Le Pater, étude des versions

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Le Pater, étude des versions

Introduction

Il faut étudier sérieusement ce texte qui est un élément extrêmement important de la liturgie cathare et qui demande une approche prudente, sérieuse et respectueuse, faute de pouvoir disposer de l’aide de Bons Chrétiens pour nous guider.Nous allons voir ensemble combien le Pater est un texte particulier ce qui justifie que les Cathares le traitaient avec respect et circonspection.

Que savons-nous du Pater ?

Ce texte apparaît dans les Évangiles et montre déjà qu’il est issu d’une tradition humaine et non pas d’une transmission directe de Jésus ou de Christ, puisque les deux transcriptions diffèrent légèrement. Cela veut donc dire qu’il s’est mis en place et transmis dans la tradition orale avant d’être couché par écrit bien plus tard.

Chez Matthieu, le Pater vient après le sermon sur la montagne, dans le cadre d’un enseignement dont on ne sait s’il se fait à la foule ou aux disciples. Il fait partie d’un ensemble de recommandations concernant la vie quotidienne, telle qu’elle doit être vécue par ceux qui veulent aller vers Dieu. Au passage, Jésus invalide plusieurs éléments de la Loi juive au profit de dispositions plus contraignantes. Le fil rouge de ce chapitre semble être l’humilité qui apparaît en début de chapitre avec les conditions de la prière et de l’aumône et qui se poursuit par les règles du jeûne, de la possession matérielle, des biens de la vie quotidienne (aliments et vêtements) et des soucis de l’avenir.
Matthieu propose donc cette prière comme un élément de la vie quotidienne de celui qui veut vraiment être dans la voie qui mène à Dieu. On peut donc penser qu’il s’adresse à une partie de la communauté et non pas à tous les croyants.

Cela est renforcé par la version de Luc. Là, ce sont les disciples qui demandent une prière à Jésus, afin de se sentir comme les disciples de Jean le baptiste. Jésus accède à la demande et propose un texte très succinct suivi d’un enseignement sur le don à l’autre et la Bienveillance.

Donc, initialement, cette prière n’est pas destinée à toute la population mais uniquement à ceux qui se consacrent à suivre la voie ouverte par Christ. Malheureusement, la tradition judéo-chrétienne faisant le choix d’un baptême des nouveau-nés, la confusion s’est installée laissant croire que cette prière était à la disposition de tous.

1 – Le Pater des évangiles

Matthieu (VI, 9-13) le présente comme un contrepoint à la prière rabâchée par les païens :


« Vous donc, vous prierez ainsi : Notre père qui es dans les cieux, que soit sanctifié ton nom,
que vienne ton règne, que soit faite ta volonté sur terre comme au ciel.
Donne-nous aujourd’hui notre pain de la journée1 ;
remets-nous nos dettes comme nous remettons aussi à nos débiteurs ;
et ne nous fais pas entrer en épreuve mais délivre-nous du mauvais. »

Luc (XI, 2-4) en fait la réponse à une requête des disciples :

« Il leur dit : Quand vous priez, dites : Père, que soit sanctifié ton nom ; que vienne ton règne ;
donne-nous chaque jour notre pain de la journée ;
et remets-nous nos péchés, car nous remettons nous aussi à tous ceux qui nous doivent ;
et ne nous fais pas entrer en épreuve. »

Remarquons les points communs :

Le terme Père est commun aux deux textes et veut renforcer la reconnaissance d’une appartenance à une même « famille ». Ensuite, nous trouvons des éléments communs non négligeables : sanctification du nom, attente du règne, demande du pain du jour, remise des fautes (dettes) commises et subies et protection contre les épreuves.

Nous pouvons dire qu’il s’agit là d’une ossature qu’il convient d’étudier.

Matthieu propose un texte un peu plus étoffé. Le père est clairement désigné comme celui de ceux qui prient et il est localisé dans les sphères supérieures, hors de la terre. On peut y voir un relent de judaïsme qui voulait que Dieu ait un peuple préféré et qu’il l’observe d’en haut. La notion de sanctification est spéciale. Cela veut dire que le nom de Dieu doit être considéré comme saint, mais aussi que ceux qui le prononcent doivent respecter son caractère saint. Pour être plus clair, il me semble qu’il faut comprendre que l’usage du nom de Dieu doit être réservé à celles et ceux qui sont dans une démarche de sanctification, de purification et qui le sont en pleine conscience. En clair, l’usage de cette prière ne peut être de pure forme mais nécessite un engagement total. Cela vient conforter en moi la justification du fait que le Pater était réservé à un certain niveau d’avancement dans le Christianisme. Celui qui prononce la prière reconnaît le caractère saint de Dieu et en reçoit l’onction purifiante de sa propre démarche. La phrase suivante est un appel à l’intervention divine auprès de ses créatures émanées sous la forme de la volonté et du pouvoir (règne) de Dieu en ce monde, qui est en fait l’apport de sa grâce.

Arrive la phrase qui fait toujours couler beaucoup d’encre. Le pain de ce jour, au dessus de la substance, est bien entendu ce qui va nourrir notre foi et notre démarche de croyant désireux d’avancer sur la voie de Christ. Dieu n’est pas une cantine où l’on viendrait retirer un plateau repas gratuit chaque jour. Il faut être englué dans un anthropomorphisme béat pour imaginer autre chose. Or, ce qui nourrit la foi est ce qui nous aide à nous tenir éloigné des contingences de ce monde. On le voit dans l’entourage des deux textes, c’est l’humilité, la modestie, la Bienveillance, la disponibilité aux autres et l’ascèse. Il est clair que là aussi nous avons un indice sur les personnes concernées par cette prière. Un simple croyant ne pouvait pas la dire sans se trouver en porte-à-faux entre son engagement et sa vie quotidienne faite de luttes et de violences.

Les deux textes sont en plein accord sur la formulation qui suit. Il ne s’agit pas de pardon des fautes commises ou subies mais bien de remise. Les termes sont importants. Remettre une dette c’est faire comme si elle n’avait jamais existée. C’est l’oublier, ne plus en tenir ; considérer l’autre comme totalement vierge de toute créance et nous considérer de même vis-à-vis de Dieu. D’ailleurs, là encore, nous voyons cela chez les Cathares quand, lors du sacrement de la Consolation, le novice demande la remise de ses fautes passées et que les Bons Chrétiens la lui accorde. Il devient un homme nouveau, vierge de toute faute. Il faut donc oublier la notion de pardon et bien préciser que cette remise est une absence de prise en compte. Le terme latin dimitte correspond à la seconde personne du singulier le l’impératif présent. Il s’agit donc bien d’une prière adressée à quelqu’un de proche, puisqu’on le tutoie. Son sens exact est : abandonner, renoncer. Ce n’est qu’au 4e siècle que la Vulgate — traduction latine du Nouveau Testament — proposera de le traduire par pardonner. Il faut donc faire fi de cette vision typiquement judéo-chrétienne, à la limite sacrificielle, qui ne rend pas le sens exact du terme. Il s’agit bien d’un abandon des charges, d’un renoncement à poursuivre, ce qui est très différent d’un pardon qui n’oublie pas et qui place celui qui pardonne en position de supériorité par rapport à celui qui est pardonné.

Enfin, les deux textes se termine par une demande de protection face à l’épreuve, précisée comme émanant du mauvais par Matthieu. Là aussi, il faut oublier l’idée de certaines versions modernes qui parlent de soumission à la tentation. Il ne peut être question que Dieu puisse avoir un rôle actif dans le Mal. Au contraire, ce que le Bon Chrétien demande c’est de l’aide dans l’épreuve qu’il vit au quotidien, aide que Dieu lui apporte par son soutien spirituel, car il ne peut agir que sur ce qui relève de lui, à savoir la part spirituelle de notre être mondain.

Nous voyons qu’en revenant à la source il nous est possible d’avoir une meilleure lecture de ce texte que des siècles de tradition judéo-chrétienne ont largement perverti.

Ce qui demeure est un sentiment d’anthropomorphisme assez important dans l’emploi de termes comme Père, règne, etc. Cela n’est pas forcément surprenant compte tenu de l’époque de sa diffusion. En effet, ces relations d’autorité existaient dans le langage courant d’un royaume existant au sein d’un empire et dans une société fortement hiérarchisée. Cela sera d’ailleurs toujours d’actualité au Moyen Âge, ce qui explique que ces points ne furent pas modifiés alors. Aujourd’hui, conserver cette terminologie n’aurait aucun sens et contribuerait au contraire à entretenir une confusion mentale invitant à un asservissement qui n’est absolument pas le propos de cette prière.

Il est donc clair que ces deux textes sont d’origine humaine, créés et construits pour les esprits de leur époque et qu’ils n’ont rien de sacrés d’un point de vue textuel, donc qu’ils peuvent être adaptés dans leur forme.

Par contre, la similitude du fond entre les deux textes ne saurait nous échapper. La première partie qui fait rappel de notre rapport à Dieu et la reconnaissance de son état divin ; la deuxième qui précise nos rapports avec le monde qui nous contraint et Dieu qui nous apporte le nécessaire et la troisième où nous recherchons la bienveillance et l’aide divine sont clairement exposées dans les deux textes et doivent donc être conservées.

La version latine ajoute une doxologie qui renforce le caractère anthropomorphique et qui n’a donc aucun intérêt.


Note :

1 – Dans l’édition de la Pléiade il est précisé en note que la Vulgate (traduction latine) le mot « de la journée » est traduit par supersubstantialis chez Matthieu alors qu’il l’est par quotidianus chez Luc.

2 – Le Pater marcionite

On en trouve ce texte dans l’Évangélion de Marcion de Sinope :

«  Père, que ton esprit saint soit sur nous et nous purifie ;
que vienne ton règne ;
donne-nous chaque jour ton pain surnaturel ;
remets-nous nos péchés
comme nous remettons aussi à nos débiteurs,
et ne nous laisse pas succomber à la tentation. »

Analyse

Le terme anthropomorphique Père est conservé. Par contre Que soit sanctifié ton nom est remplacé par Que ton esprit saint soit sur nous et nous purifie. Je trouve cette formulation beaucoup plus claire car elle déplace le sujet de Dieu à nous, ce qui est logique car Dieu n’a nul besoin d’une quelconque sanctification. En fait, c’est en disant que le nom de Dieu est saint — ce qui est une évidence — que nous manifestons notre foi en lui et que nous créons ce lien, via le Saint esprit qui nous permet d’avancer vers notre purification spirituelle. En cela les Marcionites avaient compris le sens profond de cette locution.
Encore, le terme de règne est utilisé, ce qui n’est pas surprenant à cette époque.
Les Marcionites ont fait le choix de corriger le terme pain de la journée par ton pain surnaturel. C’est la traduction littérale du terme grec épiousious. Cette traduction est littérale : épi = au-delà, au-dessus et ousia = existence, état actuel. Certains auteurs ont pensé que cela désignait la nourriture à venir et ont donc validé le choix de Luc : pain quotidien. Mais, en fait c’est plutôt pain du jour à venir qu’il aurait fallu dire. En fait, cela peut se comprendre plus logiquement par le pain que nous recevrons dans la vie future. Il s’agit donc bien d’un élément surnaturel, au-delà de toute substance mondaine, supersubstantiel, comme dit le texte latin de Matthieu ; c’est le pain de la parole divine. Prisonniers ici-bas, nous sommes privés de la parole divine et de sa raison, le logos, et nous prions pour qu’elle nous soit assurée afin de nous aider à atteindre le niveau d’avancement requis pour être en état de recevoir la grâce divine. Il est clair qu’il ne s’agit pas d’un pain matériel, comme on pourrait le comprendre dans la traduction néotestamentaire mais d’une nourriture spirituelle, ce qui est évident puisque nous la demandons à Dieu qui n’a rien de matériel en lui et encore moins à proposer.
Sur la rémission des péchés, il n’y aurait rien à dire excepté que cette notion de péché est un peu restrictive. Le péché est ce qui éloigne de Dieu. Je ne sais pas comment les Marcionites comprenaient ce terme. Les Cathares en avaient une lecture extensive puisqu’ils considéraient tout manquement — même involontaire — comme un péché.
La locution finale pose encore le problème du rôle négatif supputé que Dieu pourrait avoir dans notre défaillance. S’il lui est demandé de ne pas nous laisser succomber à la tentation, cela sous entend qu’il le pourrait, ce qui est faux et contraire à la divinité de Dieu.
En fait ce qui est recherché n’est pas de nous prémunir d’une tentation qui est notre lot quotidien en ce monde, mais de nous soutenir pour surmonter les épreuves de ce monde.

Commentaire

Le Pater marcionite, s’il propose une amélioration par rapport aux textes canoniques en ce qu’il présente bien la voie de la sanctification divine et la nature de la nourriture proposée, — même si le terme de pain est un peu restrictif —, reste encore perfectible sur d’autres points.

3 – Le Pater des Bons-Chrétiens cathares médiévaux

Ce texte est issu du rituel cathare tel qu’il nous fut transmis par les textes de Lyon (occitan), de Florence (latin) et de Dublin (occitan).
Le texte est en latin qui était souvent utilisé pour les actes cérémoniels même si l’occitan restait la référence pour les prêches.

La forme du Pater ci-dessous vient du rituel de Dublin :

Pater noster qui es in celis
Sanctificetur nomen tuum
Adveniat regnum tuum
Fiat voluntas tua sicut in celo et in terra
Panem nostrum supersustancialem da nobis hodie
Et dimitte nobis debita nostra sicut et nos dimittimus debitoribus nostris
Et ne nos inducas in temptationem
sed libera nos a malo
Quoniam tuum est regnum
Et virtus
Et gloria
Dans les siècles, Amen
Notre Père qui êtes aux cieux
Que votre nom soit sanctifié
Que votre règne arrive
Que votre volonté soit faite sur la terre comme dans le ciel
Donnez-nous aujourd’hui notre pain suprasubstantiel
Et remettez-nous nos dettes comme nous les remettons à nos débiteurs
Et ne nous induisez pas en tentation
Mais délivrez-nous du mal
Car à vous appartiennent le règne
Et la puissance
Et la gloire
Dans les siècles, Amen

La version cathare occitane du manuscrit de Lyon :

Lo nostre Paire que es als Cels,
Sanctificatz sia lo Teus Nom,
Avenga lo Teus Regnes
E sia faita la Tua voluntatz sico el Cel e la terra.
E dona a nos uei lo nostre pan qui es sobre tota causa.
E perdona a nos los nostres deutes,
Aisi co nos perdonam als nostres deutos.
E no nos amenes en tentatio
Mas deliura nos de mal.
Amen.

On peut penser à la lecture de ce texte que les Cathares n’avaient pas eu la version marcionite à leur disposition. En effet, pour l’essentiel, la référence est le texte de la Vulgate « amélioré » par la transcription exacte de épiousios. On constate la proximité entre la version de Dublin et celle de Lyon, alors que les écoles de pensées concernées semblaient assez éloignées l’une de l’autre.

Bien des points posent problème, dont notamment le retour du terme pardon dans la version occitane. Ce qui est intéressant est la notion de délivrance du mal. La doxologie finale, absente de la version occitane est effectivement superflue.

Ce qui ressort est que ce texte, qui n’était déjà pas unique au premier siècle, a fait l’objet d’adaptation jusqu’au Moyen Âge. Il n’est donc pas à considérer comme immuable et figé, ce qui ne peut que rassurer les Cathares qui ont toujours refusé les dogmes. Il faut donc l’étudier pour le rendre cohérent avec notre siècle.

4 – Le Pater d’aujourd’hui

Version de Yves Maris

Dans l’ouvrage de Yves Maris, La résurgence cathare. Le manifeste, publié en 2007, l’auteur cite une version qui semble être de son cru :

« Principe parfait qui es au-delà des cieux,
sois glorifié,
que vienne ton règne,
que soit faite ta volonté dans cet univers comme au-delà des cieux.
Donne-moi aujourd’hui ma part de pain spirituel ;
remets-moi sur la voie qui mène vers toi.
Ne me laisse pas dans l’épreuve,
mais délivre-moi du Principe mauvais. »

Analyse personnelle

Je vois dans cette proposition le commencement d’un travail de spiritualisation du texte par le retrait du terme Père au profit de celui de principe parfait. La fin de phrase (qui es au-delà des cieux) amoindrit un peu ce concept et peut même être vécu par certains comme une forme de gnosticisme. En outre, cela crée une idée de situation physique de Dieu qui est complètement extérieure à la vision cathare.
La reprise de la version médiévale de glorification me semble constituer une perte de qualité par rapport à la conception marcionite qui avait compris que le besoin de purification n’est pas en direction de Dieu mais de nous. Il n’a nul besoin d’être glorifié, nous si. Et notre gloire ne peut nous être apportée que par lui, mais forcément de façon indirecte.
De même, la notion de règne qui persiste dans toutes les versions est marquée du sceau de son temps antique ou médiéval et n’a plus de raison d’être de nos jours. Yves Maris ajoute une phrase sur la volonté par laquelle il veut marquer l’universalité divine au-delà des limites temporelles. Mais cela alourdit le texte et n’apporte en fait rien, car si l’on considère ce que veut dire le terme règne, il y a forcément redondance entre les concepts.
L’idée de parler de pain spirituel est un plus par rapport à celle de surnaturel, car enfin ce pain perd son aspect matériel. Pourtant, il me semble dommage de se limiter à une image de nourriture précise. L’homme ne vit pas que de pain (Luc IV, 4) est une réponse de Jésus au tentateur. Aussi me semble-t-il adéquat de ne pas limiter l’apport demandé à Dieu à cet unique aliment. Ce qui me gêne également dans cette phrase c’est l’idée de demander sa part de pain. Cela fait de la prière quelque chose d’individualiste alors qu’elle devrait être un moment de communion. En cela le pluriel des marcionites me semble plus adapté. Yves fait l’impasse complète sur la notion de remise des péchés, ce qui occulte de fait la réciprocité qui figure dans les autres versions. Il la remplace par la demande d’une remise dans le bon chemin. Certes, c’est intéressant, mais je trouve dommage de se priver de la double rémission et je trouve que la reprise du bon chemin n’est pas du ressort de Dieu mais de nous. Comme pour le fils prodigue, c’est par notre prise de conscience de nos erreurs que nous devons comprendre quelle est la voie qui mène à Dieu et choisir de l’emprunter. Sinon, nous devenons passifs, tout comme l’étaient les Juifs qui laissaient à Iahvé toute la charge de la direction.
Par contre, je trouve intéressante la fin qui associe une demande d’aide face à l’épreuve actuelle et la délivrance du Principe mauvais.

Version des retraites spirituelles de Ruben

Lors de la neuvième Rencontre cathare de Carcassonne, Ruben Sartori, qui organise des semaines de retraites spirituelles depuis 2013, est venu nous parler de ce qui s’y passait.
Or, lors de la semaine de janvier 2013 qui s’est tenue à Canhac, Ruben nous a dit qu’ils avaient travaillé sur le texte du Notre Père. En effet, j’ai récupéré en 2014 un texte sur ce sujet.
Il semblerait que, récemment, ce travail ait fait l’objet d’une révision et d’une mise à niveau. Sur le site, j’ai trouvé dans l’Oraison un texte qui semble toujours en valeur aujourd’hui.

Je me propose donc d’étudier ces deux textes pour voir ce qui me semble positif ou discutable. C’est en effet par l’échange de nos travaux respectifs, par la critique positive et par l’acceptation que les bonnes idées et l’inspiration ne sont pas l’apanage d’un seul courant que l’on pourra améliorer notre compréhension du Catharisme et progresser dans notre cheminement.

Version de 2014

Version de 2017

Notre Père,
Que ton Esprit Saint vienne sur nous, et
Qu’il nous purifie.
Que ta volonté soit faite en lieu de la nôtre.
Que nous recevions notre pain spirituel de ce jour.
Que nos offenses soient pardonnées et effacées à jamais, en cela même que nous le faisons les uns pour les autres.
Que nous ne succombions pas dans l’épreuve, et surtout
Que nous soyons délivrés du Mauvais.
Amen.
Notre Père,
Que l’Esprit Saint vienne sur nous
et qu’il nous purifie.
Que ta volonté soit faite en lieu et place de la nôtre.
Que nous recevions notre pain spirituel de ce jour.
Que nos offenses soient pardonnées et effacées à jamais, en cela même que nous le faisons les uns pour les autres.
Que nous ne succombions pas dans l’épreuve,
et surtout, que nous soyons délivrés du Mauvais.
Amen

Mon analyse

Peut-être que je n’ai pas les bons textes, mais de prime abord ces deux-là me semblent extrêmement proche l’un de l’autre et aucun ne reflète une avancée majeure dans la compréhension.

L’entame est conforme à celle de Luc et s’affranchit fort justement de la digression matthéenne de la position de Dieu dans les cieux. Si je souscris absolument à ce point de vue, je reste néanmoins dubitatif sur le vocable Père ou Notre Père en raison du caractère anthropomorphique qu’il véhicule.

En effet, une prière — une oraison ou une méditation pour être plus précis — est un moment spirituel bien précis et à la fonction bien définie. Il s’agit de s’extraire de ce monde et de ses codes pour faire émerger en nous la part spirituelle enfermée dans le corps de boue et contrainte par le monde maléfique où nous sommes retenus prisonniers. Il me semble donc essentiel que les termes employés nous projettent au maximum vers la spiritualité au lieu de reprendre des références mondaines. Le Père est le géniteur et ce terme, s’il est parfaitement justifié pour le démiurge et sa création, ne l’est pas pour Dieu qui n’a rien créé mais qui laisse émaner de sa substance des entités découlant de son principe et disposant des mêmes propriétés. Notre père donne à penser qu’il pourrait y avoir également une mère et qu’il ne nous a transmis qu’une partie de sa substance.

Concernant l’Esprit saint, je me sens plus proche de la version initiale car il est par définition émanation de Dieu, donc le possessif est justifié. Par contre le verbe venir me semble inadapté car il introduit là encore une référence mondaine qui n’a pas lieu d’être. Christ l’a dit aux disciples, une fois partit, le Saint-Esprit Consolateur le remplacera immédiatement et définitivement. D’ailleurs le récit de la Pentecôte — même si son caractère allégorique n’échappe à personne — confirme bien qu’il est partout où l’on a besoin de lui sans qu’il ait à se déplacer pour nous rejoindre.

La phrase sur la volonté me gêne bien davantage. Elle laisse entendre qu’il aurait pu y avoir un conflit de volonté entre Dieu et nous. C’est extrêmement orgueilleux de l’imaginer. Les autres textes se contentaient de rappeler que la volonté de Dieu s’exerçait partout et non pas que la nôtre pouvait éventuellement exister.

Mais je comprends l’idée générale, même si je la trouve mal exprimée.

En fait, la volonté c’est le vouloir qui chez Dieu, comme nous l’explique fort bien Jean de Lugio dans le Livre des deux principes, est équivalent au pouvoir. Tout ce que Dieu veut, il le peut et tout ce qu’il peut, il le veut. Émettre la moindre objection à cela reviendrait à amoindrir le statut divin.

Or, comment s’expriment ce pouvoir et ce vouloir de Dieu en ce monde ? Rappelons-nous qu’il n’agit pas sur ce monde maléfique car le Bien n’a pas de mal à opposer au Mal. Par contre, il agit pleinement et totalement sur la part de Bien prisonnière ici-bas, c’est-à-dire sur notre part spirituelle. Mais il agit également sur les autres parts spirituelles non tombées en ce monde. C’est en cela que les autres versions du Pater parlaient de la volonté qui devait se faire aussi bien sur terre que dans le ciel.

Quel est le pouvoir que Dieu manifeste envers la part spirituelle, où qu’elle se trouve ? De mon point de vue, c’est la grâce. Quand nous recevons la grâce divine nous sommes à égalité d’état avec les parts spirituelles qui ne sont pas tombées ici-bas. La grâce « gomme » notre part mondaine et nous remet dans le sein de la consubstantialité du bon principe. La voilà la volonté et c’est parce que ce mot me semble mal assorti à l’idée que j’évoque que je préfèrerais que l’on parle de la grâce en lieu et place de la volonté. Mais notre volonté n’existe pas sur le plan spirituel, elle n’a donc rien à faire dans l’histoire, si ce n’est de nous ramener mentalement dans le monde dont cette oraison est censée nous éloigner.

L’histoire du pain spirituel de ce jour participe à l’anthropomorphisme que nous essayons de gommer au maximum. D’abord le pain, comme référence alimentaire spirituelle, est trop connoté. Rappelons-nous la parole de Jésus selon qui l’homme ne vit pas seulement de pain mais de la parole de Dieu. Or, ce que nous espérons c’est justement cet apport qui n’est pas matérialisé à l’excès. D’où ma proposition de nourriture qui est un terme générique dont l’usage courant prévoit qu’il puisse également désigner un apport non matériel. Ne parle-t-on pas dans le langage courant des nourritures de l’esprit ?

Quant à restreindre cette nourriture à une limite temporelle (de ce jour), cela me semble inadapté. La nourriture spirituelle ne nous vient pas par à-coup, mais elle est espérée de façon permanente. Je comprends bien l’idée de n’attendre que le strict nécessaire et rien de plus, et je pense essayer d’améliorer mon projet en ce sens.

La phrase sur les offenses me semble complexe et mal construite. La notion d’offense pose le problème du ressenti sur celui qui est touché. Dieu est bon et est donc insensible à la notion d’offense. La question est ce que nous faisons et non ce qu’il serait censé ressentir. Donc, je préfère le mot manquements, qui est plus étendu en sens que offenses et qui nous concerne directement. Le terme pardonné relève d’une traduction qui me semble inadaptée. Parcat veut dire épargner, c’est-à-dire abandonné, oublié. Dans le pardon il y a la notion que la faute est connue et validée mais qu’elle ne donnera pas lieu à sanction. En outre, cela place celui qui pardonne en position de pouvoir par rapport à celui qui est pardonné. L’effacement est de ce point de vue meilleur mais il devient redondant. C’est pourquoi je préfère la notion d’épargne de la part de Dieu et de non prise en compte de notre part. Ainsi, dans les deux cas, la faute que nous ressentons avoir commise ou avoir subie disparaît de fait. C’est comme dans la phrase « épargner la vie », on ne ressuscite pas un mort, mais on évite la mort.

Pareillement, face à l’épreuve, ce que nous attendons c’est un soutien, une aide et non pas le miracle d’échapper à notre nature mondaine qui nous permettrait d’y échapper. Nous succombons toujours mais, avec l’aide du Saint-Esprit, représentant de Dieu à nos côtés, nous la surmontons.

D’un point de vue plus global, je trouve dommage que dans cette méditation, le fait d’indiquer en début « Que » puisse donner à penser que ce qui arrive n’est pas le fait d’une action concrète. Autant, cela me semble justifié au début concernant le Saint-Esprit et la grâce divine, autant pour ce qui relève de nos besoins, il me semble préférable d’indiquer qui les assure.

Voilà comment je perçois ce texte, que je trouve intéressant en cela qu’il oblige à réfléchir à mes propres compréhensions. Je vois d’ailleurs que j’évolue sur mon propre travail, ce qui est peut-être dû au fait que mon texte initial était antérieur à mon noviciat. Je ne vois plus les choses de la même façon depuis un an.

5 – Autres sources et inspirations

Source juive

On ne peut s’empêcher de remarquer une ressemblance entre le Pater et le Kaddish :

Kaddish Pater
Magnifié et sanctifié soit le Grand Nom

dans le monde qu’il a créé selon sa volonté

et puisse-t-il établir son royaume

Notre père qui es dans les cieux, que soit sanctifié ton nom,

que vienne ton règne, que soit faite ta volonté sur terre comme au ciel.

Il faut également noter l’intérêt de cet autre texte juif :

Les Shemonei ‘Esrei ou 18 bénédictions se récitent 3 fois par jour et la première série démarre à la troisième heure, la seconde à la sixième heure et la dernière série à la neuvième heure (Voir Actes 3,1 et Actes 10,3-30). En voici un extrait :

« Pardonne-nous, notre Père, car nous avons péché contre Toi, efface et enlève nos iniquités de devant tes yeux, car nombreuses sont tes miséricordes. Béni sois-tu qui pardonnes abondamment ».

Là nous avons deux informations essentielles. D’une part la proximité du texte avec celui du Pater et ensuite la répartition des prières dans la journée.

Dans mon texte précédent, je rappelais que lors des retraites, Ruben et ses amis avaient fait le choix de trois prières quotidiennes, une le matin, une vers midi et une le soir. Chez les Juifs la répartition est la même : troisième heure (tierce), sixième heure (sexte) et neuvième heure (none). Cela correspond dans le Rituel cathare des Heures à 9h30, 12h30 et 15h30 en cette saison.

Cela montre qu’il se peut que des éléments du rituel juif aient servi de base à cette prière très ancienne.

Source chrétienne primitive

Cette prière se retrouve dans la tradition chrétienne primitive ; elle figure notamment dans la Doctrine des douze apôtres (Didachè) sous la forme suivante :

Notre Père qui es au ciel,
Que ton nom soit sanctifié,
Que ton règne vienne,
Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel.
Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour,
Pardonne-nous notre offense,
Comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés.
Et ne nous soumets pas à la tentation,
Mais délivre-nous du mal ;
Car c’est à toi qu’appartiennent la puissance et la gloire dans les siècles.

La Didachè précise qu’il faut prier ainsi trois fois par jour. Cela nous renvoie à la source juive.

Nous avons donc un texte juif d’une part qui est ressemblant dans l’entame et le texte de référence des communautés judéo-chrétiennes des trois premiers siècles.

La doxologie finale fut abandonnée à l’exception des Églises réformées qui la pratiquent toujours.

Depuis 2015, la Conférences des Évêques de France a introduit une nouvelle traduction qui remplace Et ne nous soumets pas à la tentation par Et ne nous laisses pas entrer en tentation. Validée par les cultes protestant et orthodoxe, elle permet de résoudre l’épineux doute sur le fait que Dieu pouvait être à l’origine de la tentation.

Dans Attente de Dieu, Simone Weil, se livre à une glose du Pater très intéressante, dont je ne manquerai pas de m’inspirer autant que de besoin.

Place de Jésus

Quelle serait éventuellement la place de Jésus dans cette prière ?

Contrairement à ce que beaucoup pensent — ce qui les conduit à sacraliser cette prière — je ne pense pas que Jésus ait fait de ce texte quelque chose d’exceptionnel.

D’abord, nous savons que le texte est variable dans sa forme, ce qui confirme qu’il n’est pas celui que Jésus aurait pu donner aux disciples. Cette transmission est également une hypothèse fragile car peu relayée dans les textes anciens.

Ensuite, nous savons que l’historicité de Jésus est toujours en débat et que ce texte emprunte des éléments importants, dans sa forme et sa pratique, au Judaïsme. On peut donc proposer que, si Jésus a existé, il a utilisé la pratique traditionnelle des disciples pour leur proposer une évolution du texte juif et, s’il n’a pas existé, ce sont des Juifs qui se sont inspirés de leur tradition pour proposer un texte visant à structurer la communauté chrétienne.

Par contre, et cela me semble le plus important, la pratique de la prière — quand elle se fait dans les conditions adéquates — provoque chez le pratiquant un état spirituel indéniable. Je dirais donc qu’elle est un outil qui conduit à une expérience mystique, un peu comme une fusée spatiale est un outil technologique qui place l’homme dans une situation émotionnelle particulière.

Donc, pour qu’aujourd’hui encore ce texte remplisse son rôle, il me semble utile et important d’en adapter la forme à ce que le fond doit provoquer et d’en préciser la pratique, comme le firent les Cathares, afin que son usage ne vienne pas ni le dénaturer ni le banaliser.

Qu’est-ce que le Pater ?

Comme on le voit, le Pater est une prière adressée à Dieu — celui qui est resté à la maison (domus) —, d’où le nom d’oraison dominicale. Même si les Cathares savent que Dieu est étranger et absent de ce monde, ils le prient par l’intermédiaire du Saint-Esprit consolateur.

On le voit mieux maintenant, cette prière n’est pas un texte directement issu de Jésus, mais un texte construit par des hommes de leur époque et de tradition juive. Pour autant, il ne faut pas le rejeter mais en comprendre le sens et les différents thèmes. Par contre, dans le respect de ces éléments il n’y a rien qui puisse nous interdire de le rendre plus compréhensible par des hommes de notre époque.

Le Pater est avant tout un moyen de se placer dans un contexte spirituel précis afin de favoriser l’émergence de la part divine qui, en nous, est emprisonnée dans ce monde malin. Pour ce faire il comporte différentes parties ayant chacune sa fonction précise. L’entame vise à préciser notre appartenance à un corps spirituel précis en désignant notre référence et notre rapport à elle. Ensuite, elle permet de rappeler les deux points essentiels que le Chrétien met en avant en vue de sa progression : l’apport spirituel et l’oubli des erreurs. Enfin, elle se termine par le rappel de la nécessité de la grâce qui nous permettra d’éviter les pièges qui nous sont tendus en ce monde.

Cette pratique rituelle demande néanmoins une préparation. Et l’on voit bien comment le Judéo-christianisme s’est fourvoyé en la banalisant à outrance. En effet, le pratiquant doit être profondément imprégné du sens des mots qu’il prononce. Cela implique qu’il les comprenne, donc qu’ils lui soient familiers et sans ambiguïté, mais aussi qu’il soit dans un état psychologique et spirituel qui lui permette de les prononcer sans les dévaloriser.

Les Bons-Chrétiens cathares prononçaient le Pater dans des moments précis et essentiels. Bien entendu lors de rituels et du sacrement de la Consolation, mais aussi pour la bénédiction du pain de la sainte oraison et dans des moments clés de leur vie, notamment quand un danger pouvait les atteindre. Cela leur permettait d’être en état de pureté spirituelle maximale. C’est pour cela, entre autre, que cette prière n’était pas autorisée aux croyants car ces derniers étaient insuffisamment préparés à la mise en condition qu’exigeait cette pratique rituelle.

Il est donc essentiel de faire tut ce qui est en notre pouvoir pour donner à ce texte la forme adaptée à notre siècle et à notre culture pour que ceux qui seront aptes à le prononcer puissent le faire en respectant la seconde condition qui est celle d’être en état spirituel adapté à sa pratique.

Et je vais m’employer à ces deux conditions.

Éric Delmas – 07/06/2017

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