L’alimentation cathare

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L’alimentation cathare

Un peu d’histoire

Une des particularité de la spiritualité cathare concerne la façon dont les bons chrétiens s’alimentaient.
Cette précision est importante car il faut rappeler qu’en matière de catharisme, les pratiques ascétiques sont l’apanage des bons chrétiens, c’est-à-dire des croyants ayant reçu le baptême d’esprit : le consolamentum.

Voici quelques textes qui présentent le sujet.

Jean Duvernoy : propos de Prades Tavernier (Déposition de Pierre Maury de Montaillou in Le registre d’inquisition de Jacques Fournier t. III p. 935) :
« Mais de Fils de Dieu dit aux bons chrétiens, quand il fut de retour au ciel :  » Mes petits enfants, ne vous attristez pas pour autant, car vous autres, qui êtes dans la vérité et la justice, vous reviendrez un jour au Royaume de mon Père. Il y a trois chairs, l’un est celle des hommes, l’autre celle des bêtes, la troisième est celle des poissons, qui se fait dans les eaux. Vous autres, mes petits enfants, ne mangez que de celles qui se font dans les eaux, car elles sont sans corruption ; mais les autres se font avec la corruption, et elles rendent la chair orgueilleuse.  » C’est pourquoi il leur avait interdit de manger autre chose que des poissons, et encore (leur avait dit) de ne pas en manger beaucoup, trois jours par semaine seulement. Les trois autres jours, il leur était prescrit de ne pas manger de poisson ni de boire de vin, s’ils pouvaient le supporter, afin de châtier leur chair de peur qu’elle ne se rebelle. Et s’ils voulaient bien suivre la voie de Dieu, disait-il, dans ces trois jours, s’ils faisaient bouillir de l’eau et étaient deux, ils pouvaient y mettre deux noix comme assaisonnement, s’ils étaient seuls, qu’ils n’y mettent qu’une noix. »

Madeleine Ferrières (Histoire des peurs alimentaires chap. 1 p. 18) :
« Les cathares sont végétariens par conviction religieuse. Ils ne sauraient manger la chair des animaux puisqu’ils la considèrent comme impure, pervertie par la sexualité. Ce qui renforce l’interdit et conduit à une abstinence plus ou moins radicale, c’est leur croyance en la métempsychose : comment imaginer manger une chair dans laquelle un croyant aurait pu se réincarner ? Dans l’échelle des valeurs alimentaires cathares, le poisson, animal prétendument asexué, est au sommet, la viande occupe le bas de l’échelle, tellement déprécié qu’ils affichent leur répugnance en l’appelant du nom péjoratif de carnasse ou de fereza (« barbaque ») ».

Jean Duvernoy (Le catharisme – t. 1 La religion des cathares p. 173 à 175) :
« Le « chrétien » conformément à son engagement, doit s’abstenir de tout ce qui est gras (unctura), (au sens de « faire gras »), sauf l’huile et le poisson. Sont donc interdits la viande, les œufs, le lait, les laitages et le fromage1.
Cette prescription est absolue. L’enfreindre fait perdre le bénéfice du baptême, et oblige à la fois à subir une pénitence, et à être reconsolé2. Dès la fin du XIIe siècle dans le Midi de la France, « manger de la viande » et se convertir au catholicisme sont synonymes3. Dans les montagnes de la haute Ariège, au début du XIVe siècle, la viande est, pour les parfaits, de la fereza (feritas), de la sauvagerie, une nourriture de bêtes féroces4.
Cette pratique étant, à l’époque, très voisine de beaucoup de règles monastiques, les polémistes s’attachèrent à démontrer que l’abstinence cathare reposait sur des bases doctrinales erronées. On insista d’abord sur l’interdiction de tuer les animaux, à propos des hérétiques de Châlons (vers 1045) ou de l’est de la France, amenés à l’empereur Henri III à Goslar (1051).
L’opinion qui prévalut est que les cathares rejetaient ce qui provient de la génération, œuvre diabolique :
« Dans leurs nourritures, ils interdisent toute espèce de lait, ce qu’on fait avec, et tout ce qui est produit par l’acte sexuel (concubitus) »5.
« Votre raison de ne pas manger de viande est que toute chair naît du coït, et par conséquent est impure, et souille celui qui en mange ». – « La chair est créée par le diable et c’est pourquoi dans vos conciliabules vous susurrez la même raison (que Manès) d’éviter les viandes »6.
[…]
Selon Bélibaste, le dernier parfait des Pyrénées, il s’agirait d’un enseignement direct du Christ, dont le motif serait assez voisin de ce que professaient les catholiques ( « La viande rend la chair orgueilleuse » ), car le Christ aurait dit 7:
[…]
On n’a pas de peine à reconnaître I Cor. 15, 39, mais on ne peut savoir s’il s’agit d’une glose libre ou d’un passage rectifié par une tradition cathare bien fixée.
[…]

Pierre de Vérone avance également les motifs tirés du fait que la chair naît de la fornication, et du fait des vœux prononcés pour éviter le concupiscence. Il ajoute une raison qu’il place dans la bouche d’un hérétique, censé révéler, dans ses derniers retranchements, son « secret le plus secret », la métempsychose :
« Peu de nos consolés le savent. Nous disons et croyons que la raison la plus puissante pour laquelle nous ne mangeons pas la viande des bêtes et des oiseaux, est que dans les corps de ce genre ont pu habiter les esprits de ceux qui doivent être sauvés, dont nous disons qu’ils entrent dans le corps de divers animaux avec du sang. C’est pourquoi nous mangeons des poissons, car il n’entrent pas en eux, puisqu’ils n’ont pas de sang »8.

Il n’est pas douteux que, par delà ces motifs, il s’agit en réalité d’un observance ancienne, qui s’imposait aux cathares du moyen-âge, et non le fruit d’une cogitation ou d’une exégèse récentes.

Réflexion sur une alimentation cathare d’aujourd’hui

Bien entendu, et je ne le répèterai jamais assez, ce qui suit ne saurait être considéré comme une obligation par personne.

En fait, il faut bien comprendre que, plus on s’imprègne de la spiritualité cathare, plus certains comportements deviennent déplaisants voire insupportables. C’est pourquoi le catharisme n’a pas à interdire quoi que ce soit aux bons chrétiens. Ce qui fait l’ascèse de leurs comportements tient à l’évolution de leur spiritualité alors que dans d’autres christianismes où le titre de chrétien n’est pas réservé à un certain niveau d’élévation spirituelle, l’ascèse est présentée comme une obligation punitive, librement consentie, ce qui permet à l’ensemble des croyants de voir dans ses religieux une sorte de prolongement des martyrs des premiers siècles du christianisme.

Ce que je retiens de l’alimentation des bons chrétiens médiévaux me paraît tenir dans les quelques points suivants :
– rejet d’une alimentation “riche” caractérisée par le caractère gras des aliments ;
– rejet d’une alimentation issue de la procréation coïtale ;
– rejet d’une alimentation ayant pour résultat la violence faite à une forme de vie évoluée ;
– rejet d’une alimentation faisant usage d’éléments suspects ;
– volonté de maîtrise de la part mondaine par une alimentation strictement contenue.

Certains de ces points méritent une explication plus approfondie.

Le désir d’avoir le moins de commerce possible avec la création mondaine jugée maléfique amène les bons chrétiens à se prémunir de tout mode d’alimentation qui aurait pour effet de favoriser le fonctionnement mondain. Je ne suis pas convaincu, pour ma part, quant à l’explication faisant appel à la métempsycose animale car elle ne se retrouve que dans la période où la pression inquisitoriale empêchait de former correctement et de choisir avec soin les novices. Du coup, il me semble que des éléments mystiques païens soient venus polluer les rapports que les croyants faisaient à l’Inquisition, comme les prêches de Bélibaste dont nous connaissons les faiblesses doctrinale dues à la situation très particulière qui fut la sienne.

Ce rejet se manifeste par le refus de s’alimenter avec des produits issus d’une reproduction identifiée comme celle que le démiurge impose aux hommes : le coït. C’est pour cela que les animaux à sang chaud sont rejeté principalement mais aussi les sous-produits de leurs relations sexuelles, à savoir le lait et ses dérivés. En outre, ces animaux étant considérés comme appartenant à un règne supérieur à celui des végétaux et des animaux à sang froid — dont la reproduction était inconnue au point qu’on les confondait avec des végétaux — et des végétaux, ce qui justifiait de n’avoir à leur encontre aucun comportement violent.

Il semble également que, pour beaucoup de bons chrétiens, une part de la création mondaine pouvait ne pas avoir la moindre part divine. Certains animaux considérés comme nuisibles étaient désignés comme purement malins et de ce fait étaient rejetés de l’alimentation humaine.

Enfin, il nous manque beaucoup d’informations sur les animaux comme les animaux marins consommés aujourd’hui mais ignorés à l’époque.

Le cas des œufs semble correspondre à plusieurs critères. D’abord ils sont le fruit d’une procréation identifiée et ils sont essentiellement gras. Voilà deux bonnes raisons de les rejeter.

Pratique alimentaire cathare d’aujourd’hui

Dans l’hypothèse où l’on voudrait entamer une vie chrétienne cathare, un peu à la façon des novices médiévaux, il faudrait s’interroger sur le bien fondé de l’alimentation adaptée. Il en sortirait logiquement un consensus qui validerait des choix conformes aux mêmes principes que ceux des bons chrétiens mais tenant compte des évolutions de la connaissance humaine intervenues entre temps.

Il me vient naturellement à l’esprit deux points qui me semblent essentiels.

D’abord ce qui primerait logiquement c’est la continence alimentaire manifestée à la fois par la sobriété et par les jeûnes.

Ensuite, je retiens également l’importance et la prépondérance du pain dans le régime alimentaire puisqu’il est le seul aliment consommé en période de jeûne.

Concernant les carêmes et les jeûnes je vous renvoie à l’article que j’ai publié à ce sujet.

Le pain, aliment premier

Est-il besoin de rappeler l’importance du pain dans la spiritualité chrétienne ? Il n’est donc pas étonnant qu’il soit aussi important chez les cathares.

Dans cet esprit, je trouve important que ceux qui voudraient s’assurer de la fourniture effective de pain de qualité, support préférentiel de la communion chrétienne, se donnent comme objectif d’en maîtriser au maximum le processus de fabrication.

C’est pourquoi je réfléchis à la possibilité technique d’apprendre à réaliser des pains de qualité et de se doter de matériel adéquat. Il existe des possibilités de formation pour adultes qui, en quelques mois peuvent donner un niveau comparable à un CAP de boulangerie. De même on trouve des pétrins de petit volume (5 à 8 litres) et des fours à bois de qualité à monter soi-même qui permettraient d’avoir la mainmise sur ce point si important.

Je compte donc bien consacrer du temps, au début de ma période disponibilité, pour étudier ce sujet afin de réaliser du pain qui soit à lui seul un réconfort pour ceux qui le consommeraient en toutes périodes.

Cette maîtrise permettrait de contrôler les éventuels corps gras utilisés afin de se garantir d’éventuels problèmes.

L’alimentation végétalienne

Le recours à l’alimentation végétalienne s’avère être le meilleur choix possible car aucune chair animale ne peut aujourd’hui apparaître acceptable compte-tenu de la connaissance que nous avons des modes de reproduction de toutes les espèces et de la volonté de non-violence qui animeraient ceux ayant fait un tel choix de vie.

La problématique de l’alimentation végétalienne — c’est-à-dire qui ne conserve aucun produit animal ou sous-produit animal — est de donner à l’organisme les éléments nutritifs essentiels à son maintient en bonne santé et qu’il ne sait pas synthétiser lui-même. Pour faire simple disons qu’il s’agit de quelques acides aminés, de certaines vitamines et oligo-éléments rares dans le monde végétal.

Heureusement, un minimum de connaissances et d’organisation nous montre qu’il est tout-à-fait possible de récupérer ces éléments essentiels dans le monde végétal et minéral pour peu de savoir réaliser des associations propices à leur assimilation par l’organisme humain. Par exemple, les acides aminés essentiels sont répartis dans les légumineuses et les céréales. Associer la bonne légumineuse à la bonne céréale permet d’assurer l’assimilation de l’ensemble des acides aminés alors qu’un mauvais choix assurerait la perte de tous.

Ce qui importe est d’associer ces connaissances à un choix de produits à faible coût et de produits facilement réalisables en local afin de produire un livret de recettes à la fois modeste et suffisamment diversifié pour ne pas rendre l’alimentation pénible.

Deux cas particuliers

Il reste deux produits sur lesquels je souhaite me pencher : le miel et le vin.

Le miel est un sous-produit animalier qui nécessite donc de s’assurer que sa production et son utilisation par l’homme ne crée pas une souffrance aux abeilles. Sur ce point je pense que la mise en place d’un petit rucher sur l’espace de vie serait une façon de se garantir de ce problème.

Pour le vin, ce que j’ai compris de mes diverses lectures est qu’il s’agissait avant tout au Moyen Âge de rendre l’eau buvable, alors que sa potabilité était limite, en lui adjoignant une très faible quantité d’un vin, lui-même assez peu goûteux. De nos jours ce problème ne se pose plus et donc je ne vois pas de raison de consommer du vin ou tout autre alcool d’ailleurs.

Voilà l’état de mes réflexions actuelles et je donnerai à l’occasion dans les forums des liens vers des sites susceptibles de nous informer utilement.


1. Note De L’Auteur : L’abstinence est attestée dès les « Manichéens » de Toulouse et d’Aquitaine par Adémar de Chabannes (éd. Chavanon op. cit., p. 173) ou ceux d’Orléans (Jean, moine de Fleury, Recueil des Historiens de la France, t. X, p. 498). Elle est ensuite rappelée par tous les polémistes. Alain de Lille se trompe en croyant que les œufs sont permis, (op. cit., c. 377).

2. NDLA : Sur la pénitence, infra, p. 206. Sur la nécessité de rebaptiser, déjà Ermengaud : « Personne, après avoir reçu leur consolamentum, ne peut être sauvé, s’il a mangé de la viande, du fromage ou des œufs, à moins d’avoir reçu d’eux pénitence, et avoir été reconsolé par eux » (op. cit., c. 1264).

3. NDLA : MS. 609 Toulouse, ff°s 8 r°, 54 v°, etc…

4. NDLA : J. Fournier, t. II, pp. 33 et ss.

5. NDLA : Evervin op. cit., PL 182, c. 678. L’information de saint Bernard dans son sermon in Cantica en découle.

6. NDLA : Eckbert, op. cit., cc. 37, 40.

7. cf. confession de Pierre Maury ci-dessus, sauf qu’il s’agit d’un prêche de Prades Tavernier et non de Bélibaste qui n’apparaît pas dans ce passage.

8. NDLA : Ed. Kaeppeli, op. cit., p. 331. L’auteur ajoute un premier motif, emprunté aux Manichéens, comme il le reconnaît d’ailleurs, qui ne figure dans aucune source. La chair des animaux serait celle d’embryons célestes (ibid., p. 330).

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