peut considérer un fait comme exagéré à condition de l’avoir étudié en profondeur et non sur un simple présupposé. Quand en outre on réfute avec des arguments erronés, on ne sert pas la science.

Oui, le déconstructionnisme historique, à supposer qu’il puisse exister au-delà de l’analyse critique déjà largement employée par les historiens depuis l’Antiquité, peut émettre des doutes et des hypothèses, mais il ne peut alors le faire qu’en ayant l’obligation d’apporter d’autres témoignages et preuves plus convaincants que ceux qu’il prétend réfuter.

Un déconstructionnisme qui se contente de nier sans autre argument que la bonne foi ou la position hiérarchique de celui qui veut imposer son point de vue, ne serait rien d’autre que du négationnisme pour les faits qu’il réfute et du révisionnisme pour l’Histoire qu’il entendrait ainsi modifier.

La déconstruction de l’histoire religieuse est-elle possible ?

Vous l’aviez peut-être compris, le centre de mon sujet est la « déconstruction » de l’histoire du Catharisme qui fait florès depuis quelques années. S’il s’agit de redresser d’éventuelles erreurs historiques, je ne vois rien à y redire. Même les témoins les plus honnêtes et les documents peuvent raconter une histoire inexacte car privée de l’objectivité et de la totalité des sources nécessaires à sa compréhension. Nous savons très bien que Guilhem Bélibaste ne fut pas le dernier Chrétien cathare en terre occitane, mais nous ne savons pas s’il y eut d’autre « Cathare » exécuté après lui car nous ne disposons que d’une partie des sources inquisitoriales nécessaires à une telle affirmation. Nous savons très bien que les témoignages des paysans interrogés par l’Inquisition doivent être étudiés avec méfiance car ils sont entachés de fioritures destinées à minimiser leur culpabilité ou à imager par des références souvent païennes des récits un peu fades. De même l’Inquisition, par sa syntaxe et par son obsession à faire avouer des faits précis, à laissé des pans entiers de connaissance du Catharisme dans l’oubli.

Mais si l’on veut déconstruire sans détruire, il faut connaître finement la construction afin de savoir ce qui est faisable et ce qui ne l’est pas. Or, l’histoire des religions à ceci de particulier qu’elle n’étudie pas la religion mais les faits qui l’entourent. Du coup il y a coupure, pour ne pas dire dichotomie voire schizophrénie, entre l’événement et ce qui le motive, c’est-à-dire la motivation et la raison religieuse que l’on appelle généralement la doctrine. Car un religieux agit prioritairement en fonction de ce que lui dicte sa doctrine et non en fonction de motivations sociales ou politiques qui la contrediraient. Enfin, en général, car on note aussi que certaines religions n’hésitent pas, quand elles y voient un intérêt supérieur — servant plus souvent les responsables que la religion elle-même — à oublier opportunément leurs obligations doctrinales quand elles ne les modifient pas pour les faire coller à leurs intérêts bien mondains.

Donc, pour annoncer que le Catharisme n’a jamais existé et qu’il ne s’agissait que d’une dissidence catholique, il faut en connaître finement la doctrine pour la comparer à d’autres groupes dissidents et vérifier qu’il n’y a pas incompatibilité entre cette hypothèse et la réalité. En effet, un dissident en matière de religion se pose en contradiction du courant principal sur la base d’une critique ou d’un apport doctrinal jugé indispensable. C’est le cas de plusieurs schismes comme l’Orthodoxie qui refusait certains éléments doctrinaux catholiques, comme la Réforme qui considérait que les responsables catholiques avaient eux-mêmes déviés de la droite doctrine, comme le firent avant eux de nombreuses dissidences au Moyen Âge comme les Vaudois notamment. Mais les Cathares ne déviaient pas d’un corpus doctrinal dont les fondamentaux demeuraient les mêmes. Quand on dit que celui qui est considéré comme Dieu le père créateur du ciel et de la terre est le diable, on est loin d’une dissidence. Quand on dit que nul n’ira en enfer et qu’il ne sert à rien d’œuvrer pour son salut car il nous est acquis, on est loin de la différence d’appréciation.

Ces points sont fondamentaux pour la recherche historique mais elle s’interdit d’en user, se privant ainsi d’informations utiles à la fois pour associer et pour dissocier les groupes religieux en opposition avec le groupe dominant. En effet, quand on retrouve les mêmes éléments entre deux groupes géographiquement distants, peu importe leur nom ou les variations doctrinales secondaires. Ils sont forcément de même nature. À l’inverse comme cela est expliqué à Cologne, quand on a deux groupes mélangés dont certains membres prônent une pauvreté soutenue par des dons et des aumônes alors que l’autre se l’interdit et exige un autofinancement par le travail manuel, il est clair qu’ils n’ont rien à voir l’un avec l’autre.

Alors, messieurs les grands intellectuels, les surdiplômés de l’histoire, commencez donc par apprendre les bases nécessaires à la maîtrise du Catharisme et ensuite, nous discuterons des détails historiques.

Avec ma profonde Bienveillance.

Éric Delmas, 21 décembre 2016.

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