L’auberge espagnole cathare

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L’auberge espagnole cathare

Notre refus de l’inconnu

C’est dans la nature humaine de refuser ce qui dépasse notre imagination. Cela nous inquiète, car nous connaissons nos faiblesses et nous sommes viscéralement attachés au confort que procurent la maîtrise et la prévision.
Or, l’inconnu est par définition imprévisible et non maîtrisable, au moins intellectuellement.

Aussi avons-nous tout réglementé et organisé, y compris dans le domaine religieux. Au départ, les dieux étaient exactement calqués sur les hommes, avec juste des pouvoirs supplémentaires, un peu comme les superhéros des années 60. Puis vint le monothéisme. Son Dieu s’apparentait largement à Zeus/Jupiter, mais il n’était plus question de ressemblance avec nous. Aussi fut-il nécessaire d’établir avec lui une autre sorte de dialogue et de baser sa raison d’être sur une autre mythologie. La force du christianisme réside dans le fait que son Dieu s’est abaissé à venir au secours des hommes par l’intermédiaire d’un être mi-divin, mi-humain. C’était la version moderne des héros mythologiques.
Pour favoriser son développement et asseoir son pouvoir, le judéo-christianisme a organisé ce système en créant des ponts entre Dieu et les hommes et en formalisant la façon dont les hommes devaient agir pour rester dans les petits papiers de Dieu.
Ce système, ordonné et prévisible, permettait de faire reculer la peur de l’inconnu tout en favorisant l’adhésion à un système dont les organisateurs pouvaient dès lors asseoir leur pouvoir sur la masse.

Les « catharismes » d’aujourd’hui

Dans mon article « Cathares, néo-cathares, pseudo-cathares » publié en 2009, je tentais d’expliquer à la fois le pourquoi du renouveau de la spiritualité — et notamment de celles qui s’écartaient du modèle judéo-chrétien — et comment le catharisme était souvent dépouillé de sa véritable nature pour habiller des mouvements intellectuels, psychologiques, voire spirituels sans rapport avec lui.
Il faut ajouter à cela une entreprise, parfois volontaire, parfois simplement irréfléchie, qui dépouille le catharisme de tout fondement pour le revêtir d’une simple fonction publicitaire dont on se demande bien pourquoi ce mot a été choisi à la place d’un autre. Habitant en plein centre du soi-disant « Pays cathare », je croise à proximité du prétendu « château cathare » de Carcassonne des magasins d’alimentation proposant un « sandwich cathare » à la saucisse, voire un « cassoulet cathare » dégoulinant jusqu’à la nausée de viandes et graisses animales. Un groupe organisant des sorties et de fêtes a également choisi de s’intituler « cathare » tant il est vrai que pour ses promoteurs les cathares devaient être de sacrés noceurs et le club de rugby du coin a également retenu ce terme, vraisemblablement en hommage à la non-violence des Bons-Chrétiens.

Certes, dans l’Aude les choses sont un peu particulières. Les autorités politiques et religieuses locales sont très frileuses, voire négatives vis-à-vis de la reconnaissance du phénomène cathare. Promenez-vous dans les rues de la cité médiévale et vous remarque l’absence totale de références au catharisme, voire une désinformation bien orchestrée à son sujet. La rue de la porte d’Aude où se trouve encore la maison de l’Inquisition — la vraie et non pas le pseudo-musée de la torture — ne dispose en tout et pour tout que d’une très ancienne inscription, largement effacée, et la tour de la justice qui lui fait face et qui servit à ranger les parchemins des interrogatoires, est laissée dans l’oubli. Et je ne vous parle pas de la barbacane du sud, dite « crémade », située à l’arrière de l’ancienne cathédrale où se trouvait le bûcher inquisitorial — conformément aux dispositions des manuels inquisitoriaux — que presque personne ne connaît et que les guides ignorent quand ils ne prétendent pas que ce nom lui viendrait d’un incendie qui l’aurait détruite. Comme si à l’époque où l’essentiel des constructions était en bois, les incendies n’étaient pas monnaie courante.
Ajoutez à cela la fermeture des centres d’information que furent le Centre d’études cathares – René Nelli et la bibliothèque d’études dont la réouverture n’est toujours pas à l’ordre du jour, sans parler des Archives départementales qui s’ingénient à rendre l’appropriation des documents si difficile que la plupart préfèrent s’abstenir de s’y rendre. Au total, il est plus facile d’étudier le catharisme en Aveyron ou en Ariège que dans l’Aude.

Je voudrais bien croire qu’il s’agit de malheureuses coïncidences touchant ce christianisme authentique et que ni le Conseil général ni la ville de Carcassonne n’ont la volonté de ne limiter le catharisme qu’à sa dimension touristique et ne font pas preuve d’un excès de prudence que même l’évêché catholique n’aurait osé leur demander. Mais les faits sont têtus. Le catharisme est bel et bien rejeté de Carcassonne et les entreprises visant à sa « déconstruction », pour reprendre un terme qui fit florès il y a peu, sont en plein développement.

Les « catharismes » spirituels

Abordons maintenant le cas très particulier de la récupération du catharisme à des fins spirituelles.

Contrairement à ce que l’on pourrait croire le fait de s’arroger le droit d’utiliser le terme cathare n’est pas l’aboutissement d’une recherche ayant permis d’accéder à une connaissance fine de cette spiritualité. Bien souvent on constate que les personnes concernées ne connaissent rien du sujet, voire sont restées bloquées sur une connaissance ancienne et totalement invalidée depuis plusieurs décennies.
En fait, quand ce n’est pas l’attrait pour la légende cathare ou l’envie de nuire à l’image du catholicisme qui pousse ces personnes, c’est au mieux la mise en concordance d’un point doctrinal commun, ou supposé tel, qui permet de faire l’amalgame. Le fait que le reste de la doctrine soit en totale opposition ne soulève aucun intérêt. L’hameçon est accroché au catharisme et rien ne l’en fera sortir tant il est valorisant de s’affubler des oripeaux d’une religion que personne ne viendra défendre et que même ceux qui se voient comme ses défenseurs n’hésitent pas à malmener parfois.
Mais, l’abus de références religieuses n’est pas une nouveauté et les mensonges proférés sur un courant spirituel sont récurrents et ne provoquent pas systématiquement des poursuites judiciaires à l’encontre de leurs auteurs. Démontrer l’inanité de ces démarches est facile, même si c’est souvent vain vis-à-vis des personnes concernées qui s’accrochent mordicus à leurs mensonges plutôt que de chercher à se définir dans leur réalité spirituelle personnelle.
La situation devient plus complexe avec les démarches émanant de personnes, souvent de bonne foi, qui pensent pouvoir adapter le catharisme à leurs problématiques plutôt que de se demander pourquoi le catharisme dans sa réalité ne leur convient pas. Il ne s’agit pas de profiteurs du catharisme comme j’avais nommé les précédents dans mon article d’il y a cinq ans. Ce sont plutôt des égarés du catharisme.

On constate quotidiennement que des personnes n’ayant pas les qualifications requises dans un domaine, se sentent néanmoins compétentes pour exprimer un point de vue d’autorité, y compris en s’opposant aux personnes compétentes. Ne dit-on pas avec un peu d’humour qu’en matière de football il y en France 60 millions de sélectionneurs. Mais cela est vrai également en matière de santé, de cuisine, de conduite automobile, etc. En fait, il serait plus rapide de chercher les domaines épargnés par cette manie de se vouloir compétent sans formation.
Or, le catharisme repose sur un concept qu’on ne peut pas saisir si l’on n’est pas concerné et si on ne l’a pas sérieusement étudié. Ce concept c’est l’éveil. En son absence, on est tenté de comprendre le catharisme au travers du filtre de sa propre éthique, des critères sociaux de notre monde, voire d’une certaine illusion que l’on se fait du sujet. Le sympathisant a tendance à se croire déjà croyant confirmé et le croyant qui se pense avancé se veut aussi compétent que l’étaient les Bons-Chrétiens médiévaux. Sur de telles bases il n’est pas étonnant de voir fleurir des propositions de « modifications doctrinales » soi-disant destinées à adapter le catharisme à notre époque, comme si ce dernier était d’ores et déjà considérés par ces « autorités spirituelles » comme inapplicable en l’état.

Il est très difficile de faire comprendre à ces gens que, non seulement ils sont en train d’emprunter une voie dangereuse pour leur propre cheminement, mais qu’ils sont également en train d’en égarer d’autres qui les considèrent comme des références. En effet, au nom de quelle autorité pourrait-on prétendre être plus compétent qu’un autre pour invalider tel choix et défendre tel autre ? C’est là me semble-t-il que l’éveil prend toute sa valeur. Si l’éveil fait comprendre que la Bienveillance est l’élément fondamental du christianisme cathare, il nous montre également que l’humilité et l’obéissance envers les Bons-Chrétiens qui nous ont précédé est essentielle au cheminement. Un éveil débutant fait de nous un nouveau-né spirituel qui ne sait pas quelle valeur attribuer à tel ou tel point de doctrine ou de pratique. Si les cathares formaient pendant longtemps leurs novices, ce n’est pas un choix anodin, c’est parce que cette formation permettait de modifier la prégnance mondaine qui domine encore chez le jeune novice et qui empêche l’émergence de l’esprit-saint (l’âme spirituelle) encore très endormi en lui. Alors, concernant des croyants qui n’ont que d’autres croyants comme référence, la situation est encore pire.

Pour un catharisme authentique

Comment pourrait-on reconnaître le catharisme comme un christianisme authentique — c’est-à-dire conforme à l’original christique et au plus proche de ce dernier — et vouloir dans le même temps faire du catharisme moderne une spiritualité qui remettrait en cause les choix clairement exprimés, et que rien ne peut invalider aujourd’hui, par les meilleures autorités possibles, à savoir les Bons-Chrétiens médiévaux ?

Malgré mes nombreux défauts et mes carences évidentes, j’ai un léger avantage sur beaucoup de mes frères en esprit. J’ai découvert le catharisme récemment et surtout je ne suis pas en attente de sa résurgence depuis plusieurs décennies, comme c’est le cas de plusieurs personnes de ma connaissance. Cela me permet de ne pas avoir d’impatience et, bien qu’il faille certainement être prudent à ce sujet, mon éveil est intervenu alors que j’avais déjà acquis à la fois des années de formation en matière philosophique et théologique, mais aussi une longue pratique de l’analyse de ma spiritualité pendant trois décennies d’agnosticisme. Ajoutons à cela une pratique quotidienne de l’analyse de cas complexes nécessitant une capacité de discrimination et une capacité à étudier un sujet dans son étendue, le tout favorisé par une profession exigeant de savoir comprendre vite et bien un ensemble d’éléments plus ou moins complexes et une pratique de l’enseignement et du recueil d’informations que j’ai appris lors de mon activité dans la presse professionnelle. Sans faire de moi un sujet exceptionnel et sans que cela puisse m’éviter de m’égarer moi aussi, il me semble que ces éléments m’aident au quotidien à prendre plus de recul que des personnes qui en seraient dépourvues. Un peu comme la différence qui existait à l’époque entre un Pierre, simple pêcheur porteur d’une foi réelle mais un peu brouillonne, et un Paul dont la culture et la formation ont fait de lui quelqu’un capable d’analyser le message christique de façon plus appropriée.
C’est pourquoi, voyant les dérives qui se mettent en place à l’occasion de réunions ou de discussions portant sur la résurgence du catharisme médiéval aujourd’hui, j’essaie de les signaler pour que les personnes de bonne foi qui ne les ont pas remarquées ou qui les minimisent comprennent à quel point elles sont dangereuses pour leur cheminement et pour l’exemple déplorable qu’elles donnent au reste de la communauté ecclésiale cathare.

Si les Bons-Chrétiens médiévaux avaient pensé que le catharisme n’avait pas vocation à mener sa voie chrétienne de son côté, pensez-vous qu’ils auraient attendu la croisade pour se rapprocher des esprits les plus éveillés des autres religions les entourant ? Je ne le crois pas, et l’œcuménisme qui semble animer certains de nos frères existerait depuis longtemps et aurait certainement modifié le sens de l’histoire. « Il y a de nombreuses demeures dans la maison de mon père » fait dire à Jésus l’Évangile selon Jean. S’il ne devait plus y en avoir qu’une, cela se saurait depuis longtemps. Je pense que notre incarnation ne nous permet pas d’accéder à la vérité absolue en ce monde malin. C’est une fois réunis dans le sein de la création spirituelle divine que nous serons tous réunis dans la vérité divine. Ici-bas, nous suivons nos voies spirituelles, en bonne relation avec d’autres courants quand ces derniers le souhaitent, dans le respect des différences quand ces derniers les tolèrent. Pour les autres, nous restons à l’écart en attendant leur évolution. Allez chercher des personnes éveillées dans d’autres spiritualités pour se mettre sous leur direction spirituelle reviendrait à nier l’intérêt de la résurgence cathare. Ce n’est pas mon choix. Je n’ai aucun mal à admettre qu’il puisse y avoir des personnes à la spiritualité élevée et dont l’éveil puisse être comparable à celui des chrétiens cathares consolés, mais ces personnes sont dans une autre demeure et celle-ci ne correspond pas à mes choix.

Si nous considérons que les chrétiens cathares médiévaux étaient parfaitement à même de former les novices de leur époque et si nous regrettons leur rareté aujourd’hui, pour nous former, comment pouvons-nous dans le même temps négliger leurs mises en garde ? Quand ils disent que la pratique du Pater ne peut être autorisée aux croyants et que ceux-ci n’en retireraient aucun bénéfice mais au contraire qu’elle leur serait nuisible, comment pourrait-on aujourd’hui prétendre le contraire et s’affranchir de cette règle, marquant ainsi notre orgueil et notre absence totale d’humilité et d’obéissance ? Quand ils avaient établi qu’un noviciat ne pouvait durer moins d’un an et qu’il était le passage obligé du statut de croyant à celui de chrétien, comment pourrions-nous considérer qu’aujourd’hui des consolés peuvent apparaître, par « génération spontanée » du simple fait de leur élévation spirituelle autoproclamée ? Ce n’est pas parce que nous ne trouvons pas la motivation profonde à cet interdit dans les documents disponibles que nous pouvons nous en affranchir. Douter du bien-fondé de cette prescription revient à invalider les Bons-Chrétiens médiévaux dans leurs compétences. En clair, cela revient à rejeter les fondements du catharisme.

Apprenons à cultiver notre Bienveillance et à approfondir notre humilité en l’appliquant à l’obéissance que nous leur devons. Il sera temps, quand ceux qui auront suivi la formation nécessaire pour être considérés à juste titre comme les chrétiens cathares consolés d’aujourd’hui, de leur laisser le soin de s’intéresser à ce sujet.

Si nous pouvons raisonnablement nous interroger sur certains choix alimentaires des Bons-Chrétiens médiévaux en les mettant en parallèle avec les connaissances scientifiques de leur époque; il en est d’autres qui ne doivent pas être remis en cause, alors même que rien ne s’oppose à un strict respect des prescriptions alimentaires cathares. Le rejet des graisses animales, qui étaient considérées comme pourvoyeuses de cette férocité (fereza) qui rendait la chair orgueilleuse, n’est pas uniquement lié à la violence mise en œuvre pour se les procurer. Le lait et le fromage étaient, à l’époque, obtenus de façon moins violente qu’aujourd’hui, car la présure animale est d’introduction assez récente et l’insémination artificielle, qui accélère les gestations mortifères, l’est encore plus. Non, ce sont bien les corps gras d’origine animale qui sont rejetés. Il n’est donc pas question d’y recourir aujourd’hui au motif qu’ils auraient été obtenus sans violence.
Par contre, quand on observe une difficulté à se nourrir dans le respect des prescriptions cathares, il faut se dire que cela est dû à un éveil encore insuffisant et qu’il ne faut pas se forcer à respecter ces prescriptions, mais accepter son état personnel et continuer à méditer sur ses imperfections afin d’approfondir son avancement jusqu’au moment où ces règles nous deviendront naturelles. J’étais un grand consommateur de fromages et aujourd’hui je suis encore surpris de voir combien cet aliment est sans intérêt pour moi. Comme quoi tout vient à temps à qui sait attendre.

J’espère que ce texte aura permis à certains de clarifier leur positionnement vis-à-vis de la spiritualité cathare. Je ne prétends pas être le guide de quiconque, mais si mon analyse et mon propre cheminement peuvent aider mes frères d’esprit à débroussailler leur propre chemin j’en serai le plus heureux des hommes.

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