8 – Église cathare

Le rituel de la sainte oraison dominicale

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Le rituel de la sainte oraison dominicale

Dans mon livre[1], je décris très précisément le rituel dit de la tradition du Livre et de l’Oraison dominicale.
Plusieurs points sont à relever :
1 – À qui s’adresse ce rituel ?
2 – À quel moment se situe-t-il ?
3 – Quel est son ordonnancement ?
4 – À quoi fait-il référence et quelles sont ses implications ?

Mises au point préliminaires

Le fait de remettre le Nouveau Testament au novice qui est en fin de formation initiale doit nous faire réfléchir à plusieurs points. Rappelons-nous que le catharisme ne supporte ni l’approximation ni l’incohérence.

D’abord, et pour être clair, net et précis, je passe la parole à Jean Duvernoy : « Le baptême proprement dit, la « consolation » (consolamentun), n’intervient qu’après le noviciat qui a pour issue la tradition de l’oraison. »[2]

Forts de cette précision, nous sommes obligés d’admettre que les pratiques rituelles amenant à utiliser la Pater, ne peuvent être mises en œuvre que par ceux qui en ont reçu la formation et l’autorisation, à savoir les novices — en fin de noviciat —, c’est-à-dire des hommes réguliers. La différence entre régulier et séculier doit, elle aussi, être clairement précisée.
L’homme séculier est celui qui vit dans le siècle, c’est-à-dire qui n’observe pas la règle. Cela concerne les étrangers au catharisme, les sympathisants et les croyants. En effet, contrairement à une idée qui tend à être diffusée depuis quelques temps, le croyant n’observe pas la règle de vérité et de justice. Tout au plus, s’il en intègre des éléments dans sa vie de tous les jours, peut-on dire qu’il pratique une morale — j’accepte de dire une éthique pour ceux à qui le mot morale donne de l’urticaire —, proche de la règle, mais le simple fait de vivre dans le monde et non en maison cathare, ouverte vers l’extérieur et dans la transparence de sa pratique, fait qu’il ne peut être comparé à un novice.
L’homme régulier est celui qui vit dans la règle, c’est-à-dire qui s’est mis en situation de vivre en permanence dans le respect contrôlé de la règle de vérité et de justice. C’est le cas des consolés ; mais alors pourquoi dire homme régulier plutôt que Bon-Chrétien ? Justement, cela s’explique fort bien à compter du moment où l’on prend en compte les novices, qui vivent dans la règle mais qui ne sont pas consolés. Ils sont en fait à la fois réguliers et séculiers. Ils ont quitté le siècle mais y sont encore attachés car n’ayant pas franchit l’étape, normalement irréversible, de la Consolation, mais ils sont réguliers car ils se plient à toutes les obligations de la règle.

Pourtant, les novices sont eux aussi interdit de dire l’oraison dominicale. En effet, leur caractère séculier l’emporte vis-à-vis de l’importance que revêt ce rituel de l’oraison dominicale. Ils en sont exclus, sauf pour les simples — c’est-à-dire les pratiques ne comportant qu’une seule série de Pater —, qu’ils suivent en auditeurs muets. C’est en cela que le Nouveau Testament occitan précise dans sa règle : « La mission de tenir « double » et de dire l’oraison ne doit pas être confiée à un homme séculier. »[3]

La tradition de l’oraison dominicale est précédée d’un temps appelé : la remise du Livre. Il s’agit bien entendu du Nouveau testament, dans sa version antérieure au VIIe siècle à l’époque. Cette précision pour rappeler que l’ordonnancement des textes a changé vers cette époque, modifiant considérablement l’impression que les catholiques voulaient qu’il laisse sur les lecteurs.
Si l’on remet officiellement le Livre au novice en fin de noviciat initial, cela veut dire que pendant tout son noviciat, il s’en est passé. On pourrait comparer cela à l’élevage d’un bébé. Pendant six mois on lui donne du lait, unique nourriture possible, et il totalement passif. Ensuite, on introduit une diversification prudente et progressive ; l’enfant acquiert alors une relative autonomie. Enfin, plus tard il va manger seul et choisir ce qu’il mange, avant de se décider un jour à faire sa cuisine tout seul. De même le novice a besoin d’un temps d’adaptation à la vie régulière, pendant lequel il reçoit passivement la nourriture spirituelle de ceux qui ont la charge de son éducation, puis il acquiert une relative autonomie en obtenant l’outil indispensable qu’il va pouvoir consulter à sa guise pour en apprécier la substance. Plus tard, après sa Consolation, il deviendra plus ou moins autonome selon qu’il restera en maison cathare ou qu’il accèdera au statut de prédicateur.

La description du rituel

Voyons maintenant comment cela se passe.

Préparation

Tout d’abord la compétence du demandeur est validée par les Bons-Chrétiens de sa communauté. Il ne peut pas y avoir de rituel sans un accord de l’ancien, représentant de la communauté.

Ensuite, il doit y avoir une préparation spirituelle assortie d’un jeûne de trois jours avant la cérémonie[4].

Le jour dit, le novice et les Bons-Chrétiens en charge du rituel se lavent les mains.

Le rituel peut se dérouler dans la maison cathare où vivent le novice et les Bons-Chrétiens en charge de la cérémonie.

Le plus avancé en cheminement, après l’ancien[5], commence par faire trois venias[6], qui ne sont pas accompagnées du rituel de l’Amélioration. Ceci fait il prépare le matériel à savoir : une table ronde ou un plateau rond posé sur un support. Il refait trois venias à l’ancien, puis installe sur la table un tissu[7] qui la recouvre. Il fait encore trois venias. Enfin, il dépose le Livre sur la table et dit : « Bénissez-nous, épargnez-nous. »

Déroulement

Une fois tout installé, c’est le novice qui entre en action. Il fait son Amélioration à l’ancien et reçoit le Livre des mains de ce dernier.
L’ancien lui fait un prêche[8] qui rappelle la raison d’être de l’Église cathare, l’importance de la communauté ecclésiale et de la règle de vérité et de justice, ainsi que la valeur de la tradition de l’oraison dominicale qu’il va recevoir.

Ceci fait, l’ancien va prononcer le Pater et le novice va répéter après lui, logiquement phrase après phrase et suffisamment lentement pour qu’il ait le temps de bien s’imprégner des paroles prononcées.

L’ancien va alors s’adresser au novice en ces termes :
« Nous vous livrons cette sainte oraison pour que vous la receviez de Dieu, de nous et de l’Église, et que vous ayez pouvoir de la dire tout le temps de votre vie, de jour et de nuit, seul et en compagnie, et que jamais vous ne mangiez ni ne buviez, sans dire premièrement cette oraison. »

Le novice lui répond en ces termes :
« Je la reçois de Dieu, de vous et de l’Église. »

Il termine en faisant une Amélioration. Il rend grâce[9]

Les Bons-Chrétiens présents font alors une double avec le novice qui pratique ainsi pour la première fois, ce qui confirme son nouvel état puisqu’il est autorisé à pratiquer la double comme tout homme régulier. Les autres novices et les croyants présents restent immobiles et silencieux pendant cet office.

Voilà, pour rappel comment cela se déroulait à l’époque. Je ne vois pas de raison de changer grand-chose aujourd’hui, car rien de ce qui était pratiqué ne peut l’être de nos jours.
Je pense que ce rituel peut très bien se pratiquer un samedi matin, ce qui permet de laisser le mercredi, le jeudi et le vendredi précédent pour la période préparatoire. En outre, le samedi matin le novice peut prendre son petit déjeuner pour éviter un problème pendant le rituel et commencera sa pratique régulière dès le repas de midi.

Dans le contexte actuel, c’est-à-dire en l’absence de Bons-Chrétiens, j’imagine que des croyants pourraient assister le novice, mais que les venias et les Améliorations ne se feront pas en direction d’une personne précise, mais plutôt en direction de l’extérieur, puisque le Saint-Esprit paraclet est seul apte à les recevoir.
Le sermon, préparé par le novice et les croyants prêts à l’aider, serait lu par un croyant et le Pater pourrait être lu, phrase par phrase, par plusieurs croyants afin qu’aucun d’eux ne le lise en entier. Seul le novice le dira intégralement. De même, le novice effectuera seul la double.

[1] Catharisme d’aujourd’hui – nouvelle édition 2015, page 260.
[2] Le catharisme. T. 2 La religion des cathares – Jean Duvernoy – éditions Privat (Toulouse) 1976
[3] Le Nouveau testament – traduit au XIIIe siècle en langue provençale, suivi d’un Rituel cathare – éditions Slatkine reprints (Genève) 1968, p. XXI
[4] Cette obsession de pureté étend le jeûne préparatoire aux pratiquants et pas au seul novice.
[5] Dans l’hypothèse d’un rituel effectué dans la maison cathare, entre les novices et Bons-Chrétiens y vivant, avec éventuellement quelques croyants témoins, c’est l’ancien de la maison qui officie. Dans l’hypothèse où de plus anciens que lui participent (diacre, Fils majeurs ou mineur, évêque), c’est le plus ancien d’entre eux qui officie.
[6] Les venais sont des prosternations avec agenouillement comme cela se pratique de nos jours dans à peu près tous les groupes chrétiens. Quand le contexte fait que des personnes étrangères à la foi sont présentes, ces agenouillements sont remplacés par un signe de tête, voire un accolade.
[7] Rien n’est précisé quant à ce tissu ni sa composition ni sa couleur. On peut imaginer cependant du coton ou du lin et la couleur blanche appropriée à ce genre de cérémonie.
[8] Il n’y a pas de texte formalisé pour ce prêche, mais on en trouve un exemple dans le rituel latin de Florence situé juste après le rituel occitan de Lyon dans Écritures cathares de René Nelli – éditions du Rocher 1995 et suiv. p. 239
[9] On peut hésiter sur le fait qu’il prononce simplement les grâces : « Que la grâce de notre seigneur Jésus Christ soit toujours avec nous, amen. » ou qu’il manifeste sa reconnaissance aux officiants, aux Bons-Chrétiens et novices ayant assisté à la cérémonie et au public des croyants.

Les rituels et la pratique

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Les rituels et la pratique

Comprendre la doctrine cathare implique de connaître les éléments qu’elle va produire dans sa mise en pratique, à savoir le sacrement de la Consolation et les rituels qui intéressent les croyants, les novices et les Consolés.

1 – Documents cathares de référence

2 – Rituels et pratique

La sainte oraison dominicale

Les Heures communautaires et la prière

Les jeûnes et les carêmes

  • L’évolution des carêmes
    • Le carême de la régénération
    • Le carême de la Consolation
    • Le carême de la désolation

La paix (baiser de paix ou caretas)

Le pain de la sainte oraison

L’évolution de mon noviciat cathare

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L’évolution de mon noviciat cathare

À l’issue de ce cinquième carême de mon noviciat, entamé le 16 juin 2016, je ressens le sentiment d’avoir atteint une sorte de plénitude dans ma démarche. C’est un peu comme si, après avoir monté un certain nombre de marches j’atteignais un niveau intermédiaire où je peux faire une sorte de point sur mon avancement.
Certes, j’ai clairement la certitude que je suis loin d’atteindre au but… mais pouvons-nous l’atteindre vraiment, ou bien n’est-ce là aussi qu’une étape supplémentaire ?
Cependant, il me semble que j’ai obtenu des résultats dans mon évolution spirituelle qui me donnent à penser que je dois envisager une progression, car l’évolution du croyant et du novice me semble être le fruit d’étapes successives qui constituent autant de ruptures dans une progression apparemment linéaire et calme.
Bien entendu, ce n’est qu’une opinion personnelle et j’aurai besoin que les croyants qui liront mes messages me répondent afin de me donner leur sentiment personnel.

Bien entendu, l’idée n’est pas d’arrêter, au contraire. Mon questionnement est d’essayer d’évaluer mon degré d’avancement pour savoir si je peux faire « un pas » de plus. J’ai toujours su que je devrais avancer prudemment et prendre mon temps pour éviter de tomber dans les embûches du monde. Ces embûches causées par l’impatience qui vous font croire que vous êtes déjà quasiment un Bon-Chrétien, qui vous pousse à négliger, voire à mépriser les enseignements de nos prédécesseurs et à pratiquer sans les compétences indispensables des actes qui au lieu de vous élever, vous abaissent.

Pour moi donc, faute d’encadrement digne de ce nom, estimer si je peux entamer ma préparation à la réception de la Sainte Oraison dominicale est un problème.
J’ai l’impression d’avoir atteint un niveau où pas mal de choses se sont éclairées à mes yeux et où je me dis que retarder de trop cette avancée décisive revient à me conforter dans une position plutôt sécurisante mais nuisible à mon avancement et surtout, nuisible à la résurgence cathare qui ne pourra se faire que lorsque nous aurons suffisamment de novices en cours de formation et, espérons-le des Bons-Chrétiens pour les encadrer.

Je ne peux pas — et ne veux pas — me contenter de ma seule appréciation pour décider du palier que je peux m’autoriser à passer pour poursuivre ma progression.
Voilà pourquoi votre regard, à la fois extérieur et intérieur m’est indispensable.

Je me donne jusqu’au mois de février pour réfléchir sereinement à tout cela et je vous demande d’en faire autant.

Merci d’avance de votre bienveillante sollicitude.

 PS : J’ai publié ce texte sur Facebook, mais comme certains croyants n’y ont pas accès, je le publie également ici. Pour me répondre, excepté la page Facebook de la maison cathare, vous pouvez m’adresser un message via ce formulaire.

Le pain bénit : glissement spirituel

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Le pain bénit : glissement spirituel

Le pain bénit, référence biblique de la parole de Jésus

Est-il besoin de rappeler l’importance du pain dans la spiritualité chrétienne ? Il n’est donc pas étonnant qu’il soit aussi important chez les cathares.
Le pain est aussi le premier aliment manufacturé dont la composition garantissait contre les principales carences des hommes de la période antique.
On comprend mieux ainsi l’importance qu’il revêtait dans toutes les civilisations humaines.

Dans le christianisme, le pain est central également et il apparaît dans les textes comme l’aliment de référence à la parole christique. Cela se voit dans les évangiles lors de la multiplication des pains et lors de la dernière Cène.Read more

La prière et le croyant

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La prière et le croyant

Le Catharisme présente la particularité de ne pas imposer le baptême aux enfants. De ce fait, les croyants sont dans un statut un peu particulier qui les met à la marge du statut de Chrétien — réservé aux seuls Consolés — mais les implique néanmoins dans bien des moments de la vie communautaire chrétienne.
Leur participation, parfois active à plusieurs rituels les conduit à vouloir participer, mais la doctrine cathare est claire dans les limitations à cette participation.
C’est notamment le cas pour ce qui concerne les pratiques méditatives et, bien entendu, la plus importante, la pratique du Pater.

Le Pater, qui, quand et comment ?

Les Bons-Chrétiens médiévaux réservaient le Pater aux Consolés et aux novices admis à la tradition de la Sainte Oraison[1], qui intervenait peu de temps avant de recevoir la Consolation. On peut estimer que cela devait se passer entre la fin du troisième carême et la Pentecôte.
Nous ne sommes pas des Bons-Chrétiens, mais, pouvons-nous considérer que nous sommes aptes à nous considérer comme admissibles à cette tradition ?

Voyons ce que nous apprend la déposition de Pierre Maury devant l’inquisiteur de Pamiers[2] :
« Il [Pierre Authié] ajouta “Vous autres croyants, comme vous n’êtes pas encore dans la voie de vérité et de justice, vous n’êtes pas dignes de prier Dieu.” Je lui dis alors : “Et si nous ne prions pas Dieu, que ferons-nous ? Nous serons comme des bêtes !” Il me répondit que lui, qui était dans la vérité et la justice, et était digne de prier Dieu, priait et prierait pour les croyants. Je lui demandai : “Et nous donc, nous ne ferons pas une prière à Dieu ?” Il me répondit de dire, quand j’aurai à me lever du lit, à m’habiller, à manger, ou à faire quelque ouvrage : “Benedicite, Seigneur Dieu, Père des bons esprits, aide-nous dans tout ce que nous voudrons faire”, mais de ne dire en aucun cas le Pater noster, car nul ne doit le dire, s’il n’est dans la vérité et la justice, car ce sont des paroles de vérité et de justice. Si quelqu’un disait cette prière sans être dans la vérité et la justice, elle ne lui servirait de rien. »

Ce témoignage est très important, d’abord parce que Pierre Maury fait partie des très rares témoins absolument fiables. Ce croyant qui n’a pas voulu entrer en noviciat, par amour de sa liberté et de ses montagnes, en avait largement atteint le niveau pourtant. Devant l’Inquisition, il ne cherche pas à minimiser son engagement et livre au contraire un témoignage clair, net et précis, par lequel on sent la volonté de transmettre une information que rien ne saurait faire taire. Il en accepte le prix le plus élevé pour lui, l’enfermement au mur perpétuel.
Étudions-le de façon plus fine.

Statut des croyants et des Bons-Chrétiens

« … vous n’êtes pas encore dans la voie de vérité et de justice… »
Voilà la pierre d’achoppement du Catharisme. Il n’y a pas de demi-mesure. On retrouve cela dans les évangiles quand Jésus distingue nettement entre la foule, à qui il parle par paraboles car elle n’est pas en mesure de comprendre son enseignement direct, et ses disciples, à qui il parle directement car ils ont franchi le pas.
La Consolation — le baptême d’esprit — fait table rase du passé et ouvre la porte sur le cheminement chrétien. Celui qui est reçu dans la communauté évangélique, l’assemblée des Bons-Chrétiens, vit concrètement la résurrection. Le vieil homme, l’Adam, meurt en lui et le Christ s’éveille en lui pour le conduire en vérité et en justice sur la voie qui rend possible l’action de la grâce divine et qui le mène au salut.

L’interdiction de l’usage du Pater

Le croyant, et même le novice n’ayant pas accompli au moins sa première année de noviciat (les trois carêmes), ne sont pas encore dans la voie de vérité et de justice. S’ils ne sont pas dignes de prier Dieu, ce n’est pas en vertu d’un oukase dogmatique fixé par un clergé aveugle. Non, c’est simplement que l’on ne peut prononcer des paroles revêtant des notions précises si l’on n’est pas capable de les comprendre et si on ne les pratique pas au quotidien.
L’étude du Pater, que j’ai réalisé récemment, vient clairement démontrer cela. La purification spirituelle que sa pratique exige ne peut pas être le fait de personnes qui, aussi croyantes et motivées qu’elles soient, n’ont pas la possibilité de s’extraire suffisamment du monde pour y parvenir.
D’ailleurs Pierre Authié ne prononce pas une menace envers quiconque prononcerait le Pater sans y être apte. Il dit simplement que cela ne lui servirait de rien. Il précise également que le croyant n’est pas abandonné à son sort ; le Bon-Chrétien prie au quotidien pour les croyants, car c’est sa mission. Cela nous permet de comprendre mieux encore ce lien extraordinaire qui unissait la communauté ecclésiale (croyants et Bons-Chrétiens) jusque dans la terrible période de l’Inquisition.

Dans sa déposition, Arnaud Sicre d’Ax explique qu’une nuit, alors qu’il est couché dans le même lit que le Bon-Chrétien Guillaume Bélibaste et Pierre Maury, ce dernier, à qui il vient d’avouer dire le Pater noster et l’Ave Maria, lui répond :

« Personne ne doit dire le Pater noster sauf les messieurs qui sont dans la voie de la vérité. Mais nous et les autres, quand nous disons Pater noster, nous péchons mortellement, car nous ne sommes pas dans la voie de la vérité, puisque nous mangeons de la viande et que nous couchons avec des femmes. »

Ce témoignage, même s’il est de moindre qualité que le précédent, en raison de la nature du témoin essentiellement, confirme celui que Pierre Maury nous livre du prêche de Pierre Authié. L’ajout du fait que le croyant qui ne respecte pas cette règle pèche mortellement doit être considéré comme excessif. En effet, les Bons-Chrétiens sont clairs : pour être capable de pécher, il faut avoir la connaissance du Bien, ce qui n’est pas le cas des croyants. Par contre, logiquement, un croyant qui s’obstine à contrevenir à cette règle se met en dehors de la communauté ecclésiale et doit être considéré comme un sympathisant.

Une prière pour les croyants

La prière de tous les instants

Pierre Authié propose un texte à dire à tous les moments de la vie quotidienne pour un croyant désireux d’une implication spirituelle plus importante :
« Benedicite, Seigneur Dieu, Père des bons esprits, aide-nous dans tout ce que nous voudrons faire »
C’est un texte court, adapté aux croyants de l’époque dans sa formulation, et en même temps très fort dans sa signification.
La formule initiale demande la bénédiction à Dieu et l’identifie clairement pour éviter toute confusion avec celui qui se fait passer pour Dieu devant les hommes de ce monde. La seconde partie est simple et claire. L’attente porte sur une aide et non sur la résolution des problèmes, ce qui implique que le croyant accepte l’idée que c’est à lui de faire le plus gros du travail. Enfin, l’idée est que cela concerne tous les actes de la vie, car nous trébuchons à chaque instant.
Il me semble qu’on peut tout à fait la conserver telle quelle aujourd’hui et s’en servir à l’approche d’une activité qui nous semble de nature à nous éloigner un peu du cheminement correct. Pour des actes plus lourds de conséquence, un autre texte me semble préférable.

Le Père saint, une prière plus complète

Cette autre prière nous est indiquée dans un autre témoignage.
L’Inquisition d’Aragon transmit les textes de ses interrogatoires à celle de Pamiers[3]. Parmi eux se trouve celui de Jean Maury. Que nous dit ce texte ?

« Quand j’étais d’âge tendre, j’ai vu dans la maison de mon père un nomme Fabre et Philippe d’Alayrac ; c’étaient des hérétiques parfaits, et j’étais déjà, quoique petit, nourri de cette secte par mon père, ma mère et mon frère Pierre… Ils croient le Père des bons esprits, et ils prient ainsi :
« Père saint, Dieu légitime des bons esprits
qui n’a jamais trompé ni menti, ni erré, ni hésité,
par peur à venir trouver la mort dans le monde du dieu étranger
(car nous ne sommes pas du monde, et le monde n’est pas de nous)
donne-nous de connaître ce que tu connais
et d’aimer ce que tu aimes.
 »

Ce texte est suivi d’une tirade, sous forme d’anathème, empruntée à Matthieu. qui visait à l’époque les Juifs saduccéens et pharisiens ayant rejeté des synagogues les Juifs chrétiens nazaréns ébionites à la suite de la chute de Jérusalem en 70 et de la mise en place des communautés de Yavneh. Comme je l’indique dans mon livre, elle concernait aussi Paul accusé d’être demeuré pharisien, de façon à discréditer son action apostolique : « Pharisiens trompeurs, qui vous tenez à la porte du Royaume, vous empêchez d’entrer ceux qui le voudraient, et vous autres ne le voulez pas… »
Ensuite vient une dissertation doctrinale visant à confirmer la foi du croyant en un Dieu bon et en rappelant comment s’est opérée la chute : « c’est pourquoi je prie le Père saint des bons esprits, qui a pouvoir de sauver les âmes, et qui pour les bons esprits fait grener et fleurir, qui en considération des bons donne la vie aux méchants et fera pourtant qu’ils aillent au monde des bons…
et quand il n’y aura plus (dans) les cieux inférieurs, qui appartiennent aux sept Royaumes, des miens qui sont tombés du paradis, d’où Lucifer les a tiré avec le prétexte de tromperie que Dieu ne leur promet que le bien, et du fait que le diable était très faux, et leur promettait le mal et le bien, et leur dit qu’il leur donnerait des femmes qu’ils aimeraient beaucoup, et leur donnerait seigneurie les uns sur les autres, et qu’il y en aurait qui seraient rois, et comtes, et empereur, qu’avec un oiseau ils en prendraient un autre, et avec une bête une autre ; (que) tous ceux qui lui seraient soumis et descendraient en bas auraient pouvoir de faire le mal et le bien, comme Dieu en haut, et qu’il leur vaudrait beaucoup mieux être en bas, pouvant faire le mal et le bien, qu’en haut où Dieu ne leur donnait que le bien.
Et ainsi ils montèrent sur un ciel de verre, et autant qu’ils y montèrent ils tombèrent et périrent…
Enfin, le texte se termine en évoquant la mission que Dieu confia à Christ : « Et Dieu descendit du ciel avec douze apôtres, et s’esquissa en sainte Marie. »

Pour ne conserver que la partie strictement méditative, son analyse montre à quel point elle est construite de façon presque symétrique avec le Pater, tout en conservant un style et des formulations adaptées aux croyants.
D’abord le croyant précise à qui s’adresse sa prière et manifeste ainsi sa foi qui assoit son statut de croyant cathare. Il conserve néanmoins une présentation qualitative qui n’est pas utilisée dans le Pater, car le Bon-Chrétien est imprégné de cela et n’a donc pas besoin de le formuler.
Vient ensuite la motivation de la prière, c’est-à-dire réussir sa bonne fin en quittant ce monde qui nous contraint.
Le texte se termine par la demande de « nourriture spirituelle » formulée plus précisément car là encore le croyant a besoin de mettre les points sur les i. Rien ne figure, ni en ce qui concerne les manquements, ni en ce qui concerne le salut. C’est logique, puisque le croyant ne peut commettre de péché à proprement parler et que son salut ne peut intervenir que s’il devient à son tour Bon-Chrétien.

Conclusion

J’espère vous l’avoir clairement expliqué, le croyant et le novice en première partie de sa formation, ne doivent pas utiliser le Pater, qui ne leur est pas adapté, mais disposent néanmoins de pratiques de méditation utilisables à travers le Père saint et le Benedicite.
Ces deux textes permettent une vie spirituelle tout à fait satisfaisante et définissent une ligne de conduite apte à amener le croyant vers le noviciat et le novice vers la transmission de la sainte Oraison dominicale.
C’est aussi une école de patience qui nous apprend à ne pas brûler les étapes et à faire preuve d’humilité vis-à-vis de sa condition réelle au sein de la communauté ecclésiale.

Éric Delmas, 8 août 2017.


[1]. Le Rituel provençal contenu dans le Nouveau Testament de Lyon précise clairement qu’il ne faut pas que l’oraison (le Pater) soit dite par un homme séculier, c’est-à-dire par un croyant ou un novice qui n’est pas encore reçu dans la communauté évangélique.
[2] Le registre d’Inquisition de Jacques Fournier. Traduction et notes de Jean Duvernoy. Déposition de Pierre Maury, vol. 3 (Privat), vol. 3 (Bibliothèque des Introuvables).
[3] Le registre d’Inquisition de Jacques Fournier. Traduction et notes de Jean Duvernoy. Op. cit. Déposition de Jean Maury, vol. 2 (Privat), vol. 3 (Introuvables).

Association cultuelle

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Le projet de l’ouverture d’une maison cathare pour 2016 pose la question de son statut juridique. En effet, quoi que l’on pense de ce monde et de ses lois, nous y vivons et n’avons aucunement l’intention d’entrer en résistance ou d’enfreindre quelque obligation légale que ce soit.

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