À l’épreuve des faits

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À l’épreuve des faits

Le recul des compétences naturelles

Il est encore beaucoup trop tôt pour se lancer dans de grandes analyses, mais il me semble intéressant de proposer quelques pistes de réflexion à tout un chacun.

Les événements actuels nous ramènent à des considérations sur la nature humaine et sur les concepts souvent abscons de la philosophie et de la religion que nous avons oubliées depuis longtemps… trop longtemps.

L’être humain moderne est fragile, très fragile, mais il n’en a pas conscience. Aux débuts de l’humanité, c’est en prenant conscience de sa fragilité que l’être humain a fait des choix qui lui ont permis de survivre dans un environnement hostile en faisant usage de capacités pourtant peu adaptées aux difficultés rencontrées.

Se couvrir d’une peau de bête pour compenser une toison trop fragile, se regrouper en nombre suffisant pour optimiser la recherche de nourriture et améliorer la défense contre les prédateurs, fabriquer des objets manufacturés pour compenser l’absence de griffes et de crocs suffisamment puissants, se tenir debout pour voir l’environnement faute de disposer d’une ouie et d’un odorat efficaces, sont des moyens qui nous ont permis de survivre et de dépasser les autres espèces. Mais, en même temps cela a permis à un animal peu adapté de prospérer quand la règle naturelle est la survie du plus fort, du plus adapté et du plus à même de supporter des changements brutaux.

Plus nous avons amélioré notre environnement, pour le rendre conforme aux besoins de notre fragilité, plus nous avons conforté un statut anti-naturel. En outre, nous avons également modifié l’environnement qui s’est fragilisé et nous avons aboli les frontières naturelles qui permettaient de développer la diversité des espèces animales et végétales garantie d’évolution. En effet, si les continents étaient restés soudés comme au temps de la Pangée, les modèles auraient été bien moins nombreux et seules deux ou trois espèces de prédateurs auraient subsisté, de même de la flore aurait vu sa diversité fortement diminuer et aurait entraîné une raréfaction des espèces herbivores. Or, cette diversité nous l’avons supprimée par la mondialisation des transports et des échanges. C’est pour cela que des espèces endémiques se sont étendues à tous les continents et on supplanté des espèces locales moins bien préparées à leur résister. Il en résulte une diversification des maladies qui s’étendent et qui peuvent tester leur capacité à toucher plus ou moins d’êtres vivants sur l’ensemble de la planète et dans la diversité des climats.

L’extension, la mondialisation biologique, le recours systématique à la technologie pour résoudre les problèmes, nous ont conduits à une impasse. Mais ce n’est pas obligatoirement le plus grave.

L’individualisme, prélude à l’extinction

Quand l’homme se savait faible face au monde, il a eu l’excellente idée de se regrouper en systèmes plus complexes. Certes, comme nous l’a très bien montré René Girard, cela a provoqué des problèmes, mais cela a permis l’évolution de notre espèce qui aurait sans aucun doute disparu sans ce choix essentiel.

Le regroupement permet d’améliorer la protection de chacun par la démonstration de force, comme ces poissons qui dans les océans nagent en bancs serrés pour dissuader les prédateurs. Il permet aussi d’améliorer la recherche de ressources alimentaires. Avant ces regroupements les hommes étaient des cueilleurs de baies et de racines et, quand la chance était avec eux, ils pouvaient trouver un animal mort pour améliorer leur ordinaire. Avec le regroupement, le piégeage d’animaux plus gros est devenu possible et, une fois l’animal pris au piège, on le tuait à coup de pierre. Le regroupement facilité le partage d’idées et d’expériences qui débouche sur des choix comportementaux et sur des inventions qui améliorent grandement la vie.

L’individualisme n’a pas sa place dans la nature. On le voit chez de nombreuses espèces, l’animal malade ou trop vieux est exclu du groupe, ou s’exclut de lui-même, pour vivre une existence aussi solitaire que courte. Même les animaux apparemment solitaires pour des raisons de territoires nécessaires à la recherche de proies, se regroupent régulièrement.

Mais l’homme a inventé l’individualisme à partir du moment où il s’est rendu compte qu’il pourrait toujours trouver ce qu’il ne pouvait pas produire et se l’accaparer grâce aux échanges commerciaux. En fait l’individualisme est l’enfant de la civilisation.

Comme dans une pyramide des âges, l’élévation dans la chaîne alimentaire, que procure l’intelligence supérieure de l’homme, lui a également créé un handicap majeur et mortel. En effet, plus il s’élève et plus il s’isole. Or, plus on s’isole et plus on perd l’avantage de l’expérience et des inventions des autres. Les dinosaures dominaient la planète, mais ne vivaient qu’à sa surface quand de nombreuses espèces alternaient la vie en surface et en sous-sol. Quand est survenu l’accident que l’on sait, la vie en surface est devenue impossible pendant une longue période. Du coup les petits animaux qui ont su se mettre à l’abri ont survécu et les dinosaures qui en étaient incapables ont disparu.

L’homme, dinosaure moderne, est dans la même situation. Incapable subvenir individuellement à tous ses besoins, il ne peut survivre qu’à condition qu’un groupe structuré lui apporte ce qui lui est nécessaire en échange de ses propres apports. Mais l’argent est venu modifier sensiblement cette équation plutôt vertueuse. Initialement destiné à simplifier le troc de produits et services utiles contre d’autres tout aussi essentiel, il est devenu petit à petit un produit en soi. Or, l’argent ne se mange pas, on ne peut s’en vêtir, il ne permet aucune défense ni n’aide à se protéger de l’environnement. L’argent n’est utile qu’autant que l’on trouve quelqu’un qui souhaite se l’approprier en se délestant des éléments essentiels dont nous avons besoin.

L’immense majorité des hommes est ainsi devenue incapable de s’auto-suffire et ne compte que sur la bonne volonté de nombreux autres pour y parvenir. Ce n’est pas de la solidarité, c’est de la dépendance. On le voit, dès qu’un élément jugé essentiel vient à manquer, ceux qui en disposent ne le mettent pas au profit de ceux qui en manquent : ils se contentent de les exploiter en en rendant l’accès beaucoup plus cher ! L’individualiste ne réfléchit pas plus loin que le bout de son nez.

Celui qui se procure de façon illégitime des masques isolants, pour essayer de les revendre à prix d’or, pense à son profit immédiat, mais il ne se demande pas ce qui pourrait lui arriver si son comportement abouti à une extension de la maladie dont il finira par être lui-même victime !

Quand vous mettez des rats dans un environnement riche en nourriture, ils se reproduisent rapidement pour s’étendre, mais si vous restreignez brutalement la nourriture, ils tuent les plus faibles pour adapter leur population aux ressources. C’est brutal, mais terriblement efficace. Pas étonnant qu’ils aient survécu à tant de catastrophes qui nous ont décimées.

La vision de l’avenir

L’individualisme empêche de se projeter dans l’avenir pour anticiper les catastrophes annoncées. Comme l’instinct de survie fait perdre toute cohérence aux comportements et conduit parfois à un résultat pire que le danger initial, comme les moutons qui se jettent d’une falaise pour échapper à un prédateur, l’individualisme pousse ses adeptes à nier les risques à venir au profit d’un avantage mineur immédiat.

Pourtant à quoi sert-il de gagner facilement de l’argent tout de suite si je dois mourir bientôt d’une maladie que mon comportement aura permis de se diffuser plus largement, y compris jusqu’à moi ?

La vision de l’avenir n’est pas de voir loin, mais de voir globalement. En haut de la pyramide on voit loin, mais on ne voit pas la globalité de ce que l’on domine. Du coup, les messages d’alerte nous échappent et la vision lointaine ne sera jamais réalisée car nous serons tombés avant de l’atteindre.

La vision de l’avenir développe la réflexion, la cohérence et la logique. Ces trois qualités sont essentielles à la survie. Elles évitent la panique face à un événement immédiat, mais permettent de l’analyser et d’y trouver une solution qui n’entraîne pas des conséquences encore plus néfastes. Elles permettent de comprendre en quoi un comportement actuel peut donner lieu à une catastrophe non encore réalisée. Elles donnent des orientations visant à améliorer durablement l’évolution de l’espèce.

Or l’humanité a toujours fait exactement le contraire. Nous sommes comme les habitants de l’île de Pâques, plus préoccupés de manifester leur supériorité sur les autres tribus plutôt que de préserver l’écosystème qui assurait leur survie. On connaît le résultat. Sauf que nous avons globalisé ce comportement à l’échelle de la planète. Or, nous n’avons pas de base de repli en cas de catastrophe.

La vision de l’avenir est de savoir rester humble face à un environnement qui nous dépasse de loin. Mais l’homme, conscient à l’extrême de son extraordinaire évolution, ne supporte pas l’idée qu’il ne soit pas le dieu de la terre. Donc, ignorant ce qui le dépasse, il prétend au contraire le contrôler. Mais on ne contrôle pas ce que l’on ne maîtrise pas. Du coup, l’homme méprise ce qu’il ne maîtrise pas jusqu’à ce qu’il réussisse à le contrôler et là, au lieu d’admirer sa découverte, il casse son jouet trop fier d’avoir su être le plus fort.

Mais la nature est patiente ! Elle sait faire le dos rond, comme le roseau de la fable, et attendre des jours meilleurs. Comme le prisonnier qui scrute ses gardiens jour après jour, la nature attend patiemment de découvrir nos failles et elle les exploite pour se protéger de nos agissements à son encontre. Il est quand même amusant que personne ne se soit interrogé sérieusement sur quelques phénomènes inquiétant. Par exemple, plus le niveau de vie s’élève et augmente la durée de vie, plus la fertilité diminue. Au lieu de chercher des alternatives à la procréation naturelle, ne pourrions-nous pas nous interroger sur ce phénomène ? Plus nous créons des outils pour nous faciliter la vie, plus leur fonctionnement dégrade notre environnement et nous promet une vie future plus difficile. Ne pourrions-nous pas, au lieu d’empiler les technologies pour que chaque niveau tente de compenser les défauts du précédent, essayer de trouver un juste équilibre entre avantage et inconvénients ?

Changer ou disparaître

Notre avenir va se jouer à l’épreuve des faits.

Si nous ne revenons pas à nos fondamentaux d’une vie plus harmonieuse avec son environnement, d’une solidarité active basée sur le bien-être général au lieu de l’accumulation de produits incapables de nous aider directement, nous allons à l’extinction rapide de notre espèce. Cela ne fait qu’un petit million d’années que notre espèce (Homo) est sur terre et nous entrevoyons déjà notre fin.

Aujourd’hui un virus relativement peu destructeur nous met en panique, faute d’avoir la capacité à réagir intelligemment collectivement. Demain, imaginez-en un autre, avec la mortalité d’Ébola (+ de 50%). Non seulement sa croissance exponentielle exposerait à une mort rapide plus de la moitié de la population, mais la désorganisation liée à l’individualisme conduirait la plupart des autres à la mort par incapacité à s’adapter au phénomène. Et, le nombre restant sera trop faible pour survivre longtemps. Au total, un seul petit virus pourrait nous effacer de cette planète à cause de notre attitude et non pas en raison de sa virulence réelle.

On le voit aujourd’hui. Pour des raisons strictement économiques — c’est-à-dire dans le simple but d’économiser ou de gagner de l’argent — les pays se sont réorganisés en se spécialisant. Les uns consomment, les autres produisent. Mais il suffit de les producteurs se voient obligés de stopper leur production et les consommateurs sont impactés à leur tour. Imaginez que chaque pays produise et consomme ce dont il a besoin. Les échanges seraient beaucoup plus faibles et ne toucheraient que des produits très spécifiques non essentiels. Du coup quand un pays se trouve impacté par un problème sanitaire ou physique, les autres conservent leurs capacités intrinsèques et peuvent manifester leur solidarité au pays concerné. La perte d’un maillon de ce type de chaîne n’entraîne pas la rupture de toute la chaîne. Certes cela aurait comme conséquence de mettre au chômage les spéculateurs et les intermédiaires qui gèrent des produits fabriqués par les uns et consommés par les autres sans jamais avoir eu à faire quoi que ce soit d’autre que de prélever leur bénéfice au passage. Mais pour produire localement, il faut plus de bras dans les champs et dans les entreprises. Ils pourraient facilement trouver du travail dont la finalité leur apparaîtrait enfin.

Nous n’avons pas beaucoup de temps pour changer ou disparaître.

Guilhem de Carcassonnes – 20/03/2020

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