2-2-Cosmogonie & Mythes

La prison idéale

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La prison idéale

Ainsi que j’en discutais avec un ami, la plupart des gens sont victimes d’un phénomène d’autant plus terrible qu’il ne le perçoivent pas. En effet, la prison mondaine qui nous contraint n’est pas visible et n’est pas ressentie par la quasi-totalité de la population. C’est la prison idéale que celle dont le prisonnier ignore l’existence !

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Qui est l’Antéchrist ?

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Qui est l’Antéchrist ?

Ce personnage récurrent des textes bibliques et néotestamentaires est considéré généralement comme l’opposant direct de Christ. On considère qu’il viendra progressivement détourner l’homme de Dieu au point de remplacer Christ dans l’inconscient collectif. Bien entendu, il ne le fera pas de manière brutale, au risque d’être rejeté, mais subrepticement de façon à ne pas être découvert jusqu’à ce qu’il ne soit plus en mesure d’être éliminé.
Certains l’ont imaginé comme un être humain investi par le Mal d’un pouvoir de corruption des hommes ; d’autres l’ont considéré comme la somme de plusieurs entités, potentiellement multiples elles aussi. C’est de cette dernière hypothèse qu’est venu le nombre 666 représentant le Mal absolu. En effet 6 est le chiffre de l’imperfection — par opposition au 7 qui représente la finitude accomplie —, et l’Antéchrist serait la combinaison de trois formes maléfiques qui combineraient leurs efforts pour vaincre l’idée de Dieu dans l’humanité.
Aujourd’hui, comment pouvons-nous concevoir la possibilité de l’Antéchrist et, par conséquent, en cas de réponse positive, sous quelle forme pouvons-nous l’imaginer ?

Mammon

L’étymologie du nom est encore inconnue, mais selon les langues retenues elle tourne autour des concepts de richesse et de possession. Mammon est donc la manifestation chez l’homme du désir de possession de biens, excédentaires à ses besoins réels, dans le but d’acquérir du pouvoir sur les autres hommes en raison de sa capacité à leur nuire en les privant de ce dont ils ont besoin pour une vie confortable.

Comment définir l’origine de Mammon ?

La volonté de prendre le pouvoir sur l’autre est quasi originelle de toutes les espèces vivantes, végétales et animales. Mais en général cette volonté relevait de l’instinct de survie : une plante s’assure une meilleure alimentation en nutriments et en lumière en éliminant d’autres plantes susceptibles de restreindre son accès à ces éléments essentiels. Avec l’homme les choses vont changer.

Comme nous le rappelle fort bien René Girard dans son ouvrage, désormais célèbre[1], si les animaux ont la capacité de développer un désir mimétique pour ce que d’autres possèdent, l’homme est le seul à pouvoir développer un désir mimétique pour ce que d’autres espèrent posséder. Cette différence est fondamentale puisqu’elle autorise le concept de thésaurisation et de commerce dématérialisé.
En effet, des origines jusqu’au début de la civilisation, l’homme se contentait d’acquérir ce dont il avait besoin pour sa survie et, si une ressource lui était offerte en surplus, il s’en servait comme monnaie d’échange pour une autre qui lui faisait défaut. Ce commerce basé sur le troc se limitait aux besoins à court terme puisque les biens se conservaient très mal dans la durée.

C’est à Sumer, qui inventa la civilisation en même temps que l’écriture, que ce concept changea. Le troc avait un inconvénient majeur. Quand un bien était valorisé de façon importante, le troc créait une disproportion importante dans l’échange nécessaire pour compenser sa valeur. Ainsi, imaginons qu’aujourd’hui un éleveur de poulets veuille acheter une voiture par le simple troc. Il lui faudrait trouver un vendeur de voiture qui accepterait de recevoir des centaines de poulets, de les stocker et de les transporter avant de les échanger à son tour en fonction de ses besoins.

Du troc à la Bourse

Pour résoudre le problème du troc, les sumériens eurent l’idée de graver des jetons d’argile représentant le bien à échanger. Ainsi, chacun venait au marché avec dans sa poche deux plaquettes d’argiles soudées sur trois côtés qui contenaient les jetons des biens à vendre. Il suffisait alors d’échanger ses jetons avec ceux du vendeur du bien désiré. Pour reprendre l’exemple de l’achat d’une voiture, nous n’avons fait que développer ce système en valorisant notre production (poulets, travail, etc.) sous la forme d’argent et en allant acheter la voiture avec la liasse de billets — qui remplacent les jetons d’argile — représentant les poulets vendus. Une innovation a même été inventée : la banque ! Vous déposez vos billets sur votre compte bancaire et vous donnez au vendeur de voiture un bout de papier griffonné dont la valeur, indiquée sous forme de chiffres et de lettres, n’est limitée que par les avoirs de votre compte. Aujourd’hui on peut même remplacer ce papier par une carte en plastique ou par un code tapé sur un site Internet.
Ce système a permis à certains de commencer à spéculer quand la situation du moment le permettait. Si un agriculteur avait beaucoup de blé, mais que peu de meuniers en avaient besoin, ces derniers pouvaient être tentés de dévaloriser le blé et ainsi faire un bénéfice en vendant la farine au même prix. Au final, ce sont les intermédiaires qui ont su se positionner de telle façon qu’en ne produisant rien eux-mêmes, ils s’enrichissaient du travail des uns et des besoins des autres. On le voit l’accumulation d’argent, bien que par définition non affecté à un besoin précis, a permis de créer des richesses, donc de faire entrer Mammon dans nos vies.

Ce qui a provoqué la prise de pouvoir de Mammon sur l’humanité est intervenu au 13e siècle. Tout d’abord, un bourgeois de Bruges (Van der Buerse) en Belgique, avait créé un hôtel où vendeurs et acheteurs pouvaient se rencontrer pour échanger leurs biens. Ce lieu fut appelé hôtel de Buerse, qui devint très vite Hôtel de la Bourse. Mais c’est en France, à Toulouse précisément, qu’en 1250, furent créés les premiers titres boursiers échangeables (Uchaux) par la société des Moulins de Bazacle. Ces titres avaient la particularité de voir leur valeur évoluer selon la conjoncture.

À partir du moment où la valeur d’un titre n’était plus forcément corrélée à celle du produit qu’il représentait, la fluctuation des cours pouvait être influencée par divers mécanismes plus ou moins contrôlables. Surtout, ce fut l’occasion pour les plus malhonnêtes de s’enrichir en manipulant les cours, comme ce fut le cas de la crise du sucre qui ruina tant de petits épargnants dans les années 1960.
La Bourse est donc l’outil par lequel Mammon — c’est-à-dire le désir de possession et de pouvoir —, réussit à prendre, petit à petit la place que Dieu avait chez les hommes. La peur de la ruine a supplanté la peur du châtiment divin et la croissance de l’athéisme a suivi de près la courbe de la croissance de la spéculation boursière. On ne pouvait croire à la fois dans le profit et en Dieu. C’est ce que nous rappelle Matthieu : « Personne ne peut s’asservir à deux seigneurs : car où il détestera l’un et aimera l’autre, ou il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. Vous ne pouvez vous asservir à Dieu et à Mammon. » (6, 24).

Pourquoi Mammon serait l’Antéchrist ?

Parmi les vices de l’humanité, pourquoi faire de Mammon celui qui représenterait le mieux l’idée que nous avons de l’Antéchrist ?

D’abord, il correspond bien aux critères qui définissent l’Antéchrist. Il s’est insinué dans l’humanité de façon sournoise et subrepticement. Il a acquis une emprise toujours grandissante sur l’humanité au point de bouleverser à la fois ses valeurs et sa logique. Aujourd’hui des sociétés disposant de biens immobiliers et de matériel, voire de stocks vendables, se retrouvent sous cotées à la Bourse et disparaissent au seul profit d’investisseurs malhonnêtes. Inversement, des sociétés quasiment sans valeur mobilière et immobilière se voient surévaluées par des effets qui s’apparentent clairement à la mode. C’est le cas de sociétés agissant sur Internet. D’ailleurs, bien souvent surévaluée avant leur entrée en Bourse, leur valeur dégringole dès l’ouverture du marché, ruinant au passages les petits investisseurs les plus fragiles.

Enfin, il est pour beaucoup devenu un Dieu, éclipsant l’autre, au point que certaines religions ont fait le choix de justifier le gain d’argent dans leur doctrine, comme le zoroastrisme qui, en Inde aujourd’hui au sein de la communauté Parsi, fait de la réussite financière un signe de bénédiction divine. Mais le judéo-christianisme est assez ambigu sur ce point lui aussi. Si les catholiques affectent un mépris de l’argent, ils tendent souvent à laisser les meilleures places dans leurs églises aux personnalités de pouvoir et d’argent. Les dons largement médiatisés pour la reconstruction de Notre Dame de Paris, sont clairement en opposition totale avec l’évangile de Matthieu ; « Toi, quand tu fais l’aumône, que ta gauche ignore ce que fait ta droite. » (6, 3) et : « Toi, quand tu pries, entre dans ta resserre, ferme ta porte et prie ton père qui est dans le secret, et ton père qui voit dans le secret, te le rendra. » (6, 6). Au lieu de cela les riches donateurs font de la publicité à leur action, sans oublier de la rentabiliser sur le plan fiscal, et l’Église met en œuvre ouvertement des actions caritatives estampillées de sa marque. Sans oublier que les riches et les puissants ont droit aux premières places dans la nef quand les pauvres en sont réduits à mendier leur pitance sur le parvis.
Cette totale inversion des valeurs n’est-elle pas la meilleure démonstration que je puisse faire ?

Mais cela pourrait sembler insuffisant si Mammon n’agissait que dans le domaine de l’argent et des placements financiers. C’est oublier un peu vite, ce que ces manigances induisent sur les ressources naturelles de la planète. Si l’on a puisé de façon intensive et folle les énergies fossiles polluantes que sont le charbon, le gaz et le pétrole c’est pour faire tourner une industrie destinée à produire des biens mis sur le marché boursier. Si l’atome a peu servi dans sa forme militaire destructrice, il s’est bien rattrapé dans le domaine de l’énergie où il a permis de favoriser une surconsommation destructrice et difficile à réfréner tout en nous laissant ses déchets dont certains demanderont plusieurs milliers d’années de stockage avant d’espérer réduire significativement leur dangerosité.
Nous polluons l’air que nous respirons et l’eau que nous buvons et après les guerres pour accéder à l’énergie, puis aux produits nécessaires à notre vie dispendieuse, nous commençons à voir se développer les conflits pour l’eau qui, depuis la fin des années 60 avec l’annexion du plateau du Golan par Israël et plus récemment avec celle du Tibet par la Chine, sont la mèche qui embrasera le monde quand de grandes puissances militaires entreront en conflit pour se procurer ce précieux liquide.
La terre si nécessaire à notre alimentation est polluée ou rendue stérile par l’agriculture intensive, ce qui pousse les hommes à détruire les forêts primaires riches d’espèces vivantes indispensables à notre survie (notamment en termes de médicaments) ; et les animaux que nous avons sélectionnés pour notre confort deviennent fragiles au risque de ne plus pouvoir participer à la pollinisation nécessaire à la production de la majorité de notre alimentation.

Conclusion

Finalement, Mammon est un bon candidat au titre d’Antéchrist. Mais pour le vaincre, il nous suffit d’en prendre conscience et d’agir comme il se doit en revenant à l’essentiel : la stricte suffisance.
Si nous continuons à dévaler la pente de plus en plus raide de la consommation à outrance et du confort égoïste, notre civilisation n’en a plus pour longtemps. Si, au contraire, nous commençons à changer notre mode de vie en revenant aux valeurs qui ont permis à notre civilisation de démarrer : solidarité, entraide, frugalité, etc., nous pouvons retarder l’échéance, histoire de nous donner le temps de faire notre cheminement spirituel.

N’agissons pas comme le scorpion qui tue la grenouille en train de le sauver pour ne pas résister à sa nature. Notre nature mondaine n’est pas notre fonds. Nous sommes avant tout des entités spirituelles !

Éric de Carcassonne, le 11 décembre 2020.


[1] Des choses cachées depuis la fondation du monde – Éditions Grasset & Fasquelle, 1978 (Paris), réédité en Livre de poche, 1983 .

Cosmologie du mélange

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Cosmologie du mélange

Au Moyen Âge, les cathares ne disposaient pas des connaissances scientifiques et des hypothèses que l’astronomie nous offrent aujourd’hui. Ils se basaient donc sur les éléments à leur disposition, composés pour l’essentiel de textes religieux juifs de la Torah. Sur cette base assez ténue, ils avaient essayé de calquer les éléments que leur conception doctrinale leur faisait valider. Mais aujourd’hui, nous pouvons essayer d’aller plus loin dans notre compréhension et proposer des hypothèses plus avancées en utilisant nous aussi les apports de la science et parfois même ceux de ses failles.

Les deux perturbations des cathares

Quand la Torah juive, reprise dans l’Ancien Testament catholique, imaginait un Dieu créateur de l’univers et des êtres le peuplant, tout en faisant porter sur l’homme la responsabilité de l’imperfection de cette création, les cathares proposaient une lecture nettement différente.

L’ange, premier-né de la création divine, porteur de lumière (Lucifer), était accusé d’avoir préféré le Mal au Bien et d’avoir voulu égaler Dieu dans sa puissance, ce qui l’avait amené à la trahir. Pour les cathares cela posait problème. En effet, comment imaginer qu’une créature divine, parfaite dans le Bien comme son créateur, forcément ignorante du Mal qui est totalement absent de la sphère divine, aurait-il pu préférer le Mal qu’il ne connaissait pas au Bien qui constituait la totalité de son univers ? Le libre arbitre des hommes est également rejeté puisqu’il suppose une relative imperfection de Dieu et de sa création qui est en totale contradiction avec la perfection absolue de Dieu. Donc, les cathares considéraient que Satan, Lucifer ou le diable, selon les façons de le désigner, était une créature du Mal, lui-même appelé Satan. Cet ange mauvais aurait créé un monde mauvais afin, soit de tenter d’égaler la création spirituelle de Dieu, soit de lui nuire. Mais cette création, contrairement à celle de Dieu, ne disposant pas de l’Être — état de permanence absolue transmise de Dieu à sa création par émanation —, était soumise à la corruption temporelle. C’est pour tenter de l’empêcher, ou tout au moins, de la retarder le plus possible que Lucifer eut l’idée de dérober une partie des esprits saints composant l’empyrée spirituelle divine. En effet, ces esprits saints — formant un tout que nous appelons l’Esprit —, sont parfaits dans le Bien et éternels comme leur créateur dont ils partagent la substance.

Ce « rapt » réalisé par le diable fut suivi d’un mélange entre la part mondaine, constituée d’un corps matériel et d’une âme matérielle, et la part spirituelle, appelée âme spirituelle quand elle se trouve auprès de Dieu et esprit ou esprit saint quand elle est prisonnière dans le monde du Mal. La part de l’Esprit demeurée auprès de Dieu était considérée par les cathares comme le « corps » spirituel auprès duquel les esprits saints aspiraient à revenir, réalisant ainsi le mariage mystique.

L’organisation du Mal et l’apparition de Lucifer était nommé la première ou petite perturbation, alors que la chute des âmes spirituelles dans le monde du Mal était appelée la seconde ou grande perturbation.

Cette vision permettait d’expliquer les textes de référence universels, comme la Genèse qui fait état de deux créations distinctes de l’homme par Iahvé.

Tentative d’explication cosmologique moderne

L’univers est la création du Mal

« Ainsi tout bon arbre fait de beaux fruits, et l’arbre pourri fait de mauvais fruits. » (Matth. 7, 17). Cette affirmation vise à illustrer le concept des principes que l’on trouve largement expliqué dans La métaphysique d’Aristote. Ce concept pose comme incontournable le fait que tout se rattache à des principes qui sont uniques et ne peuvent produire que des conséquences elles aussi uniques. Ainsi, le principe du bien ne peut produire que du bien et le principe du mal ne peut produire que du mal. Tout composé peut et doit donc être rapporté aux principes dont émanent chacune des parties qui le composent.

L’existence du Mal oblige donc à considérer l’existence d’un principe du mal, ce qui ne veut pas dire que ce principe est l’égal du principe du bien. En effet, si le Bien est éternel, le Mal l’est forcément aussi, mais le Bien dispose de par sa nature de la capacité à laisser émaner un Bien éternel, alors que le Mal n’a pas cette compétence. Ne pouvant laisser émaner du Mal, il doit le créer provoquant de ce fait l’apparition d’un phénomène corruptif que l’on appelle le temps. Or le temps, s’il signe l’apparition des choses leur impose également une fin. Il en résulte que le Mal produit une création imparfaite, puisque émanant d’une absence d’Être et corruptible puisque créée dans le temps.

Cette lecture est acceptable à notre époque, comme elle l’était au Moyen Âge, puisqu’il est facile de constater à la fois l’imperfection et la corruptibilité du monde où nous vivons. La problématique principale, qui était insupportable aux esprits catholiques, est l’idée que le diable ait pouvoir de création. Jean de Lugio l’expliquait fort bien dans son Livre des deux principes que vous pouvez retrouver dans l’ouvrage de René Nelli : Écritures cathares.

En fait, ce qui définit Dieu, c’est-à-dire le principe du bien n’est pas la faculté créatrice, mais la capacité à laisser émaner de l’Être, sorte de consubstantialité à la fois éternelle et incorruptible.

La partition momentanée de l’Être

Beaucoup se sont interrogé sur le fait que le démiurge du Mal puisse entraîner à sa suite une partie de l’empyrée divine. Il est clair que, vu de notre conception mondaine, cela semble extravagant. Mais il faut apprendre à réfléchir différemment. Contrairement à ce que les ouvrages antiques nous font connaître, le Bien et le Mal n’agissent pas comme des seigneurs ou des États. Chacun étant un principe ne peut agir que selon ce qui relève de son état principiel. Le Mal peut essayer de nuire au Bien, du moins en apparence, mais le Bien ne peut ni ne veut utiliser les modes d’action du Mal pour réagir. Cependant, il a un avantage absolu sur le Mal : il est éternel et ce qui émane de lui l’est également, contrairement à ce que crée le Mal. Donc, pour simplifier, le Bien n’a pas de mal à opposer au Mal, mais si le Mal semble vainqueur, cette apparente victoire est très éphémère puisqu’elle ne s’exprime que dans le temps, alors que le Bien dispose de l’éternité, auprès de laquelle le temps est insignifiant, même si pour nous le temps semble durer indéfiniment.

L’incorporation de l’Être

La part spirituelle, que nous appellerons désormais les esprits saints, est mélangée à la part mondaine créée par le diable, démiurge du Mal. Mais ce mélange est limité à une sorte de coexistence du fait de la théorie des principes. Donc, le simple mélange ne suffit pas à retenir prisonniers les esprits saints. Il faut en outre éteindre chez eux le souvenir de leur origine, sinon ils n’auraient qu’un désir : revenir à leur source. Ce travail d’amnésie est l’œuvre de l’âme mondaine qui coordonne le mélange et assure la coopération des esprits saints en leur faisant oublier leur origine. Aujourd’hui, cela peut se comprendre en observant l’hypothèse émise dans le premier épisode du film Matrix®, où les personnages sont prisonniers d’une réalité virtuelle qui projette à leur yeux un monde acceptable quand en réalité ils sont prisonniers de bulles aspirant leur énergie au profit d’un peuple de robots et de programmes informatiques.

Ce choix cosmologique des cathares présente le mérite d’expliquer que certains humains sont attirés par le Bien quand les autres le sont par le Mal et ouvre l’espoir eschatologique d’une délivrance future et universelle. Mais ce qui est plus intéressant à mes yeux est que cette hypothèse permet d’apporter une réponse à une interrogation scientifique de notre époque qui n’a toujours pas trouvé de réponse satisfaisante.

Si les hommes sont des créations de ce monde dominé par le démiurge malin, cela veut dire qu’il y a eu une période où ces créatures évoluaient comme les autres, c’est-à-dire les animaux, et une période où leur évolution s’est modifiée du fait de l’incorporation des esprits saints.

Que disent les anthropologues sur l’évolution des espèces humaines qui cohabitaient avant que l’homo sapiens ne s’impose définitivement ? Ils notent que les deux espèces qui cohabitaient dans une fourchette de temps située pour l’instant entre 40 000 et 100 000 ans avant l’ère moderne, homo néanderthalensis (l’homme de Néanderthal) et homo sapiens (l’homme moderne), ont connus une mutation comportementale majeure et inédite.

En effet, jusques là ces deux espèces, présentes sur terre depuis plus de 200 000 ans pour la première et 100 000 pour la seconde, traitaient leurs morts comme de simples charognes animales, les jetant dans des gouffres ou les enfouissant sommairement sous des pierres au fond des grottes. Mais tout à coup elles se mirent à les traiter avec infiniment de délicatesse en les enterrant de façon soignée et manifestant l’idée d’une vie après la vie, puisqu’elles ajoutaient dans ces tombes des objets usuels, de bijoux ou des armes. Pour autant l’évolution montre des modifications comportementales majeures des espèces au fil des millénaires. Mais ces évolutions visaient toujours à une amélioration de la vie, que ce soit l’usage de la bipédie, la taille des silex, la découverte de l’usage et de la production du feu, etc. Là, nous sommes devant une évolution qui ne facilite en rien la vie quotidienne, voire qui la complique. Cette évolution semble aller de pair avec la découverte de l’art rupestre et le développement de la chasse, puis de l’élevage. En fait, comme l’explique très bien René Girard dans Des choses cachées depuis la fondation du monde, l’homme se met tout à coup à envisager l’existence d’une transcendance dépassant les pouvoirs de ses congénères. Cela fut sans doute également lié au regroupement des cellules nucléaires dans un but sécuritaire et pour améliorer le rendement de la chasse.

À ce jour aucune réponse scientifique satisfaisante ne peut expliquer à la fois le caractère relativement soudain et profond de cette mutation intellectuelle ni son caractère apparemment contre-productif.

Si l’on se place du point de vue cathare, une explication apparaît. En fait, l’infusion des esprits saints dans les corps humains aurait profondément modifié le fonctionnement de ces derniers en élevant sensiblement leurs capacités intellectuelles. On retrouve cette idée dans le prologue du film 2001, l’odyssée de l’espace®, où l’on voit un singe changer de comportement et développer considérablement ses compétences intellectuelles, par rapport à celles de ses congénères, après avoir touché un monolithe noir venu de l’espace.

Conclusion momentanée

Ce qui saute aux yeux de prime abord est que les cathares étaient capables de produire des réflexions de haute qualité en s’appuyant sur les connaissances de leur époque et en se guidant de la philosophie grecque pour corriger les errements des textes religieux juifs ou judéo-chrétiens de leur temps.

Cela est tellement vrai qu’en suivant leur mode de raisonnement on peut aujourd’hui encore proposer des hypothèses qui, sans déroger en aucune façon à la doctrine cathare médiévale, peuvent résister aux critiques scientifiques, voire les améliorer.

On voit là toute l’importance d’une doctrine offrant une réelle plasticité et basée sur un ensemble de connaissances qui, loin d’être rejetées en bloc, sont en fait disséquées et étudiées de façon extrêmement fine. C’est grâce à cela que le catharisme peut facilement répondre aux critiques d’un monde devenant de plus en plus athée et totalement voué à une nouvelle croyance, la science, qui montre malgré tout des failles non négligeables.

Éric Delmas, le 06 juillet 2020.

Le rocher de Sisyphe

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Albert Camus, dans son essai philosophique : Le mythe de Sisyphe, en nous montrant l’absurdité de l’homme découvrant un monde sans rime ni raison, se heurte au mur qu’il a lui-même construit de par son athéisme. Oui, ce monde est absurde et absurde est celui qui veut en suivre les règles selon un schéma rationnel. Quant à celui qui en voit l’absurdité et qui s’en tient là, il est pathétique tout comme il croit Sisyphe pathétique quand, après avoir vu son rocher dévaler la montagne, il le rejoint prêt à le pousser encore et encore.
Mais Sisyphe n’est pas pathétique, tout au plus est-il désabusé ; il ne sait pas pourquoi il doit pousser ce rocher — inconscient d’une punition dont il ne comprend pas le motif —, mais il considère dans l’ordre des choses de se référer à ce qu’il connaît et de recommencer jusqu’à ce que l’autorité dont il se considère dépendant lui dise quoi faire.
Le croyant qui se fie à un Dieu pervers et mauvais n’est pas absurde ni pathétique, il est simplement trompé par les valeurs qu’on lui inculque depuis son enfance et dont il ne peut savoir, a priori, qu’elles sont sans fondement.
L’athée qui réfute Dieu, se moque de Sisyphe, tout en reconnaissant vivre dans le même monde absurde, même s’il n’est pas conscient de pousser lui aussi des rochers pour des motifs aussi absurde puisque sa finitude et la vanité de ses quêtes lui sont parfaitement connues. Qui est le plus absurde ? Celui qui poursuit un espoir insensé sans jamais l’atteindre ou celui qui pense qu’il n’y a pas d’espoir mais qui persiste à vivre ?
Ce qui est absurde ce n’est ni la montagne à gravir, ni Sisyphe, ni la fatigue, ni le découragement, ni la peur d’échouer. Non, ce qui est absurde… c’est le rocher !

Le rocher de Sisyphe est ce qui l’empêche d’atteindre le faîte de la montagne pour découvrir l’autre versant. Tant que Sisyphe considèrera comme normal de devoir pousser un rocher pour atteindre le sommet, il échouera à comprendre ce que Dieu veut pour lui. L’athée ne pousse pas de rocher, il en a un dans chaque œil qui lui interdisent de voir la montagne qui le sépare de l’espoir et d’où émane une lueur diffuse qui pourrait l’appeler à la rejoindre. Il oublie la phrase que Michel Audiard met dans la bouche de Lino Ventura dans le film : Un taxi pour Tobrouk : « Un imbécile qui marche ira toujours plus loin que deux intellectuels assis. »
Si l’un marche en supportant un handicap insurmontable, l’autre refuse de marcher au motif qu’il ne veut pas envisager que la montagne puisse avoir un autre versant et que ce dernier puisse être verdoyant et accueillant.
Le problème est bel et bien l’absurdité du rocher, qu’on l’imagine imposé par Dieu ou qu’on le porte en soi jusqu’à l’aveuglement définitif.
Ce que ni Sisyphe ni Camus n’ont compris, c’est qu’il y a une autre voie qui elle résout tout le problème et nous sauve. Cette voie Socrate, sous le calame de Platon, nous l’indique dans La République. Celui qui est attaché à la paroi rocheuse et qui regarde passer les silhouettes que l’on manipule dans son dos pour le tromper, est coupable de se laisser berner sans se poser de question. Mais celui qui manipule les silhouettes, en riant de sa prétendue bêtise, l’est tout autant, car il aperçoit la lumière qui émane de l’entrée de la caverne et n’ose pas se diriger vers elle en acceptant de tout perdre en le faisant.
En effet, celui qui a tout compris va se diriger vers la sortie, car il a enfin compris que s’il voit l’un de ses congénères abusé, il est vraisemblable qu’il le soit lui même. Il agit donc de la seule façon pertinente. Car la seule façon pertinente, du moment que l’on comprend que l’on est probablement victime d’un leurre, est de chercher à acquérir la connaissance suffisante pour le révéler ou l’infirmer. En effet, ce n’est qu’une fois correctement informé que l’on pourra décider en conscience et en connaissance de cause du choix que l’on voudra faire.
Mais acquérir la connaissance, tout comme se déplacer dans la caverne vers la sortie, est un chemin semé d’embûches et douloureux. Comme l’homme de la caverne qui souffre de regarder, d’abord le feu, après n’avoir vu que les ombres, puis la clarté bien plus vive que le feu et enfin le soleil à la clarté à nulle autre pareille, plus nous regardons vers la vérité, plus nous souffrons et beaucoup préfèrent revenir à leur rocher dont le confort est infiniment moins douloureux. De même, si nous réussissons à atteindre la sortie et que nous en contemplions la splendeur, nous comprendrons combien nos anciennes valeurs sont désuètes et ridicules.
Si Sisyphe avait pu comprendre cela il aurait su que la seule solution est l’abandon du rocher au profit d’une marche libre et Camus aurait compris que la solution n’est pas de critiquer celui qui échoue, mais qu’il faut aller à sa rencontre et l’aider à réussir, car sa réussite est la nôtre.

Sisyphe, Camus, l’homme de la caverne et nous mêmes devons comprendre que pour marcher vers la lumière il faut voyager léger. C’est en déposant nos rochers, en acceptant l’incertitude du monde que nous donne à voir le démiurge, comme le dit Jésus par l’Évangile selon Matthieu1, que nous serons en mesure d’atteindre l’autre côté de la montagne, la sortie de la grotte, où le moment venue la vérité nous éblouira avec bonheur.

1 – Matthieu VIII, 19. : Jésus lui dit : Les renards ont des tanières, les oiseaux du ciel, des nids, et le fils de l’homme n’a pas où reposer la tête.

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