Le noviciat et la vie communautaire

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Le noviciat et la vie communautaire

Ce document est disponible dans le livre : Catharisme d’aujourd’hui. Cependant je fais le choix de le développer un peu, notamment pour ce qui relève de notre époque.

Du croyant au novice

La vie de croyant est extrêmement variée car elle reflète un avancement en vie chrétienne qui se manifeste dans les choix quotidiens qui évoluent selon l’évolution spirituelle de chacun.
 Au Moyen Âge les Bons-Chrétiens identifiaient très bien cette évolution de la vie du croyant puisqu’ils acceptaient de la formaliser sur le plan rituel par trois étapes.

Le Melhoramentum (ou Melhorer) que l’on pourrait traduire par « Amélioration » et que les inquisiteurs appelaient « adoration ». Dans ce rituel le croyant demande au Bon-Chrétien d’intercéder pour lui afin qu’il ait la possibilité d’atteindre le but de sa vie chrétienne et de toucher au Salut (la bonne fin). On le comprend le Bon-Chrétien n’est pas l’objet final de cette supplique mais un intermédiaire reconnu compétent par le croyant qui, le voyant vivre au quotidien la meilleure vie chrétienne accessible en ce monde, fait de lui le meilleur intermédiaire possible.

La Tradition du pain ou bénédiction du pain à laquelle ne peuvent accéder que des Bons-Chrétiens et des croyants, ayant été confirmés en étant autorisés à pratiquer l’Amélioration, est un rituel qui se déroule à chaque repas des Bons-Chrétiens dans l’esprit de l’Agapé de l’Église chrétienne antique et non de l’Eucharistie judéo-chrétienne. Le Bon-Chrétien le plus avancé dans sa démarche (prédicateur, ancien, etc.) bénit le pain qui sera réparti par ordre d’ancienneté dans la foi et mangé par tous en signe de communion d’esprit.

Enfin, la Tradition de l’Oraison consiste pour un novice confirmé dans sa démarche à être autorisé par les Bons-Chrétiens à dire avec eux le Pater. En fait, il s’agit de novices qui sont à la porte de la Consolation, c’est-à-dire ayant effectué au moins une première année complète de noviciat comportant au moins trois carêmes.

N’oublions pas un rituel, généralement pratiqué à la suite des autres, que l’on appelait le Caretas ou baiser de Paix, que je traduirais par la Paix tout simplement.

Il existe aussi un rituel auquel assistent régulièrement des croyants sans qu’il soit précisé quel est le degré d’avancement. Vu le caractère intime de ce rituel on ne peut imaginer qu’il soit accessible à des croyants qui ne seraient pas autorisés à pratiquer l’Amélioration, ce dernier étant de fait le signe d’entrée dans la communauté des croyants. Ce rituel appelé Servici ou Apparelhamentum, que j’appellerai en français le Service, est une confession mensuelle faite par l’ancien au nom de sa communauté devant le diacre. Elle permet de rappeler que seuls les Bons-Chrétiens peuvent pécher puisqu’ils ont la connaissance du Bien (entendement du Bien), ce qui n’est pas le cas des sympathisants (auditeurs) et des croyants.

Le noviciat

Quand le croyant a montré un état d’avancement régulier et durable, et s’il en fait la demande auprès d’un responsable de l’Église, il est autorisé à passer le dernier cap en entrant en noviciat. Un novice doit suivre en tous points la vie des Bons-Chrétiens de sa communauté. On imagine mal alors qu’il ne puisse assister et participer aux Heures quotidiennes, les séances de méditation orales basées sur le Pater et assorties d’un rituel précis ainsi que d’un enseignement doctrinal.
 Cependant, tant qu’il n’aura pas été admis dans la Tradition de l’Oraison, il ne pourra réciter le Pater et devra, soit demeurer silencieux afin de ne pas gêner les Bons-Chrétiens dans leur rituel, soit dire le Père saint en lieu et place. Cette étape n’a pas le caractère de franchissement que l’on observe parfois dans l’entrée en vie moniale. En effet, un croyant, dès l’instant de son premier prêche reçu après sa première Amélioration, va entamer un cheminement qui l’amènera progressivement à choisir une vie quotidienne orientée dans les choix qui sont ceux de la vie évangélique. Certes, cela se fera par petites touches, par étapes régulières et modestes, mais au final, à la porte de l’entrée en noviciat, le croyant aura effectué un important renversement de vie qui lui rendra le noviciat naturel. De toutes façons un noviciat ne pourrait se faire dans un esprit de contrainte car cela contreviendrait au principe de non violence.

Le premier point du noviciat consiste à partager la vie chrétienne évangélique dans toutes ses pratiques et à s’intégrer à la communauté chrétienne avec toute l’humilité qu’elle nécessite.
 Le novice va suivre les prescriptions des Bons-Chrétiens, et notamment celles de l’ancien, car il a pleinement conscience de la profonde distance qui sépare son entendement de celui des Bons-Chrétiens. 
Ce point est essentiel de nos jours où notre culture et notre empressement nous poussent à remettre en cause les choix des Bons-Chrétiens médiévaux dès lors qu’ils nous gênent vis-à-vis de nos habitudes modernes. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, la vie évangélique moderne n’est pas une sorte d’auberge espagnole où chacun pourrait décider des règles et pratiques qu’il accepterait de suivre au motif. Suivre la Règle des anciens n’est pas les singer mais consiste à les considérer comme une référence évidente. La Règle n’est pas une loi, c’est un modus vivendi, librement et unanimement accepté par tous. Ne pas l’accepter est simplement considérer que l’on n’est pas dans une démarche cathare, ce qui est légitime et sans valeur sur la capacité à accéder au salut, car le catharisme n’a aucunement prétention à se croire la seule voie du salut. Ce qui importe c’est d’avoir l’humilité de comprendre que notre état de croyant ne nous permet pas d’invalider des choix dont nous n’avons pas l’explication de leur motivation à l’époque. 
Le novice doit donc garder à l’esprit que, même en l’absence de Bons-Chrétiens pour nous guider, ce statut de noviciat constitue le plus bas degré d’avancement en vie chrétienne évangélique. 
L’obéissance et l’humilité sont donc indispensables pour partir d’un bon pied dans ce cheminement.

Pour qu’un novice ait la possibilité d’apprécier sa capacité à suivre la vie chrétienne évangélique, il doit rester dans la communauté un minimum d’un an afin d’en suivre tous les cycles. Mais un noviciat n’est pas seulement un cheminement temporel ; il est aussi et surtout cheminement spirituel. Cela peut nécessiter de faire durer le noviciat plus longtemps. Nous avons la trace de noviciats ayant duré trois ans alors même qu’ils étaient menés au sein de communautés de Bons-Chrétiens. Cela veut dire que, de nos jours, l’absence de Bons-Chrétiens pour nous guider impose de fait des noviciats longs de plusieurs années car les novices devront s’entraider les uns les autres jusqu’à ce que l’un ou plusieurs d’entre eux atteignent un niveau de développement considéré collectivement comme de nature à signer une Consolation spirituelle.
 La patience et la modestie sont essentiels à l’aune de la mise en place de la résurgence de l’Église chrétienne cathare car toute erreur à ce stade aurait des conséquences incalculables sur le développement de la communauté et sur l’avenir de l’Église pour les décennies à venir.

Pendant le noviciat, le croyant en « formation » va poursuivre et développer les pratiques ascétiques qu’il avait déjà expérimentées, voire pratiquées régulièrement, dans sa vie mondaine : continence alimentaire et sexuelle, dépossession, humilité, jeûnes et carêmes, pratiques rituelles prévues par la Règle, etc.
 Il va surtout les mettre en œuvre de façon systématique et exclusive dans un schéma d’organisation validée unanimement par l’ensemble des membres de la communauté.
 Il va également participer aux pratiques rituelles et aux périodes d’approfondissement de la spiritualité chrétienne cathare qui les accompagnent. Ainsi, ces nombreuses séances quotidiennes d’analyse, d’étude, d’apprentissage et de maîtrise, non seulement des documents relatifs au catharisme mais aussi d’une connaissance élargie du christianisme dans sa dimension théologique et philosophique et des domaines connexes nécessaires à une maîtrise élargie, permettront au novice d’acquérir à la fois une connaissance extérieure indispensable à la structuration de sa pensée personnelle mais aussi et surtout un approfondissement de sa connaissance intérieure de la Bienveillance et de tout ce qui s’y rapporte.

C’est pour cela que le croyant désireux d’envisager de rejoindre une vie évangélique communautaire doit comprendre qu’il lui incombe de pratiquer ce renversement d’état d’esprit au quotidien et progressivement afin d’être prêt, le jour venu, à se lancer dans cet approfondissement. Aucune lecture, aucune conférence et même aucune retraite ponctuelle ne saurait mieux préparer un croyant qu’une mise en œuvre progressive et quotidienne — aussi imparfaite soit-elle — des préceptes de la vie évangélique.

Du novice au bon-chrétien

Au Moyen Âge, quand le novice apparaissait avoir atteint ce stade d’approfondissement et s’il en émettait le vœu, il pouvait accéder à la Consolation qui se manifestait alors par un rituel très formaté.
 Même si les Bons-Chrétiens s’interdisaient de juger si l’état d’avancement de l’impétrant était parfaitement compatible avec sa demande, il est évident qu’aucun n’aurait accepté de participer à ce qui lui aurait semblé être une parodie au regard de ce que ce sacrement représentait à ses yeux.
 On voit malheureusement que malgré ce principe, des Consolations ont été donnés à des personnes qui se sont avérées indignes de le recevoir (par exemple Raynier Sacconi qui est même devenu inquisiteur).

De nos jours les choses sont encore plus complexes.
 En effet, faute de Bons-Chrétiens unanimement reconnus dans la communauté — et d’ailleurs reconnus par qui et au nom de quelle autorité en l’absence de communauté de vie évangélique ? — la Consolation peut apparaître comme une mission impossible. 
Je n’en suis pas si sûr. En effet, le témoignage d’Arnaud Sicre devant l’Inquisition prête à Bélibaste la remarque que, même en l’absence de Bon-Chrétien pour le lui administrer, il pourrait recevoir sa Consolation de la part d’ « apôtres spirituels ». Or, cela ressemble fort à la première Consolation de l’histoire qui nous relaté dans les Actes des apôtres, c’est-à-dire à la réception de l’Esprit-Saint par les apôtres lors de la Pentecôte.
 En effet, personne n’a imposé les mains aux personnes présentes dans la maison ce jour-là. Toutes les personnes présentes n’en ont pas bénéficié et cet état d’apôtre consolé est bien la base de la première communauté chrétienne évangélique en l’absence du Christ.

Donc, il m’apparaît clairement qu’une communauté de vie évangélique qui poursuit et affine son cheminement chrétien verra un jour, chez certains de ses membres, apparaître les caractères permanents et concrets d’un état d’esprit éveillé qui signera l’état de Bon-Chrétien chez ces personnes.
 En effet, c’est dans la durée et dans la promiscuité d’une communauté de vie évangélique que pourront s’apprécier les critères de Bienveillance totale qui signeront l’état de Bon-Chrétien chez cette ou ces personnes.

Une fois unanimement reconnue par sa communauté de vie et confirmée par la communauté de croyants, le nouveau Bon-Chrétien pourra rétablir la structure mondaine de l’Église et reprendre l’ensemble des rituels, y compris la Consolation.

Conclusion

Je comprends très bien que certaines et certains parmi nous vivent notre époque avec une certaine impatience et aspirent à l’émergence de la communauté de vie évangélique et à la reconnaissance de Bons-Chrétiens modernes. 
J’ai connu personnellement cette impatience mais, désormais, je l’ai dépassée. En effet, elle me semble délétère et je soupçonne même le mauvais Principe d’en être l’inspirateur car elle est mère de toutes les dérives et pourrait bien conduire notre fragile communauté à l’échec de la résurgence et à un découragement qui nous replongerait dans de longues ténèbres.

Le cheminement est affaire personnelle et doit se faire dans la vie de croyant sans se fixer d’objectif autre que celui de suivre — et non de singer — l’exemple des Bons-Chrétiens médiévaux.
 Si des communautés de vie doivent se mettre en place, qu’elles s’attachent à le faire sans la moindre concession à la mondanité actuelle et même au contraire, qu’elles n’hésitent pas à approfondir certains points de la pratique ascétique au regard des connaissances nouvelles dont nous disposons. 
Si ces communautés sont mises en œuvre dans le Bienveillance, c’est-à-dire sans chercher à exclure et sans compromission destinée à rendre immédiatement possible ce qui aurait dû nécessiter plus de travail et de patience, elles finiront par se développer et par rendre possible l’émergence de personnalités de qualité.
 Notre siècle n’est ni meilleur ni pire que le Moyen Âge. L’imprégnation judéo-chrétienne est différente de nos jours, et souvent plus insidieuse qu’à l’époque, mais elle n’est ni moindre ni pire et n’interdit pas de penser que l’émergence de ces personnalités est possible, y compris dès cette génération.

Donnons du temps au temps puisque nous disposons de l’éternité !

Éric Delmas – 20/01/2013

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