Nos catharismes

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Nos catharismes

Ne vous méprenez pas sur le titre de cet article. Je ne suis pas devenu adepte de la nouvelle mode visant à dénier au catharisme son caractère unitaire comme le font certains historiens.En fait je souhaite vous parler de la façon dont nous avons tendance à comprendre le catharisme, sous l’influence de différents facteurs et souvent par défaut d’information complète en raison d’une difficulté à atteindre les éléments d’information nécessaires.
Cette conception diverse du catharisme est souvent adossée à un élément culturel particulier et parfois aussi à un blocage qui nous contraint à refuser certaines explications du catharisme qui heurtent trop fortement des convictions ancrées en nous par une culture durablement imprimée dans notre intellect.

Les approches culturelles liées au catharisme

Rares sont ceux d’entre-nous qui ont eu la chance d’avoir dans leur famille quelqu’un qui leur ait parlé du catharisme avant d’en avoir connaissance par d’autres biais.
Du coup, nous sommes tous venus au catharisme par un biais plus ou moins marqué, que ce soit à l’occasion de la découverte d’un ouvrage historique trouvé ici ou là, ou bien lors d’une rencontre avec une personnalité marquante, et parfois à l’occasion de recherches spirituelles orientées vers d’autres voies. Et je ne doute pas qu’il existe bien d’autres voies d’accès au catharisme.
Ces voies d’accès ont toutes l’intérêt de provoquer la curiosité de ceux qui découvrent le catharisme à cette occasion mais elles ne sont pas dénuées de risques.
En effet, et aucune ne fait exception, ces voies d’approches ont elles-mêmes très souvent une vision biaisée du catharisme qui ne peut se comprendre qu’à travers une exploration infiniment plus large, comme vous l’avez certainement compris en parcourant ce site.

La voie familiale est sans aucun doute très intéressante car elle donne au catharisme une lecture intime qui convient bien pour une spiritualité. Pourtant elle présente l’inconvénient de manquer de fiabilité vis-à-vis du contenu fortement marqué par l’affaiblissement du contenu doctrinal lié à la transmission, au point que parfois ce contenu disparaît totalement au profit d’une construction poétique et narrative que l’on retrouve d’ailleurs dans pas mal de contes de nos régions. Elle est aussi marquée par le rapport entretenu entre le transmetteur et le receveur qui peut pousser ce dernier à accepter sans critique ni discussion tout ce qui lui est dit au risque de considérer comme infaillible des éléments inexacts.

La voie historique est généralement la plus fréquemment suivie. Elle présente pourtant plusieurs inconvénients. Déjà il existe plusieurs courants historiques qui vont d’un extrême à l’autre. Difficile donc de choisir celui qui va nous mener à bon port puisque en fait aucun ne le fait. Si l’on écarte les auteurs qui font du catharisme un outil pratique de production et qui se contentent de récupérer, peu ou prou, des données chez d’autres auteurs pour ensuite les triturer un peu avant de les présenter comme idées personnelles, il reste des auteurs sérieux qui nécessitent cependant que le lecteur soit en mesure de les appréhender correctement.
D’abord, parce que le catharisme demande une grande ouverture d’esprit et une absence d’a priori sous peine de suivre le cheminement que l’on voit actuellement chez des historiens soucieux de défendre le modèle judéo-chrétien ou désireux de limiter le catharisme à une période historique correspondant à leurs compétences. Mais il faut aussi des compétences en histoire générale, en histoire des religions et une capacité à chercher les informations que les auteurs ont oublié de traiter ou celles qu’ils ont volontairement cherché à occulter ou à falsifier. Cela demande une culture générale et une capacité à se retenir de valider une hypothèse avant d’en avoir exploré toutes les implications.
Du coup la voie historique est à la fois la plus facile à suivre et la plus dangereuse, en raison même de cette apparente facilité.

La voie régionale est une forme spéciale de la voie historique puisqu’elle vise à favoriser un phénomène, lu dans une vision régionale, considéré comme partie intégrante de l’histoire régionale. Le catharisme est vécu en Occitanie, et particulièrement en Midi-Pyrénées et en Languedoc-Roussillon, comme une sorte de propriété régionale du fait que la croisade contre les albigeois a touché avant tout les populations locales et a détruit une culture dont on commence à peine à appréhender toute la richesse. Bien entendu, outre l’erreur commise à chaque fois que l’on étudie un phénomène de façon partielle (régionale, médiéviste ou autre), cette approche vise à détourner le catharisme de ses fondements théologiques et à en faire un instrument dévoyé. Ce n’est pas juste pour les cathares, c’est historiquement faux et c’est une piètre façon de défendre un idéal qui mérite bien mieux.

La voie religieuse est en général issue des principaux courants judéo-chrétiens (catholicisme, orthodoxie, réforme protestante). Cependant, il semble que les effets pervers et positifs soient différents selon l’origine religieuse de celui qui s’intéresse au catharisme. Depuis peu on constate également vis-à-vis du bogomilisme un intérêt renaissant de la part des musulmans d’Europe centrale qui est d’une certaine façon comparable à l’intérêt que les protestants français portent au catharisme.
Les personnes issues du catholicisme et de l’orthodoxie viennent au catharisme alors qu’elles ont rompu avec leur religion d’origine de façon totale et définitive. Pour celles qui viennent du protestantisme on observe divers cas de figure incluant des personnes qui recherchent dans le catharisme un complément à ce que leur religion leur apporte. Cette mise en conjonction des éléments qui leur semblent rapprocher catharisme et protestantisme (au moins dans certaines de ses formes) tend alors à minimiser aux yeux de beaucoup les points qui les séparent de façon irréductible. C’est pourquoi je crois la voie de la rupture préalable plus favorable à une bonne approche du catharisme, même si les protestants bénéficient en général d’une excellente culture religieuse et exégétique qui constitue un outil pratique pour aborder le catharisme.

La voie gnostique, que je qualifie ainsi par facilité de langage, regroupe celles et ceux qui, rejetant les religions organisées, pensent avoir trouvé dans le catharisme une réponse à leur attente. Refaisant à leur manière les amalgames fait par les polémistes judéo-chrétiens ils affublent le catharisme d’oripeaux divers selon le point qu’ils mettent en avant. Ces approches semblent avoir en commun l’expression d’un malaise et d’une difficulté à appréhender ce monde dans une dimension éminemment maligne et à vouloir y trouver un ferment d’espoir à une amélioration possible. De là vient ce besoin de considérer que la réponse à nos malheurs existe quelque part et que seuls quelques esprits éclairés, eux bien entendu, pourront y accéder et sauver la situation. C’est typique de personnes qui n’ont pas fait le deuil de leurs croyances antérieures et qui les ont quittées sans vouloir en abandonner tous les attributs. Cela conduit à une tendance au syncrétisme permettant de construire une spiritualité sur mesure qui ne peut être validée qu’en la présentant comme obscure et secrète de façon à n’avoir pas à en affronter les incohérences.

La voie philosophico-spirituelle regroupe celles et ceux qui essaient d’attribuer au catharisme des caractéristiques provenant ou tendant vers d’autres écoles de pensée, soit pour limiter le catharisme dans la façon de l’appréhender, soit pour justifier la mise en avant de spiritualités extérieures au christianisme. L’approche philosophique permet à ses tenants de limiter leur vision du catharisme à sa partie que je qualifierais d’intellectuelle et d’oublier ainsi toute la dimension de vie matérielle qui en découle.

Dérivant des voies dites religieuses, la voie poétique cherche dans le catharisme un outil de sublimation d’espérances chez des personnes encore fortement attachées à leur mondanité qui s’en servent donc comme une sorte de dérivatif. C’est en quelque sorte le pendant de la fine amor vis-à-vis de l’amour réel.

Les répercussions des différentes approches

De prime abord on pourrait penser qu’il importe peu que l’on aborde le catharisme de telle ou telle façon si, au final, on finit par abandonner ces vecteurs et que l’on se concentre sur les fondamentaux du catharisme.
C’est vrai et certains y parviennent très bien mais malheureusement ceux dont l’éveil est insuffisant ou qui se laissent égarer par la voie qu’ils ont suivi initialement restent en dehors du catharisme tout en croyant fermement l’avoir compris.
Un récent sondage publié sur le site illustre très bien le poids de ces différentes approches et l’on voit que les personnes qui y ont répondu ont finalement délaissé des points essentiels de la doctrine cathare (comme la dilection par exemple) au profit de points typiquement historiques, voire régionalistes. Il serait même intéressant dans un avenir un peu plus lointain d’adapter ce sondage afin d’y inclure des item permettant de mieux différencier ces différentes voies d’approche.
Il est un problème non négligeable qui tient au fait que tous ces éléments perturbateurs brouillent l’image que le catharisme renvoie vers le grand public. D’autant que certaines de ces images sont diamétralement opposées et pas toujours positives. Or, comme il est plus facile de détruire une image que de la construire, le catharisme est toujours perdant de ce point de vue.
Il ne faut pas négliger également le fait que beaucoup de personnes sont honnêtement convaincues que leur vision du catharisme est conforme à ce qu’il fut réellement et qu’elles ne comprennent pas que l’on puisse les critiquer sur ce point.
Malheureusement l’absence de prise de conscience que nous ne sommes pas spirituellement en état d’appréhender correctement le catharisme, vu que nous ne sommes pas des Bons-Chrétiens, rend toute tentative d’explication vaine.
C’est le cas par exemple des personnes qui cherchent à se construire un catharisme sur mesure. Les uns veulent bien avancer dans le catharisme mais sans abandonner leur mode de vie qui les conduit plus sûrement vers une sorte d’érémitisme ou d’anachorétisme que vers un cénobitisme conforme au modèle cathare.
D’autres au contraire comprennent la nécessité d’un rapprochement en vue d’une vie évangélique mais ils y mettent tant de contraintes destinées à leur éviter un mode de vie qui leur paraît incompatible avec leur confort moderne, qu’ils en viennent à dénaturer la notion même de vie communautaire évangélique cathare.
Au total on se trouve donc logiquement en face d’un grand nombre de choix dits cathares dont il est facile d’identifier les différences avec le catharisme réel et peu qui se rapprochent de ce dernier. Ce n’est pas étonnant car le catharisme n’est pas un choix de vie que l’on peut adopter spontanément si l’on n’en a pas suivi tout le cheminement spirituel qu’il suppose. Il faut donc comprendre que rien ne pourra faire disparaître ces formes de compréhension et de mise en œuvre du catharisme.

Comment définir un catharisme cohérent ?

Il me semble que le point le plus important est de se donner les moyens de bien appréhender la spiritualité cathare dans sa dimension théologique ou doctrinale, selon les préférences sémantiques des uns et des autres, afin de savoir où l’on met les pieds.
Ensuite, soit cela demeure de l’ordre de l’intérêt intellectuel, soit cela éveille au plus profond de nous un sentiment qui nous pousse à vouloir approfondir notre connaissance et à donner toute la place disponible à cette spiritualité.
Dès lors, il faut commencer par comprendre pourquoi l’on doit faire le deuil de toute autre conception spirituelle et en acquérir une intime et honnête conviction.
Ensuite, il convient de réfléchir au niveau d’engagement que l’on se sent prêt à suivre. Il n’y a aucune honte à ne pas se sentir prêt à vivre en communauté évangélique. Les croyants ont autant de valeur que les Bons-Chrétiens et les exemples sont nombreux dans l’histoire de croyants valeureux et méritants alors que quelques Bons-Chrétiens ont fauté plus ou moins lourdement et plus ou moins durablement.
Enfin, il faut avoir l’humilité d’accepter les choix établis par les Bons-Chrétiens et si l’on doit envisager d’en modifier certains, ce ne peut être que dans le sens d’un approfondissement de la vie ascétique si les connaissances d’aujourd’hui permettent d’établir que les Bons-Chrétiens médiévaux se trompaient par défaut. Vouloir revenir en arrière sur un engagement des Bons-Chrétiens a toutes les chances d’être une erreur liée à une méconnaissance de leurs motivations ou plutôt à une préparation personnelle insuffisante.
La dilection, qui pousse à la non violence, amène naturellement à choisir la préservation de toute vie qu’il n’est pas indispensable de détruire pour sauvegarder la nôtre et l’humilité qu’inspire la dilection, amène naturellement à favoriser l’ascèse d’une vie communautaire basée sur le travail et la prière plutôt que de choisir une vie collective où chacun resterait à distance prudente des autres afin de ne partager que ce qu’il veut bien mettre en commun.
Il nous reste du temps pour déterminer s’il existe au sein de notre groupe un nombre suffisant de personnes désireuses d’avancer jusqu’à ce point afin de permettre l’émergence d’une communauté de vie évangélique. Au pire, nous resterons une communauté de croyants en attente des novices qu’elle pourra soutenir, sinon cette communauté se mettra en place même si elle ne doit comporter que très peu de membres et même si d’autres mettent en place des collectivités qui se réclameront aussi d’un catharisme modernisé.
Ce qui compte ce n’est pas ce que font les autres, c’est ce que nous sommes disposés à faire nous-mêmes, sereinement et en pleine conscience.

Éric Delmas – 11/11/2012

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