La mondanité

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La mondanité

Dans le catharisme le croyant sait qu’il est dans le monde même s’il exprime sa foi en précisant qu’il n’est pas du monde (prière cathare). En disant cela il différencie le fait d’être soumis aux affres de son incarnation forcée et le fait de ne pas se reconnaître de ce monde en référence à son esprit qui est relié à la création divine qui n’est pas de ce monde.
Mais qu’entend-on exactement par ce terme de mondanité ? Que recouvre le champ d’action du monde dans notre personne double ? Comment différencier ce qui relève du monde et ce qui vient de l’esprit ?
Toutes ces questions sont complexes à traiter et méritent que l’on s’y attarde un peu.

La prison mondaine

L’homme est prisonnier de ce monde par son incarnation. Ceci dit nous n’en savons guère plus.
Que représente véritablement l’incarnation ? Est-ce seulement la chair ou bien faut-il y ajouter ce qui relève de la manière dont la chair communique avec son environnement, c’est-à-dire tout ce qui relève de l’analyse et de l’expression du sensoriel ? Cette interface entre le matériel stricto sensu et la perception sensorielle dépend de fonctions nerveuses que la science actuelle nous présente globalement sous deux formes, le système nerveux sensitivo-moteur et le système neuro-végétatif. Le premier collecte les informations et transmet les ordres, le second produit des neuro-transmetteurs et des hormones qui agissent en un second temps sur un effecteur distant.
Mais il faut aussi ajouter à cela le centre de commande, le cerveau dont l’essentiel fonctionne selon le schéma précédemment décrit, même quand il s’agit de produire des émotions, de construire la personnalité, l’expérience et la mémoire, etc.
Le lecteur non averti serait tenté de dire que finalement je viens de décrire la totalité de la personne humaine et qu’il ne reste rien à rattacher à l’esprit.
Il n’en est rien et nous allons y réfléchir ensemble si vous le voulez bien.

La mondanité non matérielle

En effet, il est des domaines dont nous n’avons pas parlé qu’il convient d’essayer de positionner entre mondanité et spiritualité.
Tout d’abord il y a ce qui fait notre capacité à construire des concepts, à les étudier et à les organiser. Cela nous permet d’acquérir des connaissances, d’en produire à partir d’une base dont on s’éloigne en développant des compétences d’imagination, de réflexion logique, de supputations et de préférences abstraites. Cela s’appelle l’intellect et sert à manifester notre particularité individuelle afin de nous extraire ou de nous intégrer à un environnement perçu comme négatif ou utile. Cette adaptation est l’intelligence par laquelle nous protégeons notre personne humaine en lui offrant les meilleures chances de survie et de progression.
Point n’est besoin de disserter longtemps pour dire que ces compétences et capacités sont au service de notre mondanité et qu’elles tendent même à protéger notre incarnation.
Certains d’entre-nous ont reçu en « talent » — comme il est dit dans l’évangile — des compétences encore plus étonnantes. Sans recours apparent à la mondanité, elles sont capables de perception accrue, de relation intime avec la part la plus profonde de leur chair ou de leur psyché, voire de celle des autres, parfois même ont-elles des « pouvoirs » de modification du monde physique par la simple force de leur pensée et de leur volonté.
Comment ne pas voir dans ces capacités extra-sensorielles l’œuvre de l’esprit ?
En fait c’est un leurre auquel il convient de ne pas céder. Ces capacités ne sont rien moins que des dons naturels comme celui du bricolage, de la cuisine, de l’éloquence… Le fait qu’ils s’expriment dans le champ extra-sensoriel n’y fait rien.
Je donnerais deux éléments d’analyse qui permettront aux plus sceptiques de comprendre les raisons de ma certitude. L’esprit est la part divine qui agit en nous ; de ce fait il est issu du Principe du Bien. Comme lui il est donc parfait dans le Bien.
Or, il arrive que certains de ces dons soient utilisables pour faire le mal ou pour faire un bien susceptible de provoquer un mal. Quand ce don offre un avantage à celui qui en profite au détriment d’autres qui sont de fait handicapés de n’avoir pu en profiter ou d’avoir été mis en infériorité par son expression chez un autre, cet avantage provoque un mal qui signe que ce don agit dans le Mal. Or, comme nous le disent nos anciens : « Le Bien n’a pas de Mal à opposer au Mal. » Donc, un Mal qui agit, même pour donner un bien, ne peut être issu du Bien.
Quant à des dons utilisés de façon ouvertement négative, nous savons qu’il y en a et que ce sont les personnalités de leurs détenteurs qui agissent et non la part divine qui elle ne peut avoir de Mal en elle.

Nous le voyons, notre mondanité ne se limite pas au champ matériel et sensible mais s’étend aussi au champ intellectuel et extra-sensoriel.

Nos rapports à la mondanité

Comment nous comportons-nous face à cette mondanité qui nous contraint, comme l’interprétons-nous et comment évolue notre perception selon que notre approche est basique, évoluée et parfois plus ou moins pathologique ?
L’objet de notre mondanité n’est pas de nous permettre de vivre agréablement sur cette planète comme on pourrait le croire naïvement. D’ailleurs point n’est besoin de regarder très loin pour voir combien d’entre-nous et de nos semblables vivent mal alors qu’ils sont dotés eux-aussi d’une incarnation mondaine.
En fait l’objectif de notre mondanité est de servir de prison à ce qu’il y a de plus extraordinaire, l’esprit.
Or, l’esprit ne se laisse pas facilement contraindre. Avec leur naïveté anthropomorphique, nos anciens décrivaient que les esprits arrachés à leur « maison céleste » se mirent à pleurer leur sort et entonnèrent le cantique de Sion dans l’espoir d’obtenir du secours. Alors le démiurge les enferma dans des prisons de chair afin de les contraindre et de leur faire oublier la création divine.
Cela nous révèle la fine compréhension que les bons chrétiens avaient de la fonction spécifique de la mondanité.
Son rôle est d’emprisonner l’esprit, de l’empêcher d’exprimer sa nature divine et de lui faire oublier ses origines. Et il faut reconnaître que cela fonctionne presque parfaitement. La prison charnelle est efficace, du moins tant que la chair est vive. L’oubli est quasiment total, du moins les réminiscences sont rarement authentifiées d’un point de vue intellectuel. L’expression divine est soit involontaire, soit inconsciente de sa nature.
Mais la mondanité est aussi hautement perverse et à l’instar de ces laisses à dérouleur qui laissent les chiens s’éloigner de leur maîtres comme si ils étaient libres de toutes entraves, la mondanité sait user d’artifices pour nous faire croire qu’elle ne nous lie pas. C’est pour mieux nous ramener dans ses filets comme le moulinet du pêcheur qui a laissé le poisson s’éloigner pour mieux le ferrer le ramène inexorablement vers la poêle où il ne tardera pas à rôtir.
Voyons un peu cette perception que nous avons de notre mondanité.

La perception basique

C’est celle qui s’applique à la plupart d’entre-nous. Elle connaît plusieurs degrés d’analyse.
Il y a ceux qui ne savent pas qu’ils sont un esprit prisonnier et qui considèrent leur mondanité comme leur être profond. Leur champ matériel et sensuel est considéré comme un outil d’interaction avec le monde environnant.
Leur champ intellectuel et sensoriel est considéré comme l’expression de leur être profond et la réalité de leur personne intime.
Quand ils en disposent leur champ extra-sensoriel est considéré comme un bonus qu’ils utilisent selon ce que leur dicte leur morale.
Ces personnes sont dans le monde comme un poisson dans l’eau et rien ne pourrait les convaincre qu’il existe une autre façon de le comprendre. Cela donne lieu le plus souvent de leur part à une incapacité à communiquer avec quiconque propose une analyse autre que celle qualifiée de rationnelle. En fait sa rationalité est toute relative car elle fait l’impasse sur de nombreuses incohérences du monde, préférant reporter à une période à venir non précisée la découverte d’explications rationnelles à ce qui contredit leurs certitudes. Le mouvement athée est typiquement de cet ordre et sa « foi » dans les progrès de science pour résoudre les problèmes et éclairer les zones de doutes est totale.

La perception évoluée

Elle est le fait de catégories d’individus variées. Cela va d’athées ouverts à des idées extra-logiques à des personnes proposant des hypothèses très éloignées de la rationalité afin de proposer des explications apparemment logiques à des problèmes qui ne le sont pas toujours.
Entre ces deux extrêmes se trouvent tous les groupes de croyants, agnostiques ou organisés, et les tenants de thèses extra-terrestres plus ou moins surprenantes.
Une autre manière de classer ces personnes serait de les définir en fonction de leurs rapports à la rationalités. Certains sont donc des rationalistes absolus pour lesquels tout doit avoir une cause et des effets identifiables et démontrables, sans pour autant qu’ils se limitent à champ matériel étriqué comme c’est le cas des personnes ayant une perception basique. D’autres acceptent une part d’irrationnel sur un fond de rationalité dominant, comme c’est le cas de nombreux croyants et de quelques athées ouverts à des hypothèses non vérifiées mais probables et susceptibles de s’avérer valables quand nos connaissances humaines se seront développées. Les croyants cathares peuvent se classer dans cette catégorie.
Enfin, d’autres dénient voire rejette la rationalité et veulent croire que le mystère nous entoure et qu’il recèle toutes les réponses à nos questions. Cela conduit à considérer que l’accès à la connaissance n’est pas permis à tous mais à une élite dont les critères de sélection peuvent fortement varier, et à favoriser les hypothèses improbables au détriments d’autres plus rationnelles mais dénuées de mystère.
Il faut dire que l’homme entretient un rapport quasi pathologique à l’irrationnel.
Une vérité rationnelle sera souvent moins bien reçu qu’une hypothèse extravagante s’appuyant sur un mystère. Ce comportement peut très bien s’expliquer sur le plan psychologique par le fait qu’il est confortable d’imaginer un possible mystérieusement caché qui offrirait l’espoir d’un avenir meilleur que ce que le présent bien réel donne à voir.
De la même façon, le recours au magique, voire au miraculeux permet de s’affranchir de l’effort de la démonstration ou de la preuve et donne à croire que tout est possible.
C’est pourquoi l’on croise tant de personnes ou de groupes — y compris parmi ceux qui peuvent sembler totalement cohérents — qui s’appuient sur le mystère et le miracle pour affirmer leurs thèses.
Le croyant cathare sait que cette voie est sans issue. L’esprit, le Principe du Bien ne sont pas des mystères mais une foi qui justifie d’appréhender ce monde en pleine conscience de sa réalité maléfique au lieu de se bercer d’illusion en son possible amendement ou en une intervention miraculeuse qui viendrait le transformer radicalement et inverserait les rôles entre les oppresseurs et les opprimés.

La perception pathologique

Il s’agit d’une dégradation de la perception évoluée.
Quand l’individu s’enfonce dans une perception baignée de mystères et de chimères irrationnelles il tend à s’isoler et, perdant peu à peu ses repères, il développe une théorisation souvent bancale qu’il alimente de phantasmes plus ou moins élaborés qu’il présente sous forme mystérieuse voire magique ou miraculeuse, au gré desquels il apparaît toujours comme un « élu » privilégié en charge de conduire le troupeau consentant vers de plus verts pâturages.
Ne nous y trompons pas, ces personnes peuvent donner une apparence rationnelle à leurs propos et ce n’est qu’après un certain temps de fréquentation que transparaissent leurs théories fantasques.
Certes on trouve aussi dans ce groupes des illuminés exaltés et exubérants qui sont la vitrine que l’on se fait de ces personnes. En fait la plupart savent fort bien osciller entre propos « limites » et idées rationnelles de façon à maintenir leurs auditeurs dans un trouble apte à leur faire perdre leurs repères et à la attirer dans leurs filets.
Et bien entendu, n’est pas victime de ces personnes qui ne le veut pas. Plus on prête une oreille complaisante à des théories faisant appel au mystère, à la magie et aux miracles, plus on se tient à l’écart de la connaissance directement acquise de façon contradictoire par une étude sérieuse de sources variées, plus on est accessibles aux menées de ces personnes.
Le croyant cathare ne cesse de voir des personnes qui se disent d’abord de son groupe de pensée et qui, petit à petit, dérivent en essayant de l’entraîner avec elles. C’est là que l’altérité prend toute sa valeur. Car là où le croyant isolé sera une proie assez facile, celui qui peut se retourner vers un groupe solide pour se faire aider à analyser ces comportements, sera mieux équipé pour résister à de telles menées.

Comment se prémunir des pièges de la mondanité ?

En effet, nous sommes tous des victimes de choix pour la volonté mondaine de nous maintenir dans notre état de « zombie » emprisonné dans une « matrice » destinée à lui interdire l’éveil libérateur.
Notre sensibilité à ses pièges est variable et plus nous sommes attirés ou compétents dans les domaines sensoriels et extra-sensoriels, plus nous sommes menacés. En effet, ces domaines sont à la frontière entre ce qui peut sembler proche de l’esprit et ce qui relève du monde. L’artiste est-il guidé par ses sens exacerbés ou par son esprit qui trouverait dans son art une forme d’expression ? Le supra-sensoriel est-il doué d’un don bien mondain ou déjà à mi-chemin d’un ailleurs prometteur ?
Je l’ai dit, ce n’est pas l’apparente déconnexion de la matérialité qui fait le spirituel ; c’est le caractère parfait, inaltérable et totalement voué au Bien d’un acte ou d’une pensée qui signe le spirituel.
Vous le comprenez aisément, le premier effort à fournir est une déprogrammation de notre conviction intime qui est totalement vouée à notre prison charnelle. Ensuite, il convient de réapprendre à comprendre ce monde, ses pièges et ses œuvres afin de mieux pouvoir les cerner et les éviter. Donc, un travail permanent de connaissance et d’étude est nécessaire. Il ne remplace pas l’expression spirituelle mais il l’éclaire d’un jour nouveau qui en révèle la réalité et la valeur. Il ne faut pas oublier aussi de maintenir le mondain à l’écart pour l’empêcher d’agir de façon trop prégnante. C’est le vrai sens de l’ascèse qui est d’abord morale et dont découle ensuite l’ascèse physique. Même croyant nous devons avancer dans cette voie, quand bien même nous serions persuadés de ne jamais pouvoir de venir de bons chrétiens.
Enfin, bien entendu, il faut donner à l’esprit toute sa place, aussi souvent que possible de la façon la plus large possible jusqu’à ce que nous puissions espérer un jour être d’abord esprit et seulement ensuite mondains.
Mais c’est une autre histoire.

Éric Delmas – 03/07/2012

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