Le lâcher prise

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Les pièges contre l’éveil : Le lâcher-prise

Après avoir vu comment le système judéo-chrétien a utilisé le concept de libre arbitre pour faire peser sur l’homme la caractère maléfique du monde, nous allons voir comment il s’arrange pour l’empêcher d’accéder à l’éveil en utilisant à contre-sens le concept de lâcher-prise.

La violence du monde

Le désir mimétique est à la base de la mondanité.

L’espace mondain est gouverné par deux concepts destinés à favoriser la survie et hiérarchiser les créatures conscientes.

L’instinct de survie est soumis à deux situations, celle de prédateur qui pousse à agresser l’autre pour obtenir un répit, jusqu’à ce que l’on rencontre un prédateur pour qui nous serons une proie. La proie n’a d’autre option que l’évitement et la fuite. L’évitement peut prendre diverses formes : démontrer au prédateur que nous ne présentons pas d’intérêt pour lui, apparaître comme un répulsif qui le forcera à nous relâcher, tenter de disparaître à son attention par divers moyens comme le camouflage. La fuite est le dernier recours quand le reste échoue et une reproduction prolifique compense les échecs des deux techniques précédentes.

Face à la volonté de vivre qui concerne tous les organismes vivants, y compris les végétaux, les mousses et les champignons, les animaux ont développé un concept de hiérarchisation basé sur le pouvoir d’appropriation. On l’appelle le désir mimétique[1] et il est commun à tous les animaux conscients. Les hommes l’ont développé au-delà des compétences animales en l’appliquant au domaine de l’abstrait. Là où l’animal va agresser un congénère pour lui prendre ce qu’il a et qu’il convoite, l’homme peut agir de même pour s’approprier ce qu’un autre désire, mais n’a pas encore.

Le désir mimétique est à la base de la violence entre les hommes qui l’ont plus ou moins dominé par la mise en place de systèmes de barrières. Il s’agit du tabou qui, d’une part rend certains objets de désir intouchables (les femelles du groupe par exemple) et de la victime émissaire, qui d’autre part permet de faire retomber la tension mimétique en désignant un responsable qui sera exclu ou sacrifié.

Cet ascenseur émotionnel entre violence et souffrance est dans notre nature mondaine, mais notre part spirituelle nous pousse à ne pas entrer dans ce cercle infernal.

La voie étroite du détachement.

La modération comportementale s’associe à l’humilité pour nous permettre de vivre en ce monde, sans céder à sa loi inique, qui fait de l’homme, soit une proie, soit un prédateur. Mais cette démarche n’est pas naturelle à l’homme spirituel. En effet, dès que l’on cesse d’agresser l’autre, ce dernier perçoit ce comportement comme une marque de faiblesse et le pousse à tenter de prendre le dessus à son tour.

Or, il faut arriver à faire comprendre que notre refus d’agressivité est une force et non une faiblesse et que cette force ne permet pas à l’autre de nous agresser, sauf à devoir subir les foudres du monde dont il relève.

C’est par le détachement des choses de ce monde que l’on va pouvoir réfréner les désirs mimétiques des autres, car, constatant que nous ne possédons rien d’enviable, que nous ne désirons rien de désirable et que notre attente est d’un domaine non tangible, nous devenons une sorte d’anachronisme vivant, digne de désintérêt, au moins dans un premier temps. Car malheureusement, ce que l’homme ne comprend pas il cherche à le détruire, faute de pouvoir le posséder. Donc, notre abandon du monde ne sera pas payé de retour par l’oubli du monde à notre égard. Mais même alors, quand le monde viendra nous détruire pour affirmer ce qu’il croit être sa supériorité, tel le roseau pensant de Pascal, nous échapperons à son emprise à l’instant même où il croira nous avoir vaincus[2].

Le lâcher-prise, une question de point de vue

Comme nous l’avons vu avec le libre arbitre, les religions attachées au monde et les sociétés ont une lecture du lâcher-prise à l’exact opposé de ce considèrent les religions spirituelles et notamment le catharisme.

Vu du côté du monde

La plupart des courants philosophiques et religieux considèrent le lâcher-prise comme un total abandon. S’il est conseillé c’est qu’il s’agit de se dégager de toutes les problématiques pour se laisser aller dans le sens du courant en quelque sorte.

Le monde nous convainc qu’il ne faut pas aller contre la nature des choses, qu’il faut lâcher-prise face aux interrogations et aux malaises que l’on peut ressentir. Ainsi, en refusant de se laisser perturber on suit une voie qui nous est présentée comme forcément apte à nous mener vers de beaux rivages.

J’explique souvent la notion de lâcher-prise par l’image de deux hommes ballotés dans un courant impétueux, accrochés à une bouée qui les empêche de couler, mais qui les oblige à suivre ce courant. Comme ils sont dans une nuit noire absolue et que la rive n’est pas possible à deviner, car ils sont désorientés, leur inclination spontanée est de s’accrocher à la bouée en espérant qu’elle les ramènera vers leur salut.

L’un des deux suit cette réflexion et reste agrippé à sa bouée lui accordant ainsi plus de confiance qu’à lui-même.

Mais, il s’avère que la bouée peut tout aussi bien l’entraîner vers un siphon qui, au milieu de la rivière, va le précipiter dans un gouffre qui causera sa mort.

Vu du côté spirituel

L’autre ne se laisse pas diriger par les apparences. Il décide que son intuition vaut mieux que cette bouée et il la lâche pour nager dans une autre direction, vers ce qu’il entrevoit comme un meilleur espoir. Certes, il court le risque de ne pas atteindre la rive, mais s’il dispose d’une bonne connaissance de la rivière et du terrain, il réduit le risque de façon importante.

De même, le sympathisant qui, grâce à son étude et à la connaissance acquise, comprend mieux les choses. Le croyant qu’il est devenu doit maintenant franchir un pas important, choisir ce que sa connaissance et sa foi lui inspirent au lieu des mirages que lui projette le monde. Cet abandon à la foi qui le porte demandera de gros efforts, car il implique un renversement total de ce qui faisait la structure même de sa vie d’alors. C’est le pas que le jeune homme riche refuse de franchir, le fameux chas de l’aiguille que le chameau que nous sommes doit traverser. Contrairement aux lois de ce monde, il n’y a pas de donnant-donnant dans la foi. C’est quand on a tout abandonné, le cœur léger, que l’on est en mesure de recevoir, le moment venu, la grâce que l’on espère.

Quand on a passé ce cap, on entre dans un autre cheminement. Cette dernière souffrance correspond à la mue que l’on entame pour se débarrasser de la défroque de l’Adam que nous étions pour nous diriger vers le Christ que nous aspirons à devenir et rappelle que le grain ne peut porter de fruit s’il ne meurt pas. Le grain est le message qui doit « mourir » en nous pour germer et porter fruit.

Le lâcher-prise au quotidien

Forcément, si nous sommes détachés de ce monde, nous n’avons rien à lui reprocher et son avenir ne nous concerne pas. Cela veut dire que nous n’aspirons qu’à une chose, laisser ici-bas la plus faible empreinte de notre passage. Cela se manifestera dans nos actions par une recherche de la moindre prégnance mondaine, qui est la manifestation de notre détachement et de notre lâcher prise. Aussi, chaque fois que cela nous est possible, nous essayons de ne pas gaspiller, de ne pas aggraver l’état d’un monde déjà au plus mal et de faire en sorte que notre présence soit la plus discrète possible et autant que faire se peut, réversible.

Dans notre vie sociale nous faisons de même. Nous essayons de mettre fin à tous les conflits qui ont agité notre vie mondaine, même si parfois cela doit se faire injustement à notre détriment. Quand nous avons fait notre maximum, nous laissons ceux qui se sentent encore nos éventuels adversaires à leurs propres démons et nous menons notre vie simplement sans chercher, ni à briller ni à nous cacher.

Pour autant nous ne sommes pas dupes du fait que cette attitude ne nous protégera de rien de ce qui doit nous advenir. Comme le dit Christ, le serviteur ne peut espérer meilleur traitement que son maître, et nous savons comment notre maître fut traité. Ce qui importe c’est qu’au moment voulu nous soyons prêts et que notre espoir, quasiment libéré de ses entraves, soit en mesure de recevoir la grâce s’il en est digne.

C’est pourquoi il ne faut pas confondre le lâcher-prise prôné notamment dans les Églises judéo-chrétiennes qui ne fait qu’enfoncer le croyant dans la mondanité qui le contraint et celui que prône le catharisme qui élève l’esprit-saint prisonnier vers la grâce.

L’ataraxie

Le lâcher-prise des cathares est un abandon de la sujétion à ce qui conduit nos actions en ce monde : la sensualité. En effet, si notre âme mondaine agit pour nous maintenir dans notre prison charnelle, elle le fait par le biais d’outils mondains dont l’objet est de nous empêcher de trouver le temps de penser notre situation. Ce sont nos cinq sens qui agissent pour cela. Et plus ils sont stimulés, plus le détachement est rendu difficile.

Mais quand le croyant atteint le niveau de détachement suffisant, il aspire à vivre en harmonie avec son état de lâcher-prise et c’est généralement le moment où il va essayer de rejoindre une communauté évangélique de chrétiens revêtus. En effet, c’est dans cet environnement qu’il sera le plus à même de vivre sa vie de détachement pour atteindre un équilibre de vie entre sa part mondaine et sa part spirituelle, où les attachements mondains réduits à leur plus simple expression lui laisseront la paix que seul un esprit conscient peut offrir.

C’est cet état d’apaisement sensoriel et de liberté spirituelle que l’on nomme l’ataraxie.

Au total, la praxis cathare vise à permettre à ses adeptes d’atteindre un état d’équilibre spirituel dans lequel l’esprit sera suffisamment libéré de sa prison charnelle et suffisamment éveillé à sa vérité originelle pour recevoir la grâce divine, à laquelle il aspire et qui lui permettra de réintégrer la plénitude spirituelle d’où il est « tombé », voici bien trop longtemps. Cependant, la vie en communauté évangélique n’a rien à voir avec une clôture moniale et encore moins avec un enfermement sectaire. La communauté évangélique est en interaction permanente avec son environnement. Cela explique que les maisons cathares étaient à proximité des autres habitations, ce qui est toujours le cas aujourd’hui. Et cette interaction implique que ses portes sont toujours ouvertes dans les deux sens.

Prêche du 8 mai 2022 par Guilhem de Carcassonne


[1] René Girard : Des choses cachées depuis la fondation du monde. Éditions Grasset et Fasquelle, 1978 (Paris). Existe en édition du Livre de poche.

[2] Blaise Pascal (1623-1662), Pensées Chapitre VI 346-200 : « L’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature ; mais c’est un roseau pensant. Il ne faut pas que l’univers s’arme pour l’écraser : une vapeur, une goutte d’eau, suffit pour le tuer. Mais, quand l’univers l’écraserait, l’homme serait encore plus noble que ce qui le tue, parce qu’il sait qu’il meurt, et l’avantage que l’univers a sur lui ; l’univers n’en sait rien. »

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