Heures communautaires

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Les Heures communautaires

L’étude du rituel des heures communautaires cathares a donné lieu à des interprétations diverses. Je les ai personnellement présentées dans mon livre[1], mais je n’ai pas précisé les sources sur lesquelles je m’appuyais à l’époque. J’ai présenté ces travaux dans des articles publiés sur ce site, mais là encore ces deux articles étaient davantage axés sur mon analyse et sur la pratique, que sur l’analyse des sources.
Aussi vais-je faire un travail complet sur ce sujet en espérant que vous trouverez mon propos à la fois complet et accessible.

Qu’appelle-t-on Heures communautaires ?

La vie communautaire a pour premier sens de réunir des croyants dans une démarche spirituelle. Cette démarche se manifeste dans les relations des membres entre eux, à l’égard de leur environnement et vis-à-vis des habitants extérieurs à la communauté.
Elle se manifeste aussi par des temps où le groupe se réunit pour exprimer sa foi et développer sa compréhension de la religion au moyen d’études de textes, de formations dispensées par un frère plus compétent en la matière et par un travail personnel d’analyse.
Ces activités ont une place très importante chez les cathares comme dans tous les groupes communautaires de toutes les religions. Elles portent des noms variés dont les plus courants sont Heures monastiques ou canoniales et Heures régulières (pour les moines) ou séculières (pour la communauté ecclésiale).
Pour marquer le particularisme cathare je les ai appelées Heures communautaires.
Chez les judéo-chrétiens, les clercs avaient la mission de prier pour les autres, d’où leur nom médiéval de oratores.
Chez les cathares, on trouve d’autres termes, comme oraison ou prières. Cela désigne le même rituel, mais pour éviter notamment la confusion avec un autre rituel appelé tradition de la sainte Oraison dominicale, je préfère conserver le terme d’Heures. De même la prière est le nom communément donné au Pater, aussi je préfère éviter ce terme mis au pluriel pour désigner les Heures[2].

Étude spirituelle et pratique

Répartition et nombre

Comme le montre le tableau 1, dont les heures affichées sont celles du soleil (ajouter une heure en hiver et deux en été pour la France), l’amplitude solaire est d’environ quatre heures entre le solstice d’été (lever à 4 heures solaire) et le solstice d’hiver (lever à 8 heures solaire). Ce qui fait pour notre système horaire actuel, un lever à 6 heures au solstice d’été et un lever à 9 heures pour le solstice d’hiver. Cette amplitude de trois heures légales contraint à effectuer des adaptations régulières si l’on veut respecter les horaires des périodes rituelles situés aux extrêmes du nycthémère.

La première particularité notable des Heures communautaires est qu’elles sont ancrées dans le nycthémère de façon à respecter un rythme circadien incluant une période de repos de huit heures au moins (heures de nuit), en accord avec le psaume 119, 164 : Sept fois par jour je te loue, à cause de tes jugements de justice.
Il y a donc sept Heures qui se déroulent de jour (temps de veille) et une de nuit (à la fin du temps de repos).

Les Vigiles (ou Matines) sont généralement célébrées à la huitième heure de la nuit, selon la règle de saint Benoît, ce qui correspondait à l’époque à deux heures du matin (heure « solaire »). Elle se déroulait dans l’obscurité, pour ne pas gâcher de chandelle, ce qui accrédite les témoignages parlant de prière au milieu de la nuit.
Les Laudes sont les Heures du lever du jour et servent de repère aux Heures suivantes. La Prime intervient dans l’heure suivante, la Tierce dans la troisième heure, la sexte (ou sixte) dans la sixième et la None dans la neuvième.
Enfin, les Vêpres, qui correspondent à la douzième heure du jour, marquent la fin du travail et sont dites avant le repas du soir. Enfin, les Complies sont dites avant le coucher, c’est-à-dire huit heures avant les prochaines Vigiles.

Cette organisation vise à montrer que le moine prie tout le temps, de jour comme de nuit. Il est clair que cette répartition amenait les dernières Heures à se dérouler de nuit dans les périodes hivernales. En effet, si en été le soleil se levait vers 4 heures du matin, les Complies devaient intervenir avant le coucher, c’est-à-dire vers 19 heures (21h de notre heure d’été), afin de respecter les huit heures de repos avant les prochaines Vigiles. En hiver, le décalage induit par le soleil (lever à 8 heures solaires, soit 9h selon l’heure d’hiver) oblige à reporter d’autant l’heure de coucher. Cela s’adapte selon la zone géographique. Par exemple, Carcassonne a presque une demi-heure de décalage négatif par rapport à Paris.

Source : Lever de soleil à Paris par Poulpy pour fr.wikipedia.org sous licence gnu free documentation licence

Particularités pratiques

Les textes dont nous disposons venant des polémistes pour l’essentiel ne nous renseignent pas très bien sur le détail des pratiques rituelles cathares. Ce qui est certain c’est que ces pratiques sont fréquentes, comme dans les communautés monastiques des autres christianismes, rythmées et qu’elles se pratiquent également de nuit.
Il est plus que probable que les cathares respectaient cette organisation, d’une part car elle s’appuyait sur les psaumes qu’ils ne rejetaient pas dans leur totalité et, d’autre part car elle correspondait également à leur conception de l’obligation de prière du chrétien consolé.

Les cathares se considéraient comme des chrétiens à part entière et l’on sait qu’il est arrivé que des bons chrétiens (hommes et femmes) ont vécu dans des monastères catholiques sans renoncer à leur foi.
Il est plus que probable qu’ils aient calqué, peu ou prou, leur organisation rituelle sur les règles monastiques en vigueur à l’époque. L’occident chrétien était alors sous la règle de Benoît de Nurcie et l’orient chrétien sous celle de Basile de Césaré.

Bien entendu concernant les Heures communautaires, il est bon de préciser quelques points.
Les cathares pratiquaient des rituels décrits comme simples et doubles. Un texte nous précise qu’ils pratiquaient jusqu’à cent génuflexions (venias) par jour. Le total des rituels est énoncé comme variant entre 14 et 15 par jour avec une répartition variable entre le jour et la nuit.
Outre qu’il est fort possible que chaque communauté ait pu adapter ses pratiques à sa convenance, il est clair que les personnes nous les rapportant ne les ont pas vécues de l’intérieur, ce qui explique l’apparente confusion entre les récits.
Ce qui ressort clairement c’est l’importante fréquence des pratiques rituelles.

Nous avons une présentation assez claire des Heures communautaires (oraisons) en vigueur à l’époque, comme de nos jours.

Huit périodes sont décrites et portent des noms précis :
– Les Matines ou Vigiles sont le premier rituel. Elles se tiennent de nuit.
– Les Laudes viennent ensuite, à l’aurore.
Prime correspond à la première heure durant laquelle se lève le jour.
Tierce est le rituel de troisième heure du jour.
Sexte est le rituel de sixième heure du jour.
None est le rituel de neuvième heure du jour.
– Les Vêpres sont le rituel du soir, avant le dernier repas, correspondent à la douzième heure.
– Les Complies sont le rituel précédant le coucher.

Le seul rituel clairement précisé comme devant se dérouler de nuit sont les Vigiles. Les Complies auront lieu de nuit ou de jour selon la saison.

Concernant le fait de dire simple ou double en vigueur chez les cathares, je note que les Heures communautaires comportent quatre temps désignés par un terme écrit au pluriel et quatre par un terme au singulier. Comment ne pas en déduire que les Heures doubles correspondent aux premiers et les simples aux seconds ?
Ce que j’appelle une période rituelle est partagée en deux parties, un rituel à proprement parler dirigé par l’ancien ou par un ministre à la demande de l’ancien et une période d’étude et de discussion en groupe qui correspond à la partie du rituel judéo-chrétien appelé le capitule.

Contrairement aux judéo-chrétiens qui ont une liturgie variée et mouvante empruntant à plusieurs partie de l’Ancien Testament et du Nouveau Testament, les cathares semblaient privilégier une pratique plus répétitive qui n’est pas sans rappeler les pratiques bouddhistes ou chamaniques. On peut envisager que cela visait également à induire une forme de dissociation entre la part mondaine et la part spirituelle par saturation des sens mondains.

Ce rituel nous est apparemment bien rendu par Anselme d’Alexandrie dans son Traité sur les hérétiques (Tractatus de hereticis).
Mais cet inquisiteur ne s’attarde pas trop sur ce sujet qu’il inclut juste après l’appel au repas (chap. 8) et dont il ne fait que citer les temps différents.

Particularités de l’oraison

Si l’on veut rendre cela de façon claire, il faut chercher des informations ailleurs. Malheureusement, le Nouveau Testament occitan, dont le manuscrit conservé à Lyon, contient une partie rituelle ne nous renseigne pas sur la pratique de l’oraison. Il faut être très clair et précis sur les termes que nous employons :

  • un rituel est une cérémonie spécifique à un objectif précis : rituel de l’Oraison dominicale, rituel des Heures, etc.
  • l’oraison est la pratique rituelle visant à prier lors des Heures communautaires.
  • la prière désigne soit le Pater pour les consolés et les novices admis au rituel de l’Oraison dominicale, soit le Père saint pour les croyants et les novices débutants.

En effet, dans le Nouveau Testament (NT) occitan, les deux textes qui parlent de l’oraison sont les deux rituels décrits, à savoir : celui de la tradition de l’Oraison dominicale et celui de la Consolation. Or, on y trouve la remarque « Et puis, que l’ancien dise l’oraison, et que le croyant la suive. » (p. XV éd. Sltakine), dans le rituel de l’Oraison dominicale et « Et qu’ils prient Dieu avec l’oraison, … et l’oraison une fois à haute voix, …» (p. XXI éd. Slatkine). Pourtant des éléments figurant dans l’oraison sont situés avant ou après ces citations. De même, dans la Consolation, on voit apparaître la notion de sixaine dite par l’évêque. Pourquoi l’oraison n’est pas détaillée, mais simplement citée et pourquoi d’autres éléments sont-ils cités ?
La réponse n’est pas simple et plusieurs auteurs s’y sont trompés involontairement, comme Jean Duvernoy et plus récemment Ruben de Labastide. Moi-même je n’avais pas compris la subtilité de ce point jusqu’à la publication du travail de Anne Brenon et David Zbiral (et leurs collègues) concernant ce document écrit par des cathares pour des cathares.
Le NT occitan a été écrit à la fin du 13e siècle par des cathares réfugiés en Italie du Nord, membres des communautés cathares du Languedoc et de France. Il était destiné à accompagner les cathares consolés qui revenaient en terre soumise à l’Inquisition pour soutenir les croyants dépossédés de leur Église depuis la chute de Montségur. Ces cathares n’étaient, ni des diacres, ni des évêques, qui préféraient rester en Italie — relativement protégés des méfaits de l’Inquisition grâce à la résistance des partisans de l’empereur (gibelins) opposés aux partisans du Pape (guelfes).
Les rituels de la tradition de l’Oraison dominicale et de la Consolation étaient normalement dirigés par l’évêque ou, sur autorisation spéciale de ce dernier, par le diacre. Les bons-chrétiens ne pratiquaient pas ce rituel et encore moins le sacrement de baptême. Donc, à titre exceptionnel, ils reçurent l’autorisation de le faire, afin de permettre la renaissance de l’Église en terres occitanes, et il leur fut remis ce document qui détaillait de façon précise ces deux moments forts de la vie liturgique cathare.
En effet, il fallait qu’ils disposent d’un support écrit pour pouvoir dire ce texte sans omission et de façon identique à chaque fois. C’est d’ailleurs confirmé par le la présence dans ces textes des admonestations que faisait l’évêque au novice ou au mourant. Elles sont entièrement rédigées pour être assuré qu’elles seraient dites correctement. En temps normal il est probable que les évêques devaient dire des admonestations de leur crû, ce qui ne pouvait être admis de la part de simples consolés.
Par contre, l’oraison n’est pas détaillée pour la bonne raison que ces bons-chrétiens la pratiquaient quotidiennement et n’avaient aucun mal à se la rappeler.
Nous pouvons donc dire que l’oraison (Heure), à proprement parler, est bien celle dont Anselme d’Alexandrie nous livre le contenu. En effet, cet inquisiteur a interrogé des croyants et sans doute aussi des bons-chrétiens. Il a donc pu entendre le détail de cette oraison, même si son compte-rendu est brouillon, alors qu’il est plus que probable qu’il n’a pas eu droit au récit détaillé d’un rituel de la sainte Oraison dominicale et encore moins d’un sacrement de la Consolation.

La pratique

Il découle de ce travail de recherche la version que j’ai publiée et que j’utilise au quotidien depuis le début de mon noviciat. Je vous le rappelle ci-dessous.

L’ancien de la communauté débute ainsi :
Bénissez-nous, épargnez-nous [Benedicite parcite[3] nobis]
À quoi l’assistance répond :
Que le Père, le Fils et le Saint-Esprit nous remettent et nous épargnent tous nos péchés [Pater et Filius et Spiritus sanctus dimittat[4] nobis et parcat omnia peccata nostra]
Ensuite l’ancien dit à haute voix :
Prions devant le Père, le Fils et le Saint-Esprit [Adoremus[5] Patrem et Filium et Spiritum sanctum]
L’assistance répond :
Cela est digne et juste [Dignum et justum est]
À ce moment, tous font une veniæ[6] (ils s’agenouillent et se prosternent, puis se relèvent).
L’ancien recommence à voix basse (Prions devant le Père, le Fils et le Saint-Esprit) et l’assistance répond de même (Cela est digne et juste) et tous font une deuxième veniæ.
Enfin l’ancien réitère à haute voix (Prions devant le Père, le Fils et le Saint-Esprit) et l’assistance répond de même (Cela est digne et juste), puis tous font une troisième veniæ.
Ensuite, tous disent avec l’ancien treize Notre Père. L’ancien en dit un quatorzième seul.
Il reprend immédiatement une série de trois Prions devant le Père, le Fils et le Saint-Esprit avec répons de l’assistance (Cela est digne et juste), ponctués de trois venias (comme précédemment).
Enfin, tous disent avec l’ancien un dernier Notre Père.
L’ancien dit seul une série de trois Notre Père suivis d’un seul Prions devant le Père, le Fils et le Saint-Esprit avec répons de l’assistance (Cela est digne et juste) et une veniæ.
L’ancien dit alors :
Que la grâce à notre Seigneur Jésus Christ soit toujours avec nous [Gracia domini nostri Jesu Christi sit semper cum omnibus nobis].
L’assistance répond : Amen.
Pour finir l’ancien reprend comme au début :
Bénissez-nous, épargnez-nous [Benedicite parcite nobis]
À quoi l’assistance répond :
Que le Père, le Fils et le Saint-Esprit nous remettent et nous épargnent tous nos péchés [Pater et Filius et Spiritus sanctus dimittat nobis et parcat omnia peccata nostra]

La gestuelle associée est double. Pour les parties où l’assemblée se tient debout, les mains sont jointes à plat, doigts serrés et l’on se tient légèrement penché en avant. Pour les Prions devant, chacun commence par s’agenouiller et, posant les mains à plat sur le sol, vient les toucher avec le front[7]. C’est cela que l’on appelle veniæ. Bien entendu, il faut se redresser à chaque fois, ce qui donne une veniæ pour chaque Prions devant.

Le rituel des Heures communautaires d’après les sources

J’ai restitué ce rituel en me basant sur le travail d’Anselme d’Alexandrie et j’ai précisé les points les moins clairs d’après des notions éparses.

Le rituel

Le rituel des Heures comporte deux fois trois Adoremus ponctués chacun par une génuflexion (veniae) plus un autre final. Cela donne 84 venias par jour, proche des 100 génuflexions des témoignages.

Pour que la vie diurne puisse se pratiquer de façon à peu près correcte il faut admettre que les Heures de jour qui viennent s’inclure dans l’activité mondaine doivent être des Heures simples, ne dépassant pas la demi-heure de rituel, ce que semble confirmer leur orthographe mise au singulier (Prime, Tierce, Sexte, None).
Par contre les Vigiles qui marquent l’éveil sont doubles et sont suivie d’une heure de battement pendant laquelle il est possible d’effectuer ses ablutions et de prendre un petit déjeuner, hors période de jeûne.
Ensuite, les Laudes, doubles également se terminent avant la fin de l’heure du lever du soleil. Elles constituent le temps 0 de la journée.
La Prime est dite dès le début de l’heure qui suit, ce qui fait que ce sont un double rituel suivi d’un simple qui se confondent si on y ajoute le temps d’étude (capitule) qui suit obligatoirement chaque Heure.
Ensuite, le rythme est régulier, chaque Heure intervenant trois heures après la précédente, la première étant les Laudes, car la Prime est déjà décalée de son côté. Cela se termine aux Vêpres (douzième heure) qui clôturent les Heures de jour. Les Complies sont calculées par rapport à l’heure des Vigiles (huit heures d’écart).

Les horaires

Pour que les Laudes correspondent à l’heure du lever du soleil, elles doivent donc débuter au plus tôt à 7h30 solaire (8h30) au solstice d’hiver et au plus tard à 4h00 solaire (6 h00) au solstice d’été.
Cela veut dire que les Vigiles débuteraient une heure plus tôt pour être assuré qu’elles aient lieu de nuit.
Mais la variation de l’heure du lever du soleil est régulière (env. une demi-heure par mois), ce qui obligerait à des adaptations au fil de l’année.
Si l’on suit les variations de l’heure légale, on peut envisager deux périodes. De fin octobre à fin mars — le jour se levant entre 8h00 et 7h00 (heure légale), l’amplitude d’une heure permettrait un lever à 6h00 pour une heure de matines entre 6h30 et 7h00. De fin mars à fin octobre — le jour se levant entre 8h00 et 6h00 (heure légale), il faudrait avancer le lever d’une heure (entre 5h00 et 5h30).
Bien entendu l’adaptation se fera à l’usage de façon à équilibrer au mieux les choses. Cette organisation n’a pas vocation à être contraignante.
Au total, Vigiles, Laudes, Vêpres et Complies sont doubles alors que Prime, Tierce, Sexte et None sont simples. Cela représente douze périodes rituelles correspondant à quatre-vingt-quatre venias.
On le voit, cette organisation permettait de vaquer aux occupations quotidiennes internes à la communauté mais si l’on travaille à l’extérieur, Tierce, Sexte et None, sont impossibles à respecter. Certes il est envisageable de faire un rituel simplifié sur son lieu de travail mais la coupure communautaire est néanmoins majeure.

Les sources

À ce jour nous disposons de quatre sources décrivant ce rituel et de mentions marginales.
Jean Duvernoy tente même de les comparer dans son livre[8], malgré les apparentes contradictions qu’il note. Il recense ainsi les écrits de Héribert, de Landulfus senior, de Jacques Fournier, du ms 609 de Toulouse, de Robert de Torigny, de Euthyme Zigabène et d’Anselme d’Alexandrie. Un témoignage spécial existe dans le Nouveau Testament cathare occitan de Lyon. Ce dernier est le seul émanant directement des cathares. En outre, il est sans doute le plus récent puisque écrit à la fin du 13e siècle en Italie du Nord où une forte communauté cathare languedocienne s’était réfugiée. Ces témoignages s’étalent du 10e au 13e siècle. À l’exception de celui attribué à Anselme d’Alexandrie, publiée par Antoine Dondaine et du Nouveau testament occitan, les autres sont très fragmentaires, voire se limitent à de simples remarques marginales.

Par souci d’honnêteté je vais vous présenter ces différents témoignages et vous donner des clés permettant de les interpréter.

Les rituels

Les variations présentes dans les rapports des polémistes et inquisiteurs peuvent se comprendre du fait qu’ils rapportent des témoignages issus de croyants et de témoins les ayants plus ou moins bien compris, selon leur interlocuteurs, et eux mêmes plus ou moins désireux de les magnifier pour indiquer la grande ferveur des bons-chrétiens. Cependant, on note que ces témoignages s’approchent très près de la réalité. Les génuflexions quotidiennes sont au nombre de 84 aujourd’hui, quand Héribert parle de 100[9]. La répartition des Heures est elle aussi proche de la réalité car les comportements des cathares devaient peu différer de ceux des moins catholiques à cette époque. La population avait du mal à les différencier comme le montre certaines discussions entre auditeurs et consolés.
En outre, les clercs catholiques, comme Anselme d’Alexandrie ne faisaient pas œuvre de journalistes. Ils rapportaient des faits destinés à informer une autorité qui ne viendrait pas pinailler sur des détails.
Les cathares, où les hérétiques s’y assimilant, sont présentés comme priant sans cesse et se livrant à la prière et au travail de jour comme de nuit. Cette description indique simplement, qu’à la différence des gens du peuple qui calquaient leur vie active sur la période de jour, les cathares — mais aussi sans doute les religieux catholiques — n’hésitaient pas à s’activer la nuit tombée. Dans son témoignage devant l’inquisiteur Jacques Fournier, Arnaud Sicre précise que le bon croyant Pierre Maury lui avait confié que le consolé Guilhem Bélibaste se levait six fois dans la nuit pour dire ses Heures[10].

Faisons une première analyse de commentaire. Le récit semble dater des environs d’avril 1319, mais le déposant est tellement vague quant aux dates qu’il est difficile de l’affirmer. À supposer que ce témoignage soit précis, à cette période les jours et les nuits s’équilibrent (équinoxe). Le soleil se lève aux alentours de 5h00 et se couche vers 20h30 (calendrier solaire). On sait que les cathares priaient dans l’heure précédant le lever du soleil (donc de nuit). Ils priaient également dans l’heure du lever, qui selon le moment de la saison pouvait très bien commencer de nuit. Or, ces deux prières, comme je vous l’expliquerai plus tard, étaient des « doubles », c’est-à-dire qu’elles regroupaient deux rituels chacune. Cela fait donc potentiellement jusqu’à quatre rituels prononcés de nuit en début de journée. De même, en fin de journée, le coucher se faisant au coucher du soleil, les cathares pouvaient se relever pour faire leur dernier rituel du soir. Donc, on avait bien au moins six rituels prononcés de nuit. Par contre, en été, hormis les deux premiers rituels qui se déroulaient forcément de nuit, les autres couvraient des heures de jour, y compris les deux derniers.

Robert de Torigny[11] et Euthyme Zigabène[12] parlent de 12 rituels s’échelonnant de jour et de nuit, ce qui correspond à la réalité, même si la répartition diurne et nocturne diffère, ce qui peut s’expliquer selon la saison de l’observation. Anselme d’Alexandrie, pour sa part est proche puisqu’il parle de 15 rituels quotidiens[13].

Au final, il faut comprendre que la notion de nuit est différente au Moyen-Âge comparativement à aujourd’hui, surtout chez la population pauvre où l’on ne gaspillait pas les chandelles ou l’huile pour s’éclairer. Il fallait vivre au rythme des saisons et de la course du soleil.

Le contenu et les variantes

Nous le voyons avec Jean Duvernoy, le contenu des rituels diffère d’un auteur à l’autre. Mais deux sont manifestement incomplets et les deux autres comportent une différence fondamentale qui a échappé aux chercheurs.

Il comporte un Benedicite (Anselme, NT Lyon) suivi d’un Parcat, mais le NT de Lyon insère entre les deux un Fiat nobis secundum verbum tuum (Qu’il nous soit fait selon ta parole).
Ensuite suivent trois Adoremus (un seul chez Euthyme), chacun suivi d’un Dignum chez Anselme et Euthyme, mais pas dans le NT de Lyon.
Ensuite vient la série des Pater : 13 ensemble et un par l’ancien en plus (Anselme), six ensemble et un ( ?) par l’ancien (NT Lyon) et un ensemble pour Radosav et Euthyme.
Anselme et le NT Lyon proposent ensuite 3 Adoremus et Radosav[14] un seul.
Le Dignum n’apparaît que chez Anselme et Radosav, mais Anselme est le seul à annoncer un Pater ensemble et 3 par l’ancien en suivant.
Un dernier Adoremus est présent chez Anselme et Radosav, suivi d’un Gratias et d’un Benedicite chez les trois (Anselme, NT Lyon et Radosav).

Le NT Lyon et Radosav ajoutent un Fiat nobis et tous finissent avec un Parcat.

Le plus court de tous est Euthyme qui s’arrête dès le premier Pater. Est-ce parce qu’il est incomplet ? On ne peut le dire. Peut-être est-ce une admonestation sans rapport avec le rituel des Heures.
Radosav est complet dans la seconde partie, mais il semble manquer la première. Peut-être est-ce une version raccourcie, car il n’y a qu’un seul Pater, ce qui semble court pour une oraison.
Anselme et le NT de Lyon sont beaucoup plus complet, mais diffèrent l’un de l’autre sur plusieurs points.

Le NT ne peut être remis en cause puisqu’il s’agit d’un document complet écrit par des cathares. Mais l’oraison qui y figure est celle du sacrement de la Consolation et non celle des Heures quotidiennes en usage dans les maisons cathare. Anselme, lui, nous parle de ce dernier cérémonial.
Il est donc raisonnable d’attribuer ces différences au fait qu’il s’agit de cérémonies différentes.
En effet, dans ce cas tout devient clair. L’oraison, dans la cérémonie de la Consolation n’est pas le fonds du sacrement. Qu’une version réduite ait été choisie afin de ne pas alourdir inutilement la cérémonie semble compréhensible.

C’est pour cela que j’ai dissocié les deux textes, ne gardant que Anselme pour l’oraison des Heures et le NT de Lyon pour la Consolation. Radosav et Euthyme étant trop incomplets, volontairement ou non, ne peuvent être utiles d’autant que leur contenu se retrouve dans les deux autres textes.

Exégèse et analyse

Comme vous le comprenez l’analyse de textes ne peut se faire que dans leur contexte. Il faut comprendre de quoi parlent les auteurs avant de se lancer dans des reconstructions qui peuvent s’avérer hasardeuses.

Il me semble que Ruben de Labastide[15] a commis une erreur dans son analyse en croyant que Jean Duvernoy voulait reconstituer le texte unique en y incluant les phrases éparses dans les autres textes. Ce que Jean Duvernoy dit est : « Le rapprochement de ces quatre sources permet de se faire une idée de la liturgie intégrale, si l’on tient compte du fait que le but des deux Rituels était plus de fournir un exemplaire de chaque élément que de donner une description complète. »
En fait J. Duvernoy dit deux choses en une ; une vraie et l’autre fausse. Oui, les deux Rituels présentés (l’oraison des Heures et le Rituel de la Consolation) sont destinés à fournir un exemplaire de chacun d’eux. On ne peut imaginer que le NT de Lyon puisse être incomplet. En effet, il servait à des consolés qui n’étaient ni diacres, ni évêques pour tenir ce rôle lors de Consolations se déroulant en temps de crise. Il leur fallait donc, tant pour le Rituel de la sainte Oraison dominicale que pour le sacrement de la Consolation — souvent réunis lors de la même cérémonie —, un document complet qu’ils puissent consulter et lire de façon à maintenir cette pratique sans risquer de la dénaturer.
Mais J. Duvernoy se trompe, et Ruben avec lui, quand il pense qu’il existe une version complète qu’aucun des deux textes ne propose. En fait ces textes sont complets, chacun pour son usage.
Anselme d’Alexandrie nous livre un texte issu de la vie interne des consolés et des novices. Ce texte est très bien connu de tous et il a donc pu aisément se le procurer. Par contre, le texte de la Consolation est connu des seuls revêtus en charge de l’administration de l’Église, les évêques et les diacres. Il était donc beaucoup plus difficile pour Anselme d’en avoir connaissance. C’est pour cela qu’il n’en parle pas.

Conclusion

On le voit, les Heures communautaires rythment la vie du groupe comme il convient à une communauté tournée vers l’aspect spirituel de la vie.
Sauf contrainte exceptionnelle elles s’imposent à toute autre activité mondaine.
Elles requièrent la présence régulière des membres, et notamment de l’ancien ou du ministre, afin de maintenir une cohésion dans le déroulé des enseignements qui font partie intégrante de ces Heures communautaires.


[1] La pratique ecclésiale, in Catharisme d’aujourd’hui. Seconde édition 2015 (Carcassonne)

[2] Dans son Livre contre les hérétiques (Liber contra hereticos), attribué à Ermengaud, l’auteur semble faire cette confusion puisqu’il parle du Pater en disant : … ils disent sept oraisons dominicales. Traduction de Ruben de Labastide, éd. lamaisoncathare.org 2015.

[3] Le terme pardon, repris dans les textes français, et même dans l’occitan du Nouveau Testament de Lyon, ne rend pas la notion d’égalité parfaite et de Bienveillance propre à la doctrine cathare. Dans le pardon, il y toujours une supériorité de fait de celui qui pardonne vis-à-vis de celui qui est pardonné. Or, le terme latin ne se traduit pas exactement par pardon mais plutôt par quelque chose qui est du domaine de l’économie (par ex. parcus se traduit par économe ou pingre) et de la protection. En français le terme le plus proche est épargne qui désigne à la fois ce que l’on met de côté sur le plan financier et celui que l’on met de côté pour le protéger, attitude classique d’un fort protégeant un faible.

[4] La traduction de dimittat n’est pas évidente. D’après le dicolatin il s’agit de la troisième personne du singulier du subjonctif du temps actif. Le sens varie de remettre une faute à congédier une assemblée. Dans le cas présent il semble que ce soit la première hypothèse qui convienne le mieux.

[5] Là encore, la traduction directe donne adorons, terme exact dans sa construction mais fortement connoté de nos jours et qui laisse penser à une dévotion extrême proche d’un comportement sectaire. Mais ce n’est pas du tout l’esprit de l’époque où l’on décrit simplement la position de l’orant qui s’agenouille et s’allonge pour signifier sa piété. La locution prions devant est donc plus appropriée.

[6] Cette prosternation (veniæ) est la même que celle décrite et illustrée dans l’Amélioration.

[7] Ruben de Labastide suggère que cela pourrait indiquer que les mains sont posées au sol l’une sur l’autre de façon croisée. Cela n’a rien d’indispensable. Elles peuvent tout aussi bien être posées une à côté de l’autre, le front venant s’appuyer sur les deux. La pratique courante dans la plupart des religions est de poser les mains latéralement et le front vienne toucher le sol entre les deux. Cela me semble plus propice à l’équilibre du pratiquant.

[8] Le catharisme, t. 1 La religion des cathares. Édition Privat 1976 (Toulouse), pp. 184-186.

[9] Héribert : Patrologie latine, 181, c. 1721

[10] Le registre d’Inquisition de Jacques Fournier, t. 3 p. 765. Édition Bibliothèque des introuvables 2006 (Paris).

[11] Robert de Torigny : Annales de Margan, Rerum britannicarum script. Ann. monastici. I, p. 15

[12] Euthyme Zigabène : Patrologie grecque, 130, cc. 1314-1315

[13] Anselme d’Alexandrie : La hiérarchie cathare en Italie, Antoine Dondaine, II, dans Archivum Fratrum Praedicatorum, t. XX, 1950, p. 316

[14] Radosav : Bogomilska crkva Bosanskih crstijana. Édition Mandic, 1962 (Chicago) p. 88-89 et 461-462.

[15] Traité sur les hérétiques, Ruben de Labastide in Sources cathares. Éditions lamaisoncathare.org 2016(lulu.com).

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