Les dérives sectaires

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Les dérives sectaires

Dès qu’un groupe d’individus manifeste l’intention de vivre différemment du reste de la population, que ce soit sur des critères sociaux, écologiques, financiers ou spirituels, la première inquiétude qui se manifeste dans le reste de la population est celle de la dérive sectaire.

La mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Milivude), rattachée au premier Ministre, a publié sur son site des critères qui permettraient de détecter une dérive sectaire :

Des critères élaborés sur la base du travail accompli par plusieurs commissions d’enquêtes parlementaires ont permis d’établir un faisceau d’indices facilitant la caractérisation d’un risque de dérive sectaire :

  1. la déstabilisation mentale
  2. le caractère exorbitant des exigences financières
  3. la rupture avec l’environnement d’origine
  4. l’existence d’atteintes à l’intégrité physique
  5. l’embrigadement des enfants
  6. le discours antisocial
  7. les troubles à l’ordre public
  8. l’importance des démêlés judiciaires
  9. l’éventuel détournement des circuits économiques traditionnels
  10. les tentatives d’infiltration des pouvoirs publics.

Un seul critère ne suffit pas pour établir l’existence d’une dérive sectaire et tous les critères n’ont pas la même valeur. Le premier critère (déstabilisation mentale) est toutefois toujours présent dans les cas de dérives sectaires.

Ces critères posent question, non pas qu’ils soient absents des dérives sectaires connues, mais parce qu’ils sont en fait révélateurs — pour certains d’entre-eux — d’une volonté normative sociale.

Les critères 1, 3, 6, 7 et 8 entrent dans cette analyse.

La déstabilisation mentale

La déstabilisation mentale suppose un état pré-existant de stabilité mentale dont il faudrait préciser les critères le définissant. Tel individu apparemment stable va s’énerver et insulter son entourage dès qu’il sera coincé dans sa voiture au milieu d’un embouteillage. Est-ce un cas de déstabilisation mentale ? Si oui ce critère semble trop facile à atteindre pour être révélateur. Par contre, si en demeurant calme et pondéré un individu déclare ne plus être en accord avec les règles du monde actuel et désire vivre autrement, peut-on le dire déstabilisé ? En fait tout dépendra de ce que ce choix aura comme conséquence dans le cadre de son rapport avec le reste de la société. Si cela le conduit à rejoindre des groupes extrémistes (politique, écologistes ou spirituels) pour ensuite commettre des actes anti-sociaux violents, on pourra penser qu’il a été déstabilisé comme on le voit en matière religieuse avec certains groupes qui se disent musulmans et certains groupes soit-disant chrétiens anti-avortement. Si cela le conduit à rejoindre une communauté de vie qui applique des choix de vie différents de ceux du reste de la société, sans pour autant empêcher le reste de la société de maintenir ses propres choix, comme cela se voit avec des groupes écologistes, des groupes socio-politiques et des groupes spirituels, il me semble difficile d’y voir un problème. Les communautés religieuses reconnues car conformes à notre cultures sont clairement de ce type. Les mouvements de jeunesse, les groupes de sportifs et de supporters, etc. pourraient être considérés de même.
En fait c’est le concept de norme sociale qui est appliqué. Ce concept est destiné à protéger la société en faisant croire que le mode de vie qu’elle s’est choisi est forcément le seul conforme à l’intérêt de l’humanité. Certes, l’ouverture sur le monde prouve que c’est ridicule car tel mode de vie jugé cohérent ici est idiot ailleurs et vice versa. La découverte du concept de bonheur national brut validé par le roi du Bouthan a profondément surpris les occidentaux alors qu’il est une évidence là-bas.
Donc, la déstabilisation mentale est un critère éventuellement visible a posteriori, et encore,  car c’est surtout un critère normatif qui vise à comparer une situation avec une autre jugée référentielle puisque majoritaire.

La rupture avec l’environnement d’origine

Espérons que tous les jeunes adultes quittant le giron familial ne seront pas traités de sectaires !
Sans rire, en quoi l’environnement d’origine serait-il une référence anti-sectaire ? Là encore la volonté d’affirmer la supériorité d’une norme sur une autre est patente. Le plus souvent quitter l’environnement d’origine est une qualité qui dénote une ouverture d’esprit et une volonté de progrès qui font défaut aux casaniers.
Maintenant il est évident que les personnes qui tombent dans une dérive sectaire choisissent à un moment donné de quitter leur environnement d’origine. Mais ce n’est pas parce que tous les sectaires quittent leur environnement d’origine que tous ceux qui le font sont sectaires. L’entrée au couvent, l’engagement militaire, le départ à l’étranger pour suivre une formation sportive de haut niveau nécessitent une rupture avec l’environnement d’origine et manifestent un changement de norme mentale ; sont-ce pour autant des dérives sectaires ?

Le discours antisocial

Alors là nous frisons le ridicule. Dénigrer un modèle social serait susceptible de signer une dérive sectaire ? Et le défendre contre vents et marées alors qu’il démontre son caractère inhumain (chômage, pauvreté, exclusion, violence, etc.) ne le serait pas ?
Donc, celui qui ne reconnaît plus notre modèle social, qui aspire à une autre forme de relation sociale et qui rejoint un groupe partageant ses idées serait sectaire puisque accumulant ces trois critères, alors que celui qui valorise le modèle libéral capitaliste, qui considère les pauvres comme des rebuts de la société et qui vit dans le luxe serait un modèle de normalité ? Bravo !

Les troubles à l’ordre public et l’importance des démêlés judiciaires

Je traite ces deux points conjointement puisque, logiquement, ils vont en général de pair.
Si l’on fait le choix de vivre différemment et que votre voisin, ou mieux vos voisins dont le maire, souhaitent se débarrasser de vous, il suffit que l’on vous fasse des misères, que quelques illuminés fassent du chahut devant chez vous pour que l’on vous accuse de trouble à l’ordre public — ou mieux encore d’être potentiellement un trouble à l’ordre public si rien ne s’est encore produit — et que l’on essaie de vous faire partir en multipliant les procédures pour devenir un sectaire.
Ne rions pas cela s’est déjà produit et la justice ne se prive pas d’abonder en ce sens. En Aveyron une communauté voulait s’installer sur un terrain acheté récemment et le maire a refusé le permis de construire en l’accusant d’être une secte. Le juge a refusé de récuser l’avis du maire au motif qu’il ne voyait rien d’illégal dans cette dénomination et qu’il ne pouvait l’infirmer… faute de définition précise !

Comment définir une dérive sectaire ?

On le voit, les critères actuels sont défaillants ou nécessitent de telles précautions d’application qu’ils en deviennent caducs.
Pour moi la dérive sectaire ne peut se définir en rapport avec une norme sociale. Cela ne peut s’envisager qu’au niveau des relations d’un individu avec un groupe.
Le premier point serait à mon avis un recours à l’isolement social durable. Tout groupe qui maintient ses membres isolés du reste du monde — surtout au début de leur engagement — ou qui les empêche de s’immerger dans un autre milieu social à l’occasion de sorties de plusieurs jours est suspect de ce point de vue.
Ensuite, bien entendu, la captation financière irréversible et, pire encore, la captation financière dépassant la part libre du patrimoine, sont suspectes d’une dérive sectaire dont on sait combien l’accès à de forts moyens financiers est une volonté classique.
Enfin, la référence à un individu disposant de droits inaliénables sur les autres et une forte hiérarchisation verticale laissent craindre la mise en place d’un carcan psychologique dangereux.
Mais l’imagination perverse est féconde et je ne doute pas que d’autres formes d’embrigadement verront le jour. Déjà certaines formes associatives existent pour servir de paravent ou pour détecter des personnes manipulables. C’est le cas de certaines formations à l’éveil personnel qui n’ont d’autre but.

Catharisme et sectarisme

Par l’absence de référence reconnue, comme c’était le cas au Moyen Âge, le catharisme est clairement une cible de choix pour les sectaires de tous poils.
Pour autant, il dispose des moyens de contrecarrer ces dérives.
En effet, tant dans sa doctrine que dans sa règle de justice et de vérité, le catharisme dispose d’outils anti-sectaires naturels efficaces.

Le gourou ne peut exister en raison de l’absence de hiérarchie verticale et du concept de stricte égalité entre les membres, allant jusqu’à l’obligation égalitaire de participation à la vie communautaire pour tous les membres de la communauté évangélique.

La captation financière ne doit pas exister car les cathares se réfèrent à la parabole du jeune homme riche et non à celle de Saphire et Ananias qui relève clairement des communautés pétriniennes judéo-chrétiennes.
Donc, le croyant désirant entrer en noviciat peut apporter à la communauté une part de son patrimoine libre de tout droit de succession (ne pas léser quiconque), mais cela doit se faire progressivement et il doit pouvoir le récupérer s’il choisit de partir. Certes une aliénation prorata temporis doit être appliquée pour ne pas faire planer sur l’existence de la communauté une épée de Damoclès permanente mais, si le novice désirant repartir ne dispose plus de moyens suffisants pour le faire c’est à la communauté de lui offrir les moyens de se remettre le pied à l’étrier.

Quant à l’isolement social, il est totalement contraire à l’esprit des communautés évangéliques cathares. Les visites extérieures — pour autant qu’elles respectent le rythme de vie de la communauté — et les sorties régulières des membres (visites familiales, travail, relations de voisinage, etc.) sont non seulement autorisées mais clairement souhaitées et favorisées. Le cathare, contrairement à la plupart des sectaires, ne craint pas d’être immergé dans un autre milieu, car sa conviction et sa foi ne reposent pas sur un endoctrinement mais sur une logique et une philosophie patiemment construites et naturellement admises. C’est pourquoi l’entrée en noviciat ne peut se faire sans avoir auparavant suivi un cheminement de croyant suffisant pour acquérir les connaissances indispensables à un choix éclairé.

Éric Delmas, 14 décembre 2013.

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