Liberté, égalité, fraternité, laïcité

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Liberté, égalité, fraternité, laïcité

La devise de la France est-elle un mythe ?

Charlie Hebdo vient de publier un numéro spécial intitulé : La laïcité c’est par où ?

En lisant ce document on se doit de comprendre que la devise de la République relève davantage du mythe que de la réalité. En effet, il suffit de regarder vivre notre société pour comprendre que la liberté est extrêmement limitée selon des critères qui s’imposent à tous sur le plan réglementaire sans être universellement reconnus sur le plan individuel. De même l’égalité est un concept au nom duquel on restreint la liberté des uns et on encadre celle des autres sans jamais atteindre l’objectif annoncé. Alors, dans ces conditions, comment seulement espérer créer la fraternité entre les citoyens de ce pays ?

En fait notre société mondialisée s’oppose de plus en plus à un pays qui a toujours vécu sur des bases strictement hexagonales et qui a passé le plus clair de son histoire à imposer ses intérêts en opposition à ceux des autres pays. Il n’est donc pas étonnant de constater que si le discours cherche à s’adapter à l’époque, les actes eux sont loin d’en faire autant et même que rien n’est prévu pour résoudre cette dichotomie.

La laïcité est-elle un mythe ?

Dans l’idéal la laïcité est l’affirmation du droit de chacun à se reconnaître une transcendance spirituelle ou au contraire à n’en reconnaître aucune.
Dans la pratique les choses sont bien différentes. Dans un pays laïque le fait religieux ne devrait ni être prépondérant sur le fait civil, ni être contraint par ce dernier.
En clair cela veut dire que chacun devrait être libre de vivre sa religion et que les restrictions que l’on pourrait opposer à ce droit ne devraient avoir d’autre fondement que l’intérêt général s’il est menacé par l’exercice du droit à la religion. Cela revient à considérer que l’affirmation de sa foi ou de son athéisme devrait pouvoir être laissé à l’appréciation personnelle sauf quand elle est susceptible d’interférer avec l’intérêt général représenté par celui qui exprime un point de vue personnel.

On le voit une telle approche est soit trop vague et permet toutes les expressions, soit trop restrictive et les interdit toutes. En outre, l’expression de l’athéisme n’est pas considéré au même plan que l’expression de la foi car nous vivons dans un monde où la référence est la science qui s’appuie sur des critères de démonstration ce qui est plus proche du point de vue athée que du point de vue religieux.
Certes cette approche dispose de ses propres limites car, quand la science ne peut expliquer un point de vue elle tend à le nier quand il n’est pas évident et elle tend à le déstructurer quand il est évident. L’approche scientifique des OVNI est parlante de ce point de vue.
En outre, l’expression religieuse est en général le fait de groupes religieux exclusifs ou basés sur le prosélytisme. Leur cohabitation est donc difficile, voire impossible. L’expression libre et publique de la foi des uns est vécue comme une agression par les autres et, dans le domaine de l’intransigeance, l’extrémisme athée n’a rien à envier à l’extrémisme religieux.

L’athéisme militant est-il anti-laïque ?

La revue Charlie Hebdo pointe à juste titre le doigt sur les abus des lobbies politico-religieux et sur les situations où le droit est bafoué par des extrémismes religieux.
Mais jamais elle ne se pose la question de savoir si ces abus ne sont pas la conséquence d’une vision laïque trop proche de la vision athée ?
En effet, dans le cadre scolaire, la revue rappelle à juste titre que l’objectif est de transmettre des savoirs et non des croyances. Par conséquence la religion n’a rien à faire dans l’apprentissage fondamental et c’est donc normal de refuser à la théorie créationniste d’être enseignée au même plan que la théorie évolutionniste.
Mais quand on interroge la population on constate que la foi est largement majoritaire et, quand bien même elle ne le serait pas, peut-on la nier totalement ?
Si on ne peut la nier, doit-on la traiter comme une maladie honteuse au risque de laisser chaque groupe religieux s’emparer de l’éducation pour y faire figurer sa vision religieuse ? Or, c’est ce qui se passe dans l’enseignement confessionnel.
L’approche athée consiste à expulser le fait religieux de l’école alors que l’approche laïque consisterait au contraire à l’y intégrer sous forme d’un enseignement permettant aux enfants de connaître chacune des religions principales et leurs conceptions tout en rappelant que ces dernières n’ont pas à se soumettre aux obligations scientifiques de démonstration. Cet enseignement pourrait être présenté sous deux formes, une intégrée à l’enseignement général (histoire, philosophie, instruction civique, etc.) et une réservée à une présentation générale neutre et à une présentation spécifique de chaque groupe par un représentant de la religion concernée. Bien entendu l’approche athée pourrait être également présentée selon les mêmes critères.

En refusant ce schéma l’athéisme se pare de l’apparence de la laïcité et provoque l’exclusion du religieux du champ social ce qui favorise l’émergence du repli communautaire. En fait la laïcité confisquée par l’athéisme favorise l’intransigeance des groupes religieux extrémistes. En croyant défendre la laïcité l’athéisme la détruit, ce qui serait également le cas si n’importe quel extrémisme religieux prétendait imposer sa conception de la laïcité. C’est d’ailleurs ce qui se passe en France où le catholicisme prétend imposer sa position au nom de la culture et de la civilisation au point que les politiques lui laisse la champ libre au mépris des lois les plus élémentaires comme c’est le cas en Alsace-Moselle, mais aussi dans le domaine scolaire et dans bien des domaines de la société.

La laïcité est-elle compatible avec un monde religieux ?

Pour mettre en échec la citation de Malraux « Le XXIe siècle sera religieux ou ne sera pas. » considérée à juste titre comme douteuse par Charlie Hebdo, il faudrait que la laïcité retrouve sa raison d’être à savoir l’intégration des courants de pensée religieux et athée et non l’exclusion des uns — ce qui aboutit au rejet de ceux qui les portent — au profit inéluctable des autres.

Quand on y regarde de plus près, certaines formes d’organisation de la société approuvent des distinctions qui seraient jugées inacceptables si elles étaient portées par une revendication religieuse. En quoi la pudeur, la morale, la sécurité sont-elles des valeurs supérieures à la foi ?

Donc, si l’on accepte qu’il y ait des toilettes réservées aux femmes ou aux hommes, pourquoi interdire qu’il en soit de même pour des piscines ? Si l’on accepte que des wagons de train ou de métro, voire de tramway soient séparés sur des critères sexuels pour protéger les plus faibles d’agressions issues des plus forts, pourquoi le refuser au titre d’une demande religieuse ? Si l’on accepte que des repas prévoient des plats exempts de certaines denrées prohibées aux personnes allergiques, pourquoi ne pas accepter que d’autres soient adaptés à certaines religions ?
On le voit, c’est moins des critères d’organisation ou de coûts qui sont mis en avant dans certains refus qu’une volonté d’interdire l’expression d’une démarche religieuse. Or cela, ce n’est rien d’autre qu’une manifestation athée extrémiste et en aucun cas un respect de la laïcité.

Il ne suffit pas d’ignorer ou de rejeter le fait religieux pour qu’il ne s’exprime pas. Il est trop important dans la société pour être simplement écarté. Toute forme de rejet ne peut aboutir qu’à un repli communautaire qui est pire que tout car alors chaque groupe se trouve assujetti à la frange extrémiste minoritaire qui justifie son pouvoir par la nécessité de protéger les faibles d’une extinction promise alors même que cet argument est sans valeur.

La laïcité peut-elle réconcilier la nation avec sa devise ?

Manon Roland, égérie des girondins lors de la révolution française, s’est écriée aux pieds de l’échafaud : « Liberté, que de crimes on commet en ton nom ! ». La liberté est une fleur fragile qu’un rien peut détruire. Souvent d’ailleurs ceux qui l’invoquent sont les mêmes qui sont prêts à la supprimer pour les autres.
La laïcité bien comprise peut rendre à chacun, croyant ou non, l’exercice d’une grande partie de sa liberté dans les domaines où elle ne contredit pas celle des autres, également exprimée. C’est le fameux dicton : « La liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres. ».
Ce principe n’est limité à aucun champ d’exercice et même la sphère privée doit le respecter. Ainsi, si au sein d’une même famille plusieurs opinions s’expriment, la sphère privée ne peut s’exclure du droit commun et chacun doit être libre d’exprimer ses conceptions spirituelles et philosophiques sur le modèle du champ social.
Dans ce dernier, la seule restriction acceptable à l’expression manifeste du choix spirituel ou philosophique, est le rapport à l’autre. Personne ne doit faire prendre un risque à l’autre par la volonté d’exprimer son choix spirituel ou philosophique. Que ce soit dans un secteur public, relevant donc de l’autorité de l’État, mais aussi dans un espace privé comme un commerce ou une association, celui qui sert d’interface entre l’établissement et le client doit respecter une stricte neutralité dans son apparence et dans son comportement. En effet, nul n’est obligé de choisir une activité professionnelle ou associative qui soit contraire à ses convictions. Par conséquent, s’il fait le choix d’une activité le mettant en relation avec autrui il doit respecter ce principe.
L’exemple de la crèche déboutée car une employée venait travailler en foulard est significatif de la mauvaise compréhension du concept de laïcité. Ce n’est pas comme porteuse d’un foulard que cette employée aurait due être licenciée mais comme imposant sa foi aux clients, enfants et parents.

Il existe cependant des cas où c’est le client qui doit effacer ses choix spirituels et philosophiques quand il requiert un service. Si une spiritualité impose habituellement un comportement spécifique, elle doit s’effacer quand une situation met en danger des valeurs supérieures du pays où l’on se trouve. Néanmoins, il faut toujours essayer de respecter au mieux les choix spirituels et éthiques des individus en adaptant la règle générale quand cela est possible.
Les exemples sont variés. Lorsque les citoyens sont appelés à prendre les armes pour une guerre, ceux qui s’opposent à toute violence doivent servir leur pays mais ce dernier doit leur trouver un emploi accessoire qui ne leur impose pas d’exercer la violence. Lorsqu’une religion impose un jeûne fatigant, la société doit chercher à adapter l’activité des personnes concernées à cette baisse de productivité mais les cadres de la religion doivent prévoir des exemptions en cas de nécessité (maladie, grossesse, etc.). Quand la pudeur demande à être respectée, elle doit l’être dans la mesure où il existe une alternative mais elle doit être mise au second plan face à une urgence de sécurité. On peut aussi, pour des raisons de reconnaissance d’un droit ou de sécurité publique, exiger des citoyens qu’ils soient facilement reconnaissables mais à condition que cela se limite à des situations précises et non en tous lieux et tous temps. On pourrait développer à l’envi les exemples de ce genre.
Par contre, prétendre exiger un aménagement personnalisé quand cela est manifestement impossible, sauf à déstructurer gravement une activité, est inacceptable tout comme l’est aussi la volonté d’interdire une pratique au motif qu’elle heurte la sensibilité des autres.
Selon ce principe il est à mon avis insupportable d’exiger d’un citoyen qu’il renie son identité en des lieux et dans des situations où il ne représente que lui.

Si la société organise l’expression des choix spirituels et philosophiques selon des règles qui ne deviennent coercitives qu’au niveau des points de contact entre individus susceptibles de ne pas partager les mêmes, elle redonne au mot liberté son sens et elle crée de fait une égalité de traitement entre tous. Seuls les extrémistes seront lésés, mais cela ne saurait inquiéter les démocrates. De la même façon un peuple où chacun retrouve une égale possibilité d’exprimer ses convictions respectera plus facilement celles des autres et aura l’occasion de mieux les connaître donc éventuellement d’en apprécier les éléments humanistes communs avec les siennes. Cela est bien proche de la fraternité.

Catharisme et laïcité

Le catharisme, quoique religion chrétienne, n’est pas de nature prosélyte. Du coup sa plasticité vis-à-vis de la laïcité est plus importante et rares sont les situations où un croyant cathare peut être incommodé par une règle commune. Par contre un novice ou un bon-chrétien peut rencontrer des situations plus compliquées. Le contact homme-femme, la prestation de serment, l’alimentation sont de sujets qui peuvent interférer avec sa foi.
Il faut donc rétablir les principes que je viens d’énoncer et rappeler que chacun doit pouvoir disposer d’une alimentation adaptée à son régime qu’il soit dicté par des considérations sanitaire ou spirituelles, que chacun doit être capable d’abandonner momentanément ses principes quand la sécurité et l’urgence l’imposent et que personne ne peut se voir imposer d’effectuer des gestes délétères à ses convictions s’il peut agir autrement. Le fait de prêter serment par exemple n’a jamais garanti que le témoignage serait plus véridique.

Par conséquent les croyants cathares ne sont pas globalement limités par les contraintes de la laïcité et les novices ou bons-chrétiens le sont assez peu et peuvent surmonter ces problèmes pour peu que des aménagements acceptables leur soient proposés.

 

Éric Delmas – 06/10/2013

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