Mythe de la tête d’âne (C. Benne)

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Analyse du mythe cathare de la tête d’âne (C. Benne)

«Le salut de nos esprits prisonniers passe donc par l’éveil qui développe notre foi et nous pousse à nous engager dans une voie visant à purifier l’esprit du corps qui le renferme»   Guilhem de Carcassonne

Dans ce mythe si singulier, trois éléments originaux ont retenu plus particulièrement mon attention et dirigé ma réflexion. Certaines de mes questions n’ont pas trouvé de réponse pendant que mes cogitations ont engendré de nouvelles interrogations.

J’ai tout d’abord eu envie de trouver des réponses vraisemblables à la question de Pierre. «Pourquoi un âne?»

Cette question en fit surgir alors une seconde: Et pourquoi un lézard pour représenter l’esprit saint?

Enfin la troisième qui occupe  encore mes pensées, n’ayant toujours  pas trouvé d’éléments de réponse satisfaisant: Pourquoi un crâne comme hôte passager de l’esprit saint?

Ces interrogations m’ont donc, une nouvelle fois entraînée dans cette création humaine, inépuisable et fantastique qu’est  la littérature des mythes et légendes.

Les nombreuses mythologies mettant l’âne en scène s’accordent pour situer l’animal à la croisée de deux symboliques contradictoires. Dans  la symbolique orientale et sémite, l’âne est vénéré: on met en lumière son humilité, sa patience, son endurance, sa douceur et sa sagesse. On loue ses  appréciables qualités : sa serviabilité, sa sobriété, sa constance dans la peine comme dans la souffrance.

Au contraire dans la symbolique gréco-romaine et plus tard indo-européenne, l’âne au cours des siècles personnifiera tour à tour l’ignorance, la bêtise, la folie, la disgrâce, la débauche, l’hébétude et l’entêtement… La liste est longue mais bien inintéressante.

Selon Arnaud Zucker [1] il faut voir dans cette ambivalence, cette stigmatisation d’un animal une mise en situation pour scénariser «le miracle de la conversion, de la rémission, de l’humiliation du Seigneur».

Pourquoi un âne?

La question ainsi posée suggère de manière inconsciente que ce choix aurait dû être autre: pourquoi pas un cheval considéré comme plus noble? Ce dédain bien ancré dans notre subconscient collectif peut trouver un début d’explication dans le mythe grec  antique rapporté dans les «Thériaques» de Nicandre de Colophon [2]. L’histoire raconte:

«Pour remercier les humains d’avoir dénoncé Prométhée le voleur de feu, Jupiter leur accorda l’immortalité . On chargea un âne de porter le précieux présent sur la terre. L’âne, ayant soif, s’approcha d’une fontaine. Le serpent qui la gardait lui permit de boire en échange du trésor qu’il transportait. Le pauvre animal troqua le don du ciel contre un peu d’eau.»

C’est depuis ce temps, dit-on, que les serpents changeant de peau rajeunissent éternellement. L’homme ayant perdu la jeunesse éternelle à cause de l’âne garda pour ce dernier une grande rancune, sûrement égale à celle qu’il gardait pour la femme de ce qu’Ève l’ait fait choir du jardin d’Eden. Cette quête humaine de l’immortalité était déjà présente dans l’épopée de Gilgamesh, à une variante près que dans ce récit Gilgamesh est le seul responsable de la douloureuse perte.

L’âne, monture des dieux gréco-romains

C’est lui qui porte Dionysos pour traverser le marais quand le dieu se rend à Dodone [3]. En échange de ce service, il est doué de la voix et il prend place parmi les étoiles (Âne du Sud et Âne du Nord). Il a aussi sa place dans le culte de Déméter, et Marsyas, l’âne divin vénéré en Phrygie était, à l’instar des Silènes [4], dieu des eaux, des sources et des fleuves.

L’âne dans la culture juive

Au début du IIe siècle, Plutarque [5] écrivait: «Les Juifs honorent l’âne qui leur a montré la fontaine». Le philosophe reprenait alors les dires de Tacite [6] ayant précédemment écrit que  c’était en suivant un troupeau d’ânes sauvages dans le désert que Moïse découvrit une source d’eau. Cette découverte aurait alors sauvé son peuple de la soif. Ces témoignages isolés pourraient expliquer en partie l’«énigme» du Christ à tête d’âne du Palatin. 

Ce graffiti d’Alexamenos, daté entre le premier et le troisième siècle, accompagné de la phrase: «Alexamenos adore son Dieu» a fait couler beaucoup d’encre. La tête d’âne était à cette époque un moyen de se moquer du dieu des juifs, moquerie qui se perpétra à l’égard des chrétiens. Selon l’explication de Fernand Mély [7] le premier auteur ayant accusé nettement les juifs d’adorer une tête  d’âne ne l’aurait pas du tout fait en ces termes. Il n’aurait, en effet, pas prononcé le mot «âne» mais le mot «escarbot» (insecte du genre des scarabées) qui est à rapprocher de deux autres substantifs «canthare» et «cyathe» qui étaient des petits vases servant à verser le vin, décorés le plus souvent de têtes d’ânes. La calomnie qui s’en suivit transforma en véritable accusation ce qui n’aurait été, en premier lieu, qu’un vilain  jeu de mot dépréciateur.

En outre, si Plutarque et Tacite témoignent tous deux de la gratitude juive pour les ânes «découvreurs de source», aucune mention d’un tel épisode ne  semble paraître dans la Bible. La seule correspondance lointaine que j’ai pu relever se trouve dans la Genèse (36-24):

C’est Ana (= âne) fils de Çibeôn qui trouva les sources chaudes dans le désert pendant qu’il faisait paître les ânes de son père.

L’âne humble, animal biblique par excellence

On dit qu’un roi arrivait à cheval quand il était prêt à faire la guerre, alors qu’il montait un âne pour signifier qu’il venait en paix.

Moïse prit sa femme et ses fils, les fit monter sur un âne et s’en retourna au pays d’Égypte (Exode.4-20)

 L’ânesse de Balaam, me semble être dans les Écritures, le plus bel exemple de la symbolique chrétienne de cet animal. C’est un animal qui croit, qui sait où il ne faut pas aller pour maudire Israël, qui voit l’Ange du Seigneur, qui porte et supporte l’étrange devin aussi peu éveillé qu’un disciple. ( Nombres 22. 21-34)

Or l’ânesse vit l’Ange de Yahvé posté sur la route, son épée nue à la main; elle s’écarta de la route à travers champs. Mais Balaam battit l’ânesse pour la ramener sur la route. L’Ange de Yahvé se tint alors dans un chemin creux… l’ânesse vit l’Ange de Yahvé et rasa le mur… Quand l’ânesse vit l’Ange de Yahvé, elle se coucha sous Balaam. Balaam se mit en colère et battit l’ânesse à coups de bâton… «Que t’ai-je fait pour que tu m’aies battue ainsi par trois fois?». Balaam répondit « C’est que tu t’es moquée de moi!» L’ânesse dit à Balaam: «Ne suis-je pas ton ânesse, qui te sers de monture depuis toujours et jusqu’aujourd’hui? Ai-je l’habitude d’agir ainsi envers toi?»

Qui a donc la réputation d’être entêté? Cette magnifique ânesse, ne se contente pas d’incarner la sagesse et l’humilité de la servitude, elle est, en plus, patiente, déterminée sur le chemin à suivre et prête pour cela à tous les sacrifices, notamment celui de subir les coups en silence. Sa certitude dans l’action allant jusqu’à l’opposition à son maître tout puissant fait d’elle une magnifique métaphore de la foi, de la force tranquille de la Vérité  face  à l’errance  du  devin orgueilleux et colérique , complètement aveugle aux signes sur le chemin.

L’ânon, monture du Messie annoncé par Zacharie (Zac9. 9610)

Exulte avec force, fille de Sion! Crie de joie, fille de Jérusalem! Voici que ton roi vient à toi: il est juste et victorieux, humble, monté sur un âne, sur un ânon, le petit d’une ânesse. Il retranchera d’Ephraïm la charrerie et de Jérusalem les chevaux, l’art de la guerre sera retranché. Il annonce la paix aux nations. Son empire ira de la mer à la mer et du fleuve aux extrémités de la terre.

L’arrivée à Jérusalem de Jésus, monté sur un ânon, symbolise son entrée en tant que porteur de Paix. L’humilité de l’un répond à l’humilité de l’autre, allant de pair avec le dépouillement de Jésus. L’ânon emprunté sera restitué, Jésus ne gardant rien pour lui-même. Marc, contrairement à Matthieu et à Luc,  souligne cette absence manifeste de toute emprise de la part de Jésus. Le bruit, les vivats, les marques d’honneurs, les «Hosanna» deviendront d’ici peu trahison, moquerie, couronne d’épine, cris de haine et de mort («Crucifie-le!») renvoyant à la prophétie du vieux Siméon au temple (Luc 2. 34-35). Le silence de Jésus est annonciateur du silence au procès. Ce qui peut rassurer Jésus alors, c’est peut-être bien la présence des deux ânes plutôt que   la foule en liesse.

Pourquoi un lézard pour représenter l’esprit saint?

À l’instar de l’âne, dans les mythologies comme dans les religions, le lézard lui aussi est chargé d’une forte valeur symbolique.

Les hiéroglyphes égyptiens lui attribuaient la bienveillance et le considéraient comme une force du Bien. Dans la mythologie Maya, c’est le Dieu-lézard qui créa la terre. Les caractères singuliers de ce petit animal ont permis de le vêtir de riches signifiants qui expliqueront logiquement ce choix de l’animal dans le mythe cathare.

– Sa propention à se chauffer, immobile sous le soleil l’a relié à la lumière, à la régénération, et au renouvellement.
– Sa capacité à pouvoir reconstituer sa queue coupée et sa faculté de muer,  à l’instar du serpent, en a fait le symbole de la résurrection, notamment chez les Romains.
– Les cultures celtes, quant à elles, reconnaissant ses caractères si particuliers; sa capacité à s’adapter à des milieux de vie hostiles, son aptitude à «se fondre» dans le décor et à rester immobile, sa faculté de percevoir la lumière même les yeux fermés,  lui firent attribuer des dons de prophétie tout en l’associant aux rêves. S’il serait par trop hasardeux  de faire un lien avec la mythologie celte pour notre petit lézard sorti du rêve du dormeur, il n’est pas irraisonnable par contre, compte tenu de la parfaite maîtrise qu’avaient les cathares  des Écritures , de le relier à ce passage de la Bible. (Proverbes. 30. 24- 28):

Il est quatre êtres minuscules sur la terre, mais sages entre les sages […] ( et parmi eux)… Le lézard que l’on capture à la main, mais  qui hante les palais du roi.

Ce petit animal que l’humain peut ne pas  remarquer,  totalement  indifférent aux hiérarchies terrestres, pour qui tout lieu est possible car aucun lieu ne lui est interdit, doué d’ubiquité en quelque sorte, fait penser ici au rôle d’intercesseur entre Dieu et humains (rôle que lui attribuent d’ailleurs certaines cultures africaines). On peut lire aussi dans Actes 17. 30:

Et voici que Dieu, sans tenir compte de ces temps d’ignorance annonce maintenant aux hommes que tous et partout ont à se convertir.

Cet animal, d’apparence insignifiante, compris à l’instar des animaux des fables d’Esope ou de La Fontaine, comme miroir symbolique de l’âme humaine, a des choses à nous apprendre: il importe d’identifier nos faiblesses car la conscience de nos manques nous rendra meilleurs. C’est bien ce que  dit Paul :

«Car lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort.» (II Cor 12.10)

Enfin, la capacité pérenne d’adaptation de ce petit animal présent sur la terre depuis si longtemps c’est peut-être ça aussi la foi… Cette soif absolue qui transcende le temps.

La dimension onirique du lézard  allant librement, indifférent à l’espace et au temps, en fait donc un symbole tout à fait approprié pour représenter l’esprit saint. Le croyant endormi «avait rêvé qu’il était entré dans un grand palais où il y avait beaucoup de tours et de chambres», tel le lézard «qui hante le palais du roi». Le croyant éveillé avait alors vu ce lézard «sortir de la bouche du dormeur, entrer dans la tête d’âne et rentrer dans la bouche du dormeur» car, explique le chrétien consulté aux deux croyants, l’esprit saint a, contrairement à l’âme mondaine, la possibilité d’entrer et de sortir du corps humain.

Lieux et objets du mythe

La mise en scène  de ce court mythe se déroule dans un lieu circonscrit. Au bord d’un ruisseau — traversé par une planche (ou une simple tige) — se  sont arrêtés deux croyants cathares. L’un des deux s’est endormi et nous allons suivre son rêve en direct. Cette scène toute simple, épurée de tout artifice littéraire est  habitée par un extraordinaire souffle spirituel.

Les deux objets dans ce lieu sont le ruisseau et le «pont» (planche); deux objets chargés d’une symbolique spirituelle très forte et universelle.

L’eau

Dans l’inconscient collectif, selon la définition qu’en a fait Jung, l’eau par l’importante variété d’«images archaïques» qui la désignent appartient à la «culture universelle et sempiternelle». Ces nombreuses allégories se croisent, se répètent, se complètent, dans les mythologies comme dans les religions humaines créant une composition mondiale inépuisable. Pour éviter de vous endormir, je vais tâcher d’être concise en vous citant les découvertes les plus marquantes des  auteurs ayant étudié le sujet.

Tous les mythes s’accordent pour souligner le caractère à la fois double et sacré de l’eau et il est intéressant d’ailleurs de voir que ce caractère est  toujours aussi lisible dans les arts contemporains comme le cinéma pour n’en citer qu’un. Nous connaissons tous ces films «à message» que sont «Abyss», « Avatar» ou encore «Noé».

L’eau a une dimension à la fois vitale et mortelle. Dans la Bible, on rencontre les sources de l’Éden mais aussi le Déluge qui porte paradoxalement en lui la valeur positive de l’eau (Yahvé menace, mais promet de sauver; la catastrophe aquatique peut donc se prolonger par la Renaissance).

L’eau, selon G. Bachelard [8] se situe dans la majorité des religions entre le Bien et le Mal, mais symbolise la pureté. De par sa nature, elle est aussi l’élément le plus favorable aux combinaisons, aux mélanges de matières et donc aussi de puissances. En religion, elle peut faire passer d’un état à un autre (exemple: le baptême catholique) et lorsqu’elle est associée à la lune, dans les contes et légendes nous dit Gilbert Durand [9 ],elle permet les métamorphoses.

Dans les mythes et les contes, traverser l’eau est une épreuve censée transformer le héros, le changer d’état, de position sociale, de caractère, toujours dans un but d’amélioration, de purification comme nous avons pu le constater dans les contes cathares précédemment étudiés.

On peut ajouter, pour terminer ce petit tour d’horizon, la distinction intéressante que fait cet auteur sur l’eau douce. Cette dernière, (comprenant bien sûr fontaines, sources, lacs, rivières et fleuves) est, selon ce célèbre épistémologue, plus mythique que l’eau de mer car elle représente l’expérience immédiate de l’être en deçà du langage: cette immédiateté  qu’il nomma «le surréalisme primitif de l’eau» est une première expérience de nos sens en contact avec cet objet avant même de savoir le nommer.

Le pont

 «Voici donc l’épreuve initiatique, le passage du pont. Le lézard-esprit traverse le pont, au moins par deux fois. C’est par une bien modeste image que cette histoire nous montre l’objet essentiel à la réussite de la quête. Le pont est une planche, ou bien même, peu importe, une tige végétale censée relier les deux rives du ruisseau. L’économie de détails nous recentre sur l’essentiel. C’est un pont cathare.

Le pont remplace le passeur, le  cocher Charon qui faisait traverser le Styx, sur sa barque, aux âmes des morts pour les emmener aux Enfers, selon la mythologie grecque.

La représentation du pont la plus ancienne nous viendrait de la mythologie iranienne avec le pont lumineux de Cinvat (ou Tchinoud) attesté dans le livre sacré de l’Avesta,  la religion mazdéenne[10]. Ce pont qui surplombe la porte de l’Enfer doit être franchi par toutes les âmes sans exception. Pour les pieux, le pont s’élargit mais pour les pécheurs il devient plus mince que le fil du rasoir. Dans cette épreuve difficile, il est dit que Mithra peut aider les âmes à franchir le pont.

Le pont As-Sirat dans la religion musulmane, probablement inspiré du pont lumineux de Cinvat, joue le même rôle que ce dernier.

Le pont Arc-en-Ciel, dans la mythologie nordique, est le lieu de passage entre la terre des humains Midgard et le ciel; ville forteresse des dieux Ásgard (les Ases) situé au centre du monde. Ce pont «bifrost» (pont près du froid) suggère le danger; c’est un chemin coloré, tremblant, trompeur. Il est dit qu’il s’effondrera quand les fils de Muspellheim (monde du feu, royaume du géant Surt) le traverseront à cheval lors du Ragnarok (Apocalypse).

Le pont catholique est représenté par le Purgatoire dont je vous épargnerai la description car vous la connaissez déjà. Rappelons-nous juste que les  christianismes cathare, protestant et orthodoxe ne reconnaissent pas l’existence d’un tel lieu.

Dans la littérature profane des légendes et contes universels on ne sera pas vraiment étonné de constater que la symbolique du pont est en fait très proche de la vision spirituelle. En effet, l’image signifiante, là encore, renvoie à l’idée d’épreuve, de rite de  passage d’un état à un autre ou d’un monde à un autre avec toujours sous-jacente une dimension d’accomplissement, de perfection pour le héros (ou l’héroïne) qui nous donne à voir son «identité spirituelle».

De la légende arthurienne du Moyen-Âge — avec les 9 ponts qui mènent au château du Graal, le Pont sous l’Eau ou le Pont de l’Épée qui fera de Lancelot du Lac un «héros christique» — jusqu’à l’image du héros redresseur de torts dans le film «Indiana Jones et la dernière croisade», la symbolique du pont n’a jamais été rompue.

Le pont cathare et l’allégorie du rêve.

Cette image épurée du pont, simple «planche» ou fragile «tige» censée faire le lien entre les deux rives nous replace dans l’essentiel: l’errance du petit lézard  nous enseigne que l’esprit saint peut être prisonnier du corps (partie maléfique de notre être) tout en conservant la faculté de le quitter pour s’en retourner dans le Principe du Bien.

Je reprendrai ici l’analyse déjà faite par Guilhem: l’esprit-saint, partie divine prisonnière ici-bas, est contraint par l’âme et le corps, ce qui explique, nous dit-il, le trouble ressenti s’il ne parvient pas à revenir dans ce corps.  «Le corps du dormeur s’agitant fortement sans pouvoir se réveiller» est la preuve observable de ce phénomène. Sans la planche-pont le passage pour retourner à l’état antérieur n’est plus possible.

Que penser alors de ce lézard-esprit troublé car il ne parvient pas à retourner dans sa prison corporelle? Cette belle allégorie nous représente les prémices de l’éveil à la foi cathare et en même temps la difficulté du lâcher-prise, «moment où la connaissance du Bien demande d’avancer sans garde-fou», moment précis concrétisant l’affirmation de la foi. Le lézard-esprit vient de s’éveiller, le chemin pourra être long avant cette affirmation, il est donc face à cette découverte dans une désorientation totale. Guilhem de Carcassonne explique:

Quand l’esprit saint est dans la tête de l’âne, il s’interroge, il essaie de s’extraire de sa prison mondaine (constituée par son corps + son âme mondaine).

N’y parvenant pas, il n’a d’autre choix, à cet instant précis que de retourner dans sa prison provisoire.

Le crâne décharné m’a personnellement beaucoup interrogé. Si la référence au palais du roi (Proverbes. 30,24-28) est évidente  comment interpréter alors le rôle de ce crâne? On peut, me semble-t-il,  le voir comme  le lieu d’un premier passage dans lequel erre l’esprit, traversant ses trous à la recherche du  chemin qui le ramènera au principe du Bien . Si alors pour expliquer le choix du crâne comme hôte provisoire de l’esprit saint l’on s’appuie sur la Genèse (2.7) qui   situe le départ de la vie humaine dans les narines: (2. 27) «Il insuffla dans ses narines une haleine de vie et l’homme devint vivant.», il importe davantage de se rappeler les paroles de Jean (3.8-21) :

Le vent (=esprit) souffle où il veut. Tu entends sa voix mais tu ne sais ni d’où il vient, ni où il va. Il en est ainsi de tout homme né de l’esprit.

L’Esprit est totalement indépendant des méthodes, des expériences, des systèmes inventés par les humains. Le raisonnement humain ne peut donc ni expliquer ni mesurer comment, où, quand il agit.

Nous devons agir à l’image que nous nous faisons du Bien, afin de nous détacher de notre incarnation maléfique. Aimer en justice et vérité doit être notre seul objectif.  Guilhem de Carcassonne

Si sur votre chemin vous avez la chance de croiser le lézard, pensez à lui prodiguer votre Bienveillance.

Chantal Benne – 04/05/2023


1. Arnaud Zucker, article: «Le symbolisme animal dans le christianisme ancien».

2. Nicandre de Colophon (fin du IIIe siècle avant notre ère) grammairien et poète grec: «Thériaques».

3. Dodone: sanctuaire oraculaire dédié à Zeus et à la déesse-Mère révérée sous le nom de Dioné.

4. Silènes: dieux et déesses secondaires des eaux et des sources (mythologie grecque).

5. Plutarque (46-125): moraliste et penseur grec, philosophe médio-platoniste «Adversus Haereses».

6. Tacite (58-120): historien, philosophe et sénateur romain «Histoire lib V».

7.Fernand Mély (1851-1934) archéologue et historien: «Les dieux ne sont pas morts» dans lequel il traite de la symbolique mythologique et religieuse.

8. Gaston Bachelard ( 1884-1962) philosophe,  épistémologue: «L’imagination de la matière», «L’eau et les rêves».

9. Gilbert Durand (1921-2012) spécialistes des mythes littéraires universels: «Structures anthropologiques de l’imaginaire».

10. Religion mazdéenne: religion traditionnelle de l’ancienne Perse (deuxième et premier siècles avant notre ère) telle qu’elle se perpétue chez les zoroastriens de l’Inde (parsis) et de l’Iran (guèbres) selon Encyclopédie Universalis.

 

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