La liberté d’expression

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La liberté d’expression

On fait généralement remonter à la Révolution française le principe de la liberté d’expression. En fait, il est vrai qu’elle est alors devenue la règle, mais elle était déjà pratiquée et réprimée depuis longtemps.

Après avoir connu des hauts et des bas dans sa méthodologie et dans son champ d’application qui ont, de fait, défini ses limites et celles de sa répression, elle est aujourd’hui encadrée de façon souple et appréciée au cas par cas par les tribunaux afin de compenser en permanence les tentatives de transgression dont elle l’objet permanent, dans un sens comme dans l’autre. C’est ainsi, que certains pouvoirs se sont vus déboutés quand ils essayaient de faire valoir ce qu’ils considéraient comme des excès et que certains humoristes l’ont été également quand ils ont tenté d’en élargir le cadre.

Aujourd’hui on pourrait simplifier les choses en disant que l’on peut se moquer de tout à condition que la moquerie soit globalisante mais qu’il est interdit de dénigrer spécifiquement une personne ou un groupe de personne de façon à les mettre en situation d’être stigmatisés vis-à-vis du reste de la population. Il y a une exception à ce principe qui permet d’être un peu plus intrusif envers les personnes qui font de la médiatisation une règle de vie destinée à les aider dans leurs activités personnelles ou professionnelles. C’est le cas des politiques, des artistes mais aussi de certaines personnalités religieuses ou charismatiques. Inversement, le curseur est un peu plus restrictif quand la moquerie ou l’agression touche des personnes en raison de leurs choix spirituels et religieux qui sont considérés comme plus sensibles. La loi est même plus précise en signalant des délits visant les juifs (et non pas simplement le judaïsme) ou telle ou telle personne de confession juive et, depuis peu, les musulmans ou telle ou telle personne de confession musulmane.

Ces deux exceptions sont le fait de notre histoire. Pour les juifs, la France qui traîne historiquement un soupçon d’antisémitisme chronique tient à faire évoluer les mentalités de sa population vis-à-vis d’une communauté culturellement accusée de divers maux et régulièrement agressée en raison à la fois de son apparente auto-exclusion de la société, en raison d’un mode de vie considéré comme fonctionnant en cercle fermé, et pour son apparente intrication dans les cercles de pouvoirs que certains considèrent comme une tentative de mainmise sur le pays. Ce paradoxe survit à toutes les époques depuis le Moyen Âge jusqu’à nos jours. Concernant les musulmans, le problème est un peu différent. Cette religion récente, comparativement au judaïsme et au christianisme, a toujours été considérée comme agressive, même si le christianisme n’a pas grand chose à lui envier en la matière et si le mouvement juif sioniste est lui-même fortement agressif depuis la fin de la seconde guerre mondiale. En outre, religion des minorités sociales, l’Islam souffre d’un déficit de reconnaissance et sert régulièrement de centre de stigmatisation destiné à le ravaler à un rang qui ne correspond pas à celui que le nombre de ses adeptes lui assigne. Cet ostracisme latent favorise l’expression des groupes radicaux qui montrent l’injustice dont sont victimes les musulmans modérés et qui justifie une réaction destinée à éviter des mesures agressives encore plus fortes à l’encontre des musulmans. C’est pourquoi ces deux religions sont distinguées dans la loi, ce qui n’est pas le cas de religions chrétiennes qui, soit ont toujours été dominantes et donc à l’abri de ce genre de problème, soit ont fini par régler en interne au pays leur expansion qui s’est faite dans le sang et les larmes du XVIe au XVIIIe siècle.

La France est donc un pays où la liberté d’expression s’exerce dans tous les domaines, y compris dans le domaine religieux. C’est un cas rare dans le monde, voire un cas unique. En effet, si la restriction à la liberté d’expression politique est clairement le fait de régimes autoritaires voire de dictatures qui sont facilement indentifiables et unanimement réprouvés par la communauté internationale, la restriction à la liberté d’expression religieuse est beaucoup plus répandue qu’on ne le pense car la plupart des pays ont maintenu un lien étroit entre pouvoir politique et pouvoir religieux. La France a coupé ce cordon ombilical au début du XXe siècle. Cela est formalisé par la loi dite de 1905 qui institue de fait une totale indépendance entre le pouvoir politique et les pouvoirs religieux. Par ce fait, l’État s’impose de considérer tous les cultes à égalité et fixe leur cadre d’expression de façon très précise, introduisant dans le fonctionnement normal du pays un concept particulier qui est celui de la laïcité.

La laïcité et les courants de pensée religieuse et philosophique

À partir du moment où le pouvoir politique se déclare laïque[1], il s’interdit dans son fonctionnement toute référence à un culte particulier et donc tout ostracisme envers les autres. La laïcité ne doit pas être confondue avec l’athéisme qui est en fait considéré lui aussi comme un courant de pensée philosophique, traité à égalité avec les religions et les autres courants de pensée.

La laïcité permet de garantir à tous d’être considéré à égalité dans tous les actes de la vie sociale sans pour autant être discriminé dans leurs droits à exprimer leurs choix philosophiques ou religieux. Pour simplifier, une personne peut se rendre dans un édifice public en arborant des signes visibles de son appartenance religieuse ou philosophique, sans que la personne qui la prend en charge, au nom de l’État, puisse tenir compte de cette appartenance pour lui appliquer un traitement spécifique, et sans non plus que cet employé de l’État puisse affirmer de son côté des choix philosophiques ou religieux spécifiques.

La France qui a fait le choix de l’intégration de tous dans la communauté française, voulue une et indivisible, a voulu créer un statut unique qui rejette dans la sphère privée toute distinction spécifique. Ce choix n’est pas celui d’autres pays où le religieux côtoie naturellement le domaine public. Et il n’est pas besoin d’aller bien loin pur le constater. La société aux États Unis d’Amérique affirme clairement son christianisme, que ce soit lors de la prestation de serment du Président qui se fait sur la Bible ou sur ses billets de banque qui rappellent que le peuple se fie à Dieu (In God we trust). Plus proche de nous, le Royaume-Uni lie également politique et religieux puisque son chef de l’État officiel, la Reine, est également le chef de l’Église anglicane qui est le courant religieux officiel. Mais il existe des pays où le religieux est encore plus prégnant sur la société. C’est le cas notamment d’Israël, qui même sans prétendre officiellement se soumettre totalement au judaïsme est considéré en interne comme en externe comme l’État juif, car ses choix d’existence et d’expansion s’appuient sur cette religion. C’est aussi le cas de la fédération de Russie et, d’une certaine façon, de la Grèce où le pouvoir indirect de l’Église chrétienne orthodoxe influence fortement le pouvoir politique. Et, bien entendu, il y a des pays qui affirment la primauté du religieux sur le politique, c’est que nous appelons des théocraties. Celle que l’on oublie facilement tant son existence est une évidence de cette approche est le Vatican. Aujourd’hui, les théocraties musulmanes sont celles que nous voyons de la façon la plus claire mais il en existe d’autres dans d’autres religions.

La France a eu du mal à se libérer de l’emprise du catholicisme sur sa vie quotidienne, tant il est vrai que les mentalités évoluent bien plus lentement que les sociétés. Il n’y pas longtemps que l’on ne prête plus serment au tribunal sur la foi catholique et que les établissements publics ont éliminé les crucifix de leurs murs. La loi sur le voile n’a toujours pas touché les religieuses catholiques, même si leurs congrégations ont fait des efforts vis-à-vis de celles qui sont amenées à exercer auprès du public. Aujourd’hui cependant, et même si certains esprits ont du mal à admettre cela, la laïcité est quasi unanimement pratiquée en France, ce qui n’empêche pas quelques dérapages, comme on a pu le constater avec l’affaire de la crèche installée dans une mairie. Mais notre particularisme ne doit pas nous masquer qu’il n’est pas surprenant de constater des comportements différents ailleurs. Il n’y a rien de surprenant à ce que tel ou tel pays refuse de faire la publicité d’une caricature religieuse qui est considérée comme normale en France, puisque ailleurs c’est considéré comme irrespectueux. Nous devons donc tolérer ce rejet des autres mais nous pouvons exiger en retour le respect de nos propres choix pour ce qui concerne cette expression chez nous. Il est donc tout aussi intolérable que l’on menace ou détruise les représentations de la France à l’étranger et, a fortiori que l’on moleste ou assassine un français pour cela.

L’autre problème de la laïcité en France c’est la tentative mainmise du courant philosophique athée qui essaie de faire admettre que la laïcité serait le rejet des religions. Chacun doit demeurer libre d’exprimer ses choix religieux tant qu’il ne le fait pas en étant dans un cadre où il incarne la République française et tant qu’il n’impose à personne d’agir en accord avec sa conception philosophique ou religieuse. Se pose dès lors la question du voile islamique à l’école. Soit l’on considère que l’école de la République doit être la parangon de l’égalité de tous afin de mieux enseigner l’esprit républicain aux enfants, et il faut dès lors gommer toutes les différences entre les élèves. C’est ce que faisait l’école républicaine à ses débuts en imposant une tenue vestimentaire unique et identique. Soit on considère que chacun peut conserver à l’école des éléments identitaires de sa position sociale et l’on doit alors tolérer le voile aussi bien que les vêtements de marque ou les objets onéreux (bijoux, téléphones portables, etc.). Bien entendu, des restrictions peuvent être imposée pour des raisons d’indentification ou de sécurité.

Pour résumer, je dis donc que la laïcité est une règle qui permet à la société française d’accueillir en son sein toute la diversité de pensée, en lui laissant une large place d’expression mais en assurant à chacun qu’il ne sera pas traité différemment selon ses propres choix. Cela pose donc aussi la question de la participation de l’État dans les moyens donnés aux religions. Aujourd’hui, pour des raisons historiques, le judéo-christianisme est favorisé alors qu’il faudrait faire comme pour les partis politiques, autoriser un financement correspondant à la représentativité réelle de chaque courant de pensée au sein de la population. Ce financement serait bien entendu partiel, les membres de chaque communauté ayant à charge de le compléter pour permettre à chaque groupe d’être autonome. Cela concerne bien entendu aussi bien les groupes religieux que les groupes qui ne le sont pas, comme par exemple, les francs-maçons.

Le catharisme et la liberté d’expression

Comme le disait récemment un intellectuel musulman, M. Tariq Ramadan, ce qui importe c’est la connaissance. Ce qui crée les pensées étroites et qui débouche souvent sur la haine, c’est le manque de connaissance de s divers courants de pensée et, bien du sien propre. Or, le catharisme est très particulier de ce point de vue, car il place la connaissance en premier lieu. Rappelons-nous de la prière des croyants cathares, le Père saint : « Donne-nous de connaître ce que tu connais et d’aimer ce que tu aimes ». Les cathares faisaient à la connaissance une place prépondérante. C’est grâce à l’enseignement et à la connaissance que l’on peut espérer accéder à l’éveil. C’est en approfondissant sa connaissance et en mettant en pratique ce que nous avons appris que l’on progresse dans notre cheminement et que l’on peut espérer atteindre l’état de détachement suffisant qui nous permettra, un jour ou l’autre, d’être dignes de la grâce divine.

Forcément, les cathares, croyants ou bons-chrétiens, ne sont pas réfractaires à l’humour. Les récits de témoins montrent même qu’ils étaient souvent adeptes de cette forme d’expression, ce qui n’était pas toujours du goût de leurs interlocuteurs. Ils acceptent bien volontiers d’être brocardés, particulièrement si cela est fait en connaissance de cause. Ce qui peut agacer c’est d’entendre toujours les mêmes remarques qui dénotent à la fois l’inculture et une forme de peur répulsive de leurs détracteurs. Le catharisme n’est pas dogmatique. Il accepte toutes les critiques argumentées et n’hésite pas à se remettre en cause, sans même attendre que l’interrogation vienne de l’extérieur de ses rangs. Étant eux-mêmes des pratiquants assidus de la liberté d’expression, ils ne peuvent la dénier à quiconque, mais ils sont aussi respectueux de l’indépendance nécessaire de l’espace public vis-à-vis de leur religion. Ce sont donc des laïques convaincus.

Éric Delmas – 17/01/2015


[1]. Ne pas confondre laïque qui définit ce qui est conforme à la laïcité et laïc qui définit une personne ou un comportement qui n’appartient pas à une institution religieuse.

 

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