Et Pâques alors !

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Et Pâques alors !

La fête de Pâques constitue le point fort de l’année liturgique judéo-chrétienne et je m’interroge sur le sens de cette fête. Si j’étais juif je ne me poserai pas de question, c’est la fête qui marque la libération du peuple juif selon son livre saint la Torah.
Mais pour un chrétien qu’est-ce que Pâques ?

Pâques moment clé de la Passion judéo-chrétienne

Pâques est le moment où l’esprit prend le dessus sur le corps, après que le corporel ait semblé prendre le dessus sur l’esprit ! En effet, la Passion semble donner raison aux détenteurs du pouvoir politique (les romains) et religieux (les chefs juifs) et ce dernier semble vaincre celui qui était venu annoncer la suprématie de l’esprit.
Puis, par un coup de théâtre — qui d’ailleurs a beaucoup inspiré les faiseurs de spectacles —, cet esprit surmonte les obstacles du corporel pour démontrer la suprématie du spirituel. Mais il le fait selon les codes du corporel, c’est-à-dire qu’il se laisse martyriser, tuer, ensevelir avant de réapparaître en surmontant des obstacles physiques qui démontrent ainsi l’échec du corporel (pierre roulée, déplacement à travers les obstacles, etc.).
Les judéo-chrétiens, suivant en cela les préceptes de Jean le baptiste, conservent bien ancré en eux le concept juif de la faute originelle que l’homme doit expier pour redevenir le préféré de Dieu. Mais, face à l’incapacité d’une telle résolution dont le monde environnant montrait bien l’inanité, ils eurent le sentiment qu’il fallait que Dieu vienne les soulager de cet effort dont ils ne se sentaient pas capables. D’où le concept du fils de Dieu, fait chair pour ressembler aux hommes et ainsi leur montrer que la voie leur était ouverte, qui va se charger de la faute originelle et l’expier à la façon dont les hommes conçoivent la chose, c’est-à-dire par la souffrance et la mort ignominieuse et malgré tout au nom de l’Amour qu’il porte à la race humaine. Mais comme il est aussi divin, il triomphe sous une forme spirituelle et retourne auprès de la création divine.
Autant dire que cette approche hautement anthropomorphique me semble être une erreur monumentale. C’est pour cela que Pâques est un moment fort de la division entre la vision cathare et la vision judéo-chrétienne.
Comment s’étonner d’ailleurs que les tenants de cette approche violente aient trouvé naturel de la reproduire contre ceux qui menaçaient l’hégémonie qu’ils voulaient imposer et comment s’étonner que ceux qui, au fil des siècles — de Marcion aux cathares —, concevaient les choses de façon radicalement inverse n’eurent d’autre choix que de fuir (soit en s’isolant dans des contrées lointaines comme les marcionites, soit en se cachant dans des bois ou des grottes comme les cathares) et de pardonner, puisque c’était tout ce que leur Église leur enseignait ?

Il y a chrétiens et chrétiens

N’oublions pas que les seuls membres de la communauté initiale qui reçurent le sobriquet de chrétiens, furent ceux qui partageaient la foi d’Étienne (premier « martyr ») et qui furent pourchassés et durent s’enfuir jusqu’à sortir de la zone d’autorité de Jérusalem puisque Paul alla les pourchasser à Damas.
Or, c’est là que furent instituées les premières communautés chrétiennes pendant que demeuraient à Jérusalem ceux qui n’ont subi aucune rétorsion, c’est-à-dire le courant de Jacques le mineur qui deviendra le courant ébionite avant de disparaître définitivement en 135 et le courant de Pierre et de Jean qui associaient pleinement la Loi (Torah) et ses prescriptions à la révélation de Jésus, le courant judéo-chrétien qui s’installera à Rome, quand il conviendra de se rapprocher du pouvoir temporel, et qui finira par devenir le seul courant toléré par l’empereur, quand Théodose en fera l’unique religion de l’empire en 380.
Le courant strictement chrétien, lui se développera avec les voyages missionnaires de Paul, puis ses communautés formeront le gros de l’Église de Marcion… Vous connaissez la suite.
La lecture des évangiles est marquée par le fait que Jésus y est constamment confronté à l’incapacité de ses disciples à comprendre son message. Ils se disputent pour savoir qui est son préféré, il ne comprennent même pas les paraboles qui sont pourtant une version simplifiée de la parole de Jésus à destination des foules ; ils sont sans cesse en décalage avec lui et toujours soumis à la loi juive qui reste leur référence.
Cet échec de Jésus à éveiller des hommes sans culture, pour en faire des disciples efficaces, peut faire douter de la conjonction entre Jésus et Christ. En effet, comment imaginer que l’esprit saint envoyé par le Bon Principe pour éveiller les esprits saints prisonniers ici-bas ait pu ignorer qu’il allait échouer dans cette mission et qu’il devrait ensuite s’adresser à un esprit cultivé — c’est-à-dire Paul de Tarse — pour obtenir l’effet recherché ?
Cela renforce l’idée qu’il est probable que, si Jésus a existé, il fut un homme — vraisemblablement éveillé — comparable à Étienne, ou qu’il s’agit de plusieurs hommes dont on a ensuite réunit les parcours sous une seule identité.

Pâques et la Passion du point de vue cathare

Si, comme le pensaient les bons hommes du Moyen Âge et le considèrent les croyants cathares d’aujourd’hui, le Christ est toujours demeuré un pur esprit — c’est-à-dire qu’il ne s’est pas fait chair lui-même mais aussi qu’il n’a aucune part à la chair — peu lui chaut d’apparaître comme vainqueur de la matière ! En effet, il n’est pas venu en compétiteur, mais en éveilleur.
S’il était venu en compétiteur, comme le pensaient et l’attendaient les juifs, les prophètes de l’Ancien Testament et Jean le baptiste lui-même, il serait venu en Messie libérateur à la tête de l’armée de Dieu.
Or il n’en fait rien. Il vient comme le plus petit de tous, dans le plus humble équipement — seul, sortant de nulle part, en l’an 15 de Tibère — et si peu reconnaissable que celui qui l’annonce à tout rompre depuis des années, va même douter de sa réalité au point de lui envoyer ensuite ses disciples pour s’assurer qu’il est bien l’envoyé de Dieu.
Non, le Christ est esprit et agit en esprit qu’aucune matière n’a jamais corrompu et ne corrompra jamais.
Quand il nous dit qu’il est en nous, c’est en esprit et non pas dans notre chair qu’il s’insinue. Cela confirme aussi que si notre esprit est prisonnier de la matière et du corps de chair, il n’y prend pas la moindre part. Il n’y a pas de corruption entre l’esprit que nous sommes et la chair qui le contraint. La barrière entre les deux est infranchissable car l’un et l’autre appartiennent à deux origines inconnaissables l’une à l’autre.

Il est donc évident que Pâques est un non-sens pour un croyant cathare, car Pâques prétend au contraire créer le lien entre l’esprit et la matière et, comme par hasard, ce lien est un lien de violence ; violence qui va dans un sens d’abord et se retourne dans l’autre enfin, au point d’estourbir les gardes du tombeau.
Non, vraiment, il y a plus d’un abîme entre cette approche du christianisme anthropomorphique et mondaine et notre vision spirituelle et détachée du monde.
L’idée judaïsante de vouloir faire de la Passion un sacrifice consenti — où le bœuf est remplacé par le fils de Dieu, à l’exact opposé du sacrifice d’Abraham en quelque sorte —, est une contorsion intellectuelle incroyable. Le message de la Passion est que Jésus n’a pas été livré en sacrifice, mais qu’il a été exécuté en représailles d’un crime de lèse divinité, puisqu’il a apporté la révélation du caractère non divin de la Loi (Torah), obligeant ainsi ses thuriféraires à l’appliquer à l’envoyé de Dieu lui-même.
C’est d’ailleurs pour le même crime qu’est mort Étienne et que les juifs essaieront de faire mourir Paul.

Donc, Pâques devrait être considéré par les chrétiens comme un jour de rupture entre le judaïsme et le christianisme. Rupture confirmée par l’incapacité totale à confondre une loi qui ordonne de mettre à mort celui qui vient au nom de Dieu et une loi qui invite à retrouver au fond de soi la créature divine qui y sommeille.
Il ne peut y avoir de haine envers les juifs qui n’ont fait qu’appliquer à la lettre la prescription qui leur avait été faite, sauf à considérer que le sacrifice a bien eu lieu ce qui n’est pas notre cas.
C’est de cette monstrueuse erreur, née de l’incapacité des premiers chrétiens judaïsant à comprendre le sens de la passion de Jésus — et non de la mort d’un Christ qui ne s’est pas incarné — qu’est apparu la haine envers les juifs qui donnera corps à l’antisémitisme.
Mais pour nous, Pâques n’est pas un jour de sacrifice, c’est au contraire un jour de révélation, celle de l’absence totale de subordination entre la loi juive et la loi du Christ, de totale séparation entre leur Dieu et le nôtre et, par voie de conséquence, du caractère totalement révolutionnaire, novateur et anarchiste du message apporté par le Christ. Cette révélation suit la désolation induite par la Passion judéo-chrétienne et révèle ainsi l’éveil spirituel de ceux qui la comprennent enfin.

C’est pourquoi pour nous Pâques est et reste une fête juive et nous attendons la Pentecôte où l’éveil cultivé par le cheminement chrétien aboutira à la Consolation.

Éric Delmas – 08/04/2015

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