Le travail et le cathare

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Le travail et le cathare

L’activité mondaine et le catharisme

L’étude des textes et des témoignages est sans ambiguïté sur ce sujet : les Bons-Chrétiens travaillaient pour gagner leur vie et ce en toutes circonstances.

C’est une différence non négligeable avec les catholiques qui admettaient, en raison de la classification sociale médiévale notamment, que ceux qui avaient la charge de prier pour le salut de tous, pouvaient éventuellement bénéficier de la charité de tous.

En effet, le travail était de la responsabilité de la classe laborieuse (laboratores), alors que les nobles étaient en charge de la protection physique de tous au moyen des armes (bellatores) et que le salut des âmes relevait de la classe religieuse (oratores).
Certes, une partie du clergé, y compris dans les monastères menait des activités laborieuses, matérielles ou intellectuelles, en plus de leur activité spirituelle. Mais, la contemplation était acceptée comme seule activité, ce qui obligeait donc la population environnante à pratiquer la charité envers ces moines. Aujourd’hui on retrouve ce principe dans le Bouddhisme notamment dont les moines mendient chaque jour leur nourriture.
Les Cathares voyaient les choses autrement. Ils considéraient qu’une activité mondaine était indispensable pour assurer la subsistance du corps. Pensaient-ils que la mendicité active était mauvaise ? On peut le croire, même si dans les temps les plus durs, certains en bénéficieront de façon passive. Je voudrais essayer d’étudier ce point et de voir comment le concept de travail peut s’articuler avec les particularités de notre monde moderne dont plusieurs spécificités n’existaient pas au Moyen Âge.

Concept de travail mondain

Je différencie volontairement le travail, que j’appelle mondain, du travail spirituel, car je crois que l’activité strictement moniale est un travail, même s’il ne produit pas de richesse palpable. Le travail mondain est de deux natures qui s’entremêlent la plupart du temps : la pratique matérielle liée à une gestuelle et la pratique intellectuelle liée à une réflexion.
Au Moyen Âge certains Cathares étaient d’anciens intellectuels (médecins, notaires, etc.) et nous savons que d’aucuns purent conserver cette activité même après avoir été consolés. Certes, Pèire Autié n’a pu demeurer notaire, car cette activité était intenable vis-à-vis des pouvoirs locaux et royaux, mais un médecin est attesté dans les rangs des Cathares, ce qui démontre que l’activité intellectuelle n’était ni valorisée ni dévalorisée à l’époque.
Pour autant, la plupart des Bons-Chrétiens étaient des travailleurs manuels, soit parce qu’il s’agissait d’activités dont l’apprentissage pouvait se faire rapidement, notamment pour celles et ceux qui venaient des classes nobiliaires et qui donc n’avaient pas l’habitude de travailler, et pour ceux qui devaient abandonner un ancien métier qui les aurait mis en danger. En outre, le travail manuel constituait l’énorme majorité des activités humaines d’une époque où l’accès à l’éducation était extrêmement restreint et où l’économie vivrière des États nécessitait une production de biens de consommation directe importante.
Aujourd’hui les choses ont bien changé. L’économie mondialisée a provoqué un changement complet de paradigme. Produire pour sa consommation n’est plus considéré comme nécessaire et l’on voit apparaître des sectorisations qui dépassent les pays en créant des zones industrieuses à faible coût de revient et des zones de consommation effrénée qui créent, elles aussi, des catégories de pauvres faute d’emploi le plus souvent.
L’éloignement des possibilités de production directe fait que nous sommes le plus souvent amenés à acheter les biens que d’autres ont produits, voire transformés, pour notre usage. De même, certaines activités font désormais l’objet d’une activité professionnelle alors qu’autrefois elles revenaient de fait à certaines catégories sociales, notamment les femmes, sans qu’il ait pu sembler justifier de les monétiser. C’est le cas de l’entretien domestique des lieux de vie et des personnes de la famille. Seuls les plus aisés payaient pour ces services.
De fait, au quotidien nous avons des activités mondaines de deux types : celles ayant pour objectif de produire un profit financier et celles ayant pour objectif d’organiser notre vie quotidienne. Nous les modulons selon nos besoins et souvent selon nos moyens. Ainsi, celles et ceux qui considèrent que leur activité de rapport nécessite un investissement important et dont les moyens le leur permettent, vont-ils déléguer les activités relevant de la vie quotidienne à d’autres personnes qui seront rémunérées pour cela. Dans certains cas, ce choix sera lié à la notion de rentabilité. C’est-à-dire que la pratique d’une activité pour laquelle nous sommes moins performant sera néfaste à la qualité et à la productivité d’une autre activité pour laquelle nous avons des appétences et des compétences. Le choix de les déléguer sera là aussi justifié.
Il y a aussi une particularité qui n’existait pas autrefois et qui a toute sa place aujourd’hui. Je veux parler de la suppléance sociale. Certains d’entre nous ne peuvent pas fournir un travail en raison d’un handicap et bénéficient à ce titre d’aides sociales. En effet, la disparition de la famille élargie a rendu vulnérables les personnes isolées et affaiblies. L’autre cas, beaucoup moins dramatique, est celui des retraités. L’assurance retraite obligatoire depuis 1947 a créé, en France notamment, une catégorie sociale particulière. Le retraité est qualifié d’inactif, ce qui de moins en moins vrai, car il me semble plus logique de parler de non productif au sens économique du terme, même si beaucoup produisent des richesses dans des domaines où le secteur public et le secteur marchand refusent de s’investir en raison, soit des coûts que cela induirait, soit d’une rentabilité jugée insuffisante. Ce retraité, même s’il reste oisif n’est pas fautif puisqu’il a en fait financé a priori son statut actuel par des cotisations sociales payées tout au long de sa vie. Et même s’il vit longtemps et qu’arrive un moment où il aura gagné plus qu’il n’a cotisé, ce n’est pas du vol mais la simple conséquence du hasard qui l’a favorisé à son insu et qui en a défavorisé d’autres. Nous retrouvons opportunément là une idée qui transparaît dans la parabole des talents où le mauvais maître remet à chacun de ses serviteurs une somme (les talents romains) différente au lieu de leur donner la même à tous. Le mieux servi fournira le meilleur profit et le second, moins bien loti, ne pourra pas faire aussi bien.
Maintenant que je pense avoir dressé un tableau à peu près exhaustif, voyons ce qu’il faut en penser d’un point de vue cathare.

Le travail considéré du point de vue cathare

Nous ne savons pas si les Cathares médiévaux assuraient à la fois un travail rémunérateur et un travail domestique. Sans doute certains le faisaient-ils, mais il est permis de penser que ce n’était pas un cas général. Nous voyons bien qu’en période d’Inquisition — car c’est elle qui regroupe le plus grand nombre de témoignages —, certains Cathares vivaient dans des lieux où se mêlaient des hommes et des femmes. Or, les conditions sociales de l’époque imposaient aux femmes les travaux ménagers, sans pour autant les exclure de l’activité productive, comme c’est encore souvent le cas de nos jours. Donc, les Bons-Chrétiens étaient certainement souvent exemptés de ces tâches ménagères. Nous savons aussi que ceux qui avaient une activité spirituelle importante, notamment les évêques, étaient partiellement exemptés de l’activité professionnelle, sans s’y soustraire totalement pour respecter le principe intangible du travail nécessaire à une vie de bon-Chrétien.
Aujourd’hui, que devons-nous penser de ces exemples et comment devons-nous penser le rapport au travail des Bons-Chrétiens, quand nous en aurons parmi nous ?
Bien entendu, je ne suis pas consolé, donc je ne peux émettre que des hypothèses qui, je l’espère, feront l’objet de commentaires afin de me permettre de les conforter ou de les faire évoluer. Je pense que nous devons fondamentalement respecter le principe du travail, manuel ou intellectuel, pour les Bons-Chrétiens et les novices cathares. C’est un point important car la fonction spirituelle ne doit être entachée d’une valeur mondaine comme l’est celle de l’accès à des biens de consommation. Or, recevoir la charité pour une activité spirituelle revient à monétiser celle-ci. Donc, même si nous sommes retraités, nous devons continuer à fournir une activité, logiquement bénévole, de façon à garder cette notion de séparation entre la sphère mondaine et la sphère spirituelle. Reste le cas des handicapés qui ne pourraient plus fournir aucune activité. Leur cas relève effectivement de l’assistance que la société leur octroie. Ils ne sont pas coupables de refuser le travail mais ils en sont empêchés par leur état. C’est un cas d’exclusion comme il en existait au Moyen Âge dans les communautés cathares pour les malades notamment.
Ceci étant bien entendu, il nous faut définir les activités qui doivent être effectuées et celles qui peuvent être déléguées. Intervient là un point important qui est celui de la nécessaire humilité dont nous devons faire preuve. Il ne saurait être admissible de déléguer une tache que nous considérerions comme subalterne ou inintéressante en arguant que nous avons mieux à faire. Même si nous rémunérons quelqu’un pour nous remplacer, c’est l’idée du remplacement, à proprement parler, qui serait anormale. Donc, nous ne devons pas nous exempter du travail rémunérateur que nous pourrions accomplir et qu’accomplissent les autres pour un motif de besoins moindres, comme cela peut s’envisager aujourd’hui avec les temps partiels. Il y a néanmoins une exception valable à ce principe qui serait de partager son temps d’activité entre un travail rémunérateur accompli à temps partiel et un travail, rémunérateur ou pas accompli en parallèle au profit de la communauté ou d’un autre organisme. Mais le temps d’occupation total doit correspondre à l’équivalent d’un temps complet de travail.
Par contre, des motifs de santé liés à une maladie ou à l’avancement en âge peuvent rendre certaines activités, professionnelles ou domestiques, difficiles, très longues ou même carrément impossibles à effectuer. Dans ce cas, il est légitime d’en exempter la personne considérée où, quand celle-ci peut en assurer le financement, de les déléguer à un professionnel qui les réalisera à sa place. Bien entendu, le temps ainsi libéré devra être employé à d’autres activités si l’état de la personne le rend possible.

Le Catharisme est adaptable à notre époque

Finalement, il me semble qu’une réflexion saine et ouverte permet de résoudre des problématiques qui auraient pu sembler difficiles ou insolubles de prime abord. Le Catharisme est adaptable à notre société comme il a su s’adapter à celle qui prévalait au Moyen Âge et ce n’est pas parce que nous n’avons que leur référence qui soit portée à notre connaissance, que nous devons penser qu’elle est la seule possible. La plasticité de cette spiritualité permet bien des adaptations sans renier les principes fondamentaux. En cela je suis obligé de considérer que Yves Maris[1], qui ne voyait dans le Catharisme moderne qu’une école de pensée sans possibilité d’en faire une entité structurelle, comme c’était le cas à l’époque médiévale, se trompait de mon point de vue. Mais peut-être ai-je mal interprété ses paroles.

Éric Delmas – 20/01/2017


[1] « Le catharisme ne peut se développer dans la modernité que comme une école de sagesse tendue vers le dieu inconnu. Les cathares privilégient la simplicité et la vie de l’esprit en eux-mêmes. Ils ne prétendent pas former un groupe particulier à l’intérieur de la société, mais autant d’individualités conscientes et reliées, sources remarquables d’une vie différente que celle que le monde impose aux vivants. » Yves Maris in « La pensée cathare peut-elle constituer un nouveau lien social ? », Chemins cathares : http://www.chemins-cathares.eu

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