Ascèse et Bienveillance

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Ascèse et Bienveillance

Comme je vous l’ai déjà indiqué sur la page Facebook de la maison cathare de l’Aude, j’ai repris mon habitude de jeûne. Pour l’instant je ne jeûne qu’un jour par semaine, le vendredi et, à la façon cathare qui est plus une abstinence alimentaire qu’un véritable jeûne.

En effet, aucun liquide n’est écarté, exceptés ceux conteant de la pulpe, et un apport solide est assuréle midi sous la forme de pain. En comparant la taille des pains médiévaux, j’ai estimé cet apport entre 80 et 100 grammes.
Mais le jeûne n’est pas une fin en soi ; il s’inscrit dans une dynamique visant à la fois à la régression de la part mondaine et à l’amplification de la part spirituelle qui s’exprime par la Bienveillance (Amour absolu). Pour ce qui concerne la part mondaine, l’objectif est de ne pas céder aux sollicitations de notre corps qui est programmé pour ingurgiter autant de nourriture que possible afin d’anticiper des périodes de disette, comme cela se produisait couramment à l’époque préhistorique, et même parfois après. Certes, dans notre quotidien nous freinons déjà cet élan puisque nous avons un libre accès à la nourriture. Mais, d’une part nous avons une alimentation plus riche et plus saine qui réduit d’autant nos besoins réels en volume et, d’autre part nous avons une activité bien moindre qui réduit également nos besoins en terme de calories. Pour ce qui est de l’essor spirituel, l’objectif est à la fois de libérer du temps pour s’adonner à des activités de méditation et de réflexion, mais aussi de faciliter l’élévation spirituelle par la mise en retrait de l’ego qui favorise la part mondaine.

Réduire la part mondaine

En quoi le jeûne est-il un bon outil pour réduire en nous la prégnance de notre part mondaine ?
On pourrait penser, à juste titre, qu’au contraire, face à l’agression d’un manque de nourriture, notre corps pourrait chercher à prendre le pas afin d’obtenir au plus vite cette manne alimentaire qui lui fait défaut. En réalité, c’est ce qu’il fait, notamment au début quand on commence les jeûnes et que, de fait, on surprend le corps par cette attitude.
Mais, plus ces jeûnes se répètent, plus le corps s’y habitue et s’y adapte. Ainsi, il tend à se mettre au repos pendant ces périodes pour éviter de puiser dans ses réserves. Il est donc courant que ces jeûnes débouchent sur une baisse d’activité physique, ce qui favorise l’activité intellectuelle, d’autant qu’alors un temps non négligeable est libéré par l’abandon des activités relatives à la préparation, à la prise et aux actions domestiques en rapport avec l’alimentation. Mais il est un autre point, très important, qui peut nous échapper si nous n’y prenons garde.
En effet, la plupart d’entre-nous s’alimente de façon dite omnivore, c’est-à-dire en faisant la part belle aux apports d’origine animale. Même les végétariens consomment encore des produits d’origine animale et ils ne représentent que 5% environ de la population française. En fait, seuls les végétaliens s’abstiennent totalement de consommer le moindre produit animal, mais ils sont très peu nombreux (moins de 1%) et ne sont jamais pris en compte dans les études. Pourtant, ils pourraient nous renseigner sur un point, surtout quand ils deviennent végétaliens et qu’ils commencent à en ressentir les effets. L’absence de toute forme d’alimentation animale, directe ou indirecte, non raisonnée ou apparemment respectueuse de la vie, provoque bien plus que des changements physiques chez ceux qui en font le choix. En effet, cela crée une sorte d’équilibre psychologique qui abaisse notablement les pics émotionnels pouvant déboucher sur de la violence. Bien entendu, il n’est pas question de prétendre que seuls les végétaliens peuvent être non violents et que les omnivores seraient des brutes épaisses. Par contre, cet apaisement sensuel est notable chez les individus et ce d’autant plus que le caractère était affirmé initialement.
Observer est bon, mais expliquer est mieux. En quoi la suppression d’éléments d’origine animale pourrait expliquer un apaisement sensuel ? Pour les Bons-Chrétiens, la chair animale est fruit de la corruption[1], donc tout ce qui émane d’elle émane aussi de la corruption, et c’est cette corruption qui réveille en nous la part mondaine, la férocité dont nous héritons en consommant cette chair animale et même la moindre part d’elle. On retrouve ce concept dans les civilisations qui prônent la violence. Quand on vainc l’ennemi on s’approprie sa force en mangeant sa chair encore pantelante, tout comme le chasseur mange la chair animale juste après avoir tué celui-ci afin de s’approprier ses vertus. Manger de la chair est le contraire de la Bienveillance ; cela nous enferme dans notre condition mondaine et cela repousse l’esprit dans les tréfonds de la chair. Forcément, quand on fait le choix inverse on rompt cette mécanique mondaine et l’on favorise des dispositions spirituelle de Bienveillance tout en faisant la preuve que cette férocité est sans objet puisque l’on peut vivre aussi bien sans recourir à l’alimentation animale. De même le jeûne vient démontrer que le corps n’est pas mis en danger par le jeûne. En fait, il montre que le corps agit sur nous par un surcroît d’égo. En nous poussant à manger beaucoup et sans cesse, il vise à nous rendre égoïstes, à nous convaincre que nous devons sans cesse nous approprier les biens de ce monde sans nous préoccuper des autres. Notre propre satisfaction devient notre seul objectif. Mais le jeûne ne doit pas être une source de violence. C’est pourquoi il ne s’agit que d’une ascèse et non d’une privation totale. La prise de pain rend le jeûne très supportable et empêche le corps de se manifester trop bruyamment. Il est contraint à se mettre en retrait par un léger affaiblissement alimentaire, mais il n’est pas violenté et peut ainsi supporter sans peine la répétition des jeûnes.
Dans la déposition de Pierre Maury citée ci-dessus on trouve d’autres éléments intéressants. En fait, Prades Tavernier précise qu’il y a deux comportements. Non seulement la restriction alimentaire aux produits qui ne sont pas issus de la corruption charnelle est préconisée en tous temps, mais il est précisé que les aliments riches qui ne sont pas issus de la corruption charnelle doivent être consommés avec modération. C’est la base du choix de trois Jours hebdomadaires au cours desquels les Bons-Chrétiens ne consommaient ni poisson ni vin, c’est-à-dire rien de gras et rien qui puisse éveiller la gourmandise, mais il ajoute que pour bien suivre la voie de Dieu, il faut restreindre l’alimentation au point de ne consommer que des liquides ayant au mieux l’essence des aliments. C’est le sens de l’histoire de la noix dans l’eau bouillie. Non seulement elle est ajustée en quantité (une pour un consommateur, deux pour deux) mais elle est aussi ajustée en qualité. La noix bouillie livre son essence mais rien de solide. Bien entendu il faut appliquer le sens et non la lettre pour ne pas confondre le doigt du sage avec la lune.
Mais il ne suffit pas de réduire la part mondaine pour suivre la voie droite. Il faut aussi développer la part spirituelle. Cela doit se faire en tous temps mais, la période de jeûne est une période privilégiée pour ce faire. Le corps étant au repos et en retrait l’esprit dispose de plus de part d’expression.
Pour autant, sur le plan spirituel, réduire la part mondaine passe par l’élément fondamental de la doctrine cathare. Ce qui fait de nous des prisonniers du monde, c’est notre égo. Tout ce qui nous pousse à nous croire meilleur que l’autre, nous faire croire à une différence qui est un leurre et nous fait croire que, dans cette différence, nous sommes privilégiés. Quelle vanité !
N’oublions pas ce que nous sommes en fait. Nous sommes des parties égarées d’un tout. Ce qui compte c’est le tout car chacune de ses parties est inutile au tout de son propre chef mais est indispensable au tout pour qu’il soit un tout. C’est le sens des paraboles de la brebis et de la drachme perdues. Ce n’est pas en raison d’une valeur particulière qu’elles sont recherchées, mais parce que leur absence montre que le tout est imparfait. De même dans la parabole du fils prodigue, le père est d’autant plus joyeux de son retour qu’il signifie la fin du vide engendré mais qu’une fois retrouvé il redevient comme l’autre fils un élément neutre, ni supérieur ni inférieur, contrairement à ce qu’aurait aimé son frère resté auprès du père.

Développer la part spirituelle

Donc, une fois que l’on a réduit la prégnance mondaine, il faut développer la part spirituelle. Cela n’est pas automatique. C’est même difficile car nous sommes en équilibre instable entre ces deux éléments et dès que l’un faiblit, l’autre progresse.
Le catharisme donne une importance première à la connaissance car il faut d’abord connaître si l’on veut pouvoir mettre en œuvre correctement. Le danger de l’ignorance est de dévier du cheminement valable sans même s’en apercevoir. Mais la connaissance n’est qu’un outil et, dès qu’elle a rempli son office elle doit céder le pas à ce qui est premier en importance : la Bienveillance.
Sommes-nous aptes à apprécier véritablement ce qui est de la Bienveillance dans nos choix et nos comportements ? Dans notre monde moderne il est courant de considérer que ce qui est ancien est obsolète et que nos connaissances sont meilleures que celles de nos anciens. C’est normal, nous sommes dans les siècles de la vanité, de l’égocentrisme et souvent de l’égoïsme. En fait, et on commence à l’observer das d’autres domaines, l’échec de nos choix de vie modernes nous pousse à revenir à des façons de faire anciennes qui avaient fait leurs preuves. Cependant, même dans cette situation nous essayons de nous convaincre qu’ils s’agit encore de modernité. L’exemple le plus amusant que je connais est celui du jardinage. Après les échecs de l’emploi abusif de pesticides, nous revenons aux cultures médiévales qui privilégiaient les petites surfaces mélangeant les espèces végétales de façon à tromper les nuisibles et qui acceptaient les plantes non consommables directement pour leur aide à la culture des autres. Mais plutôt que de dire qu’il s’agit d’un retour en arrière, nous préférons employer des termes modernes comme permaculture pour nous rassurer et nous convaincre qu’il s’agit d’une évolution.
En catharisme la tendance est la même. Alors que les Bons-Chrétiens avaient compris que c’était l’ancienneté dans les bonnes pratiques qui donnait la compétence et qui favorisait la permanence des bons usages, nous sommes tentés aujourd’hui de croire que notre vision moderne peut suffire à remettre en cause leurs choix au prétexte que nous ne nous sentons forcément encore capable de suivre les leurs. C’est par manque d’humilité que nous refusons de voir que nous ne sommes pas encore suffisamment avancés dans notre démarche et que, au lieu de l’accepter et de suivre leurs prescriptions, nous cherchons par des arguties à les remettre en cause afin de pratiquer à notre guise et dans notre confort.
Cela nous pousse à commettre des erreurs d’autant plus graves que nous les pérennisons et en faisons une règle déviante qui ne peut que nous éloigner de notre cheminement. Bien entendu cela se retrouve dans nos choix mondains comme l’alimentation. Au lieu d’admettre que nous ne sommes pas encore capables de pratiquer une ascèse alimentaire conforme à la règle, nous essayons de valider des aliments d’origine animale en les déclarant sains puisque obtenus sans violence. Comme si l’élevage, qui n’est rien d’autre qu’un emprisonnement et une exploitation des capacités animales naturelles, pouvait ne pas être violent ! Comme si l’abus de l’instinct animal qui le pousse à s’épuiser pour produire plus que ce qui lui est nécessaire pouvait ne pas être de la violence ! Les Bons-Chrétiens considéraient à juste titre que tout produit d’origine animale était de la férocité, non seulement quand il s’agissait de détruire une vie animale, mais aussi en ce qu’il nuisait à l’animal dans un domaine où l’homme lui-même se serait senti violenté si on lui imposait quelque chose de semblable. C’est également le cas dans le domaine spirituel. En rejetant certaines règles visant à prémunir l’homme d’un isolement le privant de l’altérité, qui est un miroir permettant de suivre sa propre évolution, ou en le soumettant aux affres de la promiscuité entre les sexes, nous affirmons notre absence d’humilité et notre vanité. Vanité de croire que nous sommes plus puissants que celui qui nous tient prisonniers depuis si longtemps ou de penser que nous pouvons réussir seuls alors que nous avons échoué avec tant de régularité depuis que nous sommes isolés. Manque d’humilité quand nous oublions que nous sommes partie du tout et que nous sommes à la fois inutiles et fragiles.

Nous devons méditer longtemps sur ces points afin de nous imprégner de ces vérités relatives à notre mondanité. Nul ne peut se croire supérieur, même si son entourage le lui susurre, nul ne peut se croire plus fort, même si son égo tente de l’en persuader et nul ne peut penser détenir la vraie voie même s’il détecte des erreurs chez l’autre car nous voyons mieux la paille dans l’œil de notre frère que la poutre dans le nôtre.
Faisons preuve d’humilité, soyons ouverts à la discussion et par l’argumentation et l’introspection revenons à la sagesse de nos anciens, puisque nous caressons l’espoir de prendre un jour leur suite.

Éric Delmas – 25/01/2016


[1] Déposition de Pierre Maury dans le registre d’Inquisition de Jacques Fournier, p. 935

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